Rene Raya

Tout un ensemble d’études réalisées dans différentes régions du monde ont démontré que l’alphabétisation avait des effets positifs pour les femmes dans tous les domaines décisifs de la vie. Elle les autonomise, accroît leur mobilité et renforce leur capacité à prendre des décisions par elles-mêmes, pour leur santé et pour les besoins des familles dont elles ont la charge. Toutefois, une étude récente réalisée en Inde, au Cambodge et au Bangladesh indique que l’alphabétisation les protège apparemment aussi des mauvais traitements et des violences. Rene Raya, principal analyste politique de l’Association Asie-Pacifique Sud d’éducation de base et d’éducation des adultes (ASPBAE), nous en présente un relevé détaillé.

Alphabétisation et autonomisation des femmes


Deux tiers des adultes analphabètes dans le monde sont des femmes. Cette situation n’a pas changé ces vingt dernières années, et la dernière projection indique que cette proportion se maintiendra encore en 2015 (Institut de statistique de l’UNESCO). Cela signifie que le monde ratera un objectif crucial en matière d’égalité des sexes, mis en relief par l’Éducation pour tous (EPT) et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

On refuse aux femmes l’accès à un outil puissant qui pourrait leur permettre de participer de manière significative et efficace à la définition d’une ligne de développement qui garantirait l’équité entre les sexes et donnerait aux femmes le pouvoir de transformer leurs vies. L’alphabétisation est vitale pour promouvoir les droits des femmes et les autonomiser. C’est un premier pas décisif pour que l’apprentissage tout au long de la vie crée des capacités, réduise les points vulnérables et améliore la qualité de la vie.

Nous disposons de plus en plus de preuves recueillies dans différents projets et qui illustrent l’impact positif de l’alphabétisation des adultes sur la vie des femmes, des enfants et des communautés. En particulier les études réalisées par Oxenham (2005, 2008), Burchfield (2002) et Nordveit (2004) se penchent sur les résultats positifs des programmes d’alphabétisation des femmes mis en place dans des pays en développement d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

L’Association Asie-Pacifique Sud d’éducation de base et d’éducation des adultes (ASPBAE) a complété ces études en menant des enquêtes nationales représentatives pour illustrer clairement le lien entre l’alphabétisation et le développement des femmes. Les enquêtes démographiques et de santé (Demographic and Health Surveys – DHS)1 menées ces cinq dernières années dans tout un ensemble de pays asiatiques ont généré au plan international des informations comparables sur l’alphabétisation et sa corrélation avec d’autres indicateurs sociaux. L’ASPBAE a notamment fait référence aux informations réunies grâce aux enquêtes menées en Inde (2006), au Bangladesh (2004), au Cambodge (2005) et aux Philippines (2003).

Bien que l’on reconnaisse de plus en plus qu’il est impératif d’alphabétiser les femmes pour qu’elles se développent et s’autonomisent, les politiques et programmes sont cruellement inadaptés pour combler les lacunes dans ce domaine. C’est pour cette raison que l’ASPBAE cherche à intensifier son action de plaidoyer pour s’attaquer à l’illettrisme féminin.

Court profil des femmes illettrées

Généralement, dans les quatre pays, les femmes illettrées n’ont bénéficié que d’une éducation formelle restreinte, quand elle n’a pas été inexistante, et elles appartiennent aux foyers les plus démunis. Un pourcentage élevé d’entre elles vit dans des zones rurales et reculées. Les femmes ne disposant pas de bases en lecture, en écriture et en calcul sont généralement au chômage ou ont des emplois irréguliers et mal rémunérés. Elles ont tendance à se marier jeunes et à avoir davantage d’enfants par rapport aux femmes alphabétisées et instruites. Un pourcentage élevé de femmes illettrées est âgé de 35 ans et plus.

Les points vulnérables qui mettent les femmes dans des situations où elles se font contrôler et sont victimes d’abus

«L’alphabétisation autonomise les femmes, leur permet de devenir mobiles, accroît leur aptitude à prendre des décisions et à mieux prendre leurs vies en main…»

Des enquêtes nationales menées en Inde et au Cambodge auprès de femmes âgées entre 15 et 49 ans révèlent que les femmes illettrées risquent davantage de se faire contrôler par leurs époux, ce qui affecte leurs relations familiales et sociales, leur mobilité et leur amour-propre. En Inde, près de la moitié des femmes interrogées (48,0 %) ont admis que leurs époux les contrôlaient dans au moins un domaine. Parmi les femmes alphabétisées, ce pourcentage est nettement plus bas et s’élève à 36,6 %.2

Dans le cas du Cambodge, parmi les femmes interrogées, celles qui sont illettrées ont tendance à rester plus que les autres davantage attachées aux notions traditionnelles du rôle de la femme. Un pourcentage considérablement plus important de femmes interrogées illettrées ont déclaré que selon elles, les hommes doivent prendre décisions concernant la famille, que les femmes mariées ne devraient pas être autorisées à travailler et qu’il vaut mieux éduquer son fils que sa fille.

Au Bangladesh, les femmes illettrées sont moins susceptibles de sortir seules de leurs villages/villes. De même, il est moins probable qu’elles se déclarent capables d’aller seules dans un dispensaire ou un hôpital. D’un autre côté, les hommes illettrés ont tendance à penser qu’il est inacceptable qu’une épouse travaille hors du foyer alors que les hommes alphabétisés sont généralement plus ouverts à cette idée.

La capacité de prendre des décisions

«L’alphabétisation renforce la participation des femmes aux prises de décisions qui les concernent, elles et leurs familles…»

En Inde et au Bangladesh, les femmes alphabétisées ont davantage de chances que celles qui sont illettrées de participer aux prises de décisions concernant leur santé, les grosses dépenses pour le foyer et les visites dans la famille. Les femmes illettrées ont tendance à s’interdire elles-mêmes de prendre des décisions importantes au sujet de leur santé ou des dépenses domestiques. Au contraire, elles comptent sur leurs maris/partenaires ou quelqu’un d’autre pour prendre de telles décisions.

Dans le cas des Philippines et du Cambodge, le schéma des réponses est très différent: un pourcentage plus élevé de femmes décident par elles-mêmes de ce qui touche leur propre santé ou les achats quotidiens pour le ménage. Quand il s’agit toutefois de grosses dépenses pour le ménage et de visites dans la famille, elles préfèrent prendre les décisions avec leurs maris/partenaires ou avec quelqu’un d’autre.

«L’alphabétisation atténue le risque qu’encourent les femmes d’être victimes d’abus et de violences…»

Attitude à l’égard des corrections infligées aux femmes par leurs maris

Les enquêtes nationales menées en Inde, au Cambodge et au Bangladesh ont évalué l’attitude des personnes interrogées au sujet des corrections infligées aux femmes par leurs maris et se sont enquises de l’incidence réelle des violences conjugales, à savoir les abus émotionnels, physiques et sexuels, commises par les maris/partenaires.

Le degré de tolérance vis-à-vis des corrections infligées aux épouses varie en fonction des pays et des cultures. Près de la moitié des femmes interrogées en Inde (48,6 %) et plus de la moitié au Cambodge (58,6 %) étaient d’accord (sur le fait que les corrections infligées aux épouses sont justifiées) dans au moins une des situations hypothétiques présentées. Aux Philippines, seul un quart des femmes interrogées se sont déclarées d’accord. En analysant les réponses en fonction des niveaux d’instruction divers, on constate un schéma constant dans les trois pays, indiquant un déclin de la tolérance ou de l’acceptation des corrections infligées aux épouses à mesure que le niveau d’instruction des femmes augmente. On constate un schéma similaire chez les hommes interrogés pour l’enquête menée au Bangladesh qui révèle un pourcentage élevé d’hommes illettrés répondant affirmativement à au moins une des questions relatives aux corrections infligées aux épouses. En d’autres termes, les hommes pensant qu’il est justifié de battre leurs conjointes dans certaines situations sont majoritairement illettrés.

D’accord avec au moins une raison pour justifier les corrections infligées aux épouses*

 

 

 

 

 

 

 

* Situations ou raisons présentées aux personnes interrogées pour savoir si elles trouvent justifié de battre une épouse: 1) quand la femme sort sans prévenir son mari; 2) quand elle néglige les enfants; 3) quand elle se querelle avec lui; 4) quand elle refuse d’avoir des rapports sexuels avec lui; 5) quand elle fait brûler le repas/ne sert pas à manger à l’heure.

Parmi les raisons présentées dans l’enquête, il est plus probable que les femmes trouvent les corrections infligées aux épouses justifiées quand ces dernières négligent les enfants. On a observé un tel schéma de réponse en Inde, aux Philippines et au Cambodge. Sortir sans prévenir son mari constituait aussi en Inde, au Cambodge et au Bangladesh une raison majeure justifiant une correction.

Enfin, il est important de noter que parmi toutes les réponses aux raisons invoquées, on peut constater un schéma constant dans les quatre pays en fonction des degrés d’instruction divers. L’alphabétisation des hommes et des femmes y est associée à une baisse de la tolérance à l’égard des corrections infligées aux femmes.

La violence domestique

Tout un ensemble de questions a été posé à des femmes mariées âgées de 15 à 49 ans pour savoir si elles avaient jamais fait l’objet de violences particulières. Au Bangladesh un ensemble de questions similaires (portant uniquement sur les abus physiques et sexuels) a été posé à des hommes mariés âgés de 15 à 54 ans.

Il est alarmant de constater la prédominance des violences domestiques perpétrées contre les femmes. Deux femmes sur cinq interrogées en Inde et près d’une sur quatre au Cambodge ont déjà été victimes d’un type de violence – émotionnelle, physique ou sexuelle. Trois hommes sur quatre interrogés au Bangladesh ont de même reconnu avoir commis des actes de violence envers leurs épouses/ partenaires.

Table: incidence de la violence domestique

Ont été victimes de violences émotionnelles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Violences sexuelles de toutes sortes subies ou infligées

D’abord, il faut insister sur le fait qu’aucune circonstance ni contexte ne sauraient justifier la violence contre les femmes. Il ne peut y avoir aucune excuse ni justification pour de tels actes. Ensuite, il faut souligner que la violence domestique survient partout: chez les couples alphabétisés et illettrés, chez les personnes peu instruites et chez celles ayant beaucoup d’instruction, dans les foyers riches et pauvres, et dans les zones urbaines et rurales. Les informations articulent clairement que l’éducation et la fortune ne constituent pas une garantie de protection contre les abus et la violence domestique. Elles illustrent aussi sans ambiguïté que les abus surviennent dans différentes situations, dans toutes les classes sociales, à tous les niveaux d’instruction et dans toutes les régions.

Bien que l’alphabétisation ne garantisse pas l’éradication de la violence domestique, l’illettrisme constitue pour les femmes un handicap qui vient s’ajouter à leurs autres points vulnérables. Les informations montrent un schéma constant sur le fait que les femmes illettrées sont plus susceptibles de faire l’objet de violences domestiques. Dans le cas de l’Inde, elles ont deux fois plus de risques que les femmes alphabétisées d’être victimes d’abus. Au Bangladesh, près de 80 % des hommes illettrés et semi-alphabétisés ont reconnu avoir commis au moins un acte de violence contre leurs épouses.

Conclusions

Les femmes sont laissées pour compte dans tous les domaines de la vie comme l’illustre leur faible participation aux activités d’éducation et d’apprentissage, et aux processus décisionnaires. Cette situation impacte tout particulièrement leurs moyens d’existence, l’éducation, la santé et la nutrition des enfants, l’égalité des sexes et la santé génésique. Il est impératif par conséquent de fournir aux femmes des programmes d’éducation et d’alphabétisation des adultes souples, participatifs et appropriés pour qu’elles puissent améliorer leurs compétences psychosociales, leur santé génésique et leurs moyens d’existence, des programmes qui renforceront leur participation et leur leadership dans la sphère publique et qui assureront l’équité entre les sexes grâce à un accès paritaire à l’éducation des adultes et à l’apprentissage tout au long de la vie.

Recommandations politiques spécifiques

  • Campagne de mise en œuvre accélérée de l’alphabétisation des femmes pour atteindre l’objectif n° 4 de l’EPT et les principales cibles des OMD.
  • Personnaliser les programmes d’alphabétisation pour les femmes adultes afin de les adapter à leurs situations, points vulnérables et besoins particuliers.
  • Élaborer des stratégies et mécanismes institutionnels appropriés pour atteindre les femmes illettrées, notamment les femmes défavorisées dans des régions pauvres, reculées, ethniques, sujettes aux cataclysmes et touchées par des conflits.
  • Envisager d’offrir une aide supplémentaire aux programmes d’alphabétisation se consacrant principalement aux apprenantes adultes eu égard aux multiples obstacles que rencontrent les femmes.
  • Intégrer dans les programmes d’alphabétisation et d’apprentissage des adultes des modules sur les droits des femmes, la sensibilisation à la question du genre, la santé génésique, la vie de famille et la participation des femmes aux affaires de la communauté.

Notes

1 Les enquêtes démographiques et de santé (DHS) sont des enquêtes représentatives des pays, menées auprès de foyers afin de recueillir des informations pour tout un vaste ensemble d’indicateurs de surveillance et d’évaluation de l’impact concernant la population, la santé et la nutrition. Ces données peuvent être analysées en fonction d’éléments caractéristiques de la situation des personnes interrogées, entre autres leur niveau d’instruction et leur degré d’alphabétisation. Ces enquêtes ont été menées en collaboration avec les autorités gouvernementales officielles.
2 Domaines faisant l’objet de contrôles: 1) quand le mari est jaloux si elle parle à d’autres hommes; 2) quand le mari l’accuse d’infidélité; quand le mari ne lui permet pas de rencontrer ses amies; 4) quand le mari essaie de limiter ses contacts avec sa famille; 5) quand le mari insiste pour savoir où elle est; et 6) quand le mari ne lui fait pas confiance pour les questions d’argent.

Éducation des Adultes et Développement

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