De gauche à droite :
Emilia Cristina González Machado
Universidad Autónoma de Baja California
Mexique
Ernesto Israel Santillán Anguiano
Universidad Autónoma de Baja California
Mexique
Résumé – La diversité et l’interculturalisme ont été transformés en un discours que l’on retrouve dans l’éducation d’aujourd’hui. Dans cet article, nous décrivons un atelier qui fait leur promotion auprès des étudiants, des enseignants et des membres de la communauté indigène paipai au nord-ouest du Mexique. L’interculturalisme y est considéré comme un échange de savoir avec la communauté, dans son contexte. Il a pour intention de promouvoir le dialogue sur la base d’une rencontre entre des gens et cultures différents.
L’un des paradoxes des processus de mondialisation réside dans la reconnaissance du multiculturalisme en tant qu’élément potentiellement bénéfique pour l’humanité. Ce potentiel s’exprime non seulement dans l’intégration et la désintégration de scénarios géopolitiques, mais aussi dans la diversité de l’expression culturelle. La diversité culturelle est intimement liée aux processus d’identité ; elle s’exprime dans des espaces locaux et aide à définir de nouvelles expressions culturelles, tant à l’échelle de l’individu qu’à celle du groupe. Dans les nouveaux scénarios mondiaux, où les frontières sont constamment redéfinies, de nouvelles règles émergent dans les relations sociales, tandis qu’en même temps une question se pose : quel rôle les processus multiculturels jouent-ils dans la promotion de la diversité et de l’éducation inclusive ?
L’interculturalisme est un concept essentiel pour l’éducation, car il indique que les rapports entre groupes et individus de différentes cultures doivent reposer sur le respect mutuel, ce qui implique par conséquent que des paramètres d’égalité existent entre eux. Dans ce sens, l’interculturalisme est un concept avec une sensibilité très démocratique, dans lequel les rapports de domination disparaissent (Schmelkes 2006). Les groupes sociaux ne peuvent être expliqués, tant de l’intérieur que de l’extérieur, sans établir un lien avec les gens qui les composent. L’interculturalisme est ainsi ramené aux processus de construction d’une identité collective. Pour Giménez (1997), l’identité suppose que le groupe partage toute une variété d’expressions symboliques et culturelles servant d’éléments intégrateurs au sein du groupe et en même temps d’éléments distinguant ce qui est hors du groupe.
La reconnaissance de l’espace géographique et de l’histoire locale est un facteur important pour rapprocher étudiants et enseignants de la culture paipai. Pendant des milliers d’années, les Yumanes ont vécu des rapports qu’ils entretenaient avec le désert, © Ernesto Santillán/Cristina González
La communauté de Santa Catarina se situe dans l’État de Baja California au nord du Mexique. Sa population de 150 habitants fait partie du peuple paipai de descendance yumane. Santa Catarina a été fondée à la fin du dix-septième siècle par des membres de l’ordre des prêcheurs (dominicains) qui s’y installèrent en raison de ses caractéristiques géographiques et de ses ressources naturelles. Les dominicains établirent une mission et forcèrent les populations indigènes locales à modifier leur mode de vie traditionnel qui reposait sur le nomadisme, la chasse et la cueillette. Ils les contraignirent à se sédentariser, conformément aux critères fixés par les colonisateurs. La création d’une nouvelle frontière entre le Mexique et les USA en 1849 modifia substantiellement les communautés indigènes yumanes, alors contraintes de diviser leur territoire et leurs familles. Enfin, les changements du régime de propriété foncière, dus aux politiques agraires qui naquirent de la révolution mexicaine de 1910, modifièrent le rapport des groupes yumanes avec le territoire, transformant plusieurs villages en espaces collectifs, ce qui entraîna des conflits avec les gros propriétaires privés (Santillán 2015).
Comme d’autres communautés indigènes au Mexique, celle de Santa Catarina est moins développée que la population métisse. Au Mexique, les municipalités dont les populations sont majoritairement indigènes présentent les taux de sous-développement social les plus élevés. En d’autres termes, il existe un lien de cause à effet direct et étroit entre le fait d’être indigène et celui d’être pauvre (Puyana 2015).
Conjointement avec un groupe d’enseignants et d’étudiants de différentes disciplines, nous avons rendu visite à la communauté de Santa Catarina où nous avons organisé un atelier. Nous avions prévu de faire de cette visite et de l’atelier sur « l’éducation culturelle dans les communautés indigènes de Baja California, au Mexique » une stratégie d’apprentissage alternative qui permettrait de combiner des aspects éducatifs et informatifs (Ferreiro 2007). Pour les participants, l’objectif consistait à se rapprocher des communautés indigènes pour développer collectivement des connaissances. Il est fondamental de rompre avec l’idée selon laquelle le savoir est un produit individuel associé à un espace formel (p. ex. à une salle de classe). Ce dernier aspect est particulièrement important du fait que les étudiants sont habitués à étudier dans une université publique. Ainsi, concevoir l’idée de relier des activités d’apprentissage avec certaines pratiques au sein d’une communauté indigène, est pour nous une tentative de familiariser les étudiants à des processus de compréhension et à l’approche d’une culture différente de la leur, une culture confinée à un rapport de subordination à la culture métisse dominante au Mexique. Le tableau 1 illustre les contenus et compétences développés à l’occasion de l’atelier.
Avec son intention de se présenter comme une approche critique de la vie de tous les jours, l’atelier s’est penché sur le rôle des étudiants en tant qu’acteurs plongés dans leurs relations et des vécus. Il a reconnu dans l’étudiant un être humain avec des besoins qui doivent être satisfaits socialement par ses rapports avec les autres acteurs : étudiants, enseignants et communauté. Dans ce sens-là, l’un des principaux objectifs consistait à renforcer les liens d’interaction sociale au sein de l’atelier et à consolider l’idée selon laquelle les processus éducatifs dans les différentes disciplines sont aussi créés selon des processus sociaux déterminés. Comme Häbich (1997) l’a décrit, la formation professionnelle comporte tout un ensemble d’implications culturelles, sociales, politiques et écologiques que l’on ne devrait pas subordonner au savoir, à la pratique, à des sciences particulières ou à des formes culturelles spécifiques mais qu’il faudrait toutefois concevoir comme se situant en des points multiples à la croisée de différentes disciplines, sciences, savoirs, activités et cultures. En d’autres termes, l’éducation universitaire des étudiants doit être renforcée par des expériences leur permettant d’étendre leur connaissance d’autres cultures. Un tel résultat ne saurait être le fruit d’expériences à l’intérieur d’une salle de cours mais du contact « direct » avec les communautés. Au bout du compte, on espère que l’expérience aidera à déclencher une nouvelle façon de vivre avec les communautés indigènes.
L’atelier était organisé sur la base d’un ensemble de stratégies didactiques visant à faire le lien entre l’expérience universitaire et la vie, c’est-à-dire entre la théorie et la pratique. La création, parmi les participants, d’un environnement socio-émotionnel favorisant la réflexion créative et la pensée réflexive en fournit un exemple. Il est aussi essentiel de créer une atmosphère de confiance mutuelle entre les participants et les animateurs. Ce cadre permet aux étudiants d’exprimer librement leurs concepts et croyances au sujet de la réalité. L’idée consiste à rompre avec la notion d’hégémonie selon laquelle les étudiants/animateurs sont seuls détenteurs du savoir. À ce moment-là, le consensus joue un rôle primordial pour exécuter des tâches, répondre à des normes et remplir des rôles au sein du groupe. Nous cherchons à promouvoir le développement de chaque individu et en même temps l’exécution coopérative et planifiée des tâches de l’atelier (Ferreiro 2007). Dans ce sens-là, le respect des différentes opinions est lié à celui de l’expression des émotions. Il est courant que les participants atteignent un degré de réflexion qui se traduit par des émotions diverses comme la joie, la tristesse, la colère. Par conséquent, les animateurs et les autres participants devraient créer un climat positif d’acceptation, de soutien et de canalisation des émotions pour le participant, le groupe et la communauté :
Pour de nombreux étudiants, la visite n’est pas seulement une expérience à la campagne, c’est aussi leur premier contact avec les cultures autochtones de la région © Ernesto Santillán/Cristina González
« Une fois, après avoir revu quelques points de la convention no 169 de l’Organisation internationale du travail, une étudiante s’est levée et a demandé à prendre la parole pour exprimer sa tristesse et sa déception au sujet de l’éducation qu’elle avait reçue. Elle a déclaré : « Jamais durant toute ma scolarité je n’ai réalisé ce que nous, en tant que pays, avons fait aux populations indigènes. …Il faut que cela change. » À ce moment-là, certains de ses camarades se sont levés et l’ont étreinte, tandis que d’autres exprimaient ce qu’ils pensaient à ce sujet. Depuis, la perception de l’atelier n’a plus été la même » (Daniel, animateur).
Le rôle de l’animateur est un élément auquel il convient de prêter une attention particulière. Il/elle intervient en gérant le temps, rendant possible les approches, les réunions, le dialogue et la recherche de solutions. Son rôle consiste à établir un diagnostic concernant la dynamique du groupe et à évaluer les points d’intersection et les difficultés entre ses membres dans le but de promouvoir certains objectifs communs. L’animateur devrait être préparé à écouter activement et avec tolérance, en adoptant une approche positive non seulement de la diversité, du dialogue, de l’acceptation et du respect mutuel, mais aussi de la critique.
Le changement de l’espace physique connu est un élément central qui influe sur la dynamique de groupe. Sortir étudiants et enseignants de l’espace formel pour les placer dans un environnement naturel rend cette expérience innovante du point de vue de la dynamique enseignement-apprentissage. On entend par là faire du travail coopératif une alternative à la rigidité scolaire sur laquelle pèsent les normes et les règles. On ne saurait continuer de plaider, par exemple, en faveur de l’inclusion des droits humains et de la promotion de la démocratie alors que la majeure partie des pratiques éducatives repose sur des processus arbitraires et autoritaires (UNESCO 2008).
Quelques impressions de nos étudiants
« Si je devais définir en seulement trois mots le sentiment qu’a laissé en moi le temps passé avec quelques membres de la communauté paipai, je choisirais : sensibilité, engagement et gentillesse… » (José)
« Durant le temps que j’ai passé là, trois moments particuliers qui ont transformé mes émotions et mes idées, et qui m’ont aidée à tirer des leçons pour la vie : il s’agit des récits des femmes de la communauté sur le projet d’écotourisme ; des chants et danses traditionnels des filles, et de la rencontre avec madame Teresa (artisane paipai) – cette dernière ayant constitué pour moi le point culminant du temps passé avec les membres de cette communauté… » (Michell)
« Rencontrer les filles de la communauté m’a aidé à réfléchir sur mon propre vécu. J’ai davantage communiqué et fait des choses avec elles ; elles m’ont transmis leur enthousiasme et les activités auxquelles nous nous sommes livrés ensemble m’ont permis d’approfondir mes connaissances de leurs coutumes et de leur mode de vie. Je crois que les jeunes ont un rôle déterminant à jouer au sein d’une communauté, car ce sont eux qui prennent activement soin du patrimoine d’une culture et le transmettent… » (César)
Tout ceci a pour but d’aider étudiants et enseignants à reconnaître, de près, les besoins sociaux de la région. Selon le projet Tuning d’harmonisation (2007), les sociétés ont besoin de professionnels aptes à se livrer à une réflexion critique, possédant une profonde connaissance de la situation locale et mondiale et faisant preuve d’un engagement éthique à l’égard de la société.
La pensée en Amérique latine comporte toujours des orientations associées à la pensée européenne et met par conséquent l’accent sur le lien entre « culture de l’écrit » et modernité. Toutefois, au milieu des années 80, période dite de la « modernité périphérique », il y a eu une approche avec toute une série d’expériences ouvertes à une sensibilisation à l’hétérogénéité, au multiculturalisme et à l’importance du facteur temps. Cette pensée innovante vise à proposer un point de vue plus libre, avec des approches reposant sur une réflexion interdisciplinaire, fortement influencée par la sociologie de la culture et la nouvelle anthropologie (Sosa 2009).
Cela signifie qu’une vision de l’éducation fondée sur la diversité ne peut pas être réalisée en même temps du fait des considérables différences économiques et sociales. Tant que l’on pensera que certaines idées sur le monde sont supérieures aux autres, l’interculturalisme, l’inclusion et la diversité ne pourront pas prospérer là où il n’y a pas de rapprochement véritable.
Avec cette activité, nous tâchons de rapprocher le monde étudiant de la réalité indigène régionale. Nous cherchons à réduire la distance que l’éducation officielle a créé entre elle et ce que l’on qualifie de « Mexique indigène » ; à identifier ce que Krotz (1994) appelle « l’égalité dans la diversité et la diversité dans l’égalité », un phénomène uniquement réalisable par le biais du contact culturel, impliquant en même temps une approche consciente, réfléchie et critique.
Ferreiro, R. (2007) : Nuevas alternativas de aprender y enseñar. Mexique : Trillas.
Giménez, G. (1997) : Materiales para una teoría de las identidades sociales. Dans : Frontera norte, 9(18), 9-28.
Häbich, G. (1997) : Formación en arte y estudios culturales, una apuesta. Dans : Nómadas, 5(1), 193-199.
Krotz, E. (1994) : Alteridad y pregunta antropológica. Dans : Alteridades, 4(8), 5-11.
Proyecto Tuning América Latina (2007) : Informe final Proyecto Tuning-América Latina. 2004-2007. Bilbao : Universidad de Deusto.
Puyana, A. (2015) : Desigualdad horizontal y discriminación étnica en cuatro países latinoamericanos. Notas analíticas para una propuesta política. Mexique : Nations unies. Economic Commission for Latin America and the Caribbean.
Santillán, E. (2015) : Prácticas culturales y construcción de identidades en jóvenes indígenas Pai Pai en el espacio social de Santa Catarina, Baja California. Mexique : Universidad Autónoma de Baja California.
Schmelkes, S. (2006) : La interculturalidad en la educación básica. Dans : Revista PRELAC, 3, 120-127.
Sosa, E. (2009) : La otredad: una visión del pensamiento latinoamericano contemporáneo. Dans : Letras, 51(80), 349-372.
UNESCO (2008) : Educación y diversidad cultural. Lecciones desde la práctica innovadora en América Latina. Santiago : UNESCO/bureau régional pour l’éducation en Amérique latine et aux Caraïbes.
Emilia Cristina González Machado.Professeur et chercheuse à l’université autonome de Baja California (Universidad Autónoma de Baja California), Mexique. Ses recherches portent sur l’étude des jeunes et de leurs conditions sociales. Elle dirige actuellement une équipe de professeurs universitaires qui réalise des projets rapprochant ses étudiants des communautés indigènes.
Contact :
cristina.gonzalez@uabc.edu.mx
Ernesto Israel Santillán Anguiano. Professeur et chercheur à l’université autonome de Baja California, Mexique. Il étudie l’identité de la jeunesse indigène et des pratiques culturelles indigènes. Il essaye de rapprocher les travaux de chercheurs pour les faire intervenir dans des projets productifs de soutien aux communautés indigènes.
Contact :
santillan_er@uabc.edu.mx