Joachim H. Knoll

L’université libre de Berlin a décerné au printemps le titre de docteur honoris causa au prof. Dr Joachim Knoll dont nos lecteurs connaissent déjà les articles parus dans Éducation des adultes et développement. Nous publions dans le présent numéro une version abrégée du discours que le professeur Knoll a tenu à l’occasion de cet évènement. Joachim Knoll est en outre professeur émérite d’éducation des adultes et dans le domaine de l’emploi pour les jeunes en rupture de scolarité à l’institut d’éducation de l’université de la Ruhr à Bochum. Il a depuis de longues années accompagné les activités de l’IIZ/DVV et il est également membre du nouveau comité de la Confédération allemande pour l’éducation des adultes chargé des questions internationales.

L’éducation des adultes internationale en tant que programme de politique éducative: éducation tout au long de la vie et européanisation

De tout temps, j’ai traité de l’éducation internationale des adultes dans l’optique des organismes internationaux et supranationaux, particulièrement lorsqu’il s’agissait de thèmes d’actualité ou de questions traitant de notre monde de demain: l’UNESCO, l’OCDE, l’UE et le Conseil de l’Europe, les organismes internationaux sous tutelle européenne telles l’Association mondiale d’éducation des adultes et le Conseil international d’éducation des adultes, mais aussi les organisations politiques spécialisées en science et d’éducation. Nous relevons sur l’ensemble des thèmes traités deux sujets particuliers largement orchestrés, commentés et promus par la presse quotidienne et devenus des formules toutes faites: il s’agit d’une part du principe de l’éducation ou apprentissage tout au long de la vie, généralement associé au concept d’«éducation pour tous», d’autre part du rapport éducation des adultes / processus d’unification européenne, qui comprend aussi la subsidiarité et le fédéralisme culturel. Nous ne pourrons, ici, les évoquer que de loin sans pouvoir entrer dans les détails et les contradictions qui confirment que séparer le monde de la raison est une opération vouée à l’échec, surtout en matière de politique éducative internationale.

Nous nous limiterons donc à éclaircir ces deux formules sans entrer dans une analyse approfondie.

Éducation, ou apprentissage tout au long de la vie

Commençons donc par la vision de l’éducation ou apprentissage tout au long de la vie, tout en rappelant que l’éducation est une action continue jamais achevée, que les étapes scolaires et les organismes extra-scolaires sont le reflet d’une progression ininterrompue dans laquelle aucun diplôme n’est définitif, que l’éducation des adultes ne représente qu’une part de ce concept et qu’elle dépend toujours des processus éducatifs antérieurs ou parallèles. Le principe n’est pas nouveau et dans notre domaine, quiconque exige de l’originalité doit savoir que celle-ci n’est souvent que le plagiat d’une réalité méconnue. Il se trouve en effet que l’histoire religieuse et la philosophie juives appliquent ce principe depuis plus de deux millénaires, puisque la synagogue est un lieu d’apprentissage traditionnel où l’on enseigne les écritures sacrées, mais aussi tout le savoir et la sagesse du monde d’ici-bas. On pourrait trouver plus de détails à ce sujet chez Kalman Yaron et Eitan Israeli, dans les Annales internationales de l’éducation des adultes. Pour ma part, je ne suis pas encore parvenu à faire avec plus de précision le lien entre cet exemple de l’Histoire et le monde actuel; peut-être la culture judéo-allemande des salons des débuts du 19e siècle a-t-elle eu plus de succès.

Mais revenons à aujourd’hui:

  • c’est en 1972 que s’ouvre un débat intensif autour des concepts de l’éducation tout au long de la vie avec la création, par Edgard Faure, d’une commission dont les conclusions sont publiées dans l’ouvrage «Apprendre à être», paru en allemand sous le titre évocateur et futuriste «Comment allons-nous vivre».

  • Un peu plus tard, en 1976, les «Recommandations sur le développement de l’éducation des adultes» approuvées par la Conférence générale de l’UNESCO, inscrivent le principe de l’apprentissage tout au long de la vie au répertoire linguistique et thématique de l’UNESCO, synthétisent les connaissances de cet organisme sur l’éducation des adultes et ouvrent la voie à un avenir dans lequel l’éducation des adultes se verra traitée de manière systématique et éclairée et qui se réclamera du principe de l’unité dans la diversité. Je nommerai cet ouvrage programmatique la «Grande charte de l’UNESCO sur l’éducation des adultes».

  • Nous citerons enfin un troisième événement qui peaufine le profil des temps actuels et futurs: il s’agit du rapport de la commission dirigée par Jacques Delors, publié en 1976 sous le titre visionnaire «L’éducation, un trésor est caché dedans», qui définit les quatre piliers du concept d’apprentissage de l’éducation des adultes et les soumet au débat: 
    1. apprendre à connaître 
    2. apprendre à faire 
    3. apprendre à vivre ensemble – apprendre à vivre avec les autres 
    4. apprendre à être

  • Le point final du débat actuel, ou peut-être n’est-ce que la poursuite et l’intensification de la pensée de l’UNESCO, est marqué par le Mémorandum européen sur l’Éducation et la Formation tout au long de la vie (2000), de même que par le document issu d’une consultation entre les nations qui porte le titre un peu confus «Réaliser un espace européen d’éducation et de formation tout au long de la vie» (2001).

L’entre-temps est marqué par une longue discussion teintée parfois d’un certain débordement enfantin qu’Ernst Bloch aurait qualifié de «joues roses et fraîcheur printanière». Mais le débat a eu néanmoins du bon du simple fait qu’il a contribué à éclaircir un certain nombre d’idées et de termes importants pour l’action internationale, notamment:

  • éducation des adultes et mondialisation, avec l’appel logique à «penser mondialement, agir localement»,

  • centralisme et réglementation décentralisée,

  • «éducation chain», qui n’est autre qu’un modèle de création de liens entre tous les niveaux d’éducation,

  • l’unité dans la diversité, dont l’intention était d’opposer le concept d’identité individuelle à celui d’harmonisation,

  • systématisation et certification, qui prévoit de faire appliquer le système public de qualification au domaine de l’éducation des adultes, et enfin

  • extension du champ de l’éducation des adultes aux exigences sociostructurelles, dans le contexte de sociétés évoluant grâce à l’éducation.

La Commission européenne conclut plus tard: l’apprentissage tout au long de la vie est «tout l’apprentissage accumulé au cours de la vie et qui contribue à améliorer la connaissance, les qualifications et les compétences sous l’angle de la personne, de la citoyenneté, de la société et de l’emploi». Ce qui permet d’opposer à l’idée que l’éducation des adultes est une formation continue axée essentiellement sur l’efficience et l’employabilité, celle d’un rapport équilibré entre les exigences éducatives subjectives et objectives. C’est dans cet esprit que la plus importante confédération d’éducation des adultes, le DVV, conclut en 2001 que l’apprentissage tout au long de la vie doit inclure les domaines thématiques suivants:

  • éducation à l’environnement

  • politique de migration et envers les minorités

  • éducation à la santé et politique démographique

  • réhabilitation

  • politique de l’emploi

  • éducation à la citoyenneté et éducation sociale

À l’instar de l’Agenda pour l’avenir (1997), qui comprenait 10 champs d’action au total, et du programme «one hour per day», il prône la décentralisation des réglementations et des réformes; les types d’actions proposés sont plutôt une série de suggestions tenant compte des conditions respectives aux niveaux régional, national et de la politique éducative, qui se concrétiseraient par la suite en réformes.

Ici, mondialisation et subsidiarité culturelle et géographique vont sans aucun doute de pair; cette façon de voir les choses permettrait aussi d’éviter une «lutte des cultures»; individualisme, reconnaissance de l’individualisme culturel et ouverture d’esprit, respect et tolérance vont ensemble.

L’européanisation

À partir de la mondialisation et de la subsidiarité culturelle et géographique évoquées plus haut, nous pouvons enchaîner directement sur l’européanisation en remplaçant mondialisation par européanisation et subsidiarité culturelle et géographique par souveraineté des nations.

Au préalable, nous répétons qu’en matière d’harmonisation des réformes éducatives, l’unification européenne se heurte aux droits de souveraineté des nations et, dans le cas de l’Allemagne, des länder. Seul dans le secteur de la formation professionnelle, l’État fédéral peut céder ses droits de souveraineté à la Communauté sans l’accord des länder à la condition de pouvoir prouver que l’action envisagée n’est pas une action communautaire au sens de l’article 91 b de la Loi fondamentale, qui exige l’accord à la fois de l’État et des länder.

Avant de parler des compétences et d’engager une discussion sur le fédéralisme et les pouvoirs réglementaires des nations, commençons déjà, pour donner un exemple, par décrire les positions vis-à-vis de la clause de subsidiarité. Lors de la consultation relative au Mémorandum européen sur l’éducation et la formation tout au long de la vie, le Bundesrat (Conseil des länder) a été invité à faire connaître son avis. Réponse: le Conseil approuve vivement l’idée de l’éducation tout au long de la vie mais refuse en même temps tout pouvoir réglementaire de la Communauté, notamment en matière de contenus, de systématisation et de certification. Nous lisons ceci: «Le Conseil (Bundesrat) attire cependant l’attention sur le fait que ... la responsabilité des contenus pédagogiques et de la conception des systèmes éducatifs incombe aux États membres», puis encore: «Le Conseil attire particulièrement l’attention sur le fait que les systèmes de reconnaissance des qualifications acquises dans des contextes non formels ou informels ne doivent pas être conçus au niveau communautaire».

À la signature du Traité de Maastricht (1992) les milieux pédagogiques, notamment les publications d’éducation des adultes, avaient applaudi le fait que le Traité comportait un article intitulé: «Enseignement général et formation professionnelle, Jeunesse». C’était pour eux un véritable «tournant copernicien» dans la politique éducative européenne. S’ils avaient bien lu le texte et surtout la clause de subsidiarité du Traité et des textes qui ont suivi, ils se seraient rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment matière à euphorie même s’il y avait une part de joie enfantine à voir l’éducation des adultes posséder enfin son propre petit moule à pâtés dans le bac à sable européen.

Qu’était-il arrivé?

Pour la première fois, le Traité de Maastricht mettait un frein à la concentration des actions communautaires sur la formation professionnelle, notamment sur la formation continue des travailleurs migrants, et s’engageait à promouvoir et à mettre en place des mesures complémentaires dans les systèmes d’enseignement scolaire (échanges d’enseignants et d’élèves), d’enseignement supérieur (Institut universitaire de Florence) et d’éducation générale des adultes. Les articles correspondants 126 et 127 du Traité de Maastricht et 149 et 150, identiques, du Traité d’Amsterdam (1997) figurent dans la clause de subsidiarité aux art. 3 b et 5:

«Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire»

Avec le principe de subsidiarité, la Communauté s’est engagée d’elle-même à respecter les velléités d’harmonisation, même après les expériences du passé.

Bien avant, en 1973, le Mémorandum Dahrendorf avait ouvert un débat sur l’harmonisation et croyait pouvoir mettre en place un système éducatif européen doté de cahiers des charges, de mesures, d’objectifs et d’habilitations uniformes; néanmoins, par la suite, la Communauté Européenne s’est bornée à demander aux nations d’appliquer des politiques éducatives flexibles et coopératives.

Bref: le principe de subsidiarité ne permet pas, p. ex., d’intervenir dans les structures fédéralistes ancrées dans la Constitution de la République fédérale d’Allemagne; la cession de ses droits de souveraineté par le gouvernement fédéral est hors de sa compétence juridique constitutionnelle. En outre, les États membres refusent toute harmonisation ou communautarisation.

L’appréciation des compétences actuelles et de la capacité d’action de l’UE est assez contradictoire: d’un côté on espère un peu trop vivement qu’elle encouragera et développera l’éducation des adultes / la formation continue; de l’autre, on juge que les textes du Traité ne contiennent rien qui ne se pratique déjà, plus particulièrement au niveau des mesures d’encouragement et des échanges.

De toute façon, l’histoire du tournant copernicien prouve une ignorance flagrante des textes et, depuis 1998, une tendance à jouer avec l’idée de la constellation postnationale inventée par le sociologue Habermas, dont Karl-Dietrich Bracher a déjà dénoncé avec véhémence les ambitions d’historien. Car dans ce cas bien précis de prophétie prématurée, on citera la sagesse de W. Lippman: «À tout problème humain il y a une solution facile, propre et fausse».

Nous maintenons la thèse que l’UE n’est pas conçue comme un instrument permettant de mettre en place une politique éducative européenne axée sur l’harmonisation des institutions et des contenus, et que le principe de subsidiarité ne permet pas d’uniformiser l’éducation des adultes au niveau européen.

Nous devrions plutôt parler de «l’éducation des adultes en Allemagne, en Angleterre etc...» en ajoutant «de dimension européenne». Dans le cadre du processus de réformes et de reconstruction, le rôle d’un système d’éducation des adultes de dimension européenne serait tout d’abord de consolider la conscience de la tradition individuelle, puis d’encourager les esprits à s’ouvrir aux innovations pour qu’elles soient concrétisées plus tard dans les contextes nationaux respectifs. C’est dans cet esprit qu’en Allemagne, le secteur de l’éducation des adultes a adopté les concepts d’apprentissage tout au long de la vie tels que formulés par l’UNESCO et l’UE, qu’il va les développer en éliminant ce qu’il juge inadapté et faire ensuite ses propres propositions pour obtenir un profil qui lui sera bien spécifique. Le secteur de l’éducation des adultes, s’il est conçu de la sorte, se fonde sur les échanges et la stimulation internationale et non sur des règlements inspirés du centralisme.

Mais il ne faut pas non plus ignorer les signes inquiétants en faveur de l’introduction du mode plébiscitaire et de la centralisation qui se manifestent en République fédérale et risquent de la priver de son système fédéraliste et représentatif garanti par la Constitution. Eu égard à ceci, le secteur de l’éducation des adultes doit conserver son originalité, qui sait à la fois combiner tradition fédéraliste et scrutin centralisé tout en soutenant les concepts régionaux de l’UE.

Les consultations sur la «Constitution européenne» relancent le débat sur la question de savoir où localiser le secteur de l’éducation des adultes de dimension européenne. Débat le plus souvent empreint de l’image obstinée que les Länder se font d’eux-mêmes, comme le prouve la prise de position de la KMK1 intitulée «Réforme du système fédéral dans les domaines de l’éducation et des sciences. Contribution de la KMK1 au débat actuel». Dieu merci, on ne dénonce pas ici le fédéralisme culturel et éducatif comme étant une simple fête folklorique, et on ne se cramponne pas non plus à l’idée «E pluribus unum», d’autant que la vie dans la pluralité est difficile à supporter.

La vision d’une «Europe des patries» n’était pas si fausse dans la mesure où elle promet non seulement l’acquisition d’une identité, y compris linguistique comme en témoigne le Conseil de l’Europe dans sa charte sur les langues régionales et minoritaires, mais encore le sentiment d’appartenir à une patrie et la clarté en matière de répartition régionale, du moins tant que le sentiment d’appartenance à l’Europe n’est pas encore une réalité. En Allemagne, la mission de l’éducation des adultes de dimension européenne comprend la participation intensive aux projets supra-nationaux par le biais des programmes d’appui et des mesures complémentaires, mais aussi la participation active à la construction et au développement de la conscience européenne.

Mais ne nous précipitons pas: réformes de dimension européenne et internationale, certes, mais seulement dans la mesure du possible et du raisonnable, comme le dit Heine dans son conte d’hiver:

«Oui, des petits pois pour tout le monde, aussitôt que les cosses se fendent! Le ciel, nous le laissons aux anges et aux moineaux.»

Le secteur de l’éducation des adultes internationale est déjà loin de l’«enthousiasme des nouveaux départs», et son bilan ne fait pas mauvaise figure.

Annotation

1 KMK: Kultusministerkonferenz, Conférence des ministres de la Culture des länder (NDLT)

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