Timothy Ireland est professeur associé en éducation des adultes à l’université fédérale du Paraíba, à João Pessoa (Brésil).
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ireland.timothy@gmail.com
Le dernier séminaire virtuel organisé par le Conseil international pour l’éducation des adultes (CIEA) en coopération avec DVV International a pris pour point de départ quatre articles publiés dans le numéro 83 d’Éducation des adultes et développement qui était consacré au thème des aptitudes et compétences : « Les cinq compétences nécessaires pour construire un autre monde possible : apprendre du Forum social mondial et pour lui » d’Alessio Surian, « Améliorer les compétences dans le monde arabe : les questions à examiner » de Rabab Tamish, « La nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe » de Dana Bachmann et Paul Hodsworth, et, enfin, « Le savoir-être dans l’éducation non formelle : renforcer les capacités des jeunes » de Priti Sharma. Cette année, il y avait une nouveauté : un webinar avec l’auteur Paul Holdworth.
Non seulement les articles choisis représentent différentes régions du monde – l’Amérique du Nord, le monde arabe, l’Europe et l’Asie –, mais leurs auteurs y adoptent des positions différentes concernant le thème principal des aptitudes et compétences. Comme l’explique Imelda Sáenz, « Les documents présentés à l’occasion du séminaire montrent que la situation dans le domaine de l’éducation diffère dans le monde arabe, en Asie centrale et en Europe, et certainement aussi dans toutes les autres régions, et qu’elle est très complexe et hétérogène en elle-même. » Le contexte est une question fondamentale. Rabab Tamish s’exprime sur l’écart entre la façon de présenter les compétences au plan international et leur mise en pratique dans un cadre local. De surcroît, tandis que les auteurs reconnaissent la nécessité fondamentale de préparer les générations futures de même que les immigrés fraîchement arrivés et les personnes faiblement qualifiées de sorte qu’ils aient des perspectives d’emploi dans un monde en rapide mutation, les façons de s’atteler à cette tâche et la nature du monde que nous souhaitons varient beaucoup, même sur un seul et même continent. Il est peut-être juste de dire que l’esprit de Davos et celui de Porto Alegre semblent résumer clairement ces différences.
Les débats et commentaires sur le Forum social mondial et sur le monde que nous voulons ont l’avantage de poser la question suivante : « Dans quel monde voulons-nous vivre ? » et de faire des suggestions concernant les aptitudes et compétences éventuellement nécessaires pour construire un autre monde possible.
Toutefois, ce sont les questions posées par Cristina Maria Coimbra Vieira et Rosa Maria Torres qui constituent à mon sens une gageure et m’ont incité à réagir. Cristina Vieira aborde la nouvelle stratégie en se plaçant du point de vue portugais. Elle soulève plusieurs questions essentielles en déclarant par exemple que « le poids accordé à l’économie semble toutefois gommer les besoins et intérêts intrinsèques des travailleurs en tant que sujets apprenants de même que leurs acquis antérieurs » et qu’« envisager l’individu essentiellement d’un point de vue fonctionnaliste – supposant que l’on ‘dote’ les gens des compétences nécessaires pour répondre aux exigences d’un marché du travail en mutation – est le meilleur moyen de nier globalement les responsabilités de la société ». Ce point de vue portugais plus critique sur la nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe indique que faire de l’éducation et de la formation professionnelles (EFP) un premier choix ne fait pas consensus au sein de la communauté. Bien formulée d’un point de vue occidental, cette idée indique qu’une solution universelle n’est pas la meilleure approche de la diversité culturelle si fondamentale pour l’Europe.
L’Équatorienne Rosa Maria Torres pose également une question essentielle : « Apprendre pour quoi faire ? » Elle déclare qu’« il y a de nombreuses façons d’envisager cette question et de d’y répondre. Le bien-être et la prospérité ont des significations différentes en fonction des peuples et des cultures dans le monde entier. » Elle fait ensuite état du concept indigène de sumak kawsay (buen vivir, bien-vivre) comme alternative à l’actuel paradigme occidental du développement ; le mot « alternative » étant employé ici dans le sens d’une solution radicalement différente et non occidentale. En effet, pour Artur Escobar (apud Gudynas 2011), le concept du buen vivir ne constitue pas un développement alternatif mais une alternative au développement reposant sur la cosmologie des peuples indigènes. Le buen vivir s’applique à la réalisation d’une relation harmonieuse entre soi, les autres et l’environnement. Cette notion considère qu’à l’instar des êtres humains, la nature a des droits. Pour reprendre les mots de Dávalos (2008), elle « intègre la nature dans l’histoire […] non pas comme un facteur productif ou une force productive mais comme inhérente à l’être social ». Les aptitudes et compétences nécessaires pour accomplir cette relation donnent une signification nouvelle à l’éducation et à l’apprentissage.
En général, il existe un consensus sur le fait que préparer les générations futures et les personnes faiblement qualifiées de sorte qu’elles aient des perspectives d’emploi dans un monde en rapide mutation est une réalité à laquelle il faut s’atteler. Il faut clairement équilibrer le développement des compétences douces dans l’éducation non formelle et des compétences dures dans l’éducation et la formation professionnelles. Nous pouvons peut-être résumer ceci d’abord en disant que le monde que nous habitons est unique et qu’il abrite l’humanité tout entière. Deuxièmement, nous tous formons la nature, ce qui nous lie à toutes les formes de vie. Troisièmement, malgré notre diversité culturelle et sociale, nous vivons dans un monde interdépendant – que nous le voulions ou pas. Quatrièmement, nous aurions peine à nier que notre monde est de plus en plus connecté. Cinquièmement, bien que pas toujours interprétés de la même façon, certains droits humains sont communs à l’humanité toute entière, entre autres la notion de travail décent. Sixièmement, pour garantir la survie planétaire, nous n’avons d’autre choix que d’investir dans des formes de développement durable ou d’autres modes de développement. Enfin, nous vivons dans un monde de plus en plus globalisé, ce qui signifie que les dialogues comme ils se sont déroulés à l’occasion du séminaire virtuel sont primordiaux pour trouver un terrain d’entente entre différents points de vue dans notre quête de compréhension mutuelle et de convivialité – ce qui équivaut à la nécessité urgente d’apprendre à vivre ensemble.
Toutes les contributions au séminaire virtuel peuvent être consultées en ligne à l’adresse : http://virtualseminar.icae.global/
Un enregistrement vidéo du webinar avec Paul Holdsworth (Commission européenne) sur la nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe (The New Skills Agenda for Europe) est disponible sur youtube : https://youtu.be/NXLiOAOo_I4
Numéro 83 > « Aptitudes et compétences »
Des exemplaires gratuits de ce numéro sont encore disponibles et peuvent être commandés à l’adresse
Références
Dávalos, P. (2008) : Reflexiones sobre el Sumak Kawsay (El Buen Vivir) y las teorías del desarrollo. Dans : Copyleft-Eutsi-Pagina de izquierda Antiautoritaria, no 6, 2008.
Gudynas, E. (2011) : Buen vivir: Germinando alternativas al desarrollo. Dans : America Latina en movimiento, fevereiro 2011, 461-481.