Chris Duke/Heribert Hinzen

Ceffe étude pour le Rapport mondial de surveillance se penche sur le rôle de l'éducation de base et de l'éducation permanente des adultes dans le cadre de l'éducation pour tous (EPI) et sur la promotion de l'alphabétisation en général au moyen de différentes politiques dans une optique mondiale. Elle examine par conséquent le quatrième objectif de l'EPT, adopté à la conférence de Dakar: «améliorer, d'ici 2015, de cinquante pour cent le taux d'alphabétisation chez les adultes, notamment chez les femmes, et assurer à tous les adultes un accès équitable aux programmes d'éducation de base et d'éducation permanente». Heribert Hinzen est directeur de l'HZ/DW. Chris Duke est directeur, responsable des partenariats communautaires et régionaux à l'université RMIT de Bundoora, en Australie, et directeur de l'antenne Australie/Asie de Higher Education pour le NIACE, Angleterre et Pays de Galle.

Politiques d'éducation de base et d'éducation permanente des adultes

Cadre et base de l'étude

Nous nous sommes principalement penchés sur les politiques et stratégies faisant une différence dans les pays en développement, et pour eux, et s'inscrivant dans l'optique plus large et inclusive d'une éducation tout au long de la vie, vraiment mondiale, rattachée à l'éducation permanente, au développement et à la citoyenneté. Nous passerons ci-après en revue différents éléments de leur cadre de référence. En choisissant l'alphabétisation comme thème de l'édition 2006 du Rapport mondial de surveillance, les auteurs ont en même temps cherché à clarifier sa signification et son lien avec les multiples dimensions du développement, et ils ont également examiné différentes méthodes, tendances, déterminants, politiques efficaces et engagements internationaux. Là où nous l'avons jugé pertinent, nous nous sommes aussi penchés sur ces dimensions.

Cette étude repose sur des recherches secondaires effectuées ces dernières années. Leurs résultats sont souvent regroupés à l'occasion d'événements internationaux majeurs, utilisés comme points de repère dans l'histoire de l'éducation et du développement, et employés pour créer ou renouveler des politiques, des objectifs, des stratégies et des cibles. Ce cycle mondial «bilans-objectifs» sera lui aussi examiné.

Certaines sources particulières ont été listées dans les références. Toutefois, pour la rédaction de cet article, nous sommes appuyés d'une manière plus générale sur l'expérience accumulée par l'Institut de coopération internationale de la Confédération allemande pour l'éducation des adultes (IIZ/DW) depuis sa création et avons pour cela eu recours à ses publications, entre autres au numéro 63/2004 d'Éducation des adultes et développement consacré à la Conférence internationale sur l'éducation des adultes et la réduction de la pauvreté qui s'est tenue en 2004 au Botswana, et aux numéros 54 et 55/2000 sur Dakar et l'éducation pour tous.

Introduction - problèmes et mesures récentes

Pour être exhaustif, un bilan des politiques d'éducation de base et d'éducation permanente doit examiner l'importance et la nécessité de l'alphabétisation des adultes sous différents angles. On peut par exemple envisager qu'elle fournit les compétences nécessaires pour trouver un emploi, qu'elle est un prérequis ou un outil permettant à l'individu d'approfondir son éducation, qu'il s'agit d'une cible mouvante à la lumière des systèmes de communication en mutation ou de la réalisation partielle de l'éducation en tant que droit de l'homme fondamental. Dans un récent article, John Oxenham va plus loin en affirmant qu'il existe toutes sortes de raisons pour alphabétiser les adultes et pour que les adultes s'alphabétisent, qu'il s'agisse d'une alphabétisation fonctionnelle, qu'elle intervienne sur le lieu de travail et dans un but professionnel ou qu'elle ait la paix pour objectif.

«La question est ici de savoir si l'alphabétisation (en soi et libre de toute association plus large avec l'éducation et la formation) est un droit humain si fondamental que, indépendamment de tout effet «instrumental» de développement, la Banque [mondiale] devrait non seulement fournir des crédits plus importants pour soutenir les efforts entrepris pour la promouvoir, mais aussi exercer des pressions sur un certain nombre de ses propriétaires/débiteurs les plus pauvres pour qu'ils s'endettent encore plus dans ce sens». (Oxenham, 2004, 43)

On serait tenté d'ajouter de la même manière qu'ils devraient s'endetter pour l'enseignement primaire ou d'autres secteurs de l'éducation formelle.

Le nombre des enfants et des jeunes dans le monde entier ne cesse d'augmenter, ce qui vaut toutefois aussi pour celui des adultes et des personnes âgées. Au même titre que les enfants et les jeunes, ils ont besoin d'écoles plus nombreuses et d'un enseignement de meilleure qualité, et il faut améliorer les moyens d'éducation qui leur sont destinés, tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Les changements dramatiques sociaux et techniques qui surviennent actuellement exigent un élargissement constant de l'information et du savoir par l'éducation, l'apprentissage et la formation à différents niveaux: éducation permanente, post-expérience et éducation de base. L'aptitude individuelle à apprendre dépend toutefois largement des expériences éducatives durant la jeunesse et de la phase de l'existence dans laquelle se trouve l'apprenant. Il est essentiel d'éviter le conflit dichotomique (gain-perte) entre les besoins des enfants et ceux des personnes plus âgées. Il convient plutôt de trouver des synergies, un équilibre et des liens nécessaires.

Le rapport présenté par la commission Delors à l'UNESCO et intitulé: L'éducation: un trésor est caché dedans formulait le nouveau paradigme comme un besoin «d'apprendre tout au long de la vie». Il attirait l'attention sur ses

«quatre piliers: apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble, apprendre à être» (Delors, 1996, deuxième partie, chap. 4).

Ici, les dimensions essentielles sont les suivantes: tout au long, dans tous les domaines et à tous les niveaux de la vie. Le rapport Delors a été publié en 1996, à mi-chemin entre les forums mondiaux sur l'éducation de Jomtien et de Dakar, ce dernier ayant considérablement élargi notre vision.

Le secteur des ONG opérant dans le domaine de l'éducation et de l'apprentissage des adultes, représenté par le Conseil international pour l'éducation des adultes (CIEA) avait été invité par la commission Delors à présenter ses arguments, ce qu'il fit dans une thèse très directe qui présentait les constatations suivantes:

«L'idée conventionnelle de besoins en alphabétisation/d'alphabétisés doit être revue entièrement. Savoir lire et écrire de simples faits de la vie quotidienne ne suffit pas pour préparer les gens à affronter le monde moderne dans toute sa complexité, encore moins au 21e siècle. L'alphabétisation en soi est un processus qui se déroule tout au long de la vie - une cible sans cesse en mouvement. ... L'intégration de l'éducation de tous les adultes englobant l'éducation générale, politique, culturelle et professionnelle dans l'optique d'un apprentissage tout au long de la vie est essentielle. Nous devons dépasser le stade des hypothèses erronées et des dichotomies ...nous devons bien nous tourner vers de nouveaux partenariats sans pour cela délaisser nos anciennes responsabilités. Les organes et les entreprises publics, les organisations bénévoles et les associations professionnelles, mais aussi les projets lancés dans des domaines connexes doivent échanger leurs expériences et revitaliser l'éducation permanente des adultes, y compris au niveau de la recherche universitaire et des organismes de recherche. La concurrence et les forces du marché ne doivent pas empêcher la coopération. De plus, les gouvernements doivent fournir une législation constructive et un appui financier et logistique propice à la réalisation des tâches capitales à accomplir ces prochaines décennies alors que la population adulte sera la plus nombreuse de toute l'histoire». (ICAE, 1994)

De Jomtien à Dakar

La conférence qui s'est tenue en 1990 à Jomtien a fait voir le jour à une définition très large des besoins éducatifs fondamentaux des enfants, des jeunes et des adultes, comprenant entre autres l'alphabétisation, l'apprentissage du calcul et la recherche de solutions à des problèmes comme outils d'approfondissement de l'éducation, nécessaires à l'individu pour lui permettre de survivre et gérer avec succès son existence et son travail. Néanmoins, la mise en œuvre des mesures nécessaires pour atteindre les objectifs de Jomtien au moyen de politiques d'éducation de base s'est principalement concentrée sur les écoles primaires et, de fait, essentiellement sur les enfants. Mais même cela s'est traduit par des efforts des plus timides: l'un des principaux objectifs quantifiables qui consistait à ce que la scolarité primaire universelle soit instaurée jusqu'en 2000 a été raté de loin. Les résultats n'ont pas été meilleurs pour les deux objectifs suivants:

«réduction de moitié jusqu'en 2000 du taux d'analphabétisme enregistré en 1990 chez les adultes, en accordant une importance suffisante à l'alphabétisation des femmes»

«expansion des services d éducation de base et des formations a d'autres compétences essentielles, nécessaires aux jeunes et aux adultes.»

Une étude thématique réalisée en préparation à Dakar concluait que cette réduction de 50 % «n 'avait été atteinte dans aucun pays» et que du fait de la croissance de la population, le nombre absolu d'analphabètes n'avait que très peu diminué depuis Jomtien (Wagner, 2000).

Le principal objectif à atteindre pour transformer les calendriers de l'éducation trop restrictifs consistait à surmonter les disparités, en particulier entre les sexes, et toutes sortes d'obstacles sociaux empêchant d'offrir une éducation pour tous de bonne qualité. La protection de la petite enfance et les activités d'éveil, puis les écoles primaires furent à juste titre les premiers des six objectifs sur lesquels se fonda le Cadre d'action de Dakar qui visait ouvertement l'accès universel à une éducation de bonne qualité, poursuivie jusqu'au bout par tous. L'éducation et la scolarité des enfants ont une importance à part. Elles sont toutefois en même temps liées aux deux objectifs suivants qu'il conviendrait de réaliser non seulement dans tout le sens de leur formulation, mais aussi de manière cohérente et intégrative:

«assurer que les besoins éducatifs de tous les jeunes et adultes soient satisfaits grâce à un accès équitable à des programmes appropriés d'apprentissage et de compétences fondamentales au quotidien; améliorer de 50 pour cent d'ici 2015 le taux d'alphabétisation des adultes, en particulier celui des femmes, et offrir à tous les adultes un accès équitable à l'éducation de base et à l'éducation permanente.»

La cohérence et l'intégration sont vitales. Opérer des séparations, par catégories d'âge et entre les membres d'une famille ou d'une communauté dans le but d'atteindre cet objectif risquerait non seulement de créer artificiellement une situation de concurrence entre différents éléments importants, mais aussi d'ébranler les efforts entrepris, particulièrement pour alphabétiser les jeunes et les très jeunes, si on ne les associe pas à l'éducation et aux aspirations des femmes, de la famille et de la communauté.

Se focaliser sur les besoins éducatifs des jeunes et des adultes est la suite logique de l'éducation primaire universelle de qualité. En d'autres termes l'apprentissage de compétences fondamentales au quotidien doit être à la portée de tous, même si les apprenants ne sont pas allés au bout de leur scolarité primaire. Du point de vue de l'apprentissage tout au long de la vie, ces deux domaines de l'éducation sont aussi importants l'un que l'autre.

Le but explicit de Dakar en matière d'éducation des adultes doit être considéré dans cette optique. Réduire le taux d'analphabétisme des adultes de moitié d'ici 2015 est important en soi. Néanmoins, fournir à tous les adultes un accès équitable à l'éducation de base et à l'éducation permanente exige la présence d'un système d'apprentissage tout au long de la vie englobant l'éducation générale, la formation professionnelle, la formation continue et les besoins éducatifs sociaux et culturels. Ceci requiert des moyens plus nombreux et plus systématiques permettant aux jeunes et aux adultes de continuer à s'éduquer une fois qu'ils se sont alphabétisés, des points d'entrée permettant le passage des cours extrascolaires vers un cadre formel et, par conséquent, une approche systématique pour évaluer et reconnaître les résultats éducatifs des divers programmes non formels d'éducation et de formation professionnelle. Cette démarche ne se limite pas à la réduction de l'analphabétisme mais va manifestement beaucoup plus loin.

Dans les objectifs de Dakar, on retrouve souvent l'expression en particulier pour les femmes qui a une connotation quantitative et qualitative. Le cas de l'Inde illustre bien ces deux aspects. Les évaluations de la Campagne d'alphabétisation totale lancée au terme des années quatre-vingt et poursuivie durant les années quatre-vingt-dix ont révélé qu'environ soixante-dix pour cent des participants étaient des femmes. Elles avaient de nombreuses bonnes raisons de vouloir y participer: «un grand désir d'apprendre», «une occasion de rencontrer des gens et d'étudier collectivement», disposer d'«un espace social hors du foyer.. .pour se réunir avec un groupe de gens avec lesquels partager des expériences communes concernant le travail, la famille et la maladie». Toutefois, les contenus furent sévèrement critiqués du fait que les

«matériels pédagogiques employés ne remettaient en question ni la répartition existante des tâches, ni les pratiques discriminatoires contre les femmes dans la société. En général, les visuels et les textes des manuels d'alphabétisation soulignaient le rôle domestique et reproductif des femmes, passant sous silence leur rôle productif dans la société.. ..Les préoccupations des protagonistes masculins et féminins reflétaient aussi les rôles stéréotypes des sexes dans la société. ...la plupart des manuels d'alphabétisation mettaient en relief l'idéologie de la domestication et n'encourageaient pas à poser un regard critique sur la subordination des femmes dans la société». (Patel, 2001, p. 356-358)

 

Dans un récent numéro spécial de la revue Convergence intitulé Education for Ail: Putting Adults Back in the Frame, Rogers a rassemblé des articles qui posent un regard nouveau sur l'alphabétisation des adultes en examinant des sujets politiques et conceptuels, régionaux et internationaux. Dans son éditorial (EFA and Adult Learning), il identifie tout un ensemble intéressant de changements paradigmatiques qui ont eu lieu au fil des années. D'après lui, ils sont liés à la création de programmes et aux financements, et signifient que

  • l'EPT est devenue l'EPTE (l'éducation pour tous les enfants)
  • l'EPTE est devenue la SPTE (la scolarisation pour tous les enfants)
  • la SPTE est devenue la SPA (la scolarisation pour les adultes)
  • la SPA est devenue l'EPTA (l'éducation pour tous les adultes)

Pour conclure, il plaide en faveur d'un vaste éventail de changements dans l'approche générale de l'apprentissage et de l'éducation:

«Il se peut que l'association de l'éducation des adultes et de l'EPT soit allée au détriment des apprenants adultes car elle a renforcé le modèle scolaire d'éducation des adultes. Par conséquent, tandis que nous enjoignons l'EPT de prendre au sérieux les adultes qui réclament d'être éduqués, nous ne voulons pas dire qu'il faut leur donner la même éducation que celle que reçoivent les enfants. Nous pensons ici à un nouveau type d'éducation, libéré des chaînes du modèle scolaire et laissant le choix aux participants d'apprendre ce qu'ils veulent, quand ils veulent, où ils veulent et aussi longtemps qu'ils veulent - d'opter pour une éducation véritablement participative, faisant ainsi valoir un droit de l'homme qui est le leur». (Rogers, 2004)

L'évolution des mentalités, des politiques et des stratégies ces dernières décennies

L'alphabétisation dans l'éducation de base des adultes

L'alphabétisation a maintes fois donné lieu à des débats enflammés et souvent teintés d'idéologie. L'éradication de l'analphabétisme a été perçue comme une illusion, stigmatisant en même temps d'une certaine manière les gens qui ne savaient ni lire, ni écrire, ni compter, une discrimination qui touche aussi bien les cultures orales qu'écrites. S'alphabétiser, avec toutes les valeurs et présupposés que comporte ce processus, était envisagé par rapport aux situations dans des sociétés généralement lettrées. La phase de postalphabétisation était ordinairement considérée comme une période dangereuse pour les apprenants qui risquaient d'oublier rapidement leurs acquis s'ils n'avaient rien à lire ou à écrire, ou s'ils n'avaient pas lieu d'utiliser leurs nouvelles compétences. Aujourd'hui, dans des sociétés, des situations et des systèmes de communication en perpétuelle mutation, les concepts plus larges d'alphabétisation - ou plutôt ce que l'on qualifie de littératies (le mot «littératie» désignant l'aptitude à comprendre et à utiliser l'information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d'atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités - n.d.l.t.) - ont pris de l'essor. Il est courant de nos jours de considérer l'alphabétisation comme une cible mouvante, mais voici seulement une vingtaine d'années que cette notion a commencé à être généralement admise. L'alphabétisation fonctionnelle est déjà ancienne, ce qui est plus nouveau, c'est son extension aux domaines des technologies de l'information et de la communication (TIC), et à différentes formes et notions sociales et civiques.

Un certain nombre de ces concepts sont liés à la notion de moyens d'existence qui a toujours été un élément essentiel des politiques d'alphabétisation et une source de préoccupation pour ceux qui souhaitent que le Nord et le Sud disposent des mêmes possibilités et politiques, au lieu de prendre des mesures d'éducation de base des adultes dans les pays en développement et de réserver un «menu plus riche» au Nord. Toutefois, la notion de fonctionnalité est devenue des plus saillantes ces derniers temps, dans ce contexte particulier, principalement économique et axé sur le marché du travail, et on la retrouve dans nombre d'ouvrages récents, couramment utilisés. L'idée selon laquelle le meilleur moyen de s'alphabétiser, et par voie de conséquence le plus motivant, consiste à acquérir des compétences utiles économiquement, a gagné du terrain. Le cas de nombreux projets d'alphabétisation menés en Ethiopie, un pays dont quarante-cinq pour cent de la population vit dans le dénuement absolu, l'illustre bien: tant le programme communautaire organisé dans les centres de formation EXPRO et qui permet d'acquérir des compétences génératrices de moyens d'existence que les programmes d'alphabétisation fonctionnelle des adultes mis en place par l'Association des femmes de Tigray (WAT) et l'Association des femmes d'Amhara (AWA) visent directement à améliorer les moyens d'existence et à réduire la pauvreté (Sandhaas, 2005, www.iiz-dvv.de).

Les jeunes et les adultes ont besoin d'acquérir des compétences pour gagner leur vie et conserver ou gérer leurs moyens d'existence. Cependant, avec près d'un milliard d'analphabètes dans le monde, force est de reconnaître que les gens arrivent aussi à s'en sortir au quotidien, même sans être alphabétisés. Nous pensons toutefois qu'ils s'en tireraient mieux s'ils savaient lire et écrire. Apprécier la «manière dont ils se débrouillent pour survivre» laisse néanmoins présumer un affaiblissement possible des efforts politiques nourris engagés en vue de réaliser l'alphabétisation pour tous, et dans lesquels les populations dans le besoin font l'objet d'une attention toute particulière. Il n'en reste pas moins que d'importantes questions doivent encore être abordées. Entre autres: Comment apprennent-ils sans être alphabétisés? Qu'auront-ils encore à apprendre sans être alphabétisés? Le Rapport mondial de surveillance sur l'EPT pourrait maintenant envisager un calendrier de recherche axé sur la pratique, compte tenu du fait que la signification et la perception de l'alphabétisation s'élargissent et varient, que nous commençons à réaliser toute l'ampleur de la «diversité culturelle» et que tous les différents aspects ne peuvent pas être mis dans le même moule.

Il faudrait notamment peut-être en savoir beaucoup plus sur le succès de l'éducation et de la mise en pratique des acquis dans des environnements non alphabétisés et mixtes ou partiellement alphabétisés, c'est-à-dire connaître beaucoup mieux les savoir-faire et sagesses «indigènes». On a souvent entendu dire que des projets menés dans des communautés dont la culture est (encore) principalement orale, malgré les progrès rapides de la mondialisation et de la communication par les TIC, s'étaient penchés sur la question. Les différentes communautés et cultures indiennes du Mexique en fournissent un exemple. Il est par conséquent nécessaire de mettre en place une sorte d'alphabétisation interculturelle, reposant sur des recherches linguistiques spécifiques, menées avec la participation des futurs apprenants (Klesing-Rempel, 2002).

Les jeunes et les adultes peuvent acquérir des connaissances dans les domaines de la santé, de la nourriture, de l'agriculture et de l'environnement, et des compétences techniques et mécaniques sans avoir été alphabétisés - et ils le font. Il conviendrait d'en savoir plus sur les processus psychologiques et pédagogiques associés à cela. Ils pourraient nous renseigner sur les implications utiles pour des questions organisationnelles et structurelles lors du passage de l'éducation de base à l'éducation permanente - que ce soit pour des enfants, des jeunes ou des adultes.

Une étude récente a répertorié et rigoureusement analysé les programmes principalement axés sur l'alphabétisation mais dont un des volets était consacré aux moyens d'existence. Elle les a comparés avec des programmes ayant un volet d'alphabétisation mais principalement axés sur la formation professionnelle dont le but est d'améliorer les moyens d'existence. Nous mentionnerons ici un seul des résultats et recommandations précieuses de cette étude qui élucide une question clé:

«Élaborer les contenus de l'alphabétisation/de l'enseignement du calcul à partir des compétences nécessaires dans une activité professionnelle et les intégrer dans celle-ci dès le départ paraît plus prometteur que de les enseigner parallèlement ou d'utiliser des matériels d'alphabétisation standard pour préparer les gens à se former pour qu'ils puissent gagner leur vie.» (Oxenham et coll., 2002, p. 3)

Le rapport montre en même temps à quel point la mise en œuvre de cette approche peut s'avérer difficile étant donné qu'on l'accepte souvent comme principe, mais que les programmes y ont rarement recours. Néanmoins, sa mise en pratique aiderait considérablement dans les activités d'éducation et de formation des jeunes et des adultes. La reporter sur les politiques de l'Éducation pourrait même changer la situation dans les écoles.

Demander plus d'appui pour l'alphabétisation des adultes ne devrait en aucun cas être interprété comme une perte d'intérêt à l'égard de la scolarité de base. Il s'agit plutôt d'un appel visant une amélioration nécessaire de l'équilibre entre les deux:

«Manifestement, la dichotomie artificielle entre la scolarité initiale et l'éducation de base des adultes continue de régner, en contradiction totale avec la synergie de l'apprentissage tout au long de la vie que préconise le rapport Delors. Notre rapport ne sous-entend pas que les centaines de millions de femmes et d'hommes qui n'ont pas eu accès à l'alphabétisation et n'ont pas eu l'occasion de se former à la communication et à des techniques par le biais d'une éducation organisée sont ignorants et mal informés en ce qui concerne les réalités dans lesquels ils évoluent. Ce rapport veut toutefois laisser entendre que toutes ces femmes et ces hommes ont le droit fondamental d'avoir des possibilités de s'éduquer de manière organisée afin d'acquérir les compétences de base nécessaires pour participer activement à la vie d'une société lettrée. Si cette situation n'est pas donnée, cela signifie que, comme l'a écrit Sergio Haddad, leur droit à une éducation organisée a été «violé». Malheureusement, nous sommes encore loin de donner la priorité absolue à l'éducation de base des adultes». (CIEA, 2003)

L'éducation permanente des adultes dans l'apprentissage tout au long de la vie

Durant toutes les délibérations de la CONFINTEA V, la Conférence mondiale de l'UNESCO sur l'éducation des adultes qui s'est déroulée en 1997 à Hambourg, l'accent a largement été mis sur la confusion à ne pas faire entre l'éducation des adultes et l'apprentissage tout au long de la vie. L'expression tout au long de la vie s'applique à une activité d'apprentissage qui commence au berceau et se termine à la mort, tandis que le terme adulte se rapporte clairement à la longue période qui suit la jeunesse. Point n'est besoin d'argumenter plus longtemps sur le fait que cette phase est la plus longue de l'existence, et aucune raison convaincante ne permet d'affirmer que l'éducation doit ou devrait s'arrêter à un moment donné. L'expression éducation de base (dans les familles, les écoles ou d'autres établissements) désigne le point de départ, une base solide, à partir de laquelle on peut et l'on doit continuer à s'instruire. La Déclaration de Hambourg sur l'éducation des adultes constate que

«L'éducation des adultes englobe l'éducation formelle et l'éducation permanente, l'éducation non formelle et tout l'éventail des processus d'apprentissage informel et occasionnel existant dans une société apprenante multiculturelle au sein de laquelle on reconnaît les approches fondées sur la théorie et sur la pratique.

Il est essentiel que la reconnaissance du droit à l'éducation tout au long de la vie s'accompagne de mesures permettant de créer les conditions nécessaires à l'exercice de ce droit.»

Récemment, du fait d'un changement terminologique, et dans une certaine mesure paradigmatique, le terme éducation a presque universellement été remplacé par le mot apprentissage. Un exemple intéressant à ce sujet et aussi une exception sont présentés dans l'encadré 1 : l'expression éducation tout au long de la vie est ici préférée à apprentissage tout au long de la vie lorsqu'il s'agit d'englober nombre de caractéristiques clés de ce nouveau paradigme, y compris le «débordement» de l'éducation des jeunes et des apprenants adultes limitée auparavant à des salles de classe et qui désormais s'étend au lieu de travail ou à d'autres cadres dans lesquels opèrent des «non-enseignants». Le choix du type «d'éducation» dans ce texte sud-africain constitue un excellent défi. Il devrait nous forcer à accepter que «l'éducation» ne saurait continuer d'être l'apanage ou même le monopole des ministères de l'Éducation et du corps enseignant. Il devrait nous montrer qu'atteindre les objectifs de l'EPT, notamment le quatrième, est impossible sans coopération systématique entre les différents ministères, institutions et organisations se consacrant à l'éducation et à la formation, dont les démarches doivent aller bien au-delà de celles exclusivement consacrées au système scolaire.

Encadré 1

Vers une définition de l'éducation tout au long de la vie - un point de vue sud-africain

L'éducation est un vaste concept visionnaire qui comprend l'apprentissage formel, non formel et informel durant toute l'existence d'un individu pour lui permettre de s'épanouir le mieux possible du point de vue personnel, social et professionnel. Il considère l'éducation dans son ensemble et inclut tout apprentissage, qu'il se déroule à domicile, à l'école, au sein de la collectivité ou au travail, par l'intermédiaire des médias, d'autres situations ou structures, dès l'instant qu'il permet d'acquérir certaines connaissances, compétences et attitudes et de les améliorer. Aucun pays n'est toutefois parvenu à réaliser pleinement l'objectif d'un système d'apprentissage tout au long de la vie, qui demeure un appel visionnaire lancé à l'adresse d'une société dotée d'un système d'apprentissage ouvert et opérant par l'entremise d'une multitude de réseaux éducatifs. La citoyenneté démocratique, la liaison des individus et des groupes avec les structures sociales, politiques et économiques aux niveaux local et mondial sont deux objectifs clés de l'apprentissage tout au long de la vie. L'éducation tout au long de la vie dépend de tous les fournisseurs d'éducation concernés, pas seulement les fournisseurs d'éducation formelle, mais de tous les organes et individus se consacrant à des activités éducatives.

L'éducation tout au long de la vie signifie que l'on donne aux gens la possibilité de s'instruire à différents moments, de différentes manières et dans des buts divers durant différentes phases de leur vie et de leur carrière. L'éducation tout au long de la vie doit s'efforcer de permettre aux gens de s'éduquer durant toute leur vie (elle doit par conséquent porter un intérêt particulier à l'éducation des adultes et à l'éducation permanente sous toutes leurs formes), tout en formant des apprenants tout au long de leur vie (c'est-à-dire qu'elle doit se pencher sur les bases que reçoivent les jeunes dans le système formel et qui les préparent à apprendre toute une vie durant).

Pour répondre aux mutations permanentes de la vie moderne, l'éducation tout au long de la vie doit conduire à l'acquisition systématique de certaines connaissances, compétences et attitudes (comme l'exigent ces mutations), mais aussi à leur renouvellement, à leur amélioration et à leur parachèvement. Dans des cas où les adultes sont en grand nombre analphabètes ou n'ont pas reçu d'éducation de base, les activités d'éducation tout au long de la vie peuvent très bien mettre l'accent sur la mise en place de bases propices à un apprentissage tout au long de la vie dans les secteurs désavantagés ou marginalisés de la société.

Comité technique de la Southern African Development Community (SADC - Communauté de développement de l'Afrique australe) chargé de l'éducation et de la formation tout au long de la vie, dans: Aitchison, 2003, n°60 d'Éducation des adultes et développement, p. 184-185).

Le changement de paradigme annoncé au moins depuis le rapport Faure en 1972 a fait progresser toutes sortes de démarches nouvelles. Certaines s'efforcent de rendre l'apprentissage plus pertinent, plus efficace et plus motivant en le faisant se dérouler dans des cadres différents et en employant de nouvelles méthodes. D'autres traduisent une perception de l'apprentissage comme un bien partagé et un processus social à des niveaux «au-dessus» de l'individu, d'où la recherche de communautés, de villes, de régions, de pays, d'organisations ou même de festivals apprenants. Ces derniers ont en commun l'avantage de focaliser leur attention sur l'apprenant plutôt que sur l'institution éducative et de considérer que l'éducation ne peut pas être limitée aux seuls établissements traditionnels d'enseignement, mais qu'on la rencontre partout dans la société.

Il existe un vaste fossé entre ces notions récentes, plus fréquemment développées et appliquées dans le Nord que dans les pays en développement, et les démarches d'alphabétisation plus familières, axées sur une cible et d'une certaine manière réductionnistes qui se manifestent encore dans l'EPT. Le quatrième objectif de l'EPT laisse entendre toutefois que ces points de vue doivent être concrétisés par des politiques et des pratiques, tant dans le monde en développant qu'au Nord. Il est courant que d'importantes divergences philosophiques sous-tendent ces questions, ce qui gêne leur compréhension, et il faudrait de fait les préciser autant que possible.

Longtemps aussi, on a débattu (et peut-être continue-t-on de le faire) à un niveau idéologique de la question mentionnée ci-dessus, avec des arguments en faveur et contre l'opinion selon laquelle l'éducation de base est pour les pauvres (et le Sud), tandis que l'apprentissage tout au long de la vie est pour les riches (et le Nord).

Une récente étude très approfondie, menée pour le compte la Swe-dish International Development Agency (SIDA) affirme que l'apprentissage tout au long de la vie

«doit être adopté en tant que paradigme pour tous les pays, en tant que perspective et principe actif pour (re)modeler les systèmes d'enseignement (éducation/formation) et d'apprentissage, les organismes, les politiques et les programmes. Accepter des standards et un calendrier de l'éducation duaux... ne fait que consolider et creuser le fossé entre le Nord et le Sud, et non le réduire». (Torres, 2003, p. 159)

Un passage de l'édition 2006 du Rapport mondial de surveillance exige que toutes les sociétés, au Nord et au Sud, reconnaissent en l'alphabétisation (avec les changements qui surviennent aux niveaux de son étendue et de sa signification) un sujet politique, au même titre que les écarts qui existent entre les niveaux de pauvreté et de richesse extrêmes au sein et entre toutes les sociétés. L'éducation de base des adultes est vitale dans les sociétés les plus riches. L'apprentissage tout au long de la vie est en passe de devenir un droit fondamental. Toutefois, l'intérêt que lui portent non seulement la Banque mondiale, mais aussi nombre d'organismes professionnels et d'ONG est récent.

Ces dernières années, les activités entreprises par l'Union européenne pour créer des politiques d'apprentissage tout au long de la vie ont été très intéressantes. À présent, l'apprentissage tout au long de la vie est considéré comme le paradigme englobant l'éducation et la formation à tous les niveaux, et dont l'importance est primordiale tant pour la citoyenneté que pour l'employabilité (c'est-à-dire la capacité d'un salarié à conserver ou à trouver un emploi, dans sa fonction ou dans une autre, à son niveau ou à un autre dans la hiérarchie, n.d.l.t). Un premier texte important, intitulé A Mémorandum on Lifelong Learning (Mémorandum sur l'éducation et la formation tout au long de la vie) contenait six messages clés, à commencer par les «nouvelles compétences de base pour tous» (compétences en technologies de l'information, maîtrise de langues étrangères, etc.), affirmant clairement que l'expression «nouvelles compétences» n'équivaut pas à une banalisation des qualifications traditionnelles de base que sont l'écriture, la lecture et le calcul (commission des communautés européennes, 2000, p. 12, consultable en français sur Internet, à l'adresse: europa.eu.int/comm/education/policies/ lll/life/memofr.pdf, n.d.l.t.). Le Mémorandum a été largement diffusé et fait l'objet de nombreux débats au sein des gouvernements, de la société civile et du secteur professionnel. Il a été suivi d'un texte de la Commission européenne intitulé Un Espace européen de l'éducation et de la formation tout au long de la vie (également consultable en français sur Internet, à l'adresse: europa.eu.int/comm/dgs/ education_culture/policies/publ/pdf/area_fr.pdf, n.d.l.t.) dont nous présentons un extrait dans l'encadré 2.

Encadré 2

Qu'entend-on par apprentissage tout au long de la vie? Un point de vue de l'Union européenne

Les réponses à la consultation sur le Mémorandum ont souligné la nécessité d'une définition large de l'éducation et de la formation tout au long de la vie qui ne se limite pas à une vision purement économique ou à l'éducation et la formation pour les adultes. L'éducation et la formation tout au long de la vie devraient à la fois mettre l'accent sur l'apprentissage qui va de l'enseignement préscolaire jusque après la phase suivant la retraite, et couvrir toute forme d'éducation: formelle, non formelle ou informelle. La consultation a aussi mis en avant les objectifs liés à l'éducation et à la formation tout au long de la vie compris la citoyenneté active, l'épanouissement personnel et l'inclusion sociale, ainsi que les aspects liés à l'emploi. Les principes sur lesquels se fondent l'éducation et la formation tout au long de la vie et dont dépend leur mise en oeuvre effective soulignent le rôle central de l'apprenant, l'importance de l'égalité des chances et de la qualité et de la pertinence des possibilités d'éducation et de formation.

...

La première composante a trait au travail en partenariat. Tous les acteurs concernés, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des systèmes formels, doivent coopérer afin que les stratégies soient efficaces « sur le terrain ». L'étape suivante consiste à identifier les besoins de l'apprenant (ou de l'apprenant potentiel), ainsi que les besoins en termes d'éducation et de formation des organisations, des communautés, de la société au sens large et du marché du travail. Il convient ensuite de définir les ressources adéquates, c'est-à-dire de déterminer les financements appropriés et la manière d'en assurer une répartition efficace et transparente. Il s'agit ensuite d'adapter les offres d'éducation et de formation aux besoins et aux centres d'intérêt des apprenants, et de déterminer la manière de faciliter l'accès à travers le développement d'une offre qui permette à chacun d'apprendre où il veut, quand il veut. Il faut que le secteur formel d'éducation et de formation reconnaisse et valorise l'apprentissage non formel et informel. La création d'une culture de l'apprentissage dépend en ultime instance d'un accroissement de l'offre d'éducation et de formation, d'une augmentation des niveaux de participation et d'une stimulation de la demande en éducation et en formation. Enfin, des mécanismes sont proposés pour le contrôle, l'évaluation et le suivi de la qualité, et ce afin de rechercher l'excellence de manière constante.

...

Les Conseils européens de Lisbonne et de Stockholm ont souligné l'importance d'une amélioration des compétences de base par des politiques adéquates en matière d'éducation et d'apprentissage tout au long de la vie. Les compétences de base comprennent les aptitudes fondamentales que sont la lecture, l'écriture et le calcul, ainsi que la capacité «d'apprendre à apprendre» et les nouvelles compétences définies à Lisbonne, à savoir dans les domaines suivants: technologies de l'information, langues étrangères, culture technologique, esprit d'entreprise et aptitudes sociales. Les réponses à la consultation ont insisté sur l'importance fondamentale que revêt l'acquisition des compétences de base afin de pouvoir continuer à s'éduquer et à se former, ainsi que dans la perspective de l'épanouissement personnel, de la citoyenneté active et de l'employabilité, compte tenu notamment des exigences nées de l'émergence de la société de la connaissance. Les fondements de l'éducation et de la formation tout au long de la vie doivent être fournis par les gouvernements, par le biais de l'enseignement obligatoire. Cependant, les adultes ayant quitté l'école avant d'avoir acquis toutes les aptitudes nécessaires en termes de lecture, d'écriture et de calcul devraient également être encouragés à compenser leurs lacunes.

Commission européenne: Un Espace européen de l'éducation et de la formation tout au long de la vie, 2002, p. 16-17, 40.

 

 

C'est en 2002, à l'occasion d'une grande conférence régionale organisée à Sofia et intitulée Apprentissage tout au long de la vie en Europe: poursuite des objectifs de l'EPTet de l'Agenda de la CONFIN-TEA V qu'une tentative fut entreprise pour rapprocher les priorités et défis de l'éducation de base pour tous et de l'éducation et de la formation tout au long de la vie pour quelques-uns. En même temps, cette démarche s'opposait à ce que l'on réduise uniquement l'éducation permanente des adultes à un recyclage continue extrêmement nécessaire de la population active, et le directeur général chargé de l'Éducation et de la Culture à la Commission européenne constata la chose suivante:

«...si je parle d'apprentissage tout au long de la vie dans l'optique de l'Union européenne, il n'est pas seulement question 'd'emploi' ou 'd'économie' mais surtout de 'société' et de 'personnes'.»

Et posséder des compétences de base équivaut non seulement à savoir lire, écrire et calculer, mais aussi à posséder des compétences sociales et des compétences en technologies de la communication et de l'information - et d'aucuns ajouteront l'esprit d'entreprise à cette énumération (Van der Pas, 2003).

Néanmoins, en se penchant sur la situation de la plupart des pays du Sud dans un environnement en pleine mondialisation, on avance que les nouvelles évolutions politiques devraient se faire beaucoup plus dans une optique tenant compte de la situation respective des hommes et des femmes. Tout un ensemble d'études de cas menées dans différents pays d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et d'Europe, et intitulées Educational Watch on Genderand Education montrent très clairement que nous en sommes encore très loin. En même temps, les résultats indiquent le besoin de transformer le système formel limité d'enseignement pour en faire le cadre d'un apprentissage intégré tout au long de la vie:

«Les réformes de l'enseignement apportées à l'Éducation nationale des pays ne suffiront pas à résoudre le problème endémique du faible niveau d'instruction des femmes et des hommes issus de secteurs populaires, notamment répandu chez les jeunes et les adultes exclus des structures formelles... Sur fond de pauvreté croissante et d'exclusion sociale, les femmes forment un groupe particulièrement touché par cette situation. La pauvreté a fortement tendance à se féminiser. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à être chefs de famille et à devoir lutter seules pour la survie et la protection des leurs. Le pourcentage des filles qui abandonnent l'école est au-dessus de la moyenne, ce qui indique que différentes discriminations sexuelles persistent. Le grand poids culturel et pratique qu'ont encore ces discriminations limite les possibilités des femmes au niveau de l'emploi, de l'avancement et de la rémunération. Il convient de mettre en place des politiques actives de remodelage de l'éducation des adultes dans le contexte de l'éducation permanente qui s'applique, lui, à une vision globale de l'éducation incluant l'école et d'autres ressources éducatives existantes. Le défi consiste à renforcer et à coordonner un réseau qui offrirait des possibilités d'éducation formelle, non formelle et informelle, avec un débit constant et cohérent, permettant d'obtenir (sic) des certificats d'une qualité égale, qui donneraient à leurs détenteurs la possibilité d'accéder à la sphère sociale, politique et économique». (Education in Motion, 1999, p. 17)

P. Usha Rani1

Alphabétisation des Adultes et Développement Durable

Ne pas savoir lire ni écrire,
C'est s'appauvrir.
Pour porter ses fruits,
L'alphabétisation s'adapte aux gens,
À leurs besoins, à leurs
exigences.

Les politiques et programmes
d'alphabétisation
Se doivent d'être valables et
fructueux
Pour donner à la vie une qualité
nouvelle,
Pour surmonter les malheurs,
La pauvreté, la maladie,
Pour vaincre la malnutrition,
Le SIDA, la drogue, etc.
Pour vivre en paix et en
harmonie
En protégeant l'environnement.

Changeons les choses, il le faut,
Au nom d'une citoyenneté
responsable
Et de l'entente entre les peuples
Pour vivre dans des sociétés
multiculturelles
Aux modes de consommation
meilleurs,
Et les déséquilibres écologiques
Pour favoriser le développement
En répondant aux besoins
physiques
Et d'accomplissement
personnel.

Le lieu de travail, si propice
À s'alphabétiser en douceur
Offre l'environnement rêvé,
Le terreau fertile
Pour que fleurisse la pratique.

L'alphabétisation des familles
Unit les adultes
Et instruit les petits,
Tenant l'ignorance en respect,
L'éloignant des aimés.
Ainsi la jugent les apprenants,
Désireux d'aller au diapason
du progrès.

Aux livres, aux abécédaires,
aux éducateurs
Revient l'autorité
Car lire et écrire est un droit
Qui appartient à l'Homme.

La postalphabétisation soutient
Les technologies sophistiquées,
Les programmes
d'alphabétisation
Adaptés aux situations.

Favorables à la pérennité.

L'alphabétisation doit être
conçue
Pour qu'on en tire le plus
possible
Dans une optique durable.
L'alphabétisation a de nombreux
visages:
L'autonome
Voit en elle
Une compétence technique,
Semblable pour toutes les
cultures,
Servant au progrès, à la
civilisation
À la liberté individuelle
Et, par-dessus tout,
À savoir lire, écrire et compter.

L'idéologue
Voit en elle
Une pratique sociale
Dans laquelle on s'engage,
Selon sa propre voie culturelle,
Pour exterminer l'inégalité,
l'injustice, l'insécurité,
Le chômage, la pauvreté
L'alphabétisation par Internet
Fait entrer l'informatique
Dans l'alphabétisation de base.
La technologie se fait outil,
En fonction de chaque individu,
Un outil qui apporte des
sommes
De plaisir et de connaissances,
Pour ne jamais perdre le fil,
Pour être toujours au courant
Et utiliser les informations
imprimées
Au quotidien, à la maison,
au travail
Et dans la communauté où
les sexes sont traités
Sur un pied d'égalité.

Apprendre à savoir,
Apprendre à être,
Apprendre à vivre ensemble
Et apprendre à agir,
Bien motivés,
Nous pousse en avant,
Vers la pérennité
Et une éradication totale
De l'alphabétisation
Pour faire jaillir la lumière
Qui dissipera les ténèbres
De l'ignorance,
Pour créer un monde de paix
Où les adultes seront
alphabétisés
Et le développement durable.

1 P. Usha Rani est maître de conférences en anglais à Thussur, Kerala, India

 

Trois secteurs: le rôle des secteurs publics et privés et de la société civile

Le partenariat entre le secteur public et d'autres secteurs est une voie ancienne qui a souvent été pavée de difficultés. Dans les domaines de l'alphabétisation et de l'éducation de base des adultes, l'État s'est souvent associé à des organisations non gouvernementales (ONG), c'est-à-dire au secteur bénévole, plutôt qu'au secteur privé. Toutefois de vastes programmes d'éducation et de formation sur le lieu de travail, en partie subventionnés par l'État ou en partenariat avec lui, ont été organisés pare des organismes privés et publics. Ces programmes, le plus souvent axés sur l'éducation de base des adultes, l'alphabétisation, l'apprentissage des langues et l'acquisition de compétences, sont particulièrement souvent mis en place là où l'on trouve de vastes populations d'immigrés et, par conséquent, de travailleurs immigrés. Cette politique poursuit un but économique et social.

Les rapports entre les ONG et l'État ont été primordiaux dans de nombreux pays, notamment dans le monde en développement, au niveau de l'organisation de programmes d'alphabétisation et d'éducation de base des adultes. Les tensions politiques et sociales, et les conflits sont fréquents: certaines ONG, aujourd'hui souvent qualifiées du terme de société civile ou troisième secteur, jouent un rôle crucial, allant même jusqu'à s'opposer à l'État, le défiant sur la base de valeurs et de principes liés à l'équité et à la redistribution. À l'opposé de ce type d'ONG, on peut trouver des organisations adoptant une attitude totalement apolitique et fournissant des services dont leurs détracteurs jugent qu'ils relèvent de la responsabilité de l'État, ce qui suggère une certaine connivence plutôt que la remise en question de pratiques indésirables. Ce problème est aussi grave au Sud qu'au Nord, particulièrement quand de tels «services de substitution» nécessitent des financements pour permettre à l'organisme bénévole de survivre. Il existe donc tout un éventail de démarches allant de la charité apolitique surannée à \'«oppositionnalisme» extrême, cultivé par exemple peut-être sur le terreau de valeurs marxistes ou plus communément de la pédagogie freirienne.

Il existe une tendance plus récente et presque universelle à favoriser le partenariat, tant entre les organismes publics et privés qu'entre le secteur public et la société civile, aujourd'hui couramment appelée troisième secteur. L'évolution du vocabulaire traduit une prise de conscience plus profonde de la complexité de la gouvernance, et elle est d'un intérêt éminent pour atteindre les plus marginalisés et les plus démunis, exclus des circuits de la société des classes moyennes ou même de l'économie monétaire formelle dans nombre de pays en développement. Les partenariats entre les secteurs public et privé semblent désormais primordiaux pour associer alphabétisation et apprentissage sur le lieu de travail, et par conséquent pour les axer directement sur des objectifs économiques, que ce soient ceux de communautés rurales que l'on s'efforce d'atteindre par le biais d'entreprises à petite échelle ou qu'il s'agisse d'améliorer les niveaux de compétence et de productivité d'entreprises plus importantes ou même d'économies régionales. L'alphabétisation et l'éducation de base des adultes reflètent par conséquent une tendance à privilégier la décentralisation et les partenariats bilatéraux, voire trilatéraux.

À ce sujet, des études récentes sur la gestion et la délocalisation de vastes programmes d'alphabétisation révèlent d'importants enseignements. La première étude que nous citerons ici, «Gestion des partenariats entre les secteurs public et privé. Enseignements de l'alphabétisation au Sénégal», conclut entre autres sur la constatation suivante:

«La délocalisation - ou partenariat - est une méthode souple permettant de mettre en œuvre des mesures aptes à répondre aux besoins changeants en matière d'éducation non formelle là où un gouvernement ne souhaite pas investir à long terme de fortes sommes dans des structures publiques d'alphabétisation. Cette démarche peut faciliter la mise en place de sous-projets satisfaisant à la demande dans différents endroits; en fait, toutes les interventions peuvent être personnalisées en fonction des nécessités surplace.... comme son nom l'indique, le partenariat doit être placé sous la direction du gouvernement qui doit s'engager intensément. Cette participation gouvernementale est primordiale à des niveaux techniques pour veiller à ce que des choix appropriés soient faits et à ce que les systèmes de surveillance, d'évaluation et de rétroaction améliorent l'efficacité des sous-projets. ...La participation du gouvernement est cruciale quand il s'agit de formuler des politiques et de les mettre en œuvre. Des projets d'alphabétisation reposant sur une délocalisation ont été menés avec succès au Sénégal, principalement en raison du grand engagement gouvernemental en faveur de cette démarche - et de l'alphabétisation. Par conséquent, la délocalisation ne se substitue pas à la participation du secteur public... ». (Nordveit, 2004)

Le second exemple nous vient de Guinée. Là aussi, la stratégie de délocalisation, qui repose sur un financement de la Banque mondiale, et dans ce cas précis sur un accord concernant l'appui de la réforme générale de l'éducation et de l'EPT en Guinée, a emprunté une voie légèrement différente:

«À l'avenir, seule sera acceptée la candidature d'organisations ayant un minimum de trois ans d'expérience professionnelle et de deux ans d'expérience en alphabétisation. Ces organisations devront prouver leur statut d'ONG nationales. En nous réorientant de la sorte, nous avons fait un pas pour nous éloigner de la stratégie sénégalaise du «faire-faire» qui a permis à des centaines de groupes communautaires d'obtenir des contrats. En Guinée, nous cherchons à promouvoir des services de qualité offerts par un nombre limité d'ONG compétentes organisant les activités d'éducation et de formation en partenariat avec des groupes d'entraide communautaires». (Hildebrand et Hinzen, 2004)

Le transfert des services du gouvernement à des ONG nationales ou régionales expérimentées et fournissant par conséquent l'appui professionnel nécessaire au niveau local pourrait faire office de modèle à essayer et à suivre.

Le partenariat demeure une question délicate et en même temps prometteuse quant à l'amélioration des résultats. Profondément déçues par le peu de progrès réalisés depuis Jomtien et Dakar, certaines ONG à vocation plus politique et à la démarche plus radicale sont enclines à se détourner de la stratégie du partenariat pour focaliser entièrement leurs interventions sur des approches de développement et de mobilisation communautaires. Ces activités peuvent suivre une démarche apolitique ou politique. Dans certains cas toutefois, les tensions inévitables entre la fonction publique et les secteurs de la société civile ont été résolues grâce à des partenariats constructifs qui permettent à chacun des intervenants de mettre leurs points forts à profit. Un certain nombre de partenariats fructueux ont été présentés en juin 2004 à l'occasion de la conférence internationale du Botswana, en particulier un partenariat en Ouganda (www.aepr.co.bw). Ces partenariats peuvent servir de modèles pour montrer comment résoudre une difficulté, apparue de manière évidente au moins depuis le début des années quatre-vingt, époque à laquelle la Banque mondiale et le DW ont parrainé tout un ensemble d'études du CIEA sur différentes approches de l'utilisation de l'éducation des adultes, notamment de l'alphabétisation, visant à combattre la pauvreté en Afrique, en Asie et en Amérique latine (Duke, 1985,1990).

Ces études présentaient les points forts et les faiblesses de différentes démarches. D'une manière générale, les programmes dirigés par les gouvernements atteignaient des bénéficiaires à vaste échelle, souvent au niveau de tout un pays, mais leur impact demeurait superficiel et leur effet à long terme était souvent très limité. Par contraste, les programmes non gouvernementaux d'éducation des adultes, ne recevant souvent que des aides restreintes, tant par leur montant que par leur durée (généralement fournies au Sud par le Nord), obtenaient couramment des résultats remarquables, parfois propices à produire des transformations. Ils adoptaient pour cela une approche de l'alphabétisation et de l'éducation pour le développement plus intégrative au niveau de toute la communauté. Néanmoins, la portée de ces programmes était (et reste) souvent très localisée. Le nouveau «monde des partenariats» se distingue, lui, par un climat plus constructif et un désir de collaboration intersectorielle. Le défi et, en même temps, l'occasion qui s'offre ici consistent à trouver des moyens de transposer le succès d'entreprises «à la base», se consacrant localement aux gens, à une échelle plus vaste, aux niveaux régional et national, là où les gouvernements et les autres acteurs de l'EPT peuvent voir et quantifier leur impact.

Ces thèmes ont été bien présentés et examinés lors de nombreux exposés et séminaires à l'occasion de la Conférence du Botswana. Les questions philosophiques et inévitablement «politiques» qu'ils comportaient ont été clairement exposées durant les séances plé-nières lors desquelles des ONG et d'autres participants de la société civile s'offusquèrent vivement du fait que la Banque mondiale préférait ne pas faire de distinction entre le secteur privé et le troisième secteur qu'elle qualifiait de secteur «privé» par opposition au secteur gouvernemental ou public. La conférence a montré à quel point les partenariats trilatéraux et différentes formes de partenariats bilatéraux sont à présent importants pour obtenir des résultats durables des programmes intégrés d'alphabétisation et d'éducation de base des adultes. Elle a aussi obligeamment signalé un certain nombre de moyens susceptibles d'aider ou de gêner les partenariats intersectoriels (Éducation des adultes et développement, n° 63 et www.aepr. co.bw).

Ce sujet est essentiel tant pour l'émergence de partenariats entre les secteurs public et privé comme forme de gouvernance et de mise en œuvre de programmes dans de nombreux pays qu'en raison de l'influence croissante du secteur bénévole ou secteur de la société civile ces dernières années. En 1985, les ONG avaient été nombreuses à participer à la quatrième Conférence mondiale de l'Unesco sur l'éducation des adultes (CONFINTEA IV), toutefois l'ordre du jour et les activités étaient principalement placés sous la direction des gouvernements et largement influencés par les relations macropolitiques de la guerre froide. En 1997, au moment de la CONFINTEA V à Hambourg, le secteur des ONG était devenu un partenaire traité en égal lors des délibérations et de la formulation de résolutions. Six ans plus tard, à quelques exceptions près, les ONG dominaient la conférence organisée à Bangkok pour dresser un bilan à mi-parcours, et l'on s'inquiétait sérieusement de l'absence d'une multitude d'États clés qui semblaient s'être désintéressés de l'éducation - et de l'alphabétisation - des adultes, qu'ils ne semblaient plus considérer comme une politique essentielle.

Dans le Rapport mondial de surveillance 2006, la poursuite du développement et du renforcement des partenariats entre les trois secteurs est présentée comme aussi essentielle que l'élaboration analogue de stratégies intégrées d'alphabétisation des adultes, d'éducation de base de base des adultes et d'éducation et d'apprentissage tout au long de la vie dans autant de domaines que possible à travers tous les secteurs de la politique publique.

Ceci vaut également pour la coopération entre les trois secteurs au niveau local. Nous disposons à présent d'une grande expérience, notamment en Asie, grâce au Programme Asie-Pacifique d'éducation pour tous (APPEAL) de l'UNESCO. Des centres d'apprentissage

communautaires (CAC) opèrent localement et associent l'éducation à des activités de développement de la communauté auxquelles ils font autant que possible participer la population, jeune et âgée. On y propose des cours d'alphabétisation et des formations professionnelles, le tout ancré dans un réseau de structures traditionnelles et modernes du gouvernement et des ONG.

«Durant la phase de démarrage, les centres d'apprentissage communautaires nécessitent un appui constant non seulement de la part des gouvernements aux niveaux national et local, mais aussi de la part des ONG et des organisations internationales. Quand les communautés auront acquis de l'expérience et seront suffisamment sûres d'elles pour développer un sentiment d'appropriation àl'égard de ces centres, elles en assumeront pleinement la gestion. Le rôle principal du programme APPEAL est d'aider à créer les capacités de gestion au sein de la communauté et de former des professionnels locaux par le biais de différents programmes de formation... ». (Torres, 2003, p. 176)

L'intégration de l'alphabétisation dans l'alphabétisation de base des adultes

II existe au moins deux niveaux essentiels d'intégration de l'alphabétisation des adultes. D'une part sa place au sein d'un cadre politique plus large d'éducation de base des adultes. L'alphabétisation isolée a aujourd'hui peu de partisans, et malgré un décalage dans le temps, elle semble faire place à des approches plus intégrées d'apprentissage et d'acquisition de compétences. Le curriculum doit tout au moins comprendre sa mise en pratique dans des situations et dans des domaines ayant un intérêt pour les apprenants. Il est en outre probable qu'il inclue des volets de calcul et éventuellement d'apprentissage de compétences sociales, qu'il poursuive des objectifs d'apprentissage plus pratiques à des fins sociales et économiques, et qu'il comprenne aussi une formation de base en technologies de l'information, excepté parfois dans des environnements très démunis.

D'autres questions marquantes exigent qu'on les comprenne mieux et que l'on essaie et évalue différentes démarches: par exemple l'alphabétisation dans une langue officielle par rapport à l'initiation à la lecture et à l'écriture dans une langue maternelle. On a beaucoup tergiversé au sujet de ces deux démarches, les débats ayant souvent été compliqués par des divergences aux niveaux des valeurs et des idéologies.

La nécessité d'apprendre une langue internationale (dans la pratique il s'agit couramment de l'anglais, mais ce peut aussi bien être le français et l'espagnol dans certaines régions d'Afrique, d'Amérique latine et même d'Asie, ou bientôt le chinois, comme certains le prédisent, et, bien entendu, l'arabe) est une question qui a commencé à se poser assez récemment. En songeant à l'avenir, d'aucuns arguent que pour être «alphabétisé fonctionnellement» de manière à agir comme un citoyen mondial, il faudra savoir parler l'une des langues principalement utilisées dans le monde. Voici peut-être tout juste deux décennies que nous en sommes arrivés à conclure que l'alphabétisation était une «cible mouvante», et la signification de cette expression évolue elle aussi encore aujourd'hui, alors que nous traversons les premières années de ce siècle fraîchement placé sous le signe de la «mondialisation».

L'intégration de toutes les formes d'alphabétisation et d'éducation de base des adultes dans d'autres domaines de la vie et du travail, question que nous avons déjà soulevée ici, n'est pas moins exaltante. Tel est le défi qui se pose, c'est-à-dire la mise en œuvre d'un système d'apprentissage tout au long de la vie, ainsi que le Rapport Faure l'a pour la première fois exprimé en 1972 et comme l'ont présenté l'OCDE et différents textes publiés vers la même la même époque, puis, en 1996, le Rapport Delors. L'apprentissage tout au long de la vie soulève de profondes questions sur la nature de l'enseignement et de ses programmes - un sujet sur lequel l'Institut de l'Unesco pour l'éducation a systématiquement tenté de se pencher dans les années soixante-dix, mais dans lequel peu de progrès ont été réalisés depuis, jusqu'à ce que l'OCDE et son Centre pour la recherche et l'innovation dans l'enseignement (CERI) lancent récemment un projet sur l'école de demain. Quoique ce sujet dépasse le cadre de notre article sur l'éducation des adultes, il convient de signaler qu'il est primordial d'intégrer tous les secteurs de l'éducation de base des adultes dans d'autres domaines de la vie et du travail.

En Bolivie, c'est le ministère de l'Éducation qui soutient une infrastructure de quelque cinq cents centres d'éducation des adultes disposant de leurs propres locaux et d'un personnel enseignant formé et rémunéré. Ici, l'intégration permet aux apprenants qui se sont alphabétisés avec succès de continuer à s'éduquer pour qu'au terme de plusieurs années d'études, comportant généralement des volets de formation professionnelle, ils puissent passer des examens et obtenir ainsi des certificats d'enseignement supérieur (www.iiz-dvv.de).

Les résultats des études et évaluations dont nous disposons nous permettent de conclure provisoirement que plus on procède à ce type d'intégration, plus l'apprentissage est soutenu et couronné de succès et plus il est probable de voir les gens s'éduquer. D'un autre côté, la poursuite de «l'intégration» dépasse à présent le cadre des ministères de l'Éducation, des activités des enseignants «rémunérés» et des salles de classe, et il devient de plus en plus difficile de la planifier et de la gérer. Ceci explique peut-être l'une des principales raisons (quoique encore largement non reconnue) pour lesquelles les gouvernements et agences intergouvernementales ne savent pas si elles doivent se consacrer ou négliger l'alphabétisation et l'éducation de base des adultes: il est très difficile de mener une politique de l'Éducation dépendant d'une douzaine et non d'un ou deux ministères; les enseignants, dont le niveau de formation et peut-être aussi la motivation sont limités, doivent de leur côté faire preuve d'une toute autre assurance et disposer de compétences différentes; enfin, les systèmes d'éducation ne doivent plus avoir le quasi-monopole de l'enseignement que les sociétés «modernes» de notre époque leur ont accordé. Entrer dans l'ère de l'apprentissage inclusif tout au long de la vie, dans lequel l'éducation des adultes est bien intégrée et efficace, signifie aussi faire un retour en arrière pour redécouvrir des méthodes dans lesquelles la responsabilité de l'éducation était plus largement partagée dans et hors des circuits scolaires.

Néanmoins, l'intégration a elle seule n'est pas une panacée pour tous les problèmes qui nous attendent. Elle ne résoudra pas automatiquement non plus la question des démarches isolées ou sectorielles manquant de cohérence et ne fournira pas l'attention et l'appui particuliers nécessaires qu'exigent les déséquilibres sociaux et les inégalités entre les sexes des décisions politiques.

Rapprochement de l'éducation formelle et de l'éducation non formelle

Les rapports, liens et rapprochements entre l'éducation formelle et l'éducation non formelle des adultes sont souvent complexes et varient entre et à l'intérieur des pays. Rapprocher ces secteurs est souvent peu satisfaisant et difficile à faire.

Les malentendus conceptuels et linguistiques sont en partie à l'origine de cette difficulté. On distinguait autrefois l'apprentissage informel de l'éducation non formelle et de l'éducation formelle. Cette classification n'a plus cours, en partie à cause de la distinction faite entre éducation et apprentissage. L'expression «éducation non formelle» s'utilise de différentes manières et ses significations englobent plus ou moins de choses: elles peuvent être liées au cadre et au contexte de l'apprentissage, aux méthodes employées ou, principalement, à l'évaluation des activités dont dépend leur reconnaissance.

Il convient d'envisager et d'aborder la question du rapprochement du point de vue de l'apprenant qui souhaite passer d'un niveau d'apprentissage à un autre, où d'autres exigences lui sont posées. Apprendre dans un environnement détendu, familier et informel (par exemple à la maison, dans une salle du village ou dans une école locale à l'étranger plutôt que dans un grand établissement plus anonyme) peut permettre à quelqu'un qui commence et n'a pas grande confiance en soi de se donner les moyens d'aborder des tâches plus difficiles à un niveau plus complexe. Prendre les bonnes dispositions pour réaliser un tel rapprochement permettra aux gens de passer du mode d'apprentissage communautaire informel à un cadre plus formel où les acquis pourront être sanctionnés par des certificats et reconnus, ce qui leur donnera une certaine valeur formelle sur le marché. Malgré toutes les critiques du secteur formel de l'éducation qui ne dispose pas de suffisamment de ressources, il convient de noter que le secteur non formel doit souvent faire face à une situation bien pire; trouver des moyens valables de les rapprocher pourrait constituer un soutien pour le secteur le plus faible qui, de retour, pourrait faire un peu profiter l'autre de sa souplesse.

La difficulté que posent les systèmes d'éducation (d'aucuns parleront de l'impérialisme territorial de l'éducation organisée) au niveau de l'intégration existe aussi quand les règles et exigences des systèmes formels créent des obstacles fermant aux apprenants la voie qu'ils ont besoin d'emprunter.

Presque tous les systèmes d'éducation et établissements d'enseignement ont tendance à protéger ce qu'ils proposent, non seulement à l'intérieur du secteur, mais aussi dans leur spécialité et même, dans le cas des universités, à isoler ainsi leur propres établissements. Ils rechignent en outre à «reconnaître ce qui mériterait d'être reconnu» quand les gens ont acquis leurs connaissances ailleurs et par d'autres moyens. D'un côté, il existe dans de nombreux pays, riches et en développement, d'excellents programmes d'accès, d'essai, de mise en confiance et de préparation pour les apprenants adultes. Ces programmes peuvent être des «extensions» d'établissements du secteur formel ou être proposés par des organisations du troisième secteur ou même des entreprises qui en font bénéficier leurs employés. En y mettant des soins et de la patience il est possible de trouver des arrangements, généralement dans des domaines spécifiques et à un niveau local, permettant aux apprenants ayant suivi jusqu'à leur terme des programmes d'études donnés et reconnus d'accéder au secteur formel et de poursuivre leurs études avec ou sans reconnaissance formelle ou «classement au niveau supérieur».

Beaucoup d'énergie a été dépensée ses vingt dernières années sur les questions liées à la reconnaissance et à l'obtention d'équivalences pour des acquis antérieurs, fruits d'une certaine expérience, mais peu de progrès semblent avoir été réalisés. Le terrain a peut-être été préparé et des voies ouvertes, mais dès l'instant qu'une reconnaissance de la part du secteur de l'éducation formelle est nécessaire, révolution devient très lente. Le temps, le courage et les dépenses nécessaires de la part des individus et des finances publiques (quelle que soit la forme qu'elles revêtent) nécessitent probablement des investissements très importants, bien que nous ne disposions ni des outils ni des ressources nécessaires pour les quantifier.

À un niveau local et informel, nombre d'activités d'apprentissage communautaires et d'apprentissage transgénérationnel dans un cadre familial sont manifestement fructueuses dans toutes les sociétés, des plus démunies aux moins pauvres. Néanmoins, les différentes formes d'éducation sont «disjointes», l'éducation des adultes étant prise en charge par un service du ministère de l'Éducation, alors que l'apprentissage sur le lieu de travail et l'éducation communautaire (au développement) relèvent d'autres ministères.

Le programme sud-africain de «learnership» (programme d'éducation et de formation comportant une phase de mise en pratique, n.d.l.t.) sur le VIH/SIDA est un bon exemple d'acceptation et de crédibilité. Cet important projet dans le secteur de l'éducation des adultes a été lancé pour atténuer les effets socioéconomiques désastreux de cette maladie dans les communautés urbaines et rurales grâce à la formation à vaste échelle de personnel de soins à domicile. Pour être vraiment couronnée de succès, cette formation devra recevoir l'approbation des autorités sud-africaines responsables de la qualification professionnelle et être conforme à VAncillary Health Care Qualification (qualification de niveau 1 pour le personnel non médical, n.d.l.t.) qui reconnaîtront ainsi une formation proposée dans des secteurs informels de formation pour adultes dans les domaines de la santé, du bien-être et de l'éducation. La pleine reconnaissance d'une telle démarche et la création de points de passage entre les systèmes, accessibles et bien utilisés, exigent encore des efforts. Jusqu'à présent, cette question était peut-être plus apparente au Nord où des ouvrages y sont consacrés en plus grand nombre. Toutefois, comme dans le cas de l'apprentissage tout au long de la vie, il existe ici aussi un besoin universel dont il est probable qu'il va s'accroître du fait que les approches non formelles interviennent là où le secteur formel ne réussit pas à s'étendre.

L'éducation de base des adultes et ses inconvénients

S'il a été question de mieux intégrer tous les sous-secteurs de l'éducation dans un système d'apprentissage tout au long de la vie, il convient également d'éviter les effets secondaires indésirables des réformes de l'Éducation comme, par exemple, celle de la formation professionnelle dans un contexte de transition économique ou de mondialisation.

«L'absence d'intégration politique adéquate des calendriers récents de réforme de la formation professionnelle spécifiquement ciblés a manifestement tendance à créer une marginalisation de certains secteurs de la société. À différents niveaux dans les pays examinés, on constate avec inquiétude la marginalisation croissante des adultes âgés que la restructuration du lieu de travail rend superflus, des individus qui ne correspondent pas aux définitions formelles des notions de «désavantage» ou de «responsabilité sectorielle» employées lors de l'opérationnalisation de réformes, d'adultes qui ne sont pas ouverts à la personnalisation de l'enseignement et de l'apprentissage telle qu'elle se pratique aujourd'hui... Dans l'élan qui nous pousse à réformer la formation professionnelle, nous ignorons ou marginalisons souvent son impact sur l'égalité des sexes. Il est par conséquent préoccupant de voir que les réformes politiques risquent en fait d'avoir des effets régressifs, notamment pour les femmes et leur accès sans discrimination à la formation professionnelle et à l'emploi.» (Bagnall, 2003)

Dans les sociétés les moins démunies, l'alphabétisation et l'éducation de base des adultes visent bien entendu les communautés et les groupes les plus désavantagés et les plus marginalisés. Certains pays en développement focalisent presque inévitablement leurs efforts sur des programmes à vaste échelle qui ont un impact au niveau des cibles et indicateurs clés comme ceux utilisés par l'EPT et les Objectifs du millénaire pour le développement. À mesure que les taux d'alphabétisation de base augmentent, nous avons de plus en plus tendance à nous tourner vers des catégories particulières de besoins, que nous quantifions souvent à l'aide de taux d'analphabétisme/d'alphabétisation et ces dernières années aussi à l'aide d'une panoplie plus vaste d'indicateurs sociaux, sanitaires et économiques.

Quoique liés l'un à l'autre, le discours politique et l'axe central de la politique en la matière partent ainsi dans deux directions avec des démarches distinctes.

La première démarche identifie et «cible» les désavantages auxquels différents groupes sont confrontés, et cherche à aider ces derniers à s'intégrer plus efficacement grâce à l'éducation (formelle et non formelle), généralement par l'acquisition de compétences qui les rendra employables. Dans ces contextes focalisés, il est probable de voir l'alphabétisation s'intégrer dans l'éducation de base des adultes et, en cherchant des points d'accès, dans les courants économiques et sociaux prédominants, appropriés pour ces groupes et ces pays. Dans les pays plus riches, on procède ici à une différentiation très détaillée, non seulement en fonction de l'âge, du sexe, de l'appartenance ethnique et de la situation géographique (ex.: campagne isolée, centre-ville), mais aussi en rapport avec la situation des gens, c'est-à-dire s'il s'agit par exemple de détenus, d'anciens détenus, de toxicomanes, de personnes atteintes du VIH/SIDA, de chômeurs de longue durée et de personnes avec différents handicaps physiques ou mentaux. Par rapport à la démarche d'alphabétisation de masse couramment usitée au cours des décennies passées, les programmes de ce type sont, par nature, conçus de manière à mieux s'adapter aux différentes situations des gens qui ont besoin de s'éduquer. Dans certains groupes dont les «désavantages sont ressentis comme une honte», la non-participation peut avoir un aspect compulsif, voire punitif.

Des cas quelque peu spéciaux relevés dans les anciens pays socialistes constituent des expériences intéressantes du fait que pendant longtemps l'analphabétisme des adultes y avait été considéré comme inexistant. La nouvelle ouverture d'esprit et la transparence permettent à présent la mise en œuvre de programmes d'alphabétisation des adultes dans les prisons russes (Agapova, 2005, p.2) et dans les communautés romas en Bulgarie. Ces écoles de la deuxième chance font partie de la démarche qui contribue à l'intégration sociale de ces groupes (IIZ/DW, 2003).

L'autre démarche consiste à s'efforcer de lutter contre la pauvreté pour la réduire ou l'éliminer. Tout comme l'alphabétisation, la pauvreté est une «cible mouvante» du fait que ses définitions, ses normes et les attentes qui y sont liées varient. L'éducation des adultes, sous les formes diverses qu'elle revêt, a été canalisée des décennies durant, avec plus ou moins de succès, dans la guerre contre la pauvreté. La relation de cause à effet va beaucoup plus loin que ce nous pourrions rapidement démontrer au moyen de quelques éléments de l'alphabétisation, et les liens qui prouvent que l'éducation des adultes réduit la pauvreté sont plus nombreux et étendus.

Un rapport intitulé Enhancing income génération through adult éducation - a Comparative Study (Améliorer la génération de revenus par l'éducation des adultes - une étude comparative) présente des résultats intéressants au sujet du besoin d'une meilleur intégration du secteur «formel», dans ce cas précis de l'éducation et de la formation professionnelles, et du secteur «non formel». En effet, les études de cas

«révèlent un rapport entre le niveau de désavantage social dû à la marginalisation sociale et la puissance du secteur des ONG (organisations non gouvernementales) dans l'éducation non formelle. Le secteur des ONG est le plus puissant et le plus important quand il s'agit de proposer des programmes d'éducation non formelle à des groupes sociaux gravement désavantagés. L'étude de cas menée aux Philippines étaye par exemple ce lien. Dans ce pays, l'État concentre ses efforts sur des programmes généraux, tandis que le puissant secteur des ONG se focalise sur les groupes défavorisés.» (Bagnall, 2003)

Notons ici essentiellement la nécessité de trouver des moyens qui incitent le gouvernement à soutenir le secteur des ONG dans l'éducation non formelle, y compris dans le domaine de l'alphabétisation des adultes, non seulement peut-être du fait qu'il aide les groupes défavorisés, mais aussi d'une façon plus générale parce qu'il est plus souple et plus proche des gens.

Il existe aussi parfois un déchirement entre la lutte contre la pauvreté en tant qu'objectif central et la propension à traiter l'éducation comme un objectif et une activité plus indépendants - comme une fin ou un bien en soi -, sans lien étroit avec les calendriers macroéconomiques et ceux de la lutte contre la pauvreté sociale. Certaines organisations de la société civile considèrent que faire campagne contre la pauvreté passe par «l'autonomisation» et la «conscientisation» des groupes défavorisés pour qu'ils reconnaissent et fassent valoir leurs droits. De ce point de vue, le mieux pour lutter contre la pauvreté n'est pas tant d'engager des partenariats avec les gouvernements que de contester les déséquilibres en tant que causes de la pauvreté.

Le riche éventail des stratégies et des expériences est au reflet de la diversité des situations. Étant donné qu'une approche unique ne suffit manifestement pas à répondre à tous les besoins, il est évident qu'il faut intégrer l'éducation des adultes dans des politiques de développement plus larges par une mise en contexte de l'alphabétisation. On élargira ainsi les objectifs et la portée de l'alphabétisation pour aider les gens à acquérir des qualification professionnelles, ceci dans le cadre d'une démarche plus holistique et contextuelle du progrès communautaire.

Conclusion - évaluation générale

«...les principales réformes de l'éducation et les tentatives récentes d'éliminer la pauvreté, d'instaurer l'équité entre les sexes, de réaliser l'éducation pour tous et de favoriser un développement durable n'ont pas accordé à l'éducation et à la formation des adultes l'attention qu'elles méritent. Notre bilan à mi-parcours de la situation mondiale de l'éducation et de la formation des adultes (examen thématique aux niveaux mondial, régional, national et local, réalisé par des gouvernements, des ONG, des organisations de la société civile, des réseaux engagés, des mouvements sociaux et d'autres partenaires) a, en fait, révélé une régression gênante dans ce domaine.» (Recommitting..., A Call for Action)

«Ces informations illustrent clairement que l'éducation des adultes est une immense mosaïque d'expériences variées d'apprentissage ... Ce rapport de suivi s'est particulièrement penché sur la manière dont les gouvernements abordent la question de l'accès des gro de s'éduquer, il convient d'identifier les obstacles spécifiques qui les empêchent d'accéder à l'éducation et d'organiser des programmes pour remédier à la situation. » (CIEA, 2003)

Durant certaines périodes des dernières décennies, on a considéré l'éducation et l'alphabétisation des adultes comme essentielles pour le développement et comme faisant partie des modes prédominants de planification et d'offres éducatives. Ces périodes ont été entrecoupées de phases durant lesquelles l'éducation des enfants a été principalement privilégiée alors que celle des adultes était largement laissée pour compte. C'est une telle phase que nous traversons actuellement. Elle a fait voir le jour à des slogans qui exigent par exemple explicitement l'«éducation pour tous les adultes» (CONFINTEA V+6) par opposition à l'abréviation «EFA » (Education for ALL - éducation pour TOUS) dont on finissait par se demander si elle ne signifiait pas en fait «Except for Adults» (sauf pour les adultes).

Cet oubli périodique des adultes est destructeur, tant à l'égard de l'engagement durable pour une approche holistique de l'apprentissage tout au long de la vie et en dernière analyse pour le succès de l'alphabétisation scolaire et de l'éducation de base des jeunes. À des organisations intergouvernementales de premier plan comme l'UNESCO et la Banque mondiale incombe tout particulièrement la responsabilité de donner le ton politique à cet égard. Les pays en développement ont tendance à amplifier ce qu'ils considèrent comme les priorités et préférences de ces organismes influents.

La dichotomie périodique qui s'ensuit crée une adversité qui oppose de manière destructive l'éducation des enfants à celle des adultes, une situation que les modes de planification fortement axés sur des objectifs donnés et implicitement compétitifs ne font qu'exacerber.

Il convient de louer les efforts des organisations internationales et des conférences majeures qui cherchent à inciter et à lier les pays participants à atteindre des objectifs stimulants. D'un autre côté, le désir de réussir à atteindre ces objectifs a des conséquences fortuites qui vont de l'exagération et de la déformation des informations pour des besoins de présentation, à l'adoption de raccourcis, en passant par l'exclusion d'autres projets essentiels donnant un sens aux activités des participants et les rendant ainsi viables. Ces conséquences sont souvent dues au fait que ces aspects ne sont pas explicitement énoncés dans les critères relatifs à la poursuite de ces objectifs.

Les simples chiffres de participation et ceux qui illustrent des réussites à court terme en sont des exemples notoires. L'alphabétisation et les autres compétences visées par ses objectifs sont des acquis vite perdus sans la stimulation et le soutien nécessaires pour les conserver, et s'ils ne sont pas utilisés dans la pratique.

Certes, ces aspects regrettables qui accompagnent le choix d'objectifs et les comparaisons à un niveau global s'atténuent avec l'expérience, mais ils restent problématiques. Souvent, quand l'échéance d'objectifs publics se rapproche (ex. 2000, 2015) un sentiment d'impatience se fait jour. Plus grande devient alors la tentation de chercher de plus en plus de moyens fournissant des résultats à court terme mais ayant peu de chances de s'imposer dans la durée.

Dans cette optique, le défi qui se pose à l'alphabétisation des adultes dans le cadre de l'EPT consiste à rechercher une intégration plus étroite des efforts éducatifs par le biais de projets et d'objectifs intersectoriels, et à mieux cibler les bénéficiaires, en particulier les femmes et les hommes exclus et au chômage. Il est également essentiel d'intégrer les efforts spécifiques d'alphabétisation et d'apprentissage non seulement dans différents contextes et politiques industriels et professionnels, mais aussi dans des politiques et pratiques relatives à la santé, aux femmes et à la famille de manière à ancrer l'apprentissage dans des activités se déroulant tout au long de la vie et touchant tous ses domaines. Une approche de ce type, plus ambitieuse, radicale et inscrite dans la durée, ouvrira la voie à des politiques dont l'ambition sera d'être plus largement axées sur l'équité et l'apprentissage inclusif tout au long de la vie - ce à quoi les pays du Nord et du Sud devraient tous aspirer.

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