Pour construire un monde plus inclusif, il faut bien plus que de simples engagements. Il faut agir.

Camilla Croso
Campagne mondiale pour l’éducation
Brésil 

 





Résumé – Parvenir à un consensus mondial sur l’apprentissage tout au long de la vie lors de l’élaboration des cibles des Objectifs de développement durable (ODD) fut un exercice très complexe, et le résultat final continue de diviser bien des gens dans le secteur de l’éducation des adultes. Cet article présente succinctement les difficultés que pose la mise en œuvre de l’ODD 4 et se penche sur le degré d’inclusion appliqué pour cela en se plaçant pour cela de trois points de vue différents.


Ce fut un moment de liesse, tant pour les gouvernements que pour les citoyens : la Déclaration d’Incheon des Nations unies avec ses Objectifs de développement durable (ODD) et le cadre d’action Éducation 2030/ODD 4 avaient enfin été adoptés. En arriver là avait nécessité de mener de considérables et intenses négociations pendant de nombreuses années. Tous deux vastes et globaux, les ODD et le cadre d’action Éducation 2030 prennent leurs racines dans les droits humains. Bien entendu, ils comportent aussi des contradictions qui reflètent la nature des processus de négociation et l’obtention d’un consensus possible.

La communauté de l’éducation a adopté l’ODD 4 énonçant qu’il fallait « assurer une éducation inclusive et équitable de qualité et promouvoir des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous. » Cet objectif formule ainsi des principes fondamentaux du droit à l’éducation. Il embrasse aussi toute l’ampleur de ses cibles qui traduisent des engagements sur les points suivants : 

  • l’éducation primaire et secondaire gratuite, neuf années de scolarité obligatoires,
  • les soins et le développement de la petite enfance,
  • l’enseignement supérieur,
  • l’alphabétisation et l’éducation des adultes,
  • la non-discrimination,
  • la citoyenneté mondiale,
  • l’éducation aux droits humains et l’éducation au service du développement durable,
  • l’appréciation des enseignants et
  • une infrastructure scolaire sûre et adéquate,

pour ne citer que quelques exemples.

 

Camilla Croso (deuxième à partir de la gauche) au Forum des ONG à ­Incheon, mai 2015, © Maria Rehder/Campanha Nacional pelo Direito à Educaçãol

Au bout d’un an et demi de mise en œuvre des ODD, entre autres de l’ODD 4/Éducation 2030, nous commençons à distinguer de plus en plus clairement les défis qui se posent quant à leur déploiement efficace et cohérent dans la pratique. Dans cet article, nous examinerons la question de l’inclusion et de la diversité de trois points de vue : 1) le degré auquel ces mesures disposent d’un espace et d’une envergure accrus dans les systèmes de l’éducation ; 2) la façon dont ces éléments sont contrôlés ; 3) la mesure dans laquelle la mise en œuvre des ODD se déroule de manière inclusive.

La privatisation

Dans sa Déclaration finale, le forum des ONG à Incheon -affirmait en 2015 : « Nous réitérons notre appel en faveur d’un traitement conjoint de l’accès, de l’équité et de la qualité, pour tous les âges, à la fois au sein et en dehors des contextes éducatifs formels » et « en effet, le principal défi posé à la plupart des systèmes éducatifs consiste à assurer l’équité dans la qualité de l’éducation, à mettre un terme à la ségrégation et aux systèmes stratifiés qui exacerbent les inégalités au sein des sociétés » (UNESCO 2015b). Malheureusement, nous avons remarqué avec grande inquiétude que depuis l’adoption de l’ODD 4/Éducation 2030, l’élan en faveur d’une privatisation et d’une commercialisation de l’éducation n’a pas cessé de s’intensifier. Les organismes financiers et organisations de coopération internationaux soutiennent ouvertement la montée de chaînes d’écoles privées à but lucratif proposant des prestations « bon marché » de très mauvaise qualité et ciblant les groupes les plus pauvres de la population.

Une telle approche recèle tout un ensemble de problèmes qui, sans exception, mettent en danger le droit à l’éducation pour tous, avec de graves conséquences pour la qualité, l’équité et l’inclusion des systèmes d’éducation et au sein de ceux-ci. Premièrement, elle viole le principe de l’éducation gratuite ancré dans les conventions internationales des droits de l’homme et auquel adhèrent l’ODD 4/Éducation 2030. En effet, selon Katarina Tomasevsky (2006), trois éléments essentiels doivent être réunis pour assurer la réalisation du droit à l’éducation : afin qu’elle soit universelle, l’éducation doit être gratuite et obligatoire. Durant les années du Cadre d’action de Dakar (2000-2015) qui s’intitulait « L’Éducation pour tous : tenir nos engagements collectifs », les politiques et changements constitutionnels qui ont aboli les frais de scolarité dans les systèmes publics d’éducation représentaient un levier primordial. Grâce à eux, les pourcentages de scolarisation étaient plus élevés, ils faisaient progresser l’accessibilité et, ainsi, l’inclusion et l’équité pour les groupes de population les plus démunis – ce qui contribuait à réduire les écarts entre riches et pauvres.

La montée de ce que l’on appelle des écoles privées bon marché viole le principe de gratuité tout en excluant les groupes de population qui ne sont pas en mesure de financer ces études soi-disant « peu coûteuses » et favorise en même temps une éducation qui ne satisfait pas aux normes de qualité les plus élémentaires, entre autres en déprofessionnalisant et en dévalorisant les enseignants. Cela se traduit par un mélange pervers de systèmes d’éducation à deux vitesses, favorisant la segmentation et la ségrégation au sein des sociétés et l’exacerbation d’inégalités reposant sur des facteurs liés à la richesse, le genre, le handicap, le lieu, l’ethnicité et l’immigration. En même temps, ces écoles favorisent la recherche de profits, ce qui enfreint les principes de gratuité, d’équité et d’inclusion. Ceci est une violation manifeste du droit humain à l’éducation. L’an passé, plusieurs instances de commissions et autres organes des droits humains ont fait des propositions pour inverser cette tendance, par exemple avec la résolution du Conseil des droits de l’homme promulguée en 2015 (A/HRC/29/L.14).1

Suivez l’argent

En plus de la promotion croissante que font certains intervenants des écoles privées bon marché, la déclaration finale de la 8e réunion en 2017 de la Consultation collective des ONG sur l’EPT (CCONG/EPT) indique que « s’agissant du financement, les engagements n’ont pas été à la hauteur de l’enthousiasme qui a présidé à l’adoption des ODD et du Cadre d’action Éducation 2030. Dans certains cas, nous avons constaté une baisse » de ce financement. Sans débloquer les ressources nécessaires, il est impossible de satisfaire les critères de qualité, d’équité et d’inclusion. À cette fin, les ressources domestiques mises à disposition de l’éducation doivent augmenter et être protégées des crises, et la coopération internationale doit inverser la tendance à la baisse des financements en atteignant le niveau minimal des investissements convenus dans le cadre d’action Éducation 2030 adopté en novembre 2015. En outre, la déclaration finale de la CCONG/EPT exprime la recommandation selon laquelle « les investissements publics doivent être destinés à l’éducation publique et satisfaire aux critères qui garantissent que tous les individus, en particulier les plus marginalisés et les plus vulnérables, ont la possibilité d’exercer leur droit à l’éducation. »

 

 

 

Participants of the Incheon NGO Forum, May 2015, © Maria Rehder/Campanha Nacional pelo Direito à Educaçãol

 

Le contrecoup du système

La Déclaration finale du Forum des ONG à Incheon en 2015 constatait aussi qu’ « un accent particulier devrait être mis sur l’inclusion des populations faisant l’objet d’une marginalisation fondée sur le genre, la race, la langue, la religion, l’ethnicité, l’appartenance autochtone, le handicap, l’orientation sexuelle, la santé, la situation géographique, le statut de réfugié ou de migrant, le statut socio-économique, l’âge, la situation d’urgence, les catastrophes dues à l’activité humaine et les conflits, parmi d’autres » et reconnaissait que « les femmes et les filles issues de groupes marginalisés sont confrontées à des formes de discrimination supplémentaires, multiples et liées entre elles. » Nous avons constaté des progrès, mais nous avons aussi observé une intensification de la discrimination et de la xénophobie depuis l’adoption des ODD. Ceci crée d’autres défis importants pour les systèmes de l’éducation. Les filles, les femmes et les personnes appartenant à la communauté LGBTI (homosexuelle, bisexuelle, transgenre et intersexe) se trouvent confrontées à une forte évolution régressive. Plusieurs pays d’Amérique latine remettent en question la seule référence au genre dans les programmes scolaires, certains d’entre eux ayant pris des mesures concrètes dans cette direction, comme c’est le cas au Brésil.2

Il est vrai que l’apprentissage tout au long de la vie a gagné en importance dans l’ODD 4/Éducation 2030. Malheureusement toutefois, selon le document de référence rédigé à l’occasion de la 8e réunion de la Consultation collective des ONG sur l’EPT (CCONG/EPT) à la conférence mondiale qui s’est tenue en mai dernier (2017) à Sien Reap, les organisations de la société civiles (OSC) « considéraient que cet aspect continue d’être négligé, l’éducation des adultes, l’alphabétisation des adultes (y compris les nouvelles formes d’alphabétisation) et l’éducation non formelle n’occupant sur l’agenda qu’une faible place. » Ce document souligne qu’il faut « poursuivre le développement d’indicateurs pour l’éducation des adultes et – ce qui est primordial – s’assurer qu’elle ne continue pas d’être négligée dans le cadre du financement de l’ODD 4/Éducation 2030. » Il recommande en outre que « l’apprentissage tout au long de la vie, en tant qu’approche, soit davantage mis en adéquation et devienne la base d’une offre de possibilités équitables de s’éduquer » étant donné que « le principe de non-discrimination signifie que l’éducation doit être ouverte aux personnes de tous âges, durant toute la vie » (UNESCO 2017).

Pas de données à ce sujet

En nous penchant sur la surveillance et le suivi et de l’inclusion et de l’équité dans l’éducation et grâce à elle depuis l’adoption de l’ODD 4/Éducation 2030, nous remarquons que de nombreux défis se posent. En réalité, la Déclaration finale du Forum des ONG à Incheon faisait déjà part de ses inquiétudes quant au nombre restreint d’indicateurs et recommandait, entre autres choses, que « les indicateurs nationaux et régionaux montrent un rétrécissement progressif de l’écart dans l’accès et la réussite scolaire entre les 20 % les plus riches et les 40 % les plus pauvres, mesurés tous les cinq ans. » De plus, la déclaration finale de la 8e réunion en 2017 de la Consultation collective des ONG sur l’EPT (CCONG/EPT) a attiré l’attention sur l’absence de données fiables et ventilées comme étant l’un des facteurs empêchant la réalisation de l’inclusion et de la diversité dans l’éducation et grâce à elle. Elle a par conséquent appelé les gouvernements à « mobiliser les ressources financières et techniques nécessaires » pour recueillir des données qui seraient « ventilées au moins par âge, sexe, handicap, statut migratoire, niveau économique et lieu de résidence. »

Il vaut la peine de faire remarquer que depuis l’adoption des ODD, le débat sur les indicateurs a de plus en plus été accepté aux niveaux régional et national, ce qui offre de nouvelles possibilités pour améliorer les indicateurs et une collecte de données attentive à l’équité, l’inclusion et la diversité. Quelques projets menés par des OSC sont particulièrement axés sur la surveillance de l’éducation inclusive, comme dans le cas de l’Observatoire régional de l’éducation inclusive en Amérique latine.3

Et la mise en œuvre dans tout cela ?

Au bout du compte, il importe de s’exprimer sur le degré d’inclusion de la mise en œuvre des ODD. Il vaut la peine d’attirer l’attention sur le fait que la Déclaration finale du forum des ONG à Incheon rappelait l’importance d’une participation institutionnalisée de la société civile pour veiller à ce que les gouvernements rendent des comptes et prennent en considération toutes les parties prenantes, y compris les enseignants, les étudiants et les parents, et notamment les groupes les plus exclus et les plus marginalisés. Elle faisait en outre remarquer que « les droits humains ne peuvent être réalisés que dans un contexte démocratique reconnaissant la participation comme un droit inhérent » et appelait à « à la fin de la discrimination, de la persécution et de la criminalisation des activistes et des mouvements de la société civile », en particulier dans le secteur de l’éducation.

Il est des plus déplorables que la participation des OSC soit irrégulière – pour ne pas la qualifier autrement – avec quelques progrès isolés, beaucoup de contradictions et un certain nombre d’échecs. Au plan international, et parfois régional, nous observons quelques progrès concernant la participation de la société civile à la surveillance et au suivi de la réalisation des ODD et d’Éducation 2030 avec la création ou la consolidation de structures et de processus favorisant l’accentuation du dialogue et de la participation. À l’échelle nationale, nous constatons la plupart du temps que les progrès se font attendre ou se soldent par des échecs. En fait, la plupart des personnes interrogées pour rédiger le document de référence à l’occasion de la 8e conférence mondiale de la Consultation collective des ONG sur l’EPT (CCONG/EPT) « attachaient une importance considérable au phénomène grave que constitue le rétrécissement de l’espace de la société civile dans de nombreux pays, ce qui affecte particulièrement la possibilité des plus pauvres d’entre les pauvres de se faire entendre. »

Les espaces qui rapetissent pour les organisations de la société civile

On observe notamment une clôture de l’espace là où sont exprimées des critiques au sujet des « gouvernements en ce qui concerne les lacunes de leurs politiques, le statut et l’éducation des minorités, ou les pratiques discriminatoires comme, par exemple, les écoles privées ou religieuses non réglementées. » Mais quelles est la cause du rétrécissement de l’espace dont disposent les organisations de la société civile ? Nous relevons plusieurs raisons : l’affaiblissement des démocraties, la progression de la méfiance, l’adoption de lois répressives, des conditions restrictives, la criminalisation des manifestations pacifiques ou encore l’accès décroissant à l’information. Consciente de ces défis, la 8e Consultation collective des ONG sur l’EPT (CCONG/EPT) a souligné ces problèmes et fait remarquer que « l’environnement politique, notamment la guerre, les conflits, la violence, le fondamentalisme et l’insécurité ont aggravé cette situation difficile. » L’éducation pour la paix, la démocratie et la citoyenneté est plus importante que jamais dans la recherche de la préservation des droits et libertés de base.

Il est crucial que les gouvernements, de même que les organismes de l’ONU et autres partenaires de coopération au développement, intensifient leurs efforts pour inverser cette évolution régressive et mettent en place en même temps des politiques, pratiques et procédés garantissant que les principes d’inclusion et de diversité s’illustrent de façon cohérente dans la mise en œuvre des ODD, en particulier de l’ODD 4.


Notes

1 / http://bit.ly/2tdvGVr

2 / Au Brésil, dans le texte fondamental du nouveau programme national d’éducation de base récemment élaboré, le gouvernement a éliminé des programmes scolaires toute référence à l’identité et à l’orientation sexuelles. http://bit.ly/2oKSttb

3 / Dans le contexte de l’élaboration de l’agenda de l’éducation pour l’après-2015, la mise en place de l’Observatoire régional de l’éducation inclusive (OREI) a été présentée du point de vue stratégique comme visant à accroître l’importance de l’éducation inclusive et de l’accompagnement de cette dimension dans notre région. L’OREI est le fruit d’un effort de coopération sans précédent entre la Campagne d’Amérique latine pour le droit à l’éducation (CLAE), l’OREALC/UNESCO Santiago, l’IIPE UNESCO Buenos Aires, UNICEF, la CEPAL, le BIE-UNESCO Genève et l’Organisation des États ibéro-américains (OEI). http://orei.org


Références

Tomasevski, K. (2006) : The State of the Right to Education Worldwide. Free or Fee: 2016 Global Report. http://bit.ly/2tHuOwQ

UNESCO (2015a) : Éducation 2030 – Déclaration d’Incheon. http://bit.ly/2f0cbMz

UNESCO (2015b) : Déclaration du Forum des ONG 2015. http://bit.ly/2tDjIZ2 

UNESCO (2017) : CCNGO 8th Meeting Background Document (en anglais seulement). http://bit.ly/2p3og88


L’auteure

Camilla Croso est présidente de la Campagne mondiale pour l’éducation (CME) et coordinatrice de la Campagne latino-américaine pour le droit à l’éducation. Elle a obtenu en 1998 un diplôme de sciences et planification sociales dans les pays en développement de la London School of Economics et est l’auteure d’une série d’articles et de livres sur l’éducation et les droits humains. 

Contact :
camcroso@gmail.com

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