Ibrahima Barry

Ce texte est essentiellement tiré d’une recherche que nous avons consacrée à l’étude de la dynamique d’alphabétisation du groupement Guilintiko. Ce groupement a été constitué dans les années 80 par des femmes rurales désireuses de lutter ensemble contre les difficultés de la vie quotidienne. Sur le plan de la méthodologie, il faut dire que le contenu présenté est issu du terrain. En effet, nous avons séjourné dans le village de Gongoré afin d’observer, de constater et d’entendre les habitants. Ce sont tous ces éléments que nous avons transcrits dans cet article. Par ailleurs, le choix de cet objet d’étude se justifie par notre implication dans le processus dès les premières heures. Avec quelques années de recul, il nous est apparu utile de rappeler cet’e expérience à nos mémoires. Celle-ci constitue en effet un repère décisif dans notre engagement d’appui au développement. – Ibrahima Barry est socio-économiste et agro-formateur au CENAFOD (Centre africain de formation pour le développement) à Conakry, Rép. de Guinée. L’antenne de l’IIZ/DVV en Guinée soutient à la fois le travail pratique des femmes et son évaluation.

Femmes, alphabétisation et changement social: cas du groupement féminin «Guilintico» de Gongoré

Contexte de création du groupement

En 1984, la République de Guinée se détourne de manière radicale d’un régime centralisateur et autoritaire qui a duré près de trois décennies.

Ce passé révolutionnaire a entraîné les populations dans une passivité totale.

Longtemps occupées à un militantisme quasi obligatoire, ces populations n’étaient pas préparées à exercer la libre initiative à la faveur du changement. Néanmoins, elles saisissent l’opportunité qui se présente à elles à la fin du régime autoritaire, et créent des associations de toutes sortes aussi bien dans les centres urbains que dans les zones rurales.

Cependant, les séquelles de ce passé caractérisé par la suspicion réciproque, la débrouille individualisée, le manque d’information et de formation adéquate sont des contraintes qui ne facilitent guère l’évolution et l’efficacité de ces organisations de manière générale. C’est dans ce contexte que le groupement Guilintico est constitué en 1988 à Gongoré. À l’origine de cette création, 40 femmes voulaient renforcer la solidarité et réaliser ensemble des activités génératrices de revenus.

Gongoré, est situé à 359 km au Nord-Est de Conakry. Il est localisé dans la région du Foutah-Djalon et sa population est estimée à plus ou moins 8.000 habitants repartis sur 60 km2.

Dans cette région, on pratique essentiellement l’agriculture, l’élevage et la cueillette. Les produits de ces activités qui n’entrent pas dans la consommation directe, sont commercialisés sur place à la faveur du grand marché hebdomadaire qui se tient à Gongoré-centre tous les mercredis. Ce marché aura une grande influence sur la naissance du groupement Guilintico.

Gongoré est un espace de mobilité tourné vers l’extérieur et dont les mouvements de population sont importants. Les femmes du groupement n’échappent pas à la règle, elles se déplacent pour des raisons très diverses: rejoindre leurs époux, faire du petit commerce, etc.

Le marché hebdomadaire est l’endroit où se tissent et se structurent beaucoup de composantes de l’organisation sociale. C’est un haut lieu de contact avec l’extérieur. L’origine lointaine du groupement Guilintico se situe à ce niveau. En effet, c’est là que les femmes se sont mises en interaction dans le cadre du marché.

Tout commença par une tontine destinée à autofinancer et promouvoir des activités individuelles orientées vers le petit commerce.

Plus d’une décennie après sa création, le groupement Guilintico dispose d’une telle capacité d’entreprise qui suscite un grand intérêt dans sa zone; cette réussite, qui est évidente aux yeux des femmes concernées, est parfois incompréhensible pour les autres, qui se demandent à quoi elle tient. Dans son parcours, le groupement a connu des expériences qui sont devenues des repères et des références pour elles et les autres femmes.

Les cinq expériences fondatrices de Guilintiko

Retentissantes et socialement formatives, ces expériences ont constitué le socle du parcours des femmes du groupement Guilintiko

Première expérience

En septembre 1989, le groupement entreprend des activités avicoles grâce à un fonds propre constitué par la cotisation de ses membres. Le projet qui avait suscité beaucoup d’espoir ne tarda pourtant pas à prendre fin. En effet, faute de connaissances suffisantes en la matière, la maladie de Newcastle va décimer bien vite toute la volaille du groupement. C’est l’échec et le retour à la case départ. Cependant, cet échec renforce la cohésion du groupement du fait d’un sursaut d’orgueil commun suscité par les railleries dont il est victime. En effet, dans le village où le contrôle social est très poussé, vouloir se démarquer, et échouer par la suite, est source de gêne, de frustration et de honte.

Deuxième expérience

À nouveau, les femmes réfléchissent pour trouver un autre fonds de départ. Elles décident d’amasser pour les vendre, des blocs de pierres dont les constructeurs se servent pour faire les fondations des bâtisses. À la fin de l’opération, elles gagnent la somme de 150.000 FG (150$). Cette expérience, nous le verrons ultérieurement, est décisive pour les femmes.

Troisième expérience

En vue de faire fructifier la somme issue de la vente des blocs de pierres, les femmes initient entre elles une nouvelle tontine, avec un taux d’intérêt de 10%. Des équipes de trois personnes reçoivent un crédit de 50.000 FG pour faire du petit commerce à l’occasion du marché hebdomadaire. Cette action qui va se renforcer dans la cinquième expérience, connaît aujourd’hui un véritable essor. Néanmoins, le secret dont le groupement entoure ses résultats ne permet pas de fournir des données chiffrées complètes.

Quatrième expérience

Le marché de légumes étant porteur, les femmes tentent en vain d’obtenir l’accès à une terre agricole pour faire du maraîchage. Les terres arables sont rares, et le régime foncier traditionnel persistant exclut le genre féminin à la possession d’un tel p«trimoine. Cette pratique, qui existe toujours, est cependant et curieusement en contradiction avec le droit guinéen. Mais les femmes savent jouer sur les deux registres.

Cinquième expérience

En juillet 1992, les femmes négocient et obtiennent un emprunt de 1000000 FG (1000$) au crédit mutuel de Pita (la préfecture dont relève Gongoré) pour renforcer leur système de crédit interne évoqué précédemment. Nous ignorons encore avec précision la situation de cet emprunt dont les femmes refusent de parler. C’est pourquoi nous ne pouvons en dire plus. Il semble toutefois que son remboursement n’ai posé aucun problème se soit.

De manière générale, l’existence de secrets, souvent mal compris par les intervenants extérieurs, est un indicateur d’autonomie et de marge de manœuvre.

La rencontre avec d’autres acteurs

C’est dans cette situation de dynamique interne décrite ci-dessus que le groupement rencontre en septembre 1992 (soit 5 ans après sa création ) le Centre africain de formation pour le développement (CENAFOD), l’ONG qui sera son principal partenaire en collaboration avec l’IIZ/DVV, partenaire financier et stratégique. D’autres acteurs locaux et non des moindres entrent également en jeu.

Le bureau de la Communauté rurale de développement (CRD)

Un bureau élu par la population ( dont le nombre de membres varie de sept à treize selon le nombre de districts ruraux constituant la CRD) est l’organe chargé de la mobilisation, de la gestion et du contrôle des ressources de la communauté dans l’intérêt exclusif de celle-ci.

Etant donné la notoriété sans cesse croissante du groupement, le bureau de la C.R.D a développé une stratégie de mainmise en essayant de contrôler celui-ci dans ses choix et ses prises de décisions. Malheureusement, cette tentative de récupération n’a pa© donné les effets attendus. Guilintico attire du monde, des appuis matériels et financiers, ce qui lui donne suffisamment d’assurance pour ne pas céder aux pressions.

La stratégie de collaboration et de facilitation s’est vite substituée aux différentes tentatives d’appropriation et de contrôle du groupement par les élus de la CRD et les administratifs. Les femmes se verront octroyer administrativement et sans difficultés la parcelle sur laquelle elles ont bâti leur centre comprenant la salle d’alphabétisation, le bureau, le magasin et l’atelier de fabrication de savon. 

Le conseil des sages

Après la famille, c’est l’une des plus vieilles institutions dans le village: le conseil des sages. Il régule le fonctionnement du champ social et religieux. Il tire sa légitimité de l’ancienneté, de la longue expérience de vie et de la connaissance que ses membres ont des différentes familles. Le patriarche qui préside à ce conseil est très engagé pour le progrès de la communauté. Il a été le premier à bénir le groupement; ses bénédictions ont une grande portée psychologique, il ne cesse de combattre certains anciens qui accusent les femmes de déviance.

En somme, le groupement a la caution morale et la reconnaissance du conseil des sages. Ceci représente un capital de légitimité inestimable pour les femmes dans une société rurale encore tributaire de facteurs culturels de toutes sortes, un tel acquis est très important dans le contexte villageois. 

Les conjoints

Le village s’ouvre de plus en plus sur l’extérieur. Ainsi, les femmes sont au centre d’un mouvement qui prend de l’essor. Ce succès stimule leurs maris dont l’influence est certaine. En effet, le régime socioculturel dominant est celui qui met les femmeÐ sous une forte dépendance des hommes. Les femmes sont fortement attachées à leur foyer qui constitue le garant d’une identité respectable. Une femme divorcée, célibataire ou répudiée est couverte de honte.

Ces réalités culturelles persistantes confèrent davantage de pouvoir de pression aux hommes. De ce fait, ils sont acteurs à part entière, capables d’élaborer leurs propres stratégies et d’influencer le groupement à travers chaque femme.

Considéré au départ par les maris comme suspect et source possible de rencontres aléatoires pour leurs femmes, le groupement a fini par s’inscrire dans l’ordre du quotidien pour bénéficier d’une représentation plutôt positive. Les nouvelles représentations détectées au niveau de ces conjoints sont éloquentes. Pour ces hommes, l’image de leurs épouses est un enjeu dans la mesure où tout homme doit être fier de son épouse et vice versa. Les femmes sont ainsi poussées à obtenir les meilleures résultats posöible lors des différents stages d’apprentissage pour accéder à des postes de responsabilité. Une logique de compétition se développe entre les maris qui ont vécu cette mutation. Ce vieil adage qui nous a été dit illustre bien cet état d’esprit:

«Si ton ami a plus d’argent que toi, ce n’est pas grave. S’il est plus instruit que toi, ce n’est également pas grave; mais si sa femme dépasse la tienne, vraiment cet ami te dépasse».

Par ailleurs, nous avons pu nous rendre compte que les maris ont aussi eu accès progressivement au système de crédit du groupement sous la caution de leurs épouses. Pour les femmes, ceci constitue le point de départ de la conception d’une institution d’épargne et de crédit au niveau de toute la communauté. Le social et l’économique s’enchevêtrent et les femmes qui en sont bien conscientes nous affirment que les rapports et les valeurs s’accommodent de la nouvelle situation.

Les conjoints absents

Ils sont soit dans les villes du pays, soit à l’extérieur de celui-ci. C’est leur éloignement et leur absence du champ social qui font qu’ils vivent le groupement sur des registres d’interprétation. Ils s’informent à distance des mutations à travers des discours souvent déformants vis-à-vis de la réalité. De ce fait, ils adoptent généralement une attitude de doute et de méfiance. Ceci les amène à vouloir restreindre la liberté de leurs épouses. En 1996, deux jeunes femmes se sont vues intimer l’ordre de quitter purement et simplement le groupement. La médiation des sages permit de ramener l’apaisement. Sur le plan relationnel, c’est l’un des problèmes les plus préoccupants que les femmes ont affronté dans leur trajectoire.

Les différentes stratégies du groupement

Le groupement Guilintico s’est construit sur une logique de démarche collective pour répondre à des défis de tout ordre auxquels les femmes sont individuellement confrontées. Rappelons que ce groupement a entrepris et poursuivi diverses activités à la suite de ces premières expériences: renforcement du système de crédit, alphabétisation, fabrication de savon, maraîchage, collecte et commercialisation de produits de cueillette (grain de néré surtout).

Pour acquérir la notoriété qu’on lui reconnaît aujourd’hui, ce groupement s’est alphabétisé et a mis en œuvre un ensemble de stratégies que nous avons essayé de détecter à travers deux processus qui sont le discours et le récit de quelques femmes du groupement:

«Nous avons fait ici ce que personne d’autre n’avait imaginé: nous avons introduit l’alphabétisation, nous avons introduit et maîtrisé la technique de fabrication du savon, nous avons construit le plus bel édifice du village. Tout le monde nous a vues en train de transporter sur nos têtes des blocs de pierre, du gravier et du sable. Nous avons fait venir le CENAFOD et les blancs dans le village et ils nous aident vraiment. Notre fierté est de voir toutes les autres femmes essayer de faire comme nous. Le groupement est pour moi une seconde famille, il nous permet d’avoir de l’argent, du savoir. Nous venons d’avoir le prix Agathe (premier concours d’alphabétisation organisé dans la sous région par le Forum des éducatrices africaines) doté de 6.000 dollars américains. Chacune des femmes développe ses propres affaires à part.»

«Par le biais du groupement, les femmes sont en train de conquérir des libertés et des pouvoirs; nous ne sommes plus frustrées et stressées comme c’était le cas il y a des années. Notre esprit est ouvert grâce à l’alphabétisation.»

«Nous arrivons à régler nos problèmes entre nous car malgré tout, la vie en groupe est délicate, surtout s’il y a des ressources. Le recours à notre règlement intérieur facilite la stabilisation de l’association.»

En recoupant les idées qui se dégagent des déclarations des membres du groupement et de leur entourage, on retrouve les idées fortes qui paraissent guider l’action du groupement. Il s’agit, pour les femmes de Guilintico

  • d’acquérir un certain savoir tout en se dotant du moyen de l’alphabétisation;
  • d’être véritablement maîtresses des règles qui commandent au fonctionnement de l’association.

L’engagement collectif du point de vue des déclarations et des actions indique que les femmes de Guilintico sont solidairement prêtes à œuvrer à la viabilité de leur groupement. Elles vont donc développer des stratégies: 

Stratégie de renforcement de l’identité collective

Par delà l’existence bien réelle de l’individu, il y a une identité collective fondée sur une volonté commune d’agir. Dans nos entrevues avec les femmes, celles-ci ont largement fait état de la sécurité et de l’espace de liberté que leur confère le groupement. Elles se disent fragilisées lorsqu’elles sont seules, mais retrouvent toutes leur confiance en elles lorsqu’elles son réunies. Du coup, elles développent des symboliques qui constituent le support de leur cohésion et du sentiment d’appartenance au groupe. Dans ce sens, les 150.000 FG générés par la vente de blocs de pierres dont nous avons parlé plus haut constituent un symbole auquel les femmes renvoient leur situation financière. Elles vous diront toujours que leur avoir se monte à 150.000 FG malgré l’importance considérable que leurs affaires ont acquise. Elles ont composé pour elles une sorte d’hymne qui est en fait un cantique qui allie aux louanges à Dieu (à travers la fidélité à l’islam) les vertus de l’entente et du travail. Elles se sont aussi dotées de tenues blanches qu’elles arborent à toutes les cérémonies. 

Stratégie de participation aux frais sociaux

La souplesse du mode de gestion du groupement lui donne la possibilité de pouvoir participer aux frais sociaux de toute la collectivité. Il peut s’agir de frais occasionnés par les baptêmes, les mariages, les décès, la prise en charge des étrangers, les cérémonies religieuses, etc. Les femmes prétendent que les biens servent à se donner satisfaction et qu’elles sont heureuses de pouvoir participer aux coûts sociaux. Elles ne voient donc aucun gaspillage dans ces participations. C’est en fait une souscription à la sécurité sociale qui connaît aujourd’hui des formes plus élaborées dans d’autres sociétés. En retour, le groupement renforce sa reconnaissance et sa légitimité populaires collectives qui sont bien valorisées dans le contexte villageois.

L’inter connaissance et l’interdépendance sociales sont les supports des liens dynamiques entre le social et l’économique. L’originalité du groupement se trouve dans sa capacité à intégrer ces réseaux sociaux avec lucidité.

Stratégie de clôture

Les femmes perçoivent Guilintico comme étant une réussite et une entente patiemment élaborées dans le temps et dans l’espace. Les femmes qui ont créé GUILINTICO sont restées au nombre de quarante depuis sa fondation. Ce chiffre pair n’a pas de signification particulière en lui-même. Mais dans les croyances populaires du village, les chiffres impairs ne sont pas favorables à l’entente durable. Dès lors on comprend pourquoi la venue d’une quarante et unième femme n’a jamais semblé intéresser les femmes du groupement Guilintico. Pour elles, une seule autre femme serait celle par qui arriverait les risques de fissuration de l’édifice qui est leur entente. Cependant elles sont prêtes à mobiliser leur expertise pour aider celles qui veulent s’organiser pour entreprendre. Cette protection de l’intérieur et la notion de secret qui en découle sont une source de protection et d’autonomie pour elles.

Stratégie d’accumulation de ressources durables

Pour ne pas laisser le moyen et le long terme leur échapper, les femmes de Guilintico se sont engagées à acquérir des biens durables et à se former. Elles ont réussi à se faire octroyer par l’administration un terrain en 1994 afin d’y bâtir leur siège. En 1998, elles ont aussi acquis, malgré les pesanteurs, un domaine agricole de 2 ha auprès d’un particulier. Le paiement du prix de ce domaine qui s’élève à 6 000 000 FG est échelonné jusqu’à l’an 2004.

Dans un pays où la possession de tels patrimoines par les femmes, même réunies en groupement, n’est toujours pas admise, ces acquisitions montrent que les femmes de Guilintico savent tirer parti de l’opposition entre les coutumes fortement ancrées et les règles de droit positif encore timides. En effet, malgré l’existence de textes législatifs officiels qui ne discriminent pas les femmes dans le droit de possession de la terre, les pratiques coutumières qui les en excluent persistent fortement.

Dans le cadre du processus de développement les femmes sont à présent capables de fabriquer, avec une réussite étonnante, du savon à froid, et elles sont peut- être les meilleures exemples de succès en alphabétisation fonctionnelle. Dans ce domaine elles ont remporté en 1997 le prix AGATHE UWILINGIYIMA organisé à Dakar par le Forum des éducatrices africaines (FAWE). Ce prix doté d’un montant de 6000 $ soit 7 200 000 FG a profondément renforcé l’ardeur et le processus d’évolution du groupement.

Stratégie de sélection et d’appropriation

Le partenariat suppose que les acteurs qui sont en interaction s’influencent mutuellement. À chacun de définir ses limites en rapport avec des logiques que l’autre ne comprend pas nécessairement. Guilintico s’est fortement engagé dans des actions avec son principal partenaire le CENAFOD. Dans ces conditions, il a adopté des innovations notamment dans les démarches de résolution de problèmes, de processus de formation et de diagnostic. L’analyse de ces innovations fait l’objet d’une présentation dans les prochaines pages. Ces stratégies sont articulées par une logique de planification concertée qui est une méthodologie privilégiée par les femmes de Guilintico. Elles s’en servent pour élaborer les programmes d’actions.

Le groupement a pu surmonter l’une des pesanteurs les plus fortes de la société guinéenne: au départ, les femmes refusaient la pratique du taux d’intérêt qu’elles assimilaient à l’usure, celle-ci n’étant pas admise par l’islam. Puis, le temps passant, elles se sont mises à réorienter cette croyance religieuse, pour dire qu’en réalité, il n’y a pas usure parce que le crédit est essentiellement interne au groupement, qui en est au demeurant solidairement responsable et propriétaire des fonds. Mais le problème a ressurgi au moment où leurs maris, personnes étrangères au groupement ont commencé à bénéficier du crédit du groupement, avec un taux d’intérêt.

Stratégie de contrôle des autres groupements

Dans le sillage de Guilintico il y a eu une émergence considérable de nouveaux groupements. Au moment où nous étions dans la région pour nos enquêtes en été 1998, ils étaient au nombre de 19 et majoritairement féminins. Sans nul doute, la population dans sa grande majorité a été sensibilisée par les succès de Guilintico.

Tous ces groupements ont finalement créé une union dont le bureau élu au suffrage universel est dirigé par la présidente de Guilintico. Pour en arriver là, Guilintico a dû battre une campagne électorale tambour battant dont elle a supporté les coûts en distribuant des colis de 9 à 10 noix de cola d’une certaine valeur à des personnalités féminines et à des chefs de famille. Dans les coutumes locales cette offre symbolise l’humilité et le respect envers celui à qui elle est adressée. Elle intervient dans toutes les affaires sociales: demande en mariage, information de la belle-famille des naissances, demandes de grâce, marques de réconcilliation, etc. Au cas où les noix de cola sont acceptées par les personnes auxquelles elles sont destinées, elles deviennent alors la marque d’un contrat d’honneur entre les deux parties.

L’acharnement des devancières à vouloir contrôler le processus qui s’est étendu sur toute la collectivité est un signe de la tendance hégémonique qui s’empare petit à petit du groupement Guilintico. Cette dérive risque de dissiper l’énergie créatrice des femmes au préjudice de la poursuite lucide de sa dynamique interne.

Stratégie de diversification des activités et de minimisation des risques

Le groupement s’est résolument engagé dans la diversification des activités. Les femmes déclarent que cette approche plurielle de leur action leur permet de faire les choix les plus opportuns. En effet, au cours de l’année 1997, les prix des matières premières (soude caustique, huile de palme, parfums, etc.) qui entrent dans la fabrication du savon ont connu une hausse considérable. Face à cette contrainte du marché, Guilintico a mis l’accent sur le crédit en augmentant les prêts accordés. Ce réajustement a permis de minimiser le risque. La diversification permet aussi au groupement de donner du travail à ses quarante femmes selon le propre choix de chacune. Par ce biais, Guilintico développe des apprentissages et des compétences de nature à accroître globalement ses possibilités. Au-delà de ces stratégies, d’autres considérations présentées ci-après sont mises en relief par les femmes.

Résumé des interventions

Le diagnostic ou l’introduction méthodologique

C’est le premier dispositif de communication qui s’est réellement établi entre d’une part, le CENAFOD, l’organisme d’appui et Guilintico. Ce diagnostic, large et instrumenté a introduit l’approche par l’analyse de situation qui sera déterminante dans les démarches des deux institutions. C’est la première opportunité d’apprentissage institutionnel pour que les partenaires connaissent leurs caractéristiques respectives: objectifs, stratégies, moyens et méthodes, etc. Cette première activité a pris beaucoup de temps, au point d’essouffler les femmes. Mais elle était nécessaire pour permettre à chacun de bien formuler ses attentes tout en réduisant les phénomènes bien connus dans les milieux d’appui au développement que sont l’attentisme d’une part et le paternalisme de l’autre. Pendant trois semaines, deux agents du CENAFOD et quelques femmes se sont penchés sur les conclusions que l’on pouvait déjà tirer des activités du groupement. Ce sont principalement les cinq expériences passées du groupement qui ont été l’objet de la démarche.

Mais, l’analyse des besoins n’est pertinente que dans la mesure où elle débouche sur une stratégie qui vise à les satisfaire directement ou indirectement – l’accès aux représentations constituant le préalable pour s’assurer de l’adéquation des choix à faire. Toutefois, ces différents points de vue nourris par les difficultés antérieures n’étaient pas explicites. Ils n’étaient pas non plus faciles à concrétiser dans la mesure où les rôles étaient repartis en deux pôles: le CENAFOD se consacrant à canaliser les apports des participants, tandis que les femmes fournissent la matière de la réflexion. Cette manière de travailler, qui est toujours pratiquée par les deux entités lorsqu’elles se réunissent, permet de garantir au groupement une importante autonomie par rapport aux prises de décisions.

Globalement, les femmes considèrent que les difficultés et les autres échecs qu’elles ont connus sont dus au fait qu’elles n’ont pas de connaissances suffisantes pour mener à bien les activités entreprises. C’est pourquoi le CENAFOD a très vite proposé son intervention sur un projet d’alphabétisation, sur financement de l’IIZ/ DVV – Allemagne, qui avait déjà manifesté une telle intention. Ainsi, tous les éléments étaient réunis pour que le CENAFOD, la DVV et GUILINTICO commencent leur partenariat: le projet, le financement et les bénéficiaires.

Néanmoins, le diagnostic qui a justifié cette initiative a eu le mérite de suggérer l’approche par l’analyse de situation, qui sera un outil presque dogmatique et à toute épreuve aux mains du groupement. Cet outil comprend: l’identification d’un problème, son analyse, le choix de la meilleure solution, l’exécution de celle-ci et enfin son évaluation. Présentons l’alphabétisation telle qu’elle est menée avec le groupement.

L’alphabétisation

Formation et apprentissage

Plutôt que de traiter des techniques de l’alphabétisation en elles-mêmes, nous aborderons uniquement les démarches et la nature des contenus développés. Ceci, en raison du fait que l’étude s’est intéressée fondamentalement aux effets produits par cette activité charnière sur le groupement Guilintico. Les objectifs de cette alphabétisation sont de deux ordres. C’est la formation sociale générale qui est visée. Pour cela toutes les séances d’alphabétisation commencent par des thèmes suggérés par l’environnement immédiat.

Le tout premier thème a été: «la démarche de résolution d’un problème». Il a surgi lors du diagnostic de septembre 1992 dont nous avons déjà parlé. Au cours d’une animation soutenue par les agents du CENAFOD, les femmes ont finalement plus ou moins abouti aux étapes déjà présentées dans la partie traitant du diagnostic (l’identification d’un problème, son analyse, le choix de la meilleure solution, l’exécution de celle-ci et enfin son évaluation). Ce n’était pas vraiment là une découverte puisque ces étapes étaient déjà bien connues dans le milieu des chercheurs et de l’appui au développement. Elles traduisent simplement la logique de toute démarche humaine. À cet égard, l’essentiel est la capacité d’appropriation que les femmes développent dans une dynamique de recherche. En effet, l’alphabétisation consiste en quelque sorte en une recherche centrée sur les pratiques des femmes; une recherche dont le but est de pouvoir expliciter et systématiser chez elles ce qui est implicite du fait de l’expérience humaine.

Un autre thème développé a été «la connaissance», «Ghandal» en langue pular (langue d’alphabétisation de Guilintico). Ce concept est un retour critique sur la nécessité pour les femmes de produire les connaissances et pour le CENAFOD de soutenir les démarches et les processus de production. Les thèmes sont au total nombreux et variés car ils embrassent tous les aspects de la vie du groupement et de ses membres: environnement, hygiène, gestion, collaboration, communication, étude de viabilité d’une action, etc. La logique dominante est celle de la formation et de l’éducation permanente.

Méthodologique et instrumentale

Ces objectifs sont l’acquisition de la capacité de lire, d’écrire et de calculer dont les corollaires sont ceux de la formation et de l’apprentissage développés ci-dessus. La maîtrise de ces mécanismes constitue l’un des plus grands enjeux pour les femmes entre elles d’abord et entre elles et les femmes des autres villages ensuite: c’est à qui aura le mieux maîtrisé les outils, la communication et la gestion. Cette saine émulation s’est accentuée à la suite de deux évènements qui sont:

  • la célébration de la journée internationale de l’alphabétisation à Gongoré le 8 septembre 1995. Cette journée a connu la présence de nombreux cadres nationaux et régionaux;
  • l’obtention du prix international d’alphabétisation Agathe Uwinlingiyimana par Guilintico en 1997 au Sénégal.

Du point de vue méthodologique, les femmes remettent en question certaines pratiques notamment dans les processus de prise de décision. Elles développent des logiques de planification et des logiques contractuelles. Dans l’oralité coutumière de Guilintico s’insèrent progressivement les pratiques de l’écriture à travers les rapports, les fiches techniques, les documents de crédit, etc. Par ailleurs, le processus d’alphabétisation des adultes suscite des questionnements autour des concepts sous-jacents qui l’entourent: l’éducation permanente, la formation des adultes, l’éducation des jeunes, etc. Or, ces concepts ne sont pas figés dans des définitions. Les significations qu’on en donne et les représentations varient selon les centres d’intérêt et les profils de ceux qui les utilisent.

Nous constatons pour notre part dans le programme d’alphabétisation de Guilintico, deux dimensions opérationnelles qui s’imbriquent intimement l’une dans l’autre, à savoir la formation et l’apprentissage. Ces dimensions s’inscrivent dans une logique de changement social pour le progrès.

La formation et l’apprentissage par l’action qui sont développés depuis 1994 facilitent la systématisation et l’élaboration des savoirs et des identités propres au groupement Guilintico. Mais ce processus est long car il prend en compte les capacités de base de chaque femme, qui l’alimentent dans son évolution.

Il est normal qu’un changement social profond n’apparaisse pas encore aux yeux de l’observateur si l’on considère les débuts de l’alphabétisation de Guilintico, la constance et la persévérance des femmes dans leur élan innovateur tant au niveau des pratiques que des initiatives. La meilleure illustration de cette foi en l’avenir est la mise en place du centre d’alphabétisation.

La construction du centre d’alphabétisation

Le centre d’alphabétisation est en fait le fruit d’une collaboration entre la DVV, Guilintico et le CENAFOD dans les proportions approximatives suivantes: DVV 55%, Guilintico 35% et CENAFOD 10%. Les apports du groupement dans la réalisation de cet édifice ont été de différentes natures:

  • fourniture et transport de tous les agrégats (sable, gravier, blocs de pierre, eau);
  • prise en charge (hébergement et nourriture ) des quatre (4) techniciens et manœuvres pendant les deux mois des travaux. À cela s’ajoute tous les petits frais et services quotidiennement réalisés.

Les deux autres intervenants ont financé l’achat et le transport des matériaux (ciment, tôles, bois de charpente, briques cuites ) et le coût de construction.

Le centre comprend une salle d’alphabétisation équipée, une salle – atelier, un magasin, un bureau et des latrines en annexe. Tout en dur, ce centre, est actuellement parmi les bâtiments les plus représentatifs de la communauté rurale de développement. Il symbolise le groupement et matérialise l’entente selon quelques villageois qui ont bien voulu nous donner leur opinion à ce sujet.

Le bâtiment est situé au centre du village, non loin du chef-lieu de la sous-préfecture, de la résidence du sous-préfet, du centre de santé et des deux écoles (primaire et collège). Ainsi, il figure parmi ce qui symbolise la communauté, le pouvoir et la notoriété. En plus des usages qu’en font les propriétaires, il est ouvert à tous les autres groupements de la communauté qui y tiennent leurs réunions et sessions d’alphabétisation. Il sert aussi de cadre d’accueil des personnalités en visite.

L’initiation à la fabrication de savon

Dans le cadre de ses activités, Guilintico avait planifié en 1995 la fabrication à froid de savon, qui démarra dès après la construction du centre d’alphabétisation. Le groupement répondait ainsi à une forte demande au niveau de la collectivité. Pour y arriver effectivement, les femmes devaient apprendre les techniques y afférentes. Elles ont proposé à leurs partenaires institutionnels (CENAFOD et DVV) de les appuyer dans ce sens.

Ainsi, les trois partenaires se sont partagés les rôles. La DVV et le CENAFOD trouvaient là l’opportunité d’accompagner l’alphabétisation en appuyant des activités génératrices de revenus. Ils ont pris en charge l’achat des matières premières (huile de palme, soude caustique, colorants, parfums) et du matériel technique (tables de coupe, gants, bacs, autres récipients), et le paiement des honoraires de formation. L’hébergement et la restauration de la préceptrice durant la période de formation et la consolidation est assurée par GUILINTICO. La préceptrice est une femme réfugiée d’origine sierra léonaise qui a pu satisfaire aux conditions de l’appel d’offre. Elle a donc été retenue pour initier les femmes de Guilintico durant trente (30) jours.

Dans l’ensemble, l’apprentissage s’est déroulé normalement et toutes les femmes on su effectivement faire du savon avec des performances plus ou moins égales. Une évaluation de la production du savon qui a été mis en vente a été réalisée par chacun des 4 groupes avant la fin du stage. Le groupement n’avait pas connu auparavant une si bonne ambiance de travail. La motivation et l’enjeu étaient d’autant plus forts que c’est une femme venant d’ailleurs qui assurait l’apprentissage. À cela s’ajoute le fait que rien de tel n’avait encore été entrepris à Gongoré. Cette double innovation a renforcé chez les femmes le sentiment d’être utiles à la collectivité. À la fin de l’apprentissage, la préceptrice a été comblée de cadeaux de toutes sortes provenant des femmes. Elle en a même reçu de personnes n’appartenant pas au groupement.

En période de production, Guilintico a provoqué la chute du prix unitaire de savon, à telle enseigne que les commerçants locaux passaient des commandes de gros pour pouvoir profiter du prix relativement compétitif pratiqué par le groupement. Les commandes étaient acceptées sous réserve que les commerçants et les femmes s’entendent sur la marge bénéficiaire que ceux-ci devaient appliquer sur le savon.

Communication

Dans cette dynamique de collaboration interne et externe, la communication a joué un rôle significatif. Elle est en effet le point d’ancrage de toutes les initiatives et de toutes les formes de négociation. Comme des leviers, cette communication a articulé les relations tout en les orientant vers des buts précis. Derrière chaque propos, il y a une réalité déterminante dans la représentation des femmes et des villageois en général. Nous avons noté quelques éléments de cet univers de paroles.

Malgré le développement de la scolarité et les efforts d’alphabétisation, l’oralité assure une fonction dominante dans les relations de communication. Elle véhicule les valeurs qui sous-tendent tous les contrats sociaux auxquels sont astreints les membreý de la communauté. Une abondante littérature la soutient et l’enrichit quotidiennement. Cette littérature aborde tous les aspects de la vie en société: morale, justice sociale, transparence, etc. Du proverbe au conte, en passant par les récits évènementiels, le poids de la parole est d’une importance capitale.

Au cours de nos enquêtes, nous avons répertorié des paroles, contes et récits qui ont été utilisés par les femmes, soit pour nous éclairer sur une question, soit pour énoncer des principes généraux. Nous les présentons suivant des thématiques qui sont autant d’efforts de communication:

Sacralité du bien collectif

Conte: «Trois compagnons décident d’aller chercher fortune. Au bout de trois jours de marche ils trouvent trois briques d’or massif aussi identiques l’une que l’autre. N’ayant pas de questions à se poser par rapport au partage qui était évident à leurs yeux, le cadet est mandaté sur place pour aller chercher de quoi manger dans le village d’à côté. Au retour de celui-ci, les deux autres l’attaquent et le tuent pour que la part qui revenait à trois personnes revienne à deux. Après avoir commis leur forfaiture, ils se régalent. Ils meurent, aussitôt après, et sur place, parce que celui qu’ils ont tué avait lui aussi mis du poison dans le repas pour que «la part de trois personnes reviennent à une seule».

Ce conte à été évoqué au début de la fabrication de savon pour sensibiliser les femmes aux importantes disparitions du savon; question de rappeler à chacune que le bien collectif doit être à l’abri des faiblesses humaines car aucun geste, fait ou déclaration ne peut échapper à la justice. L’exaltation du justicier invisible, «Dieu», est récurrente dans les discours.

Prudence
«En creusant le trou de la trahison, il ne faut pas l’approfondir car on ne sait jamais qui tombe dedans». Ce proverbe à été énoncé par les femmes pour répondre aux personnes qui leur étaient malveillantes et qui tentaient de bloquer leurs efforts.

Transparence
«Si deux femmes pilent des grains en ne voulant pas laisser voir le dessous de leurs aisselles, ces grains ne seront jamais bien pilés». En d’autres termes, on ne saurait piler correctement, réaliser le progrès commun, en se donnant à moitié à la tâche.

Reconnaissance et alliance
«Ta petite querelle ne peut provenir de là où tu envoies une petite cola» Cette idée sert à justifier le don, Ici, c’est la fonction de sécurité qui est mise en avant. Il s’agit d’une sorte d’alliance anticipée.

Préjugés
«Si quelqu’un se propose de te donner un habit, regarde celui qu’il porte pour te faire une idée de ce à quoi tu devrais t’attendre». Cette citation est souvent utilisée par rapport aux promesses: les intervenants extérieurs n’échappent pas aux décryptages des villageois.

La méconnaissance du contexte social par les étrangers
«Quand un étranger rentre dans une case, il a beau ouvrir les yeux, il ne saura pas par où celle-ci suinte quand il pleut».

Sanction

La chanson punitive: il s’agit d’élaborer un chant de mauvais goût, plutôt railleur, que les membres d’un groupement vont chanter dans la cour de celle qui ne s’est pas acquittée de ses dettes ou de toute autre obligation vis-à-vis du groupement. C’est un moyen de réclamation et de pression que les femmes rurales redoutent plus que tout. Et pour cause: dès que cette chanson est entonnée, elle attire du monde qui reprend le message. Or personne ne veut être la risée du village. Cette crainte est d’autant plus justifiée que la sanction peut servir de repère dans d’autres circonstances et dans d’autres enjeux. Ce modèle est en voie d’être formalisé par les groupements de jeunes filles. Toutefois, son institutionnalisation demande l’acceptation de toutes celles qui peuvent en être victimes.

En plus de la circulation de l’information, la communication dans son ensemble est une instrumentation qui permet de réguler la société. Les cas pratiques qui sont évoqués ci-dessus indiquent qu’elle est une réalité culturelle reproduite par le biais de la socialisation et de l’éducation.

À observer les préoccupations sur une plus grande échelle, on se rend compte que les thématiques abordées dans les exemples tirés du terroir sont en fait des questions contemporaines auxquelles nos sociétés sont toujours confrontées.

L’entrée en scène de la communication effective pour le développement a favorisé la coopération entre les différentes associations de la communauté rurale de Gongorè. Elle permet de:

  • résoudre les problèmes interpersonnels et intergroupes en réduisant les désaccords
  • valoriser les individus et les groupes en leur permettant de manifester leur existence et leur personnalité
  • réaliser des tâches collectives au niveau des groupements et de l’union

Au vu de ce qui précède, il ressort que l’amorce du changement dans la région de Gongorè est passée nécessairement par la mise des problèmes de la vie collective à l’épreuve du partage et du questionnement.

En guise de conclusion

Le groupement Guilintico avait une motivation et un engagement bien réels avant l’intervention extérieure. Les premières activités qu’il avait entreprises dans ce sens ont été quelquefois des échecs que les femmes ont surmontés par elles-mêmes. Ces expériences ont été psychologiquement déterminantes dans leur parcours. Par la suite, le CENAFOD s’est rapproché de Guilintico en vue de pouvoir lui apporter son appui dans le domaine de la formation et de l’alphabétisation. À travers ce partenariat, les femmes ont pu développer et renforcer leurs capacités de gestion, de planification et d’analyse.

Étant donné le caractère novateur du groupement, il a donné lieu à des enjeux de toutes sortes aussi bien en son sein qu’au niveau des autres acteurs locaux. Ces enjeux sont d’autant plus réels que le groupement n’est pas nécessairement égalitaire quand bien même il fonctionne sur fond de consensus. Ainsi, les différents acteurs ont élaboré des stratégies qu’ils ont mises en œuvre dans le jeu des intérêts, des rapports de pouvoir et de force.

Le groupement quant à lui a conçu ses propres stratégies collectives, qui n’ont empêché en rien le développement de stratégies individuelles et de sous-groupes.

De manière générale, les conflits sont si bien tus face aux étrangers que le visiteur non averti croirait ainsi avoir affaire à un milieu homogène, tout à fait communautaire et sans conflits. Il arrive que des entités rurales présentent aux intervenants extérieurs, dans le but de les convaincre d’intervenir, une société villageoise exagérément paisible et mue par une forte cohésion. Or, ce n’est là qu’un mythe aujourd’hui bien connu. Si la société rurale, comme la plupart des sociétés humaines, est paisible, c’est parce qu’elle arrive à résoudre pacifiquement ses conflits les plus importants et non parce qu’elle n’en génère pas.

De nombreux groupements se sont constitués à la suite de Guilintico. Tous, avec ce dernier comme acteur central, ont constitué une union. Dotée d’un bureau dont les membres sont élus démocratiquement, cette union et la CRD vont être au centre du Programme de développement local (PDL). Ce programme traduit une résolution locale de progrès et de changement, qui manifeste la prise de conscience qui a suivi le mouvement de Guilintico. Sur le terrain apparaissent de nouvelles catégories d’acteurs qui se positionnent soit par leur technicité, soit par leur statut de sages ou d’élus locaux chargés de promouvoir le développement et la démocratie.

La tendance qui illustre mieux l’esprit de développement endogène qui sous-tend le PDL est l’effort de mobilisation et de canalisation des ressources financières locales (individuelles et collectives). D’ailleurs, les groupements, l’Union et le bureau de la CRD, envisagent de systématiser cette pratique en construisant une banque villageoise d’épargne et de crédit. Le refus du village d’adhérer aux réseaux bancaires officiels d’épargne et de crédit est un indicateur révélateur de cette volonté des groupements.

Ce courage comme le reste du cheminement global a été rendu possible par l’instauration d’une concertation et d’une communication actives. Celles-ci se démarquent fondamentalement de la caricature du simple cérémonial de l’arbre à palabre. Dans sa forme comme dans son contenu, la communication interne est riche, et les thématiques abordées sont toujours d’actualité: transparence, relations publiques, contraintes de la vie collective.

Que de telles capacités soient développées principalement par les femmes, impose la prise en compte de la problématique du genre. De ce fait, ces femmes jouent un rôle important dans l’émergence d’une société civile active, capable d’apporter des réponses novatrices aux énormes défis économiques et sociaux.

Tels sont les intérêts qu’on peut dégager de la progression du groupement. Le groupement Guilintico s’est constitué sans influence directe ni d’un projet, ni d’un quelconque programme. Bien entendu, il a pu être marqué par les émissions radiodiffusées sur le mouvement associatif ou tout simplement par ce que certains de ses membres ont pu ramener de leurs voyages. Mais, il est indéniable que Guilintico relève d’un élan endogène. Ce caractère ne manque pas en effet d’expliquer certaines de ses attitudes et décisions; notamment dans le choix des actions et des stratégies qu’il a mis en œuvre.

Dès le départ, et jusqu’à présent, le principe fondateur des femmes est «l’entente». Une entente dans le sens le plus profond du concept, toute entière tendue vers la volonté de changement, la volonté d’améliorer la qualité de la vie et aussi de modifier les rapports de force sociaux. Certains acteurs qui considéraient dès le départ le groupement comme une gêne au mode de reproduction idéologique et sociale de du village, développèrent des stratégies de contrôle et de récupération du mouvement. Face à ces stratégies, les femmes ont toujours réagi en jouant sur le registre de la cohésion sociale mais en ayant en permanence en vue d’atteindre leurs objectifs fondamentaux. Sans heurt majeur, elles sont parvenues à rallier à leurs convictions fondamentales la plupart des contradicteurs des débuts.

La dynamique générée et entretenue par l’acquisition continue de connaissances par le biais de l’alphabétisation et de l’animation se poursuit. Il n’est donc pas superflu d’espérer que cette dynamique se perpétue.

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