Sabine Strassburg

Les gouvernements, les économies nationales, les sociétés civiles et les organisations non gouvernementales (ONG) font face à des défis considérables en termes de pauvreté, de chômage et de besoins de compétences. Dans l’histoire de l’Afrique du Sud, les interventions éducatives et en particulier les interventions axées sur les adultes «non blancs» défavorisés, se sont avérées une stratégie effective de lutte contre la pauvreté et contre les inégalités héritées de l’Apartheid. Sabine Strassburg est née en Allemagne et vit depuis 2002 en Afrique du Sud. Après avoir passé sa maîtrise en éducation des adultes en 2004, elle a poursuivi ses études à l’université de Leipzig (Allemagne), à l’institut d’éducation des adultes, en collaboration avec l’université du Cap (Afrique du Sud), le ministère de l’Économie et la Southern Africa Labour and Development Research Unit (SALDRU). Elle a récemment achevé son doctorat en éducation. Sa thèse portait entre autres sur le développement d’un modèle de bonne pratique et recherchait des approches éducatives et de réduction de la pauvreté en se penchant sur les inégalités dans le contexte sud-africain. Nous la publions ici. L’auteure travaille actuellement comme consultante dans les domaines de l’éducation (des adultes) et du développement.  

Éducation des adultes et réduction de la pauvreté – quelles leçons tirer de la pratique?

Quatre études de cas en Afrique du sud

Nombre d’études ont confirmé le lien direct entre pauvreté et éducation (p. ex. Richich 1968; Vally 1998; Preece 2005; Akoojee & McGrath 2006).1 Les recherches ont révélé que s’il est élevé, le niveau d’instruction peut avoir des effets positifs sur la productivité, les niveaux salariaux et l’emploi, l’éducation de la génération suivante (effets intergénérationnels), la santé, la fertilité et la nutrition, l’autonomisation, l’inclusion sociale et la participation. Les interventions éducatives, y compris l’éducation des adultes, permettent aux individus de réaliser pleinement leurs potentiels et d’améliorer leur bien-être. La tâche principale est d’aider les pauvres à améliorer leurs chances de changer la situation.

Nous présentons ici quatre études de cas réalisées en Afrique du Sud. Toutes les interventions étudiées ont pour objectif l’amélioration du développement humain et la réduction de la pauvreté. Elles ont par ailleurs valeur d’exemples de bonnes pratiques puisqu’elles ont remporté le prix Impumelelo Trust Award. Les organisations et les formations offertes se basent sur les leçons tirées de la pratique, ce qui a permis d’identifier des indicateurs d’efficacité. Les recommandations s’adressent par conséquent aux interventions éducatives axées sur la réduction de la pauvreté.

Remarque méthodologique

Les organismes ciblés par la recherche ont été les suivants: Bergzicht Training and Support Centre de Stellenbosch, Learn to Earn à Khayelitsha, P.E. Childline and Family Centre à Schauderville, Port Elizabeth, et LifeLine/Childline Western Cape au Cap, à Khayelitsha et Bishop Lavis. Les études de cas s’appuient sur des informations multiples qui rassemblent les données collectées sur la base d’une approche triangulaire. Plusieurs techniques de collecte de données ont par conséquent été choisies: analyse de documents écrits, interviews, questionnaires et observation directe.

Centre de formation Bergzicht
Source: Sabine Strassburg

L’analyse des documents écrits a consisté à faire un bilan des rapports de suivi et d’évaluation, des bases de données administratives et des matériels de formation. Les matériels d’apprentissage, y compris les manuels des apprenants et des enseignants, ont été réexaminés afin d’analyser les méthodes pédagogiques utilisées dans les formations. Treize interviews semi-structurées ont été réalisées dans le cadre d’entretiens en face à face avec les parties prenantes du projet, le but étant de collecter des informations sur le processus de planification du projet, sa mise en œuvre, les prestations de services et les problèmes. La collecte d’informations plus détaillées sur les participants, notamment de données démographiques servant à décrire la situation de pauvreté, a été effectuée à l’aide de questionnaires. Il n’a pas été possible de distribuer les questionnaires à tous les participants dans toutes les formations. Pour réaliser la recherche empirique, on a par conséquent choisi une formation sur deux par organisation (en fonction de la disponibilité) à titre d’intervention éducative. L’analyse des documents écrits et les interviews ont servi de sources d’information de base, mais des données ont également été collectées aux moyens de l’observation des participants, qui a permis de mieux comprendre les cas. L’observation directe avait pour but de savoir ce qui se passe, quand et où, et de se faire une image holistique de l’environnement du projet, des parties prenantes et des participants. Au total, trois sessions de formation ont été prises en considération. L’objectif de l’observation était de saisir le contexte général du projet, mais aussi de recueillir des informations pratiques sur les méthodes pédagogiques utilisées.

Les études de cas

Étude de cas I: Bergzicht Training and Support Centre

Le Bergzicht Training and Support Centre, créé en 1992, est situé dans le centre de Stellenbosch, petite ville de la Cape Winelands District Municipality, Cap Occidental. Bergzicht comprend un centre de formation, un centre de soutien et un bureau d’embauche. Les formations ont lieu dans les domaines suivants: économie domestique, soin des enfants, aide aux personnes âgées, restauration, hébergement et accueil. La formation axée sur les compétences liées la vie courante est obligatoire pour tous les participants. Ce module est consacré aux questions liées à la pauvreté, comme l’éducation sanitaire, y compris l’ hygiène et le VIH/Sida. Les formations sont à plein temps et durent 5 à 17 semaines. La formation comprend généralement une partie théorique dispensée dans les locaux du Bergzicht Training Centre, et une formation pratique en entreprise, qui a lieu dans des organisations externes en fonction de la qualification choisie: crèches, institutions pour personnes âgées et hôpitaux, établissements hôteliers. La formation même est gratuite, mais les participants doivent payer un droit d’inscription allant de 35 rands pour le cours d’économie domestique à 70 rands pour les formations avancées (soin des enfants, aide aux personnes âgées, restauration). Les étudiants privés envoyés par leurs employeurs doivent payer jusqu’à 50% des frais de formation, soit entre 440 rands et 2500 rands. Les étudiants perçoivent 8 rands par jour à titre d’indemnité de transport, ce qui permet de ne pas exclure les pauvres. Les formations s’adressent aux sans-emploi, et plus particulièrement aux femmes de Stellenbosch et ses environs. La majorité provient des communautés pauvres des cités de Stellenbosch, comme p. ex. le township de Kayamandi.

Kayamandi est un quartier informel de Stellenbosch construit à l’origine pour les migrants noirs employés dans les exploitations (viticoles) autour de Stellenbosch. La langue majoritaire est l’isixhosa. Les caractéristiques de la pauvreté sont similaires à celles d’autres quartiers informels du pays, notamment: bas niveau d’instruction (niveau d’analphabétisme élevé), mauvais accès aux services sanitaires et taux de chômage élevé (recensement 1996).

Étude de cas II: Learn to Earn (LtE)

Learn to Earn (LtE) est constitué de trois centres de formation et d’un centre de ressources pour les entreprises. Le centre principal, établi en 1989, et le centre de ressources pour les entreprises sont situés à Khayelitsha, ville de la municipalité métropolitaine de Cape Town, Western Cape. Depuis 1999/2000, des services sont également offerts à Zwelihle, Hermanus (Overstrand Municipality) et Fisantékraal, Durbanville (banlieues nord du Cap), toutes deux dans la province du Cap occidental. Le programme Zakhele (soutien aux startups) et un café ont été installés dans les locaux de LtE Khayelitsha pour appuyer les activités de génération de revenus des diplômés de LtE. Le centre de ressources pour les entreprises encourage également la création d’emplois et les opportunités commerciales pour les diplômés, mais aussi pour les personnes sans emploi qui n’ont pas nécessairement participé aux formations LtE. Cinq cours sont proposés dans les domaines suivants: couture, menuiserie, pâtisserie, commerce, création d’images par ordinateur. Toutes les formations comprennent un cours d’alphabétisation et de calcul en anglais, un module de compétences commerciales (module de base sur la créa tion d’entreprises), des cours axés sur les compétences liées à la vie courante (conseils sur le mode de vie), et un module facultatif sur le mouvement des disciples. La durée des formations varie de 4 (temps partiel) à 15 semaines (temps complet). La formation comprend une partie théorique (cours magistraux), et une partie pratique (ateliers), mais pas de formation pratique à l’extérieur. La formation n’est pas gratuite. Les frais d’inscription (100 à 150 rands) et de participation (100 à 350 rands) ont pour but d’inciter les participants à s’engager, et d’encourager l’appropriation en vertu de la devise: «A hand up, not a hand out» (oui à l’autonomisation, non à l’assistanat, ndlt). LtE a créé des opportunités de génération de revenus pour les participants tout au long de la formation et les aide ainsi à payer les frais. Les cours s’adressent aux personnes sans emploi et en particulier aux membres des quartiers informels des environs du Cap, comme p.ex. Khayelitsha.

Khayelitsha est un quartier péri-urbain (majoritairement informel) situé à 30 km du centre du Cap. C’est l’un des plus grands townships d’Afrique du Sud. Selon le recensement de 2001, la population, à prédominance noire-africaine, parle le xhosa à 96,5 %. Les caractéristiques de la pauvreté sont similaires à celles d’autres quartiers informels d’Afrique du Sud, notamment: ménages à bas revenus (77,8 % ont un revenu mensuel entre 0 et 1600 rands), bas niveau d’instruction (7 % non scolarisés) et taux de chômage élevé (50,8 %) (recensement 2001)

Étude de cas III: O.E. (Port Elizabeth) Childline

Le centre P.E. Childline and Family Centre est situé à Schauderville, Port Elizabeth, municipalité métropolitaine Nelson Mandela, Cap oriental. L’organisation centrale, Childline South Africa, entretient huit bureaux régionaux dans presque toutes les provinces du pays, dont Childline. Les services offerts incluent le conseil (droits des enfants, maltraitance des enfants, VIH/Sida, rapports responsables, comportements sexuels), le travail en réseau et la coordination de services pour les enfants, la promotion des droits des enfants et la formation de volontaires. 

Afin de promouvoir le bien-être des familles et de réduire la pauvreté dans la région, un programme de renforcement des compétences a été mis en place en 1990. Deux formations sont actuellement offertes: travaux d'aiguille (8 semaines) et soins des enfants (16 semaines, plein temps). La formation est gratuite, mais les participants ne perçoivent plus d'indemnité de transport. Le programme est ouvert à toute personne capable de décrocher un contrat de travail avant le début de la formation, condition sine qua non de l'appui du ministère du Travail. P.E. Childline s'adresse aux communautés démunies, généralement féminines, issues de zones urbaines et péri-urbaines de la région, comme p.ex. Schauderville.

Schauderville, anciennement Schauder Township, est un quartier pauvre de Port Elizabeth. Selon le recencement 1996, la zone abrite une majorité d’Africains du Sud non blancs. La langue majoritaire est l’afrikaans.

Étude de cas IV: LifeLine Western Cape

LifeLine a vu le jour en 1963 en Australie, et fortement grandi depuis; l’organisation possède aujourd’hui des centres dans 14 pays du monde. C’est en 1968 que LifeLine a commencé à travailler dans la municipalité métropolitaine du Cap, Cap occidental. Ligne téléphonique SOS à l’origine, le programme offre aujourd’hui des formations pour les adultes et les jeunes, un conseil téléphonique et en face à face, des programmes VIH/Sida, des activités thérapeutiques avec les enfants, et des groupes de soutien. En coopération avec Childline, LifeLine Western Cape offre des services dans le centre du Cap, à Wynberg (Childline), Khayelitsha, Mitchell’s Plain, Bishop Lavis et Guglulethu. Le programme de conseil a été mis en place en 1998/1999. L’objectif était de former des volontaires pour les services de conseil de LifeLine/Childline, des membres/conseillers pour les autres ONG et les entreprises, et de renforcer la sensibilisation du public au VIH/Sida. Divers cours sont offerts, notamment la formation interne LifeLine (développement personnel et compétences en matière de conseil), formation pour les membres de LifeLine (sensibilisation au VIH/Sida, formation de présentateurs et d’animateurs), et formation pour les autres ONG et les entreprises, sur demande (éducation par les pairs en matière de VIH/Sida, sensibilisation au VIH/Sida, compétences liées à la vie courante, développement personnel, conseil et communication, etc.). Les frais de formation varient de 0 rand (gratuit pour les membres de LifeLine) à 1 000 rands (pour le développement personnel et le conseil). Les entreprises paient jusqu’à 550 rands par apprenti par jour. Un nombre limité de bourses est cependant disponible. Aucun groupe cible spécial n’a été identifié.

Résultats et recommandations

Ce chapitre est consacré aux résultats des études de cas et à l’identification d’indicateurs de bonnes pratiques et d’efficacité. Les informations collectées dans les études de cas sont triangulées. Les indicateurs d’efficacités ont été identifiés en ce qui concerne l’emplacement (accessibilité aux pauvres), l’approche, les formations offertes, le ciblage des pauvres, les réponses aux stratégies et aux questions concernant la pauvreté, la durabilité financière de l’organisation, les capacités institutionnelles et humaines, l’adéquation au concept, le suivi et l’évaluation, le rendement et l’impact.

Information générale sur les organismes et les projets

Tous les cas étudiés sont des interventions à long terme. On a préféré choisir des programmes de développement des compétences parce que leurs effets sont plus facilement mesurables (en termes d’embauche et donc de réduction de la pauvreté en revenus). Les recherches ont montré que l’intervention a plus de chances d’être efficace (en termes de développement humain et de réduction de la pauvreté au sein des groupes les plus vulnérables),…

… si l’intervention a lieu dans une zone où le niveau de pauvreté est élevé

Les interventions ont des effets plus notables sur les individus et les communautés pauvres si elles ont lieu dans des zones où le niveau de pauvreté est élevé, car elles sont mieux accessibles à la population cible et attirent par conséquent un plus grand nombre de personnes démunies. Si les organisations pouvaient verser une indemnité de transport aux participants, l’emplacement n’aurait pas tant d’importance. Il est cependant plus rentable d’organiser les interventions au sein des communautés cibles, puisque ceci permet à l’organisation d’épargner les indemnités de transport.

… si l’approche est directement axée sur les problèmes des pauvres

Sur les quatre organismes étudiés, trois utilisent une approche directe axée sur les problèmes des pauvres (en particulier l’emploi). Elles donnent par conséquent de meilleurs résultats en termes de réduction de la pauvreté (en revenus). L’une d’entre elles exige cependant que les participants aient un contrat de travail avant le début de la formation. Puisque la plupart des pauvres ont des difficultés à trouver un emploi par manque de qualification, le pourcentage de participation à la formation décroît et la formation axée sur les compétences pour l’emploi régresse petit à petit.

… si l’intervention a été conçue dès le départ pour réduire la pauvreté et améliorer le bien-être humain

Tous les organismes étudiés ont pour objectif la réduction de la pauvreté et/ou le développement et le bien-être social. Néanmoins, les deux organismes dont le but initial était d’encourager le développement humain et de réduire la pauvreté (avant tout grâce au développement de compétences pour améliorer l’employabilité), ont fait preuve d’un plus grand engagement et donné de meilleurs résultats en matière de réduction de la pauvreté de revenu. Deux organismes ont été initialement créés dans un autre objectif de développement et ne sont pas forcément ciblés sur la pauvreté. D’autres interventions, tels les programmes axés sur le développement de compétences afin d’améliorer l’employabilité des participants, ont été introduits plus tard et ne jouissent donc pas du même appui, comme le montre notamment le montant des ressources allouées.

Formation

La formation a plus de chances d’être efficace:

… si les méthodes pédagogiques visent à promouvoir la participation et sont ciblées à la fois sur la théorie et la pratique.

Toutes les interventions utilisent des méthodes d’activation qui encouragent avant tout la participation des apprenants grâce à la démonstration et à la pratique. Les formations combinent toujours théorie et pratique, en partie sous forme de formations pratiques en cours d’emploi, avec des effets positifs sur les pourcentages d’embauche, puisque certains participants finissent par être em ployés par l’entreprise/l’organisme où ils ont fait leur formation pratique.

… si les frais de participation ne sont pas trop élevés, puisque les apprenants des communautés pauvres ne sont pas en mesure de les payer

D’une organisation à l’autre, les écarts entre les montants des frais d’inscription sont considérables. Ils varient de 0 rand (gratuit) à 1 000 rands. Un organisme verse même une indemnité de transport aux participants, c.-à-d. qu’ils reçoivent de l’argent pendant la formation. La recherche a montré que plus les frais sont élevés, moins les pauvres sont en mesure de participer (revenus familiaux mensuels insuffisants). Il faut tenir compte de la situation des groupes cibles en matière de revenus. La majorité des participants (60 %) ont un revenu familial moyen de moins de 1001 rands par mois (voir ciblage ci-après). Par conséquent, la majorité des pauvres sont incapables de payer des frais supérieurs à 500 rands. Selon le directeur de Learn to Earn, il semble cependant important de demander une petite participation financière de façon à développer un sentiment d’appropriation de la situation. La relation entre paiement de frais de participation et engagement/sentiment d'appropriation (mesurable aux taux de réussite) n'a cependant pas pu être vérifiée.

 

Apprenants dans le centre de la formation Bergzicht
Source: Sabine Strassburg

Ciblage

Des évaluations préalables sont indispensables pour identifier les groupes cibles, leur problèmes et leurs besoins. Certaines études ont confirmé que la pauvreté en Afrique du Sud se concentre sur les anciens groupes défavorisés (majorité noire), et les femmes/foyers dirigés par des femmes. La majorité des pauvres vivent dans les zones rurales. Le principal groupe cible des programmes de réduction de la pauvreté devrait donc être les femmes rurales noires (voir May 2000).2

Une fois le projet conçu en conséquence, il faut utiliser des mécanismes et des méthodes de ciblage efficaces. Il est important de définir avec précision les groupes cibles et de concrétiser le projet au niveau adéquat, en tenant compte des attentes et des connaissances préalables des participants afin d’éviter les déceptions et les taux d’abandon élevés. Sans mécanismes de ciblage efficaces, on risque de voir participer au programme des personnes n’appartenant pas au groupe cible, et les ressources ne plus atteindre les pauvres (Cox, Healey, Hoebing & Voipio 2000). Un autre argument en faveur du ciblage est la durabilité. La sélection efficace d’individus ou de groupes, mais aussi l’évaluation des bénéficiaires, ont des impacts positifs sur la durabilité du projet (Hanson, Worrall & Wiseman 2006:2f) et accroissent par conséquent son effectivité. Elles peuvent également améliorer son efficience, même avec un montant limité de ressources. Les fonds peuvent être mis à profit de manière plus efficace et plus efficiente s’ils sont canalisés directement vers les individus ou les groupes ayant le plus de besoins et/ou ayant la capacité d’en bénéficier. Le chapitre suivant se base essentiellement sur Hanson, Worrall & Wiseman (2006).3

L’intervention a plus de chances d’être efficaces:

… si des évaluations préalables ont été réalisées dans le but d’identifier les groupes cibles, leurs problèmes et leurs besoins.

On sait entre temps que les anciens groupes défavorisés (Noirs d’Afrique du Sud, et surtout les femmes), constituent le principal groupe cible des interventions. On n’a donc plus besoin d’évaluations préalables pour identifier le groupe cible général. Il est néanmoins important de connaître la communauté cible spécifique. Il est donc recommandé de faire une analyse de la communauté plutôt que de se concentrer sur l’identification du groupe cible.

… si les mécanismes de ciblage en place sont à la fois efficaces et axés sur les populations les plus vulnérables, à savoir les femmes et les Non-Blancs.

Il s’avère que trois organismes sur quatre manquent de mécanismes de ciblage efficaces (critères de sélection p. ex.). L’emplacement et la nature des services offerts ont néanmoins permis un ciblage indirect sur les populations pauvres. La plupart des interventions utilisent par conséquent des méthodes d’autosélection. Elles ont été conçues pour attirer une population cible plus nombreuse en implantant l’organisme dans un quartier en partie informel où sévissent des taux élevés de chômage et de pauvreté, et en proposant des services intéressants. Les personnes étudiées présentent les caractéristiques suivantes:

  • Emplacement: puisque les organismes analysés sont situés dans les zones péri-urbaines ou urbaines, les interventions ne ciblent pas directement les populations rurales. Un ciblage indirect a néanmoins lieu, puisque 31 % des participants sont originaires de zones rurales, p. ex. de régions éloignées du Cap oriental (l’une des provinces les plus pauvres d’Afrique du Sud) et vivent actuellement dans les zones péri-urbaines (Khayelitsha). Les recherches menées dans le cadre des études de cas révèlent que les projets de réduction de la pauvreté n’ont pas nécessairement besoin d’être situés dans les zones rurales pour atteindre ces groupes de population. Placer les interventions au sein des communautés péri-urbaines (mais pauvres) présente plusieurs avantages par rapport aux zones rurales: premièrement, elles sont plus accessibles, puisque l’infrastructure des transports est généralement meilleure que dans les zones éloignées. Deuxièmement, les ressources (bâtiments, personnel et matériels) sont déjà en place. Troisièmement, les opportunités d’emploi sont plus favorables dans les zones péri-urbaines, et encore plus dans les zones urbaines, de sorte que les taux d’embauche sont plus élevés. Par contre, le fait de les placer dans les zones urbaines (p.ex. le centre du Cap et Stellenbosch) les rend moins accessibles pour les pauvres, qui ont des trajets plus longs que la majorité d’entre eux n’est pas en mesure de financer sans indemnités de transport. Les recherches ont prouvé que les interventions sont plus efficaces lorsqu’elles sont situées dans des zones très pauvres, ce que ne veut cependant pas nécessairement dire les zones rurales. Il est recommandé de placer les interventions axées sur la réduction de la pauvreté dans les zones péri-urbaines (p.ex. quartiers informels) de façon à toucher à la fois les communautés pauvres (issues en partie des zones rurales) et à profiter des avantages de la ville (transport, ressources et emplois).
  • Groupe de population: toutes les interventions sont axées sur les communautés non blanches et remplissent de la sorte un important critère. Plus de 75 % des personnes étudiées sont des Non-Blancs et 62 % d’entre eux parlent xhosa.
  • Genre: bien que n’étant pas spécifiquement ciblées, la majorité des participants aux interventions étudiées sont des femmes, ce qui satisfait un second critère. Les questionnaires révèlent que 85,7 % des participants sont des femmes. Un ciblage indirect (autosélection) a donc eu lieu grâce aux services offerts (couture, soin des enfants, aide aux personnes âgées).
  • Âge: généralement, les participants sont relativement jeunes, avec une moyenne d’âge de 32 ans. 71,4 % d’entre eux ont moins de 35 ans. C’est un facteur dont les planificateurs de formations doivent tenir compte lors de la conception du projet; ils doivent par conséquent choisir les sujets et les méthodes les mieux adaptés à ces groupes d’âge, comme p.ex. le VIH/Sida et les relations.
  • Éducation: les niveaux d’instruction sont généralement élevés, plus spécialement en ce qui concerne les apprenants blancs. 82 % des participants étudiés ont le grade 9. Les questionnaires montrent que les personnes ayant un bas niveau d’instruction (inférieur au grade 8) sont plutôt les «personnes âgées» ou les Non-Blancs.
  • Situation en matière d’emploi: les questionnaires révèlent que 42,9 % des participants étaient sans emploi avant la formation. Les taux de chômage des participants aux formations situées dans les zones péri-urbaines (quartiers en partie informels) sont plus élevés. Dans son ensemble, le ciblage est efficace et attire principalement des femmes jeunes, non blanches (parlant en majorité le xhosa), sans-emploi et financièrement dépendantes d’autres membres de la famille ou de prêts.

Stratégies utilisées – réponses aux questions liées à la pauvreté

L’intervention a plus de chances d’être efficace si elle traite de sujets variés et combine plusieurs stratégies, que ce soit les compétences liées à la vie courante, l’alphabétisation, l’autonomisation ou les activités génératrices de revenus.

Tous les organismes étudiés n’offrent pas qu’une seule et unique formation, mais des interventions et des sujets variés, généralement combinés les uns aux autres. Toutes les interventions sont centrées sur la génération de revenus, dans un contexte ou un autre. Il semble que les pauvres aient plus tendance à participer aux interventions d’éducation des adultes s’ils ont la possibilité de trouver un emploi par la suite. En matière de réduction de la pauvreté, les interventions axées sur l’employabilité ont un impact plus fort lorsqu’elles sont combinées avec un pourcentage d’embauche élevé. Ce pourcentage peut s’accroître à son tour si l’on aide les participants à trouver un emploi. D’autres questions liées à la pauvreté sont également traitées, généralement dans le cadre de formations axées sur les compétences liées à la vie courante, apparemment cruciales pour le développement humain et le bien-être général. L’autonomisation est l’un des effets prépondérants des formations car elle a également, d’après le directeur du bureau d’embauche à Bergzicht, des effets positifs sur la recherche d’emploi. Aucun des organismes étudiés n’accorde beaucoup d’importance à l’alphabétisation, soit en raison des difficultés linguistiques probables des participants peu alphabétisés, soit en raison du niveau d’instruction généralement assez élevé, puisque le niveau d’instruction et l’alphabétisation sont des conditions d’admission, voire même une barrière dans trois des quatre organismes étudiés.

Degré de durabilité

Il est indispensable de mettre en place des projets durables. Durabilité signifie

«capacité d’un projet de développement à se soutenir tout seul, à la fois pendant la durée prévue et au-delà» (Khan 2003:5f).4

Si les bénéfices d’un projet peuvent être maintenus à long terme, il est plus probable que ce dernier aura un meilleur impact sur les communautés concernées. On ne peut savoir si un projet est durable ou non que lorsque l’appui des donateurs est arrivé à terme et le projet transféré aux parties prenantes locales (p. ex. communautés bénéficiaires, gouvernements ou secteur privé). La durabilité financière demande un sentiment d’appropriation, la prise en compte des représentants gouvernementaux et d’autres parties prenantes locales, et l’intensification des efforts pour mobiliser des ressources internes et renforcer la durabilité financière en utilisant les systèmes locaux et des critères définis conjointement. Il faut également s’assurer que le projet réponde aux besoins des populations bénéficiaires, et que ces populations soient d’accord avec ses objectifs. Les organisations étudiées se sont montrées capables de perdurer dans le temps, puisque toutes les interventions ont commencé dans les années 1990, c’est-à-dire il y a plus de dix ans. Tous les cas étudiés sont des interventions à long terme qui n’ont pas été planifiées par des organismes internationaux, mais initiées par les communautés qui ont ensuite demandé l’appui de donateurs. Elles sont toutes menées par les communautés et continuent de recevoir l’appui de donateurs, qui se limite à une aide financière. On peut donc partir du principe que l’appropriation locale est assurée. En ce qui concerne les stratégies de développement national, les organisations ont différentes manières de voir. Cependant, la prise en compte des représentants gouvernementaux et la coopération avec eux, mais aussi la satisfaction des critères nationaux (tels que prévus par le Cadre national de qualification), restent problématiques et causent des problèmes au niveau de la reconnaissance officielle des qualifications acquises et des ressources financières (financements gouvernementaux).

  • Durabilité financière
    On entend par durabilité financière la stabilité financière et l’indépendance d’un projet vis-à-vis des organismes donateurs qui déterminent sa durée. Un projet est plus susceptible d’être durable si l’on parvient à trouver des ressources financières permettant de garantir sa continuité. Généralement, les projets ne sont financés que pour quelques mois ou quelques années. Bon nombre ne peuvent pas être poursuivis sans l’aide financière des organisations internationales d’aide au développement. En termes de durabilité, il est par conséquent important de trouver d’autres mécanismes financiers, telle p. ex. la «reprise» par le gouvernement ou des entreprises privées (marché structuré). Les mécanismes les plus à même de renforcer la durabilité sont les dispositifs d’autofinancement. Ceci peut cependant présenter des problèmes étant donné le caractère de l’intervention (réduction de la pauvreté) et le groupe cible/les participants (individus et communautés à faibles revenus). L’intégration des activités de projet dans les dispositions budgétaires des gouvernements a donné de bons résultats, mais n’est pas avalisée par la majorité des bailleurs de fonds qui préfèrent ne pas contribuer directement aux budgets gouvernementaux. Il serait donc plus efficace que les bailleurs de fonds développent des modèles en coopération avec les communautés concernées, ces modèles pouvant ensuite être repris par le gouvernement une fois mis en œuvre avec succès, de façon à encourager l’extension et la poursuite de la mise en œuvre. Les modèles développés doivent répondre aux exigences internationales et nationales. Les bailleurs de fonds appuient les institutions locales en renforçant les capacités et en développant et testant les modèles. Si l’on veut améliorer la gestion financière, il est indispensable de renforcer les capacités des représentants du gouvernement et des parties prenantes du projet. Un projet a plus de chances d’être durable s’il est conçu sur le long terme. Toutes les parties prenantes doivent en être informées pour pouvoir ensuite ajuster leurs ressources. Il est indispensable de formuler des engagements écrits décrivant la contribution (financière) des parties prenantes et un calendrier clair des partenariats. Ceci permet au gestionnaire de projet de développer des stratégies stipulant comment et quand obtenir des fonds supplémentaires pour le projet, au-delà du délai fixé au départ. En général, les projets devraient être finançables par les communautés, et les coûts ne devraient pas dépasser les bénéfices envisagés. On peut améliorer la durabilité financière et réduire les coûts si l’on cible les ressources sur le plus urgent (ciblage efficace), en faisant appel aux ressources et aux systèmes locaux.

    La durabilité financière est le principal défi auquel sont confrontées les organisations étudiées. La majorité d’entre elles ont des difficultés. Les dépenses opérationnelles dépassent souvent les revenus de l’exercice financier, faisant apparaître des déficits. Étant donné que, comme nous l’avons mentionné plus haut, la «reprise» par les gouvernements est problématique, les organisations sont largement dépendantes de l’aide internationale et nationale. La dépendance vis-à-vis d’un seul donateur met à elle seule la durabilité financière d’un programme en danger et affaiblit l’intervention. Les mécanismes d’autofinancement se sont avérés un facteur crucial de la durabilité financière. Il semble que la dépendance vis-à-vis des donateurs décroît à mesure que les frais de formation (principaux mécanismes d’autofinancement) augmentent, mais seulement lorsque les frais suffisent juste à couvrir les coûts de formation. Dans ce cas, le financement n’est plus assuré par les bailleurs de fonds mais par les participants. En même temps, on cible de moins en moins les pauvres puisque, comme nous l’avons vu plus haut, ils ne sont pas en mesure de payer des frais élevés de participation. L’approche n’est donc efficace que si les organisations proposent également des formations pour les participants privés ou aisés capables de payer des frais de participation plus élevés. Deux organisations se sont engagées dans ce sens et ont pu réduire leur dépendance vis-à-vis des donateurs. Il est cependant important de se concentrer sur le groupe cible principal, à savoir les communautés pauvres, et non sur les étudiants privés.
  • Capacités institutionnelles et humaines
    Les capacités institutionnelles et humaines sont cruciales pour la durabilité d’un projet. Il importe donc de choisir avec soin les institutions et les organismes exécutifs. Le ministère du Travail possède par exemple une liste des prestataires de services dont l’efficacité est reconnue (disponible sur le site web du ministère). Il pourrait leur assurer son appui et leur allouer une aide financière si nécessaire. La capacité institutionnelle comprend les domaines suivants: relations extérieures, pratiques de gestion (structure organisationnelle, administration, planification, gestion de l’information et gestion stratégique), ressources humaines et apprentissage organisationnel, ressources financières et prestations de services. Si ces domaines sont suffisamment consolidés et durables au sein d’une organisation, le projet a lui aussi plus de chances d’être durable. Si l’on tient compte des forces et des faiblesses organisationnelles dans les domaines que nous venons de citer, le soutien des donateurs internationaux en faveur du renforcement des capacités peut accroître l’efficacité d’une organisation. Les donateurs internationaux devraient éviter le recours au personnel externe, et plutôt employer du personnel local qui connaît les problèmes des gens, possède généralement plus d’expérience et coûte moins cher. La formation du personnel local peut garantir l’efficacité et l’alignement sur les critères internationaux, mais aussi accroître la durabilité à la fois du projet et de l’organisation tout entière. Les organisations fortes sont plus à même d’atteindre leurs objectifs, de concevoir des projets à long terme et de satisfaire leurs propres besoins.

    Trois organismes sur les quatre étudiés ont une organisation hiérarchique et une division du travail très claire, et par conséquent une gestion efficace. Toutes emploient du personnel local, souvent membre des communautés cibles, ce qui ne manque pas d’avoir des retombées positives sur le degré de durabilité et la sensibilisation aux problèmes. Divers programmes de développement du personnel ont permis d’améliorer les capacités humaines et partant, l'efficacité de l'organisation.

    Toutes les interventions axées sur le renforcement des capacités sont planifiées par les parties prenantes locales et non par des organismes internationaux. Ceci a des effets positifs à la fois sur la contextualisation de l'approche et l'appropriation. Toutes les organisations ont une vision à long terme et s'engagent en faveur de la réduction de la pauvreté et du développement humain. Les déclarations concernant la vision et la mission des organisations sont communiquées au public dans des rapports annuels et/ou d'autres médias, p.ex. les pages d'accueil ou les matériels imprimés de relations publiques. Dans trois organisations sur quatre, les relations externes sont facilitées par le biais de bulletins réguliers et d'informations sur les pages d'accueil. Toutes les organisations publient des rapports annuels qui ont des effets positifs sur la reddition de comptes, la gouvernance et la gestion de l'information. Toutes les organisations étudiées disposent de bons mécanismes de marketing, y compris leurs propres logos et leur propre marquage.

Cours de design informatique
Source: Sabine Strassburg 
 

 

  • Pertinence du concept

    La pertinence des interventions est analysée ici sous l’angle de la satisfaction des besoins individuels et des besoins communautaires, de la demande de l’économie / du marché de l’emploi et de leur réplicabilité. Toutes les interventions sont menées par les communautés et garantissent de la sorte l’appropriation locale.

    Satisfaction des besoins individuels: en raison du manque de compétences en alphabétisation et des difficultés linguistiques éventuelles, les besoins individuels ne sont pas toujours satisfaits. Le rôle central de l’anglais dans le futur environnement de travail tombe cependant sous le sens. Néanmoins, les formations n’accordent pas l’attention qui leur est due aux besoins d’alphabétisation en anglais. L’analphabétisme constitue un obstacle dans la majorité des formations, mais les formateurs n’estiment pas que le problème relève de leur responsabilité. On attend des adultes qu’ils «aillent s’alphabétiser ailleurs» avant de participer aux formations (NEPI 1993:21)5 en raison des frais supplémentaires et du temps que cela implique. Par conséquent, les participants possédant déjà un niveau d’instruction élevé sont privilégiés par rapport aux analphabètes, dont la formation coûterait plus cher à l’organisation pour obtenir les mêmes résultats. Les interventions doivent en outre poursuivre des objectifs compensatoires afin de pallier au manque général d’éducation de base tels l’alphabétisation, le calcul et les connaissances en anglais (NEPI 1993:21).

    Satisfaction des besoins communautaires: toutes les organisations garantissent que leurs interventions satisfont les besoins des communautés bénéficiaires, aux moyens d’évaluations des besoins et d’analyses des communautés. 

    Satisfaction de la demande de l’économie/du marché de l’emploi:

    dans trois organisations sur quatre, l’étude de marché constate un alignement sur les besoins économiques actuels. Une organisation identifie les besoins du marché du travail en exigeant des participants un contrat de travail avant le début de la formation. La satisfaction de la demande économique s’avère particulièrement cruciale pour l’appropriation du concept, puisque l’employabilité des participants en dépend largement.
    L’intervention a plus de chances d’être efficace si elle est réplicable et améliore par conséquent les effets du modèle

    La réplicabilité des interventions est très élevée, et renforce par conséquent les effets multiplicateurs. Toutes les organisations étudiées mettent en œuvre leur concept de formation sur d’autres sites. Trois organisations sur quatre possèdent plus d’un bureau, ce qui leur permet d’élargir leur zone d’influence. Si la réplicabilité n’a pas d’impact immédiat sur les participants, les effets multiplicateurs générés ont par contre une influence positive sur la communauté concernée à long terme.

Suivi et évaluation

L’évaluation et le suivi ont différents objectifs, notamment détecter le plus possible de problèmes (permanents) de mise en œuvre, contrôler le processus et tirer des leçons des erreurs et des succès. Les résultats et les recommandations peuvent faciliter le processus de planification de nouveaux programmes (évaluation ex-ante). L’évaluation aide également à identifier l’impact et la durabilité d’une intervention (évaluation ex-post). Au sein du secteur de projet, elle a une fonction légitimante et sert de base au financement et à la reddition de comptes. Le suivi et l’évaluation continus permettent de contrôler les progrès et de recourir à des actions correctives en cas de besoin.

Toutes les organisations pratiquent le suivi et l’évaluation. Les progrès sont généralement évalués sur la base d’histoires privées réussies et des taux d’inscription. Le suivi de la durabilité (financière) est réalisé à l’aide d’audits financiers annuels. Les résultats sont publiés dans des rapports trimestriels et annuels. L’évaluation et le suivi ont différents objectifs, notamment détecter le plus possible de problèmes de mise en œuvre, contrôler le processus et tirer des leçons des erreurs et des succès. Cependant, les rapports annuels contiennent plus de réussites qu’elles ne décrivent les problèmes rencontrés. Les enquêteurs ont constaté que les parties prenantes du projet ont tendance à minimiser les problèmes au lieu de les considérer comme une critique constructive. Les problèmes ne sont donc pas mesurés, même si dans leur for intérieur, les parties prenantes sont parfaitement conscientes de leur existence. Le suivi et l’évaluation ne sont pourtant efficaces que si l’on communique les résultats et si l’on entreprend des actions correctives en cas de besoin.

Résultats et impact

Les formations ont un impact sur les pauvres du fait qu’elles accroissent leur employabilité et par conséquent la possibilité d’améliorer leur situation financière. En ce qui concerne les interventions étudiées en 2004-2005, 2012 personnes au total ont terminé les formations avec succès. Les taux de réussite sont généralement élevés dans toutes les interventions. En moyenne, neuf participants sur dix ayant commencé une formation la terminent. 383 participants sur 2012 (19 %) ont exercé une activité économique après la formation, et ont amélioré leurs revenus. Les taux d’embauche varient selon les organisations et les interventions, allant de 98% (dans le cas où les participants doivent trouver un emploi avant la formation) à 4,1 % (dans le cas où l’employabilité n’est pas l’objectif principal de l’organisation). Les taux d’embauche peuvent être influencés positivement par trois facteurs: premièrement, par des structures spéciales d’aide à la recherche d’emploi (centres de ressources pour les entreprises ou bureaux d’embauche). Deuxièmement, l’organisation contribue à augmenter le pourcentage d’embauche en proposant des formations pratiques en entreprise, en tant que partie intégrante de la formation. Nombre de participants sont embauchés par les entreprises dans lesquelles ils effectuent leur formation pratique. Troisièmement, les participants trouvent un emploi avant la formation. Ceci semble cependant problématique vu que les employeurs préfèrent embaucher des personnes déjà formées. Bien que ces initiatives débouchent sur des taux d’embauche très élevés (98 %), les participants sont peu nombreux et le projet a dû être réduit. En tout cas, il est prouvé qu’il est crucial d’orienter les interventions éducatives vers la demande du marché du travail. Tous les effets mesurés se sont situés à la base et n’ont pas totalement sorti les participants de la pauvreté de revenus, puisque les revenus mensuels maximum s’élevaient à 2500 rands. Si l’on considère que les revenus des ménages de la plupart des participants (60 %) sont inférieurs à 1001 rands par mois, un seul membre de la famille (ayant participé à une formation) gagnant 2000 rands accroît à lui seul les revenus du ménage de 100 %. Le fait d’avoir ses propres revenus réduit la dépendance vis-à-vis des autres membres de la famille/de prêts sociaux, et accroît à son tour la confiance en soi. Les formations ont par conséquent des effets importants en termes d’autonomisation. L’estime de soi augmente avec l’éducation («je suis capable de faire ça») et avec la stabilité financière procurée par l’emploi («j’en vaux la peine, je peux subvenir à mes propres besoins et à ceux de ma famille»).

Réussite d’une diplômée du cours de couture de Learn to Earn

 

Chwayity Ngcotyelwa, 30 ans: «En 1999, Learn to Earn m’a appris à coudre. L’année suivante, j’ai trouvé un emploi fixe. Puis l’année dernière, j’ai appris à gérer et faire prospérer ma propre affaire grâce à la formation pour entrepreneurs dispensée par LtE. Lorsque je suis arrivée à LtE, je n’imaginais pas pouvoir monter ma propre affaire. Aujourd’hui, je ne dépends plus financièrement de mon mari. Je me suis tracé mon propre chemin et j’ai une vision de la vie. J’exploite mes potentiels à fond!» (Source: Newsletter Learn to Earn 04/2005)

Comment garantir que les gens gardent leur emploi?

En Afrique du Sud, il est apparemment difficile de garder son emploi et le taux de fluctuation est élevé. Les raisons sont diverses: effets du VIH/Sida, manque de loyauté, éthique professionnelle, décalage entre les besoins des employeurs et les qualifications et capacités des employés, etc. Il est donc recommandé d’inclure des programmes axés sur le VIH/Sida dans toutes les interventions, en tenant plus particulièrement compte du fait que le groupe d’âge moyen des participants est celui qui présente le taux de prévalence le plus élevé. D’autre part, l’éthique professionnelle et la loyauté devraient faire également partie des interventions qui préparent les participants à l’emploi. Une évaluation soigneuse des deux parties avant de choisir l’emploi peut contribuer à éviter les décalages entre les besoins des employeurs et les qualifications et capacités des employés. C’est néanmoins plus facile à dire qu’à faire, car la majorité des pauvres acceptent pratiquement n’importe quel travail par pur désespoir, et ne se renseignent qu’après sur les conditions. Il est crucial de veiller à l’efficacité de la gestion des ressources humaines.

Impact des modèles: trois organisations sur quatre réalisent des interventions sur d’autres sites, ouvrent de nouveaux bureaux et/ou aident d’autres organismes à offrir des programmes de formation pour adultes. La troisième organisation a adapté le modèle décrit dans la Stratégie de développement des compétences appuyée par le gouvernement. Ce modèle a cependant présenté certaines difficultés de mise en œuvre et n’est donc pas privilégié. L’impact positif des modèles a contribué à élargir leur zone d’influence et a des effets notables sur les communautés concernées.

Effets multiplicateurs: toutes les interventions ont des effets multiplicateurs notables sur les communautés bénéficiaires. Les partici pants ont des effets positifs sur leurs familles/les membres de leurs foyers, mais aussi sur les communautés. Une fois qu’ils ont trouvé un emploi suffisamment bien rémunéré, ils sont capables de subvenir aux besoins de leurs familles, envoient leurs enfants à l’école (effets intergénérationnels) et ont les moyens d’acheter de la nourriture et des vêtements. Certains participants ont créé leur propre affaire et amélioré de la sorte la situation socio-économique générale de leur communauté au microniveau.

Cours de couture
Source: Sabine Strassburg

 

Liste de contrôle à l’intention des interventions éducatives axées sur la réduction de la pauvreté en Afrique du Sud

Tout planificateur d’interventions éducatives en Afrique du Sud doit se poser les deux questions suivantes: quels sont les moyens d’améliorer l’efficacité des programmes? Que nous apprend la pratique? Le tableau ci-dessous résume les conditions «idéales» requises si l’on veut concevoir des interventions plus efficaces axées sur la réduction de la pauvreté. Ces caractéristiques sont présentées sous forme de liste de contrôle pouvant être utilisée lors de la planification et de la gestion.

 

 


Liste de contrôle


Commentaires 
 

Emplacement 

Au sein de la communauté.

Dans le cas contraire, il faut verser une indemnité de transport. 

Dans une zone péri-urbaine (township).

Il faut tenir compte des infrastructures de transport. 

Avec un niveau de pauvreté élevé.

Visible, c.-à-d. avec un taux de chômage élevé. 
Avec de bonnes infrastructures de transport.Proche des stations de taxis et des gares ferroviaires. 
Pas trop loin de la ville.Tenir compte du futur emploi. 
 ApprocheLa mission première de l’organisation consiste à réduire la pauvreté et à améliorer le niveau d’emploi.Se concentrer sur la réduction de la pauvreté garantit l’engagement. 
L’objectif de l’approche est de faire bénéficier les pauvres.N’accepter les étudiants privés que pour générer des revenus au profit de l’organisation. 
Tenir compte des stratégies gouvernementales pendant la planification.Pour bénéficier de l’appui du gouvernement. 
Formation
Les programmes d’enseignement (programmes et matériels) sont développés conformément aux critères, axés sur les résultats et tiennent compte des expériences d’apprentissage préalables.Tenir compte des recommandations du ministère de l’Éducation. 
Les qualifications sont intégrées dans différents niveaux du Cadre national de qualification.Les qualifications du Cadre national sont reconnues au niveau national. 
Offres diverses axées sur le développement des compétences et l’employabilité.Dans le but de réduire la pauvreté de revenus. 
Combinaison entre plusieurs formations offrant des qualifications à différents niveaux.Tenir compte des différents niveaux d’instruction des participants. 
Dans les modules, offrir des formations supplémentaires comme l’alphabétisation en anglais.L’alphabétisation en anglais est un obstacle crucial aux interventions et à l’emploi. 
La formation comprend à la fois théorie (à l’aide de méthodes pédagogiques d’activation) et pratique.  
La formation prévoit un volet pratique en entreprise.Effets positifs sur les taux d’embauche. 
Ciblage
Le groupe cible est le suivant: femmes jeunes (20-35 ans), non blanches et sans emploi, avec un revenu par ménage moyen inférieur à 1000 rands par mois.Comme l’ont montré les études, la majorité des participants sont des femmes jeunes (moins de 35 ans), non blanches et sans emploi. L’intervention n’exclut cependant pas les hommes ni les participants plus âgés ou plus jeunes. 
Mécanismes de ciblage: autosélection (grâce à l’emplacement et aux services offerts), indicateurs par catégorie (genre, âge, groupe de population), et évaluation individuelle de la situation socio-économique.Les critères de sélection, notamment l’âge, ne doivent pas être exclusifs, à conditions que l’organisation ait des ressources supplémentaires. 

Stratégies et questions liées à la pauvreté

Les interventions sont axées sur la génération de revenus et l’employabilité.La réduction de la pauvreté de revenu a des effets positifs sur les autres questions liées à la pauvreté. 
Les interventions incluent l’éducation à la santé et la relient de manière appropriée à la qualification.P. ex. éducation à la santé et soin des enfants / aide aux personnes âgées (nutrition, hygiène, maladies infectieuses). 
La sensibilisation au VIH/ Sida est toujours incluse en tant que module obligatoire.Tenir compte de la prévalence du VIH/Sida chez les jeunes adultes (principal groupe-cible). 
L’autonomisation est un objectif général et donc considérée comme une question transversale.Tenir compte de ses effets positifs sur la recherche d’emploi. 
L’alphabétisation (en anglais) est offerte en tant que module optionnel.Tenir compte du futur emploi. 
Les competences liées à la vie courante sont incluses dans chacune des interventions.La formation aux competences liées à la vie courante appuient l’autonomisation et peut inclure l’éducation sanitaire (plus particulièrement VIH/Sida). 
Durabilité financière
L’organisation possède un ensemble de mécanismes financiers, notamment stratégies d’auto-financement, aides gouvernementales et financements des donateurs.Privilégier les dispositifs d’auto-financement afin d’être moins dépendant des donateurs. 
L’organisation possède divers mécanismes d’autofinancement.P.ex. vente de produits (entre autres produits du cours de couture), services (aide aux personnes âgées et soins des enfants), et étudiants privés en mesure de payer des frais de participation élevés. 
L’organisation reçoit une aide financière du gouvernement.La «reprise» de l’aide n’est possible que si l’organisation obéit aux directives gouvernementales. 
Les donateurs sont nombreux, y compris les financements nationaux (préférables) et internationaux. Les entreprises locales financent les interventions dans le cadre de leur programme de responsabilité sociale.Plus les donateurs sont nombreux, plus le système d’appui est stable (au cas où un donateur retire son appui financier). 
Capacités institutionnelles et humainesLa structure de l’organisation se base sur une division claire du travail.La division du travail permet à chacun de s’engager et de se sentir responsible des interventions. 
Les membres de l’équipe sont généralement recrutés dans la communauté cible.Le but est d’accroître le sentiment d’appropriation et la pertinence. 
L’organisation et ses interventions sont officiellement agrées et enregistrées.Afin d’exploiter l’argent du gouvernement, les qualifications décrites dans le Cadre national de qualification sont reconnues au niveau national. 
L’organisation entretient des relations stratégiques avec d’autres ONG actives dans le même domaine ou dans un domaine similaire, avec divers bailleurs de fonds et les représentants du gouvernement.Le but est d’améliorer la coopération et l’harmonisation, d’éviter les duplications et de partager les ressources et les expériences. 
L’organisation facilite la gestion de l’information et les relations publiques.Par exemple: page d’accueil pour les bailleurs de fonds potentiels, bulletins pour les parties prenantes et campagnes dans les communautés, visant à informer les groupes cibles sur les interventions. 
L’organisation facilite le développement continu du personnel.P. ex. ateliers de formation de formateurs, ressources humaines, financement et gestion financière. 
Pertinence
L’organisation a évalué les besoins de la communauté.P. ex. évaluation des connaissances préalables, en particulier de l’alphabétisation en anglais, et d’autres besoins tels la garde d’enfants pendant la formation (offres de services pour les soins des enfants). 
L’organisation a évalué les besoins de la communauté.Une analyse de la communauté est indispensable. 
L’organisation facilite la participation de la communauté.Le but est de garantir l’appropriation et de veiller à ce que le programme réponde aux besoins des communautés. 
L’organisation a évalué la demande de l’économie/du marché du travail.Tenir compte des futures opportunités d’emploi. 
Le modèle est réplicable.Tenir compte de l’impact éventuel du modèle. 
Suivi et évaluation
Pour réexaminer leurs interventions, les organisations utilisent des méthodes de suivi et d’évaluation axées sur les problèmes.Le but est de détecter les problèmes éventuels de mise en oeuvre, de contrôler les progrès et de tirer des leçons des erreurs et des succès. 
L’organisation fait un contrôle budgétaire exact et publie ses comptes audités dans ses rapports annuels.A une fonction légitimante et sert de base au financement et à la reddition de comptes. 
Résultats et impactL’organisation offre des services qui préparent les diplômés à la recherche d’emploi, à la candidature et aux entretiens d’embauche.P.ex. rédaction de CV, formation à la communication et à la présentation, éthique professionnelle. 
L’organisation aide ses diplômés à rechercher un emploi.P. ex. par le biais d’un centre de ressources pour les entreprises ou d’un bureau d’embauche, qui se chargent des négociations entre employeurs et participants. 
L’organisation a un taux d’embauche élevé (< 80 %).Le taux d’embauche correspond au pourcentage de diplômés qui ont trouvé un emploi. 
L’organisation reste en contact avec ses diplômés afin d’évaluer l’impact du programme à long terme, de s’assurer qu’ils gardent leur emploi ou de les aider à en chercher un autre.Développer un sentiment de responsabilité dès la formation. 
Le modèle utilisé par l’organisation a des effets notables.Le concept est mis en oeuvre dans d’autres organisations. 
L’organisation a de nombreux effets multiplicateurs.Les interventions ont des effets multiplicateurs notables sur les communautés concernées. 

Conclusion

La réduction de la pauvreté est un processus holistique et dynamique qui fait intervenir de nombreux facteurs étroitement liés les uns aux autres. Il n’y a donc pas de solution facile. Il existe un nombre important de stratégies éducatives axées sur la lutte contre la pauvreté dans toutes ses dimensions: revenus, santé et nutrition, éducation de base et exclusion sociale. Cependant, l’éducation ne peut à elle seule éradiquer la pauvreté! Ce n’est pas une panacée, elle ne peut pas pallier le manque de politiques de développement. Le succès des interventions éducatives dépend aussi de l’environnement macro-économique et des politiques socio-économiques du moment, qui permettent aux populations de faire usage de leurs compétences.

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Preece, Julia 2005. The Role of Education in Poverty Alleviation for Sustainable Development.University of Stirling, Scotland.
Ribich, Thomas I. 1968. Education and Poverty. Washington D.C.: The Brookings Institution.
Vally, Salim 1998. Poverty and Education in South Africa. Braamfontein: Sangoco.

2 May, Julian Ed. 2000. Poverty and inequality in South Africa: Meeting the challenge. Cape Town: David Philip; London & New York: Zed Books.

3 Hanson, Kara, Worrall, Eve, & Wiseman, Virginia 2006. Targeting services towards the poor: A review of targeting mechanisms and their effectiveness. In: Health, economic development and household poverty: from understanding to poverty. Edited by A. Mills, S. Bennett, L. Gilson. London: Routledge.

4 Khan, Mak 2003. Sustainability through participation: roles and functions for development project managers. Melbourne: Melbourne University, School of Development Studies.

5 NEPI 1993. Adult Education. Cape Town: Oxford University Press Southern Africa.

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