Maria Angela C. Villalba

La mondialisation continue d’accentuer les mouvements migratoires internationaux. Selon des estimations, plus de 200 millions de personnes, désormais également devenues un important facteur économique, seraient concernées par ce phénomène. Quelles sont les conséquences d’un tel chiffre des points de vue économique, social et politique? Qu’en est-il de l’équité entre les sexes et de l’intégration? Enfin, que peut faire l’éducation des adultes pour réduire les préjugés et améliorer la vie en communauté grâce à une meilleure compréhension de l’autre. Maria Angela Villalba est directrice exécutive de l’Unlad Kabayan Migrant Services Foundation aux Philippines. Cette fondation est une ONG entrepreneuriale qui génère des biens au profit de l’édification socio-économique des pauvres. Elle a été la première à adopter une approche innovante consistant à exploiter les ressources des travailleurs immigrés pour le développement des économies locales.

Éducation des adultes: perspectives internationales de la migration et de l’intégration

Défis et opportunités

1. La migration internationale

La division de la population des Nations unies a évalué en 2005 à quelque 200 millions le nombre de migrants internationaux, c’est-àdire de personnes travaillant dans des pays étrangers. La croissance du nombre de migrants internationaux a été phénoménale puisqu’elle a doublé depuis 1980.1 Il s’agit de travailleurs à durée déterminée, de main-d’œuvre qualifiée et de cadres, de demandeurs d’asile refusés, d’épouses étrangères, de femmes trafiquées et de sans-papiers.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), les travailleurs migrants représentent 3 % du total de la population mondiale.2 Sans compter les 16 millions de réfugiés. Les plus grands contingents de migrants se concentrent en Europe (56 millions), en Asie (50 millions), et en Amérique du Nord (41 millions). Près de 60 % d’entre eux vivent dans les pays industrialisés du Nord et 40 % dans les pays du Sud.3

Leur situation est elle aussi diversifiée. Le haut de la pyramide est occupé par les travailleurs professionnels qualifiés, considérés comme un atout par les pays d’immigration en raison de leur savoir-faire. Les gouvernements ont encouragé leur entrée dans la société et leur ont réservé des privilèges, y compris la citoyenneté ou le permis de résidence permanente. On estime que leur présence a des effets salutaires sur l’économie globale du pays d’accueil.

Alan Greenspan, président de la Banque centrale fédérale américaine pendant une vingtaine d’années, reconnaît que

«en ouvrant nos frontières à des immigrés hautement qualifiés, nous… améliorons le niveau de qualification de la main-d’œuvre en général et plaçons… nos employés bien rémunérés en situation de concurrence… ce qui permet de diminuer leurs salaires.»4

Le bas de la pyramide est occupé par des travailleurs non qualifiés ou des sans-papiers qui fuient la pauvreté et franchissent les frontières à la recherche d’emplois que refusent les travailleurs nationaux, 

généralement dans le secteur agricole, les travaux domestiques et le travail du sexe. Ils sont le plus souvent poursuivis par la police et les autorités responsables de l’immigration, dans un cycle de tolérance et de persécution, et n’ont aucune sécurité d’emploi. Ceux qui possèdent un visa de travail sont tenus de respecter les conditions de leur contrat, et n’ont parfois même pas le droit d’avoir des contacts avec les autres. Leur vie est sévèrement contrôlée par les employeurs, ils n’ont pratiquement ni mobilité, ni droits politiques, et que rarement des droits religieux.

Près de la moitié des migrants internationaux sont des femmes qui répondent à la demande de main-d’œuvre bon marché dans les activités féminines traditionnelles – infirmières, personnel des services de santé, assistantes familiales, enseignantes, employées de maison, artistes de spectacles, ouvrières du textile et de l’électronique, employées dans l’hôtellerie et la restauration, femmes au foyer, etc. Tous ces rôles sont définis par la société patriarcale traditionnelle. La migration est en quelque sorte l’exportation de l’exploitation féminine. Les femmes sont moins payées que les hommes pour le même travail, elles ont aussi moins d’avantages. Pour les employeurs, elles présentent également moins de risques que les hommes. Les plus opprimées d’entre elles sont les femmes trafiquées, trompées par des recruteurs sans scrupules pour travailler dans l’industrie du sexe. Le département d’État estime à 800 000 le nombre de femmes trafiquées dans le monde, cachées et presque toujours maintenues dans des conditions de travail forcé.5

Pour grand nombre de migrants internationaux, partir à l’étranger est un acte extrêmement dur. C’est une réponse involontaire et forcée à un système économique local qui ne leur offre ni emplois ni salaires adéquats.

La migration internationale est actuellement en tête du calendrier politique mondial, en raison du potentiel que représentent les migrants pour le développement. En 2006, les envois de fonds des migrants internationaux ont permis d’insuffler 268 milliards de dollars US dans les économies des pays d’émigration,6 au profit à la fois des pays d’origine et des pays d’accueil. Ceci sans tenir compte que la valeur monétaire ainsi créée et consommée par les migrants mêmes est déposée dans des banques ou placés sous forme de capitaux dans les pays d’accueil. Le montant des versements des migrants dépasse de loin l’aide publique au développement (APD) et les investissements directs étrangers (IDE) perçus annuellement par une grande part des pays du Sud. À tel point que le potentiel que représentent ces versements pour le développement est actuellement soumis à une étude des gouvernements et des organismes financiers.

L’intérêt porté aux migrants internationaux s’est également accru suite aux problèmes de sécurité nationale qui ont émergé après le 11 septembre. Nombre d’étrangers déjà source de préoccupation pour les autorités responsables de l’immigration sont actuellement la cible de la justice et de la police, qui s’efforcent de suivre le mouvement et les activités financières des groupes terroristes. C’est parce que le terrorisme est un secteur petit certes, mais perturbateur et par conséquent considéré comme une menace par les pays d’accueil, que ces derniers se préoccupent des droits humains et du bienêtre des migrants productifs. De plus en plus de pays ont ratifié la Convention des Nations unies de 1990 sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles; la Convention définit les critères internationaux servant de base aux protocoles relatifs aux droits des migrants, bien que tous les pays ratificateurs soient des pays d’émigration et de transit. Les pays d’accueil, mais aussi les pays d’origine, commencent à saisir le sens de l’intégration et de l’interdépendance croissantes entre les États, non seulement au plan économique, mais aussi politique et culturel.

C’est aussi parce que l’on comprend petit à petit dans quelle mesure les migrants contribuent aux économies de leurs pays d’origine et dans quelle mesure ils sont une réponse à la demande de maind’œuvre des pays industriels du Nord, que l’on se préoccupe maintenant de leur bien-être.

C’est à la lumière de cette situation que se définit la mission de l’éducation des adultes: intégrer les migrants internationaux dans les sociétés d’accueil. Puisque la migration internationale est la vague du futur, les pays d’accueil doivent faire comprendre à leurs résidents que les migrants internationaux sont un atout pour leurs propres sociétés. Mais ils doivent aussi aider les travailleurs migrants à communiquer avec les membres de leurs sociétés, à se familiariser avec leur histoire et leur culture, à s’adapter et à devenir des partenaires productifs dans la vie sociale.

2. Les problèmes des travailleurs migrants

a) Échec des modèles de développement

La migration internationale est l’aspect nouveau d’un problème ancien. Généralement, c’est une réponse à la fois à la pauvreté et au sous-développement des pays d’émigration, et aux besoins de maind’œuvre et de ressources humaines des pays d’immigration développés et puissants. La migration internationale est une question de pouvoir.

La migration internationale découle de l’échec des anciens modèles de développement. Nombre de pays d’immigration sont d’anciennes puissances coloniales, et nombre de migrants sont issus des anciennes colonies de ces puissances mondiales. Le sous-développement du Sud et le bien-être et la richesse des pays industriels du Nord sont en partie le résultat des rapports politiques et économiques entre le Nord et le Sud, anciennement «premier monde» et «tiers monde».

Les travailleurs migrants ne sont pas uniquement confrontés aux problèmes immédiats d’adaptation à des conditions de travail nouvelles et à des différences culturelles et linguistiques dans les pays d’accueil, ils restent en même temps liés aux problèmes constants de pauvreté qui sévissent chez eux et sont impliqués directement dans la guerre contre les rapports inégaux entre les pays. Non seulement ils doivent résoudre les problèmes de pénurie d’emploi et de bas salaires dans leurs pays en allant travailler à l’étranger, mais encore ils doivent vivre, sur leur nouveau lieu de travail, dans une perception du monde différente de la leur. Alors que le travail est considéré comme une responsabilité et un droit divins chez eux, il est considéré comme une marchandise dans le pays d’accueil. C’est un changement de valeurs morales et éthiques dont il faut tenir compte.

b) Conditions de travail et de vie dans les pays d’accueil

Un des problèmes vitaux des migrants «bas de gamme», en particulier des femmes, sont leurs conditions de travail et de vie. Ils sont souvent traités comme des hôtes indésirables dans la majorité des pays d’accueil. Leurs contrats de travail fixes sont foncièrement restreints et présentent peu d’avantages. Nombre d’entre eux ont des emplois «3D» – dégoûtants, dangereux et difficiles – que les populations nationales refusent massivement d’effectuer. Le problème ne réside pas en soi dans ces emplois 3D, puisque les travailleurs migrants sont d’accord pour les faire. Il réside bien plus dans le manque de mécanismes leur permettant de travailler dans des conditions sûres et de manière productive. Leurs conditions actuelles de travail et de vie, définies par les employeurs mêmes, sont discriminatoires et violent les lois nationales en vigueur dans les pays d’accueil.

c) Construire la cohésion sociale dans le pays d’accueil: un défi

Dans les pays d’accueil, les migrants travaillent et vivent dans des environnements hostiles, froids et antipathiques. Par nécessité et sans appui de la part de ces pays, ils doivent s’adapter à la société tout en restant isolés les uns des autres. Dans certains États du Moyen-Orient, le droit de réunion et le droit de religion sont même restreints.

Abstraction faite des sans-papiers qui n’ont accès à aucune protection légale, les travailleurs à durée déterminée ne peuvent s’intégrer dans la vie sociale normale qu’après avoir franchi des barrières physiques, émotionnelles et juridiques.

3. La migration internationale – une critique à la mondialisation

La Commission mondiale sur les migrations internationales (CMMI) a identifié les contradictions, les contraintes et les défis que revêtent les politiques migratoires dans la majorité des pays d’accueil. Les attitudes vis-à-vis des travailleurs migrants sont très négatives, alors que des secteurs économiques entiers sont dépendants d’eux.

Les sociétés ne comprennent généralement ni les raisons ni les conséquences des migrations internationales. Aussi longtemps que cette situation perdurera, les travailleurs migrants seront traités comme des citoyens de seconde classe, opprimés et privés de ce que la communauté internationale reconnaît d’ores et déjà comme leurs droits légitimes.

Si nous voulons comprendre le phénomène de la migration internationale dans son ensemble, nous devons examiner la réalité et l’impact de la mondialisation sur la transformation irréversible du monde.

Les développements rapides et importants enregistrés dans les technologies et les économies de l’information permettent aujourd’hui le transfert rapide de capitaux, de biens, de services, d’informations, d’idées et de cultures entières d’un pays et d’une région à l’autre. L’ouverture des marchés mondiaux encourage les mouvements de main-d’œuvre et exige une évaluation des politiques d’immigration restrictives de tous les pays.

Aspects économiques

Comme prévu, l’impact de la mondialisation a été inégal. L’ouverture libérale des marchés et le protectionnisme croissant entraînent des disparités grandissantes entre les sociétés, en termes de niveau de vie et de sécurité humaine.

Les différences de salaires journaliers entre les pays d’origine et les pays d’accueil montrent très clairement en quoi la migration internationale est une option attrayante pour la majorité d’entre eux. Dans certains pays d’émigration, le pourcentage de population gagnant moins de 2 dollars US par jour est très élevé: Bangladesh: 82,8 %, Inde: 79,9 %, Pakistan: 73,6 %, Népal: 68,5 %, Philippines: 47,5 %, Chine: 46,7 %, Égypte: 43,9 %.7 Par ailleurs, les salaires journaliers des employées de maison sont de 80 dollars US au Royaume-Uni et de 17 dollars US à Hong Kong. Même le salaire journalier de 5 dollars US offert aux employées de maison par les pays du Moyen-Orient, Singapour et la Malaisie suffit à attirer les travailleurs migrants.

 

 

Places de travail modernes et traditionnelles l’un à côté de l’autre en Asie

Source: Maria Angela C. Villalba 

La migration internationale est actuellement en train de créer une classe moyenne dans les pays d’émigration. L’évolution de cette nouvelle classe parmi les migrants est souvent utilisée comme indicateur de croissance et de développement dans les pays concernés. Cette constatation fait émerger un certain nombre de questions, en premier lieu la durabilité de cette classe. Ensuite, l’évolution d’une classe moyenne qui ne résout pas les problèmes fondamentaux de sous-développement crée des disparités sociales croissantes en matière de revenus, disparités qui découlent d’économies instables basées sur les transferts de fonds des migrants et qui accroissent les tensions sociales.

Les migrants de survie ou de subsistance sont les personnes qui gagnent entre 150 et 200 dollars US par mois en tant qu’employées de maison dans les pays du Moyen-Orient, à Singapour et en Malaisie. Ces salaires légèrement plus élevés cachent l’immense réalité du sous-développement. Si ces femmes pouvaient disposer d’un peu de ressources une fois rentrées dans leur pays, elles pourraient y gagner le même salaire. Mais puisque les envois de fonds des migrants soutiennent artificiellement l’économie, les gouvernements ne cherchent pas à résoudre le problème du chômage et des bas salaires.

En termes d’accès aux ressources, la migration internationale crée d’une part des divisions entre les classes sociales dans les pays d’origine, d’autre part des conflits entre les économies traditionnelles et les économies basées sur l’émigration. Les envois de fonds des migrants sont généralement utilisés pour le soutien direct à la consommation de leurs familles. Ils ont tout au plus contribué à la croissance dans le secteur des services – supermarchés, agences de voyages, transports aériens, assurances obsèques, etc. Mais la capacité des économies nationales à créer des emplois pour une main-d’œuvre grandissante est sérieusement entravée. La croissance des économies des pays d’émigration est basée sur des modèles de consommation engendrés par la migration.

Aspects politiques

Les travailleurs migrants sont les nouveaux chouchous des politiciens du fait de leur potentiel développemental et politique. En tant que source de consolidation des réserves de monnaies étrangères, on reconnaît leur influence économique et politique, et on leur accorde des privilèges politiques spéciaux comme p. ex. le droit de vote, même s’ils travaillent à l’étranger. Ces mesures ont encouragé la publicité en faveur de la migration, présentée comme une solution attrayante à divers problèmes personnels et sociaux. En vérité, elles créent une culture basée sur l’individualisme et le matérialisme, et encouragent l’exploitation des femmes.

Les avantages temporaires issus des envois de fonds des migrants engendrent des politiques économiques qui exacerbent le chômage. La volonté politique des gouvernements des pays d’émigration pour résoudre les problèmes de bas salaires et de chômage est sapée. Les syndicats n’ont plus le pouvoir de protéger les droits des travailleurs.

Aspects sociaux

Les économies basées sur l’émigration créent un désir de migration; elles légitiment l’émigration et l’exode à l’étranger de ressources humaines qualifiées pour lesquelles la demande est élevée. Aux Philippines, les écoles d’infirmières et d’assistantes familiales sont en plein essor; les dépenses gouvernementales en matière d’éducation, déjà minimes au départ, sont encore plus déséquilibrées à l’heure actuelle. Le système éducatif est en parfait déséquilibre du fait qu’on priorise le personnel des services de santé et les infirmières, très prisés sur le marché du travail.

La migration «réussie» des femmes a rajeuni les concepts traditionnels et leur rôle social. Des jeunes femmes de plus en plus nombreuses cherchent des possibilités de gagner des dollars à l’étranger en tant que danseuses, chanteuses et travailleuses du sexe.

La migration a des effets négatifs qui sont loin d’être des facteurs de planification du développement. Nombre de familles sont touchées par la séparation entre les époux lorsque l’un d’entre eux ou tous les deux, travaillent à l’étranger. Aux Philippines, on estime que près d’un tiers de la population totale vit avec l’appui d’un ou de deux membres de la famille émigrés à l’étranger. Les familles des migrants souffrent de dysfonctionnements plus ou moins graves, comme le montrent le pourcentage élevé de mariages ratés, de délinquance juvénile et les problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie chez les enfants de migrants.

Aspects relatifs au genre

La migration ouvre des voies nouvelles aux femmes en termes de travail. Elle a augmenté leur pourcentage par rapport à la main-d’œuvre, à la fois dans les pays d’origine et les pays d’accueil. Le fait que les femmes immigrées s’occupent à présent des personnes âgées ou des enfants, ou bien travaillent comme personnel domestique, a permis aux femmes locales de se libérer de ces tâches et de rejoindre les rangs de la main-d’œuvre active.

Avec la migration, cette injustice prend une nouvelle dimension. Les travaux domestiques, indépendamment du nom qu’on leur donne et du prix qu’on les paie, restent des tâches ingrates assignées aux femmes. C’est encore aux migrantes qu’incombe la satisfaction des besoins de base des familles.

Le travail des femmes en tant que migrantes renforce leurs rôles traditionnels. Excepté ce qu’elles dépensent pour la consommation, leurs revenus gagnés à l’étranger servent à couvrir leurs besoins traditionnels comme la dot en Inde et dans d’autres pays d’Asie du Sud. Comme en Thaïlande, seuls les hommes peuvent devenir moines, servir dans les temples et intercéder en faveur de leurs parents, ce sont maintenant les femmes qui contribuent à construire et réparer les temples.

Le mariage par correspondance exploite les femmes du Sud pour satisfaire la demande de servitude du Nord. Souvent, les hommes du Nord importent des femmes ou des épouses pour en faire des domestiques bon marché qui s’occupent des hommes âgés ou handicapés.

Problèmes de cohésion sociale dans les pays d’accueil

L’intégration des migrants dans les pays d’accueil pose de nombreux problèmes, tout d’abord pour les migrants, ensuite pour les sociétés d’accueil. L’objet de l’intégration est de construire une cohésion sociale permettant à la fois aux migrants de contribuer à part entière à la société d’accueil, et d’encourager leur participation sociale de manière pertinente.

Plusieurs facteurs bloquent l’intégration des migrants internationaux dans les sociétés d’accueil. On notera en tout premier lieu l’hostilité et la résistance des populations des sociétés d’accueil face aux travailleurs immigrés, du fait qu’ils menacent les emplois locaux et ont tendance à abaisser le niveau des normes sociales. Ces dernières étant le résultat d’un long processus de lutte, les travailleurs nationaux refusent de renoncer à leurs victoires durement gagnées. L’opposition organisée la plus acharnée est souvent livrée par les syndicats.

En second lieu, on évoquera l’attitude offensive des populations nationales vis-à-vis des migrants, attitude qui s’appuie sur des mythes et des idées préconçues au regard des autres nationalités et des autres cultures en général, et des travailleurs migrants en particulier. Les populations d’accueil pensent que les migrants sont culturellement inférieurs, que leurs systèmes éducatifs et politiques sont médiocres, qu’ils sont pauvres et ont par conséquent une prédisposition pour les activités antisociales et criminelles.

Croire que les migrants ne sont pas civilisés est tout simplement faux. Ils ont seulement des civilisations, des cultures et des visions du monde différentes; les autres doivent les accepter et se réconcilier avec eux. Les migrants ont des façons différentes de se tenir à table, de s’habiller, de parler et de cuisiner, d’autres hiérarchies et d’autres valeurs pour définir le bien et le mal.

Les gens acceptent la mondialisation, le pluralisme et la migration internationale aussi longtemps qu’ils y voient un intérêt économique. Mais dès que leur mode de vie semble menacé, ils s’empressent d’appliquer des politiques restrictives, sélectives, protectionnistes et discriminatoires vis-à-vis des migrants.

L’éducation des adultes est par conséquent à la fois un processus qui consiste, pour les migrants, à se familiariser avec les valeurs et les usages de la société d’accueil, qui sont nouveaux pour eux; et pour les sociétés d’accueil, à se familiariser avec les valeurs et les usages des civilisations des migrants, qui sont également nouveaux pour elles. Enseigner et apprendre doit être un acte mutuel qui réaffirme la dignité de toutes les cultures humaines. Le processus doit se poursuivre avec les générations suivantes, tant de migrants (enfants et petits-enfants de migrants internationaux) que de nationaux. Les sociétés d’accueil doivent reconnaître la pluralité des cultures dans un monde globalisé. En termes d’éducation des adultes, il s’agit par conséquent de comprendre que les programmes éducatifs doivent être le produit dynamique de l’interaction entre les civilisations et les cultures.

Pour réaliser l’intégration sociale, le problème fondamental est de savoir comment les migrants peuvent parler une même langue. Tout d’abord, l’éducation des adultes doit apprendre aux migrants à lire, écrire et parler dans la langue du pays d’accueil. La langue est la clé qui ouvre l’accès aux symboles sociaux, à la culture, à la vision du monde et à la technologie du pays d’accueil; elle encourage le dialogue des cultures. Une fois que le migrant est capable de lire, d’écrire et de parler la langue du pays d’accueil, il ou elle est capable de rapports sociaux et d’apprendre de lui-même ou d’elle-même ce qui est nécessaire à la survie, à l’adaptation et à la productivité.

Les défis pour l’intégration et l’éducation des adultes

a) L’accès limité des migrants aux services et aux ressources d’éducation des adultes doit être un défi pour les prestataires. Il en va de même de leur statut. Seuls les migrants en situation régulière ont accès aux ressources d’éducation des adultes. De peur d’être arrêtés, emprisonnés et expulsés, les travailleurs irréguliers préfèrent, c’est logique, ne pas trop s’exposer en participant à des cours. L’éloignement géographique des centres de formation et les zones isolées dans lesquelles ils vivent posent également problème. En outre, les conditions de travail définies dans les contrats entravent la socialisation. Certains n’ont pas droit à des jours de congé, et à fortiori de suivre des cours pour adultes.

b) La motivation à l’apprentissage – La maîtrise de la langue étrangère est une condition de l’intégration, mais nombre de migrants, surtout temporaires, ne sont pas particulièrement motivés, d’autant que leur motivation pour partir à l’étranger est avant tout économique. Ils ne sont pas vraiment désireux de se socialiser. Il faut dire enfin que le statut temporaire ou incertain n'encourage pas non plus à se former.

Où ils sont et d'où ils viennent
Source: Maria Angela C. Villalba

c) L'intégration et la cohésion sociale dans le pays d'accueil ne peuvent fonctionner que si les pays d'origine consentent à s'attaquer aux problèmes de développement, même si l'objectif est de réintégrer les travailleurs migrants dans leur propre pays. Comme nous l'avons vu plus haut, la migration internationale est une réponse au sous-développement et aux déséquilibres économiques et politiques entre les États développés et sous-développés du Nord et du Sud. Résoudre ou atténuer ces déséquilibres est la seule réponse stratégique intelligente et durable aux inégalités et aux conditions critiques dans lesquelles vivent les migrants internationaux, aussi longtemps que les nations existent.

d) Dans les pays d'émigration, les programmes de réintégration émanent en fait de la volonté de la société civile, mais aussi et de plus en plus des États et des gouvernement, de répondre aux besoins à long terme des migrants pour accumuler des capitaux, investir et monter des entreprises dans le but de créer des emplois. C'est une réponse aux problèmes de chômage qui prévalent dans ces pays et qui, en fin de compte, sont les causes fondamentales et les facteurs prépondérants de la migration internationale.

5. Les bonnes pratiques en matière d'intégration et de réintégration

Le Compendium européen de bonnes pratiques pour la prévention du racisme sur le lieu de travail élaboré en 1994 par la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail présentait les initiatives entreprises par le secteur public, le secteur privé et les syndicats de 15 pays pour faire face au racisme et à la discrimination.

En Corée, les membres de la KSBF (Fédération coréenne des petites entreprises) donnent des cours de hangul (écriture coréenne) pour maximiser la contribution des travailleurs migrants dans les entreprises et réduire les accidents sur le lieu de travail. Les centres de conseil des églises locales proposent des cours de langue aux travailleurs migrants et aux femmes étrangères. Certaines ONG organisent des manifestations culturelles et des voyages médiatiques.

Le Sud considère l'éducation des adultes axée sur l'intégration sous un angle différent, du fait qu'elle vise la réintégration des migrants dans leur pays d'origine. Les prémisses sont les suivantes: a) les migrants rentreront dans leur pays une fois leur mission terminée ou au moment opportun; b) les migrants vont vouloir rentrer lorsque les conditions sociales et économiques se seront améliorées; c) les migrants vont vouloir monter des entreprises dans leur pays d'origine; et d) les travailleurs migrants vont souhaiter vivre leur retraite dans leur pays d'origine. L'une des réponses clés à la réintégration des travailleurs migrants dans leur pays d'origine est le programme philippin «Épargne et investissements de migrants pour le développement communautaire et la réintégration (MSAI-CDR)». Le programme est né de l'expérience et des besoins exprimés par les travailleurs migrants à l'étranger. L'objectif est de les encourager à planifier leur retour, en les incitant à épargner une partie de leurs revenus, et à créer des associations d'épargne leur permettant de regrouper leurs ressources financières, pour les investir ensuite dans des programmes de soutien aux moyens d'existence et dans des entreprises aux Philippines. Ces investissements mobiliseraient les familles, les communautés locales, les pauvres, le secteur privé et les gouvernements locaux, créeraient des emplois, augmenteraient les revenus et permettraient peut-être de créer des entreprises rentables capables d'accueillir les migrants à leur retour, s'ils le souhaitent.

Les envois de fonds des migrants sont des ressources privées, mais font en même temps partie intégrante des ressources nationales d'un pays. Ils peuvent être investis, si les migrants le désirent, aux niveaux locaux et nationaux. L'éducation des adultes axée sur la réintégration, l'entreprenariat et le développement consiste notamment à encourager les migrants à devenir eux-mêmes investisseurs et entrepreneurs. À être créateurs et non plus demandeurs d'emplois. À transformer la communauté de travailleurs passifs en une communauté d'entrepreneurs producteurs de richesse. À transformer les envois de fonds des migrants en investissements de capitaux au profit des économies locales à court de capitaux. Ceci implique à la fois formation de capitaux, c'est-à-dire épargne, et éducation visant à comprendre la dynamique de la migration, l'économie communautaire locale et les possibilités de développement. C'est un mouvement axé sur la démocratisation de l'économie.

 

6. Opportunités et actions pratiques

a) Forums multilatéraux sur la migration et l'intégration

Le Forum mondial sur la migration et le développement (FFMD), issu du Dialogue de haut niveau des Nations unies sur la migration et le développement, est un bon moyen de discuter des accords bilatéraux et multilatéraux sur l'intégration et l'éducation des adultes. Le GFMD 2008, qui se tiendra aux Philippines, devrait donner aux pays et aux sociétés civiles du Nord l'occasion d'observer de près la situation d'un pays qui a opté pour la migration en réponse à la pauvreté.

L'éducation des adultes axée sur la migration et les stratégies d'intégration doit faire partie des thèmes centraux de ce Forum. La discussion devra porter sur les partenariats bilatéraux entre les organismes de formation d'adultes du Nord et les programmes de réintégration du Sud, et impliquer tous les acteurs de la migration, les gouvernements, la société civile, le secteur privé et les universitaires.

Un certain nombre de réseaux internationaux de la société civile permettent aux migrants de bénéficier des formations pour adultes offertes dans les pays d'accueil et les pays d'origine. Si l'on veut encourager l'interaction et la coopération au sein de la société civile par le biais de ces réseaux, il est à présent nécessaire de s'intéresser à la situation des migrants internationaux à la fois avant leur départ, dans le pays d'accueil et à leur retour.

b) Il est indispensable de mettre en place et d'appuyer des programmes de formation d'adultes formelle axés sur la migration, l'intégration et la réintégration dans les pays d'origine et les pays d'accueil.

L'utilisation extensive des technologies de la communication et de l'information, mais aussi des médias, est prioritaire. Mais il ne faut pas trop accentuer le rôle des médias en faveur de la migration. Ce sont les médias qui font de la publicité pour la «bonne qualité de la vie» dans les pays du Nord. Ce sont eux aussi qui facilitent la discussion et les prestations de services d'intervention en situation de crise. Les formations d'adultes par le biais des programmes de télévision ont une audience large, indépendamment des centres d'apprentissage physiques et sociaux. La diffusion d'images positives de migrants, en particulier de femmes migrantes, contribue pour une large part à éliminer les mythes, les peurs et les préjugés.

Les matériels éducatifs «à emporter», accompagnés de suppléments audiovisuels et basés sur des technologies du type iPod ou lecteurs MP4, accroissent la viabilité des opportunités de formation d'adultes. Ils peuvent servir d'outils et aider les migrants à mieux défendre leurs droits en cas de danger.

En conclusion, la stratégie de base méritant l'appui de la communauté internationale en matière de migration consiste premièrement à garantir la sécurité et le bien-être des migrants, en leur donnant la capacité de décider eux-mêmes et d'évaluer les possibilités de travail et de vie dans les sociétés d'accueil.

Deuxièmement, les migrants doivent agir eux aussi, en s'attaquant aux problèmes de développement chez eux et à l'étranger, en contribuant à atténuer les déséquilibres économiques et politiques, en optimisant les atouts de la migration internationale et en minimisant les dangers et les difficultés engendrés par la migration.

Enfin, l'intégration ne devrait entraîner ni perte d'identité, ni perte de dignité pour les deux parties - migrants et communautés d'accueil - mais au contraire les consolider.

 

Bibliographie

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Newsbreak Magazine. Trafficking in Women. Manila, Philippines, novembre 2006. Migration Policy Institute. Policy Brief. Washington DC. Collection 2007.
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Summary Report, Forum mondial sur la migration et le développement, Première rencontre, Bruxelles, 9-11 juillet 2007.

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Villalba, Maria Angela. Philippines: Protecting Migrant Women in Vulnerable Jobs.
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Wrench, John. European Compendium of Good Practice for the Prevention of Racism in the Workplace. Danish Centre for Migration and Ethnic Studies. European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions. Dublin, Irlande, 1997.

 

1 Migration in an Interconnected World: New Directions for Actions. Report of the Global Com mission on International Migration (GCIM), Suisse, oct. 2005.

2 Adult Education versus Poverty, ASPBAE, 2004, p. 8.

3 GCIM.

4 Greespan, Allan. The Age of Turbulence. Penguin Group Inc., USA, 2007 (extrait de Newsweek,24 sept. 2007, p. 21).

5 Trafficking in Women, Newsbreak, Manille, Philippines, novembre 2006.

6 Chisthi, Muzaffar A. The Phenomenal Rise in Remittances to India: A Closer Look. Migration Policy Institute Policy Brief, Washington DE, mai 2007.

7 World Development Indicators, 2006 World Bank (Indicateurs du développement, Banque mondiale). Extrait du Social Watch Report 2006.

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