Ursula Klesing-Rempel

Ursula Klesing-Rempel est depuis longtemps directrice de l’antenne de l’IIZ/DVV au Mexique. Elle saisit l’occasion du dixième anniversaire de l’antenne pour faire un bilan de ses activités, qui donnent la priorité à la réalisation de projets de formation pour adultes au sein des communautés indiennes. La vaste diversité culturelle de ce pays qui compte quelque 56 populations indiennes, la grande pauvreté qui touche plus précisément ces populations et la sous-représentation des femmes dans les activités éducatives sont les éléments quotidiens de son travail.

Une décennie dans l’éducation des adultes au Mexique

Bilan du projet d’éducation des adultes

Le projet d’éducation des adultes de l’Institut international de coopération de la Confédération allemande pour l’éducation des adultes démarra en 1992 au Mexique. Des projets intégraux d’éducation des adultes se déroulent au sein des communautés indiennes dans le cadre de la «promotion de l’aide sociale structurelle dans les pays en développement».

Les 56 peuples indiens du Mexique illustrent la diversité culturelle de ce pays. Leur dénominateur commun: ils appartiennent aux classes démunies et même extrêmement pauvres de la population avec un niveau d’instruction formelle faible, et disposent selon le processus d’enculturation vieux de plusieurs siècles qu’ils ont traversés d’une connaissance de leur patrimoine culturel pouvant tout aussi bien être relativement intacte que fragmentaire.

Le Mexique fait actuellement partie des États d’Amérique latine qui doivent s’attendre faire face à des crises sociales de plus en plus difficiles si le potentiel de développement des zones rurales continue d’être aussi gravement négligé.

Nos partenaires dans ce projet sont des organisations non gouvernementales (ONG) qui opèrent avec des méthodes participatives pour élaborer des diagnostics avec les participants indiens et analyser leur faisabilité dans des projets réalisables. Ils se chargent de la mise en place de programmes d’éducation et de formation correspondant aux activités à entreprendre.

Peuples indiens participant au projet

État de Jalisco

Huicholes

19 393

État de Puebla/Guerrero

Nahuats

1 197 328

État de Chiapas

Tzeltales

261 084

État de Chihuahua

Raramuris

50 691

État de Campeche/Quintana Roo

Mayas

731 522

Ces chiffres correspondent à la population totale de chacun de ces peuples indiens.

Pour mettre sur pied le projet mexicain d’éducation des adultes, les facteurs cités, à savoir la pauvreté, le faible niveau d’instruction formelle et la connaissance des cultures indiennes, impliquaient l’élaboration d’un concept opérationnel reposant au départ sur les liens étroits entre politique du développement et politique de l’éducation, et tenant compte du contexte culturel des communautés indiennes.

Le projet ne pouvait aboutir que si l’on utilisait l’éducation et la formation pour éliminer les structures paternalistes qui maintiennent l’idée selon laquelle l’existence dans les conditions de pauvreté actuelles est un état naturel. Le projet d’éducation des adultes mise de son côté sur les facultés créatives des participants et sur la prise au sérieux du potentiel de connaissances dont dispose chacun des peuples indiens.

La politique pratiquée jusqu’à présent par le gouvernement mexicain à l’égard de la population indienne reflétait le poids social et le manque d’intérêt économique qu’elle représentait à ses yeux plutôt qu’elle n’illustrait le concept d’une mission prioritaire visant à promouvoir les potentiels de développement agricole dans les zones rurales du Mexique. On comprend ainsi que la population indienne, plus forte depuis le conflit du Chiapas en 1994, procède à un retour aux sources culturelles et pose des exigences au gouvernement.

Ceci ne veut pas dire qu’elle conçoive sa culture comme un système immuable de valeurs et de modèles économiques exclusivement traditionnels. Il convient maintenant de trouver des terrains d’entente plus larges, visant de manière ciblée à engager le changement avec des perspectives économiques dignes.

Étant donné les structures paternalistes solides qui se sont profondément ancrées au fil de l’histoire (et qui ont systématiquement mis hors circuit la confiance en soi et l’aptitude à agir des individus), les efforts d’éducation entrepris dans le cadre des projets visaient au départ à débloquer les potentiels créatifs des gens et à leur permettre d’avoir confiance en leur propre jugement et de s’attaquer sciemment à des problèmes. L’on cherchait à renforcer leur sens des responsabilités individuelles et collectives dans leur contexte culturel sans pour autant négliger les perspectives économiques. Des diagnostics furent en effet entrepris au moyen de méthodes participatives pour faire l’inventaire des ressources disponibles pouvant être développées grâce à des projets de production faisables.

La première phase du projet dans les villages fut marquée par des fluctuations dès l’instant où la participation responsable exigée prédominait dans les opérations et non plus les vieilles structures paternalistes qui consistaient à offrir des cadeaux en contrepartie de faveurs politiques (ex. voix données lors des élections).

On constata au début du projet que les ONG idéalisaient la culture indienne, qu’elles tentaient de composer avec elle et que leurs stratégies visaient à éviter tout conflit avec le groupe cible (à comprendre comme une stratégie en opposition avec les programmes gouvernementaux), ce qui limitait aussi bien le potentiel créatif que l’évolution de la responsabilité des participants indiens. L’usage inflationniste et idéalisé des concepts d’identité, d’autonomie, de culture et de tradition dans les programmes d’éducation et de formation les empêcha d’exploiter suffisamment leurs potentiels créatifs et les possibilités de prendre des responsabilités personnelles. En plus, le savoir indien fut négligé ou idéalisé.

Mener le projet à la réussite nécessitait non seulement des compétences pratiques dans les différents domaines qu’il couvrait, mais aussi la mise en place d’offres d’éducation qui déclencheraient des processus interculturels complexes d’apprentissage. Pour que les intervenants puissent coopérer à la planification des projets et à leur réalisation, il convenait de créer des locaux permettant de faire entrer en jeu non seulement différents modes de communication et d’action, mais aussi des formes de savoir, d’apprentissage et de savoir-faire divers. L’apprentissage interculturel entre métisses et Indígenas devait servir la promotion du dialogue des cultures et les processus de démocratisation en vue d’une société multiculturelle qui permettrait une assimilation des interventions reposant sur la réflexion. La dimension interculturelle du projet devint ainsi partie intégrante de l’éducation et de la formation.

En ce qui concerne la mise en pratique du projet dans les villages, il ne pouvait donc plus être question d’enseigner de manière unilatérale, il convenait de découvrir des éléments du savoir indien et de les rattacher à l’acquisition de nouvelles connaissances pour rompre avec la misère et emprunter la voie d’un développement durable judicieux.

À partir de 1996, les premiers séminaires et colloques interdisciplinaires sur l’interculturalisme et l’éducation interculturelle furent organisés. Des indiens participant aux projets ainsi que des organisations, des coordinateurs et des scientifiques y prirent part. Outre les problèmes d’actualité concernant la communication interculturelle dans le projet et les discussions sur les concepts utilisés de manière inflationniste, ce dont il a déjà été question plus haut, il s’agissait avant tout d’aborder le thème de la forme qu’il conviendrait de donner à l’avenir à l’éducation et à la formation au sein d’une société multiculturelle. L’autonomie, au cœur du débat politique actuel, dans lequel les droits des indiens et les droits des citoyens ne s’excluent pas, était l’un des principaux thèmes interculturels.

Les séminaires se déroulèrent au Mexique et dans d’autres régions d’Amérique latine. La fondation allemande Volkswagen mit à notre disposition des fonds précieux pour organiser les colloques, ce qui nous permit de sensibiliser les gens d’autres pays à la question indienne et au rapprochement des cultures.

On constata une participation extrêmement faible des Indiennes, tant aux activités des projets dans les villages qu’aux séminaires. Dans certains projets, les femmes faisaient partie de la catégorie des auditrices, et plus le pourcentage de monolingues était élevé parmi elles, moins elles étaient en mesure de participer.

L’éducation des femmes dans les villages devint l’un des axes essentiels de promotion dans nos activités. Le passage du silence à la participation active au projet et aux décisions dans les villages constituait, et constitue encore, une tâche difficile et de longue haleine qui ne conçoit pas l’éducation des femmes comme une destruction des traditions et de la culture indienne, mais comme un processus d’éducation individuel et collectif enrichissant la culture et contribuant par-dessus tout à développer les villages et à aider les femmes à se créer des revenus.

Il convient de signaler que les femmes participent de plus en plus à des activités hors des villages, ce qui déclenche de multiples processus d’apprentissage leur permettant d’acquérir des connaissances dans des domaines spécifiquement féminins, d’avoir plus confiance en elles, de pouvoir communiquer et d’apprendre par-là l’espagnol.

Les projets

Les projets agricoles reposent toujours sur l’amélioration des moyens de subsistance des hommes et des femmes. L’emploi d’engrais naturels et de cultures mixtes permet d’améliorer la culture du maïs et des haricots qui sont les denrées alimentaires de base. Les jardins des familles sont réorganisés de manière à exploiter les sols plus efficacement et à y pratiquer l’élevage. On utilise ici aussi des engrais naturels. La construction de citernes d’eau familiales ou communales permet de recueillir de grandes quantités d’eau pendant la saison des pluies en vue de la saison sèche.

Petit à petit, d’importantes unités sociales et économiques ont été créées pour développer les structures locales. Elles produisent par exemple du café ou du miel tant pour le marché national que pour l’export.

Les paysans indiens qui s’étaient au départ organisés en unités procédèrent selon le principe Tequio d’assistance mutuelle au niveau de la famille ou du village en apprenant étape par étape tout ce qui était nécessaire à une réorganisation, de l’abandon des engrais artificiels au profit d’une culture biologique des sols à la création d’une coopérative bien gérée. Le capital réuni grâce aux contributions des participants (de petites sommes), la commercialisation des produits et la gestion efficace rendent les projets productifs crédibles aux yeux des organismes gouvernementaux.

Les jeunes Indiens peuvent acquérir des connaissances générales et suivre une formation agricole – qui fait d’eux les promoteurs ou les techniciens agricoles du développement régional futur – dans les centres scolaires innovants créés par les ONG et qui ont été reconnus officiellement au fil des années par les ministères de l’Éducation des différents États fédéraux. Avec l’aide de représentants des organismes gouvernementaux, ils sont ainsi en mesure de représenter leurs intérêts en ce qui concerne les programmes et les mesures de financement, ce qui leur permet par conséquent d’exercer une influence sur les programmes gouvernementaux.

Les Indiennes ont appris au fil des différents projets que la sous-alimentation des enfants était un problème social peu à peu surmontable. Elles travaillent comme aides sanitaires dans leurs villages où elles se consacrent à l’hygiène préventive et offrent des conseils. À travers leurs activités, elles définissent leur rôle de femme dans le contexte de la culture indienne et cherchent des solutions pour réduire la violence dans les familles généralement considérée comme un état de fait naturel et immuable.

Les projets de sensibilisation à la question féminine s’adressent de plus en plus aux Indiens. Avec ce nouveau groupe cible, ils visent à réaliser une transformation symétrique constante des rapports entre les sexes.

Le dialogue interculturel est de plus en plus au cœur des activités, qui n’ont plus caractère de mission dans le sens classique du terme. À la place est apparue une compréhension professionnelle du développement et de l’éducation qui soutient les processus de changement devant être définis conjointement avec les Indiens, reste axée sur le développement de leurs potentiel et ne conçoit un développement durable qu’à la lumière de l’éducation des hommes.

Un consortium interinstitutionnel pour l’éducation interculturelle a été créé dans le but d’exercer une influence sur les conditions dans lesquelles se déroulent l’éducation. Le CREFAL (Centro de Cooperación Regional para la Educación de Adultos en America Latina y el Caribe), le CEAAL (Consejo de Educación de Adultos de America Latina), l’AYUDA en ACCION (organisation non gouvernementale espagnole) et l’IIZ/DVV coopèrent avec lui. Les séminaires sont conçus et financés conjointement et ont pour but d’instruire les participants adultes sur les processus d’apprentissage interculturel. Il convient maintenant d’élaborer des textes pédagogiques sur l’interculturalisme.

Je souhaite dans ce sens remercier tous les participants indiens qui prennent part aux projets et ont appris à dominer leurs angoisses au profit de l’envie d’apprendre, qui ont appris à prendre en main leurs intérêts et leurs problèmes, ainsi que les conflits qui y sont liés, et qui ont mis leur savoir à notre disposition lors des cours et séminaires pour que nous engagions un dialogue interculturel. Je souhaite aussi remercier en particulier les femmes qui ont découvert l’importance de disposer d’un lieu où apprendre, un lieu qu’elles doivent encore défendre dans des conditions difficiles.

Je souhaite particulièrement exprimer ma reconnaissance envers les Indiens qui, malgré les processus d’apprentissage laborieux, les incertitudes et leur situation désespérée, ont décidé de se charger des activités de coordination complexes des projets ou de la direction des écoles, et qui doivent maintenant de plus en plus élaborer leurs propres stratégies pour les projets.

Je remercie les ONG Ajagi, Alcadeco, Altepetl, Pro-Educacion, Educe, Cesder, Imdec et Comaletzin – qui se sont chargées de la responsabilité des activités dans des conditions politiques et économiques parfois difficiles et qui se prononcent ainsi en faveur de la démocratisation de leur société.

Je remercie enfin également tous les Indiens et les non-Indiens de m’avoir permis d’apprendre et de faire de nombreuses expériences dans des villages reculés situés dans différentes régions.

Par sa brièveté, cet article ne pouvait pas rendre compte de toute la complexité des projets qui exigent une planification, une évaluation et des résultats quantitatifs. Il visait plutôt à signaler les éléments qualitatifs essentiels pouvant avoir de l’importance pour un projet opérant dans le contexte des cultures indiennes et constituer un gage de réussite pour notre travail.

Il est également primordial de remarquer que presque tous les projets sont marqués par des conflits qu’entraînent les structures du pouvoir, au sein des villages ou à l’extérieur, et l’esprit de prestige, ce qui peut provoquer des cassures graves et retarder la réalisation des projets. Les fluctuations croissantes du climat qui se traduisent par un changement du rythme de l’alternance entre la saison des pluies et de la saison sèche se répercutent, elles aussi, sur les projets.

En conclusion

Dans un monde soumis de plus en plus à l’universalisation des modèles de développement et à une culture unique diffusée en tout lieu par les médias et l’informatique au moyen d’une langue et d’images standardisées, la coopération internationale ne peut aboutir que si le développement et l’éducation deviennent un concept qui en fasse partie intégrante.

L’éducation et l’instruction ne prennent un sens dans le contexte de l’apprentissage tout au long de la vie que si elles satisfont les exigences d’un monde soumis aux changements culturels, économiques et politiques, ce qui sous-entend par exemple que les communautés indiennes des campagnes sachent utiliser les médias. Si la compréhension des médias ne suffit pas à répondre à ces exigences, elle permet tout au moins de les aborder d’un point de vue critique.

Le monde dans toute sa diversité culturelle et son hétérogénéité, avec la riche biodiversité de ses régions et ses contextes culturels doit prendre en compte les différentes stratégies de développement entreprises et les soutenir. La connaissance, la diffusion et la mise en pratique du savoir des cultures non européennes peuvent contribuer de manière considérable à l’humanisation des structures mondiales.

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