En Allemagne, l’éducation à la politique de développement que l’on peut appeler de manière plus imagée «l’acte de semer en plus grande quantité la sensibilisation et le savoir sur le thème d’Un Seul Monde», ne se fait pas sur une terre libre ou vierge. Ce n’est pas une terre fraîchement défrichée, labourée et passée minutieusement à la herse. Une semeuse aurait des difficultés à s’y frayer un chemin. La semence doit se faire à la main et s’adapter très soigneusement aux aspérités.
On peut se demander s’il a jamais existé de champ vierge fraîchement défriché – en 1952 peut-être, date à laquelle le parlement allemand a retenu pour la première fois au budget des prestations concessionnaires pour des projets et des programmes dans les pays en développement. Une chose est sûre: ce département ne figurerait pas au programme du congrès si nous, qui travaillons dans l’éducation à la politique de développement, ne devions pas soigneusement composer avec les idées, les espoirs, les réserves et les craintes déjà existants. La question qui se pose est la suivante: à quels a priori se heurtent les messages que nous voulons faire passer en cette 49e année de politique de développement allemande?
Quand je dis «opinions types», je ne veux pas dire «préjugés». C’est là un tout autre chapitre. Ce dont il s’agit, c’est bien plus de ce que pense la grande majorité des citoyennes et des citoyens allemands sur la politique de développement.
Mon intervention sera sous-tendue par les principes suivants:
J’aimerais vous présenter six opinions types sur le thème de la politique de développement:
C’est un déficit au sein de certaines parties de la population allemande, qui considèrent la situation dans les pays en développement comme une problématique qui ne les concerne pas. Ces gens ne croient pas que les changements qui affectent les pays en développement puissent avoir une influence quelconque sur leur situation personnelle (emploi, perspectives de travail de leurs enfants par exemple). Mme le Professeur Neusel a abordé cette question hier et l’a résumée en ces termes: les habitants des pays industrialisés ne se sentent pas subjectivement concernés.
Le fait de croire que nous n’avons rien à voir avec les pays en développement et la politique de développement entraîne les gens à se désintéresser du thème et freine leur envie de s’y consacrer.
Dans trois sondages représentatifs, la Commission européenne a demandé aux citoyennes et aux citoyens s’ils pensent que les changements qui affectent les pays en développement – situation politique, économie, croissance démographique – «sont susceptibles d’avoir une influence sur leur vie dans les 10 à 15 années à venir». En 1984, moins de la moitié des Allemands – mais deux-tiers des Français, des Britanniques et des Hollandais – ont répondu «oui».
Malheureusement, c’est en 1991 que la Commission européenne a fait figurer pour la dernière fois cette question explicite dans ses enquêtes régulières, à savoir dans son EUROBAROMÈTREE sur la politique du développement. On peut cependant se féliciter que le nombre d’Allemands qui pensent que les changements politiques, économiques et démographiques dans les pays en développement peuvent avoir une influence sur leur situation personnelle dans les 10 à 15 années à venir ait atteint 57% en 1991.
Plusieurs autres sondages permettent toutefois d’évaluer le pourcentage d’Allemands qui considèrent encore la situation dans les pays en développement comme un problème qui ne les concerne pas. Parmi les exemples les plus frappants, notons l’attitude qui consiste à sous-estimer l’interdépendance commerciale avec les pays du Sud.
Dans les années 80, les sondages du BMZ ont révélé que la majorité des Allemands estimaient le volume de la coopération au développement – qualifiée d’«aide au développement» dans le questionnaire – comme étant supérieur au commerce de produits finis avec les pays en développement; alors qu’au moment du sondage, le commerce de produits finis était dix fois plus élevé que le volume de la coopération au développement. Dans les années 90, l’interdépendance commerciale entre les États de l’UE et les autres pays industrialisés d’une part, les pays en développement d’autre part, ont été prises en considération dans l’EUROBAROMÈTRE de 1996. Alors que dans cette même année, l’UE a réalisé 37% de ses échanges commerciaux avec les pays en développement et 17% avec les États-Unis, la majorité des Européens et des Allemands ont estimé le contraire. À la page 5 de leur évaluation sur l’Allemagne, les auteurs du sondage de 1996 déclarent: «...ils ont plus couramment tendance à sous-estimer les pays en voie de développement. Ils sont aussi enclins à minimiser les perspectives des entreprises privées dans les pays en voie de développement...». À la page 6, ils écrivent entre autres: «L’Allemagne fait également partie du petit groupe de pays qui rejette l’idée que l’UE et les pays en voie de développement dépendent les uns des autres.» (traduit par l’Institut)
Cette sous-estimation de l’interdépendance économique entre l’Europe et l’Allemagne, et les pays en développement, est également constatée dans les ouvrages scientifiques et l’analyse du groupe de travail «accueil visiteurs» du BMZ.
Je ferai ici encore une remarque méthodique sur cette opinion type ou même sur d’autres: pourquoi osai-je utiliser les constatations du service d’accueil-visiteurs du BMZ comme un argument supplémentaire?
Les quelques 200 visiteurs qui affluent chaque année au BMZ ne sont pas entièrement représentatifs de l’opinion publique allemande. Ils ne viennent pas de leur plein gré, ni par intérêt pour la politique de développement du BMZ. Ils viennent généralement chez nous parce que la visite du BMZ a été inscrite au programme par un membre du parlement allemand au même titre que la visite des autres ministères fédéraux, de l’Office fédéral de Presse et du Parlement allemand. Les visiteurs du BMZ se différencient donc foncièrement des participants aux offres de politique de développement proposées par les organismes d’éducation extra-scolaire. On peut être sûr que ces participants-là sont intéressés, sinon ils ne viendraient pas.
La seconde opinion type est également un déficit de la part de la population allemande, qui consiste à porter un jugement négatif global sur la situation dans les pays en développement. Elle ne fait aucune différenciation entre l’inimaginable misère d’une part, les très surprenants progrès d’autre part. Cette constatation ressort de tous les commentaires des enquêteurs chargés d’évaluer les sondages pour l’UE, le BMZ ou les organismes privés. Le service accueil-visiteurs du BMZ confirme également ce jugement négatif exagéré.
Étant donné les grandes similitudes entre les résultats des sondages réalisés dans les divers pays membres de l’UE sur ce point, j’aimerais vous parler des résultats du sondage effectué en Suède en 1998. Ils sont d’autant plus surprenants et alarmants que la Suède figure parmi les pays qui ont atteint depuis longtemps l’objectif des 0,7% et qu’elle fait partie du groupe des États de l’OCDE qui ont le plus haut pourcentage de dépenses par tête et par année pour l’éducation à la politique de développement.
Les enquêteurs qui ont réalisé le sondage en 1998 sur ordre du gouvernement suédois constatent que les Suédois ont une image très pessimiste des pays en développement et que seuls 10% par exemple, évaluent de manière réaliste le niveau d’alphabétisation en Asie, en Afrique et en Amérique latine.
Les auteurs de l’étude du PNUD de 1998, évoquée plus haut, déclarent page 14:
«La plupart des enquêtes ne demandent pas directement aux gens ce qu’ils pensent des pays en voie de développement. L’une de celles qui l’a fait a demandé aux sondés suisses s’ils considéraient que les pays en voie de développement essayaient de s’aider par eux-mêmes... Seulement huit pour cent répondirent «souvent». Soixante-deux pour cent répondirent «parfois» et vingt-deux pour cent affirmèrent «jamais». Ces réponses laissent entrevoir qu’il est peut-être probable qu’un nombre important de gens dans les pays donateurs ont de grandes difficultés à croire que ce que le Nord peut entreprendre aide les pays en voie de développement à évoluer...» (traduit par l’Institut).
À part en s’appuyant sur les résultats des sondages, il est extrêmement difficile de nommer les raisons de certaines opinions types. Les facteurs qui permettraient de le faire sont trop nombreux pour être évoqués ici. Nous évoquerons cependant le résultat d’un sondage de l’UE particulièrement intéressant, qui nous aidera à comprendre les raisons de cette image si négative:
L’EUROBAROMÈTRE de 1995 a demandé aux personnes interrogées ce qu’elles avaient récemment regardé, lu ou écouté sur les différents thèmes associés au mot-clé «pays en développement». Les Allemands ont répondu comme suit, par ordre de fréquence:
Je crains que vu l’ordre de cette énumération, la formule «good news is no news» (les bonnes nouvelles ne sont pas des nouvelles) utilisée par les médias ne vaille aussi pour les reportages sur la politique de développement.
C’est un déficit qui consiste à faire une surestimation totale du volume de la coopération au développement. Cette conviction a des conséquences fatales. Les gens argumentent que si pendant des années, des milliards de marks ont été dépensés et si la misère est encore si grande, c’est que l’aide a manqué son but. Cette critique est également exprimée par une bonne moitié des visiteurs du BMZ.
Dans la première opinion type et plus exactement dans le cadre du commerce extérieur, j’ai déjà évoqué le fait que les Allemands surestiment le volume de l’aide au développement (AD). Je dois préciser que la surestimation quantitative de l’AD n’est pas un phénomène purement allemand. Si l’on en croit l’EUROBAROMÈTRE de 1996, c’est une position que l’on retrouve dans tous les pays de l’UE même si elle est particulièrement répandue en Allemagne. L’étude du PNUD que je viens d’évoquer, intitulée «Development Aid: What the public thinks» («Aide au développement: ce que pensent les gens») et réalisée en 1998, considère même le phénomène comme un problème commun à tous les pays industrialisés.
D’après l’EUROBAROMÈTRE de 1996, 30% des Allemands surestiment la place qu’occupe la coopération au développement dans le budget fédéral allemand de 5 à 15 fois. Dans son ouvrage «Entwicklungsstrategien für die Dritte Welt» (Stratégies de développement pour le tiers-monde) édité par Michael von Hauff et Heinecke Werner, Manfred Kulessa fait une remarque particulièrement impressionnante sur la surestimation politique et matérielle de l’AD à l’étranger: évoquant la situation aux États-Unis, Kulessa cite un sondage effectué par l’ONG américaine «Bread for the World», qui révèle que «les seuls types d’aide qui viennent à l’esprit de 95% des citoyens interrogés sur les moyens de combattre la faim dans le monde sont l’aide alimentaire et l’aide au développement».
Ce que j’ai dit plus haut, à savoir que les raisons sont toujours complexes et nombreuses, est également valable pour la surestimation du volume de l’AD. Je conclue cependant que les déclarations ronflantes et irréfléchies des milieux publics et privés confortent considérablement l’étroitesse d’esprit de nos concitoyens en ce qui concerne la soi-disant aide, autrement dit l’instrument de la coopération au développement. Les anciens livres d’école y ont eu aussi leur part de responsabilité dans la mesure où ils faisaient une description vaste et diversifiée de la misère dans les pays en développement, où le seul moyen d’y remédier qu’ils proposaient se limitait à l’aide et où ils ne faisaient aucune allusion aux programmes économiques et sociaux autofinancés par les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, c’est-à-dire sans l’appui de la coopération au développement. Au demeurant, les pays industrialisés font rarement des réformes tendant à limiter les dommages envers les pays en développement; on donnera ici l’exemple des exportations agricoles subventionnées par l’UE, qui cassent littéralement les prix des agriculteurs des pays en développement.
Pour les déclarations ronflantes et irréfléchies, permettez-moi de vous lire deux citations. Je pourrais en lire des centaines. Sur une affiche en couleur de format DIN A 1 consacrée à la lutte contre la désertification au début des années 90, une institution publique écrit ceci:
«... La population mondiale explose. La pauvreté et la destruction de l’environnement en sont la conséquence. Aujourd’hui nous pouvons encore agir, demain il sera trop tard. Nous pouvons résoudre les problèmes à condition de garantir l’éducation, la sécurité sociale et l’aide à l’autopromotion. L’aide au développement doit nous donner les moyens de les résoudre. Aucune moitié du monde ne peut vivre sans l’autre moitié.»
En 1991, au début d’un séminaire, l’un des deux services allemands d’aide privée les plus connus, d’après le service de dons EMNID, déclarait: «Depuis trois décennies, les organismes d’aide au développement ont consenti des efforts énormes pour éradiquer la misère dans les pays du Sud, le soi-disant tiers-monde. Les succès sont maigres; au contraire, il semble qu’une minorité de gens se soient enrichis alors que la majorité de la population s’est appauvrie.» Le plus perfide dans cette déclaration, c’est qu’elle incite le lecteur peu averti à penser que l’aide à elle seule, c’est-à-dire la coopération au développement, aurait pu faire changer les choses. Cette citation étaye d’ailleurs la comparaison que j’ai faite au début: le champ de l’éducation à la politique de développement que nous labourons a plutôt l’air d’un champ de bataille.
Celle-ci reflète également un déficit, mais je ne peux fournir aucun résultat de sondage. Il s’agit ici de l’attitude constatée par le service accueil-visiteurs du BMZ, dont j’ai déjà parlé: nos concitoyens se considèrent comme des «petites gens» qui ne peuvent donc rien changer en matière de politique de développement. Nous sommes aussi confrontés à ce genre de positions lors de manifestations organisées hors du BMZ, et nos collègues de l’éducation extra-scolaire le confirment.
Je n’ai pas l’intention de m’attarder sur ce point. J’y reviendrai à la fin, lorsque je ferai des propositions rapides.
Il s’agit ici d’identifier les faits et les idées socio-politiques qui incitent les habitants des pays industrialisés à approuver la coopération au développement. Le point central consiste à accepter la coopération au développement en tant que volet partiel de la politique de développement.
Le programme de développement des Nations Unies – PNUD – a présenté il y a deux ans une étude extrêmement intéressante sur ce thème. L’étude est basée sur plus de trente sondages représentatifs réalisés dans les pays industrialisés. L’objectif du PNUD était d’identifier les motifs qui incitent les citoyens du soi-disant Nord à approuver la coopération au développement.
Les scientifiques engagés par le PNUD ont constaté qu’il n’y a par exemple aucune ou pratiquement aucune corrélation entre l’intensité de l’interdépendance commerciale et le volume de la coopération au développement. Les autres corrélations envisageables – l’influence du niveau de prospérité dans les pays industrialisés respectifs par exemple – ont également donné un résultat négatif.
Le PNUD a identifié deux corrélations qu’il pense pouvoir qualifier de relation de cause à effet. Il s’agit d’une part du gain public respectif, c’est-à-dire de la répartition nationale, et d’autre part, de l’image que se font les citoyens dans chacun des pays industrialisés de l’efficience de la coopération au développement quand elle est réellement pratiquée.
Le BMZ est en possession de petites études qui analysent de manière plus substantielle que le PNUD les faits et idées quantifiables qui favorisent l’acceptation de la coopération au développement. Pour le moment, nous partons donc des constatations suivantes:
On peut bien entendu faciliter les choses et dire que les résultats du PNUD sont clairs comme de l’eau de roche. Ce n’est pas si facile que cela, du moins en ce qui concerne la sixième opinion type. Je pourrais vous citer les déclarations de hauts responsables publics et privés, qui confondent deux questions fondamentalement différentes posées par les instituts de sondage. La première est la question de savoir si les citoyens, dans l’ensemble, sont pour ou contre l’aide aux pays en développement; la seconde est de savoir comment ils jugent les actions réalisées par leur gouvernement ou les promoteurs privés. Alors que le pourcentage de gens qui approuvent l’aide est très élevé – 75,2% en Allemagne selon l’EUROBAROMÈTRE de 1996 –, le pourcentage de ceux qui portent un jugement positif sur le travail concret de l’État est extrêmement maigre. Si nous négligeons le jugement porté à la pratique concrète pour nous concentrer uniquement sur la question de savoir si les citoyens sont pour ou contre la coopération au développement, nos rapports sur le taux de succès ou d’échec de notre action risquent de présenter des lacunes. Les efforts consentis pour reconquérir la confiance perdue risquent fort d’être vains.
Les chiffres à long terme disponibles en Allemagne ne concernent que l’évaluation de la coopération publique au développement. Dans les quatre sondages réalisés par le BMZ dans les années 80, le jugement positif porté à l’AD du gouvernement fédéral était toujours de 20% supérieur aux jugements négatifs. En 1993, jusqu’à présent la dernière année durant laquelle le BMZ a réalisé des sondages, l’avance était déjà perdue puisque 37% de gens étaient pour l’AD du gouvernement, et que 37% étaient contre. Un pourcentage beaucoup plus importante que dans les sondages précédents était indécis.
En ce qui concerne l’action non publique, nous ne disposons pas de réponses à long terme à des questions identiques. Néanmoins, les résultats de sondages ne sont pas ou que peu comparables tant que les questions ne sont pas formulées dans les mêmes termes.
Cependant, les collaboratrices et collaborateurs des organismes privés et du secteur de l’éducation à la politique du développement feraient bien de ne pas perdre de vue un certain nombre de jugements très critiques de la part de l’opinion publique.
Pour ne pas faire trop long, je ne citerai ici que le résultat d’un seul sondage, réalisé en 1993 par le BMZ en tant que volet d’une «analyse d’affirmations». 30 petites fiches positives et négatives ont été distribuées aux personnes interrogées, qui devaient répondre s’ils étaient d’accord ou non. Le texte de l’une d’entre elles était: «Les gens se mettent la majorité des dons dans la poche. L’argent n’arrive pratiquement jamais à destination.» 51% des personnes interrogées en Allemagne ont répondu «oui».
Après vous avoir présenté rapidement les six opinions types, j’aimerais faire quelques propositions d’action. Les organisateurs de ce congrès, le VENRO, la KMK, les unités de travail de l’AD des 16 Länder fédéraux et le BMZ, ont décidé de ne pas faire de ce congrès un exercice théorique vide mais au contraire un forum axé sur la pratique.
Je reprendrai cinq opinions types et ferai pour chacune d’elles une proposition d’action ou vous présenterai l’approche concrète du BMZ. Le seul moyen de ne pas dépasser le temps qui m’est imparti est de me concentrer chaque fois sur un seul point.
Utilisons ce congrès – qui est un événement pour cette décennie après le Congrès de Cologne en 1990 – pour introduire une césure sémantique. À partir de maintenant, nous devons éviter à tout prix d’employer le terme «aide au développement» car il ne répond ni aux motifs, ni aux objectifs poursuivis par les acteurs publics et privés. Plus important encore: si les pays en développement continuent d’être perçus comme une thématique qui ne nous concerne pas, il est fort probable qu’à l’avenir, seule une petite minorité sensibilisée aux problèmes ethniques continuera de s’intéresser à ces pays, à leur misère et à leurs perspectives d’avenir. Mes entretiens avec plusieurs centaines de groupes de visiteurs du BMZ m’ont convaincu d’une chose: le terme «aide au développement» fausse totalement le regard de notre population. Un pays que l’on regarde uniquement sous l’angle de l’aide ne peut présenter aucun intérêt pour nos concitoyens. Les termes «aide», «ayant besoin d’aide» etc. ont un effet catalytique négatif. Ils nient ce qui pourrait induire les gens à comprendre qu’il existe, dans le soi-disant Sud, des pays qui du point de vue purement économique sont des grandes puissances, qui décident au même titre que les autres si l’Allemagne doit être admise ou non au Conseil de sécurité des Nations Unies, ou qui poursuivent une politique environnementale qui influe sans aucun doute sur l’équilibre écologique de notre planète. Le PNUD lui-même recommande dans son étude de 1998 évoquée plus haut de remplacer le terme «aide» par «services généraux mondiaux» ou «maintenir l’équilibre du monde».
Utilisez aussi souvent que possible l’argumentation selon laquelle certains pays en développement connaissent un recul impressionnant de leur croissance démographique! Un sondage représentatif réalisé en 1996 par la Deutsche Stiftung Weltbevölkerung (Fondation allemande pour la démographie mondiale) a révélé qu’aucune nation en Europe ne s’inquiète autant que les Allemands de la croissance démographique mondiale. L’analyse des questions les plus couramment posées au service accueil-visiteurs du BMZ montre elle aussi que la politique démographique est en tête des préoccupations. Depuis déjà plus de 15 ans, elle fait partie des trois thèmes les plus souvent abordés par nos visiteurs.
À des fins didactiques, transformons la phrase: «Penser globalement, agir localement» en «Penser globalement, observer globalement, agir localement»! Que signifie cet ajout apparemment banal?
Ce que je propose a un lien direct avec l’intervention de Klaus Seitz, qui vient de revendiquer le «regard global». À mon avis, si l’opinion publique est à ce point persuadée que la coopération au développement est la seule et unique solution, c’est parce qu’on ne parle pas des autres piliers du processus de développement. Les analyses des ouvrages scolaires, des reportages de la presse et du matériel d’information produit par les organismes qui dépendent de dons montrent que plus de 80% des textes, qu’ils soient écrits ou oraux, parlent de la misère ou de l’aide extérieure. Ceci déclenche forcément un soi-disant problème d’omnipotence dans les esprits de nos concitoyens; en d’autres termes, on les pousse à surestimer le rôle et les possibilités de la coopération au développement. À partir de maintenant, il faudrait cesser de produire tout matériel imprimé ou audiovisuel, aussi concis soit-il, n’utilisant pas clairement le regard global didactique. Souvent, il suffit pour cela d’employer un seul diagramme. L’opinion publique a besoin d’une vue d’ensemble sur les principes fondamentaux du développement durable en Asie, en Afrique et en Amérique latine, à savoir premièrement et en tant que principe primordial: les performances réalisées par ces pays; deuxièmement: les réformes dans les pays industrialisés et troisièmement: la coopération au développement.
Pour parachever ma recommandation, je donnerai un petit conseil technique: jetez un coup d’œil sur le classeur du BMZ que vous pouvez consulter dehors, au marché des possibilités, au stand de la Fondation allemande pour le Développement international – DSE –. Les diagrammes n°4 («L’Allemagne vit dans une forte interdépendance avec les pays en développement») et n°16 («Coup d’œil sur les contributions au développement») étayent parfaitement ma recommandation. Le diagramme n°4 a d’ailleurs été établi en 1981 dans la foulée d’un sondage d’opinion représentatif.
J’aimerais vous dire à ce sujet que depuis le changement de gouvernement en 1998, nous sensibilisons tous nos groupes de visiteurs au thème du commerce loyal et que nous leur proposons, au terme de leur visite, un échantillon de café ou de thé portant le logo TransFair. Cette démarche répond entre autres au vote des délégués de tous les gouvernements de l’OCDE à l’action d’éducation et de relations publiques en matière de politique de développement. Lors de la réunion de ce groupe à Copenhague en 1998, la commission a recommandé avec une surprenante unanimité et insistance qu’à l’avenir, toutes les déclarations sur les situations problématiques soient accompagnées de propositions sur la manière de les solutionner et des moyens qu’ont les citoyens pour y contribuer.
Je pense qu’ici aussi, ce congrès devrait introduire une césure: il faut qu’à partir de maintenant les actions d’éducation et de relations publiques en matière de politique de développement tiennent compte des résultats d’évaluations fiables et des statistiques sur les taux de succès ou d’échec des projets d’AD respectifs. Heureusement, nous pouvons publier depuis 1986 les évaluations transversales du BMZ. À l’époque, notre service d’évaluation a eu un mal fou à convaincre la direction du BMZ de l’importance de cette publication. L’argument clé a été le caractère crédible de notre action.
À propos de crédibilité, j’aimerais conclure en vous parlant de deux petits événements qui ont un lien direct, premièrement en Allemagne, deuxièmement à l’étranger:
Crédibilité en Allemagne: récemment, j’ai eu à expliquer à un groupe d’écoliers les objectifs de la Conférence de Rio, autrement dit le thème de la durabilité. Un écolier m’a brusquement interrompu et demandé d’un air sévère quelle voiture je conduis. Heureusement, j’ai pu lui donner une réponse qui l’a rassuré. Imaginez le contraire. Aucun argument n’aurait pu faire le poids.
Crédibilité à l’étranger: de 1986 à 1990, j’ai travaillé au Brésil pour le BMZ en tant qu’interlocuteur allemand de la coopération au développement germano-brésilienne. C’est à cette époque que le chancelier Helmut Kohl eut l’idée de proposer aux États du G7 d’améliorer les mesures de protection des forêts tropicales. On pensait au Brésil comme pays pilote. Le temps pressait. Les négociations gouvernementales germano-brésiliennes de 1987 venaient de se clore et ne pouvaient plus servir de forum de discussion sur ce thème avec le gouvernement brésilien. On m’y envoya donc tout seul. Je devais débattre dans plusieurs ministères sur la question de savoir si le Brésil, grande puissance régionale consciente de sa force, était disposé à réserver la moitié du volume de la coopération allemande au développement que l’Allemagne avait l’intention de doubler, à la protection des forêts tropicales. Les Brésiliens furent d’accord. Dans un des entretiens, un homme au regard filou me demanda: «Senhor Christian, avec tout mon respect pour votre grand intérêt pour la protection de l’environnement – longue pause – n’êtes-vous pas le dernier pays du monde à ne pas avoir de limitation de vitesse généralisée?»