Ces dernières années, les débats sur l'éducation des adultes, également au sujet de l'éducation informelle, se sont intensifiés dans les domaines des sciences et de l'éducation. Dans ce contexte, nous devons toutefois aussi nous demander ce que valent les compétences ainsi acquises par rapport à celles obtenues dans des filières formelles et sur quels critères nous devons nous baser pour pouvoir les certifier. L'auteur présente trois modèles. Joachim Knoll est professeur émérite d'éducation des adultes à l'université de la Ruhr de Bochum. Il a apporté son soutien de nombreuses années durant aux activités de l'HZ/DW. Il est également membre du comité consultatif pour les affaires internationales de la Confédération allemande pour l'éducation des adultes. En 2004, il a reçu un doctorat honoris causa de l'université libre de Berlin.
Au cours des dernières années, le débat sur la théorie et les pratiques de l'éducation des adultes s'est tourné vers l'apprentissage informel. Déjà, les textes publiés par l'UE - le «Mémorandum sur l'éducation et la formation tout au long de la vie» (2000) et la communication sur le processus de consultation européen intitulée «Réaliser un espace européen de l'éducation et de la formation tout au long de la vie» (2001) - avaient défini le cadre des pratiques et des politiques éducatives. Dans ces deux textes, l'éducation tout au long de la vie est centrée sur la «formation continue», ce qui a eu un effet regrettable sur la notion d'éducation tout au long de la vie en tant que continuum d'étapes successives d'apprentissage.
Aux niveaux national et international, les divers concepts d'apprentissage informel ont tendance à converger, mais ils s'intéressent plus aux principes généraux qu'au caractère particulier de l'apprentissage informel, qui est un mélange d'acquisition de savoir-faire et de formation formelle.
On y préconise généralement d'accorder davantage d'attention à l'apprentissage informel, et plus particulièrement aux contenus et au rôle de l'apprentissage. On est également convaincu qu'il faut certes faire la distinction entre savoir-faire et formation formelle, mais que les deux termes peuvent fort bien être équivalents, même si l'on reconnaît qu'il ne faut pas sous-estimer les difficultés instrumentales; on s'accorde enfin à dire que l'apprentissage informel augmente la flexibilité de la société d'apprentissage. On émet néanmoins de fortes réserves, à savoir:
Dans le domaine de l'apprentissage informel des adultes, l'OCDE concentre son action sur le thème des compétences à travers deux programmes, le premier ayant un lien direct avec le programme intitulé «La définition et la sélection des compétences clés: fondements théoriques et conceptuels» (DeSeCo), le second ayant un lien moins direct avec le «Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes» (PEICA). Tous deux sont orientés sur des débats qui se déroulent à d'autres niveaux et se basent sur des systèmes de référence qui ne sont pas utilisés au niveau national. Ils sont apparentés dans la mesure où les termes et les définitions qu'ils utilisent anticipent le débat ultérieur sur les rapports entre le marché de l'emploi et les politiques d'emploi d'une part, les savoir-faire, les aptitudes et les connaissances de l'autre.
Dans le premier de ces deux programmes, l'OCDE donne une définition relativement concise des compétences, qui se base sur le quotidien et le monde du travail des individus tout en attachant une importance particulière aux compétences sociales:
«La compétence est la capacité à répondre à des exigences complexes dans un contexte particulier»
et:
«Les compétences clés impliquent la mobilisation de connaissances, de savoir-faire cognitifs et pratiques, de capacités de création et d'autres attributs psychosociaux tels que les attitudes, les émotions, les valeurs et les motivations».
Ces compétences dépassent les qualifications clés évoquées dans les discussions précédentes dans la mesure où elles sont définies avec une plus grande précision et projetées sur différentes conditions de travail, d'environnement et de vie. Ceci ressort particulièrement dans les deux publications de l'OCDE parues dans «DeSeCo News»: «Une publication de l'OCDE identifie les compétences clés nécessaires au bien-être personnel, social et économique», et «Les compétences clés pour réussir dans la vie et contribuer au bon fonctionnement de la société». Ce programme se concentre sur le rapport entre les savoir-faire, les connaissances et les compétences, et la base théorique sous-jacente.
Tous les auteurs reconnaissent la nécessité de définir différentes compétences, soit à l'aide de descripteurs et d'indicateurs, soit en associant les descripteurs à chacun des niveaux tout en veillant à décrire les interconnexions entre les compétences clés et les opportunités individuelles de carrière.
Dans le second programme, le PEICA, l'OCDE ne se borne plus à définir les bases théoriques ni à énumérer les compétences; son but est de mettre en place une stratégie bénéficiant d'un impact nettement supérieur à celui des débats internes sur l'éducation, et d'appliquer cette stratégie au développement économique et au recrutement.
Les objectifs sont énoncés en ces termes:
«Le Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes vise à développer une stratégie pour aborder l'offre et la demande de compétences qui pourrait:
(a) identifier et mesurer les différences entre individus et pays dans des compétences censées être à la base à la fois du succès personnel et sociétal;
(b) évaluer l'impact de ces compétences sur les résultats économiques et sociaux aux niveaux individuel et global;
(c) mesurer la performance des systèmes d'éducation et de formation à créer les compétences requises et
(d) aider à clarifier les leviers politiques qui pourraient contribuer à améliorer les compétences.»
Au cours du débat qui s'est déroulé au sein du PEICA, les experts ont reconnu non seulement que les savoir-faire et les aptitudes sont acquis dans le cadre des institutions du système éducatif formel et non formel, mais aussi qu'il faut prendre en compte l'apprentissage informel réalisé sur le lieu de travail et dans la vie en général. Ceci nécessite une liste d'indicateurs permettant d'identifier les compétences importantes dans la vie, même si jusqu'à ce jour, on n'a pas assez recherché les moyens de convaincre les individus de leur capacité à acquérir ces compétences.
Néanmoins, les autres rapports nationaux et internationaux montrent qu'il reste encore bon nombre de questions à clarifier, notamment:
«Les savoir-faire et les compétences s'acquièrent aussi à l'extérieur des systèmes d'éducation et de formation des pays membres. La première question est de savoir comment. La seconde est d'égale importance: la manière dont l'individu peut utiliser ses compétences est un facteur crucial pour les performances de nos économies et de nos sociétés en général».
L'observateur impartial n'échappera pas à l'impression que, s'il est vrai que les partenaires concernés semblent disposés à débattre sur la mise en place d'instruments d'évaluation des compétences, on n'a par contre encore aucune méthode pratique en termes d'équivalences.
En outre, la dimension internationale, qui dépasse les spécificités culturelles des États-nations, n'a pas encore résolu la difficulté que représente l'abandon des comparaisons généralisées au profit des comparaisons entre individus.
Le plan de recherche pour une stratégie d'éducation et de formation tout au long de la vie, qui émerge lentement pour donner à l'apprentissage informel la place qui lui revient, peut être décrit ainsi:
Même si l'on approuve ce type de recherche, des interrogations subsistent, notamment sur la relative imprécision et la complexité des panoplies d'instruments empiriques. Au départ, il est donc important de démontrer à l'aide d'exemples concrets le caractère opérationnel de ces modèles.
En Allemagne, l'apprentissage informel a fait l'objet d'une grande attention. C'est grâce au ministère fédéral de l'Éducation et de la Recherche (BMBF) qu'a pu être réalisée une grande partie du travail préliminaire sur la certification de l'éducation permanente, avec le soutien de l'Institut allemand de recherche pédagogique internationale (DIPF) de Francfort, l'Institut allemand d'éducation des adultes (DIE) de Bonn, et l'Institut de développement et de recherche structurelle de Hanovre. L'étude de faisabilité dont il est question ici a précédé la mise en place d'une commission allemande sur l'éducation et la formation tout au long de la vie, qui a l'intention de créer une base de données en ajoutant des indicateurs sociaux à I' «Annuaire des données de bases et structurelles» (Grund- und Strukturdaten). Autrement dit, le but est d'examiner l'efficience en faisant passer les résultats statistiques avant les financements et les performances éducatives. La commission constate que les données statistiques sur l'éducation permanente sont désastreuses, et veut par conséquent leur ajouter des dimensions et des champs nouveaux. Le BMBF déclare:
«II n'y a aucun cadre soutenable qui permette de mettre en place et de développer l'éducation tout au long de la vie. Mais on manque surtout d'informations sur l'évolution des compétences des individus, sur la manière dont elles se créent, évoluent et se perdent.»
Ce document note en passant que les premiers résultats ont été communiqués aux programmes de l'OCDE mentionnés plus haut.
Un groupe d'experts a été mis en place pour diriger les activités de la commission et répondre à certaines questions, notamment:
D'innombrables ouvrages ont été publiés sur ce sujet en amont et en aval de l'étude de faisabilité; l'aspect empirique de l'évaluation des compétences a fait l'objet de nombreuses descriptions détaillées qui se réfèrent aussi aux ouvrages internationaux sur l'éducation des adultes.
Mais il n'est pas nécessaire de citer les références des divers documents.
En Allemagne, le débat s'est de plus en plus concentré sur la visibilité et la reconnaissance de l'apprentissage informel et des savoir-faire personnels, grâce aux passeports de formation continue.
L'étude de faisabilité est un pas important qui encourage la poursuite des activités; elle a tenu compte des travaux préliminaires et développé un modèle de référence qui lui a permis de créer le passeport national de formation continue, ProfilPass, dont 2 000 exemplaires ont d'ores et déjà été distribués.
Cette année, il faut tirer les conclusions de ce projet pilote; un modèle de référence II sera ensuite mis à la disposition de tous les intéressés, et le passeport pourra être utilisé sans aucun caractère obligatoire.
Récemment (8 juillet 2005), la Commission européenne a publié de manière inattendue un document de travail au titre révélateur: «Vers un cadre européen des certifications professionnelles pour la formation tout au long de la vie». (Commission des Communautés européennes, Bruxelles 8.7.2005, SEC (2005) 957).
Le document s'appuie sur le modèle du Cadre européen des qualifications (CEQ) et «constituera la base d'un processus de consultations à l'échelle européenne». Dans ce contexte, David Coyne a adressé une lettre à l'Association européenne d'éducation des adultes dans laquelle il a écrit notamment:
«J'écris maintenant pour consulter les associations éducatives européennes et les ONG. L'objectif du CEQ est de créer un cadre européen qui permettra d'interconnecter les systèmes de qualifications aux niveaux national et sectoriel».
La Commission européenne a la ferme intention d'initier un processus similaire à celui de la consultation sur le «Mémorandum sur l'éducation et la formation tout au long de la vie» d'octobre 2000, et de la communication «Réaliser un espace européen de l'éducation et de la formation tout au long de la vie» de novembre 2001. Ce processus s'est révélé très précieux, d'autant que la consultation a été suivie par la publication d'un document basé sur un large consensus, auquel ont pu adhérer tous les partenaires des systèmes de formation d'adultes dans les États membres de l'UE.
On attend évidemment des résultats similaires du nouveau document de travail; je me demande néanmoins si les systèmes de qualifications nationaux sont suffisamment développés pour permettre la mise en place d'un système concluant à échelle plus ou moins européenne. Le document prétend que ce type de cadres nationaux existent dans tous les États membres. Il va de soi qu'un cadre européen de qualifications ne peut que s'appuyer sur des cadres nationaux; dans le cas contraire, le principe de subsidiarité, qui fait partie intégrante des Traités européens, serait rompu. Le choix des mots indique clairement qu'il est impératif de faire précéder le métacadre européen de cadres nationaux.
Les objectifs sont en outre: créer un rapport équilibré entre les cadres de qualifications nationaux et européens, ne pas se contenter déjouer un rôle de coordinateur, encourager la mise en place d'un système de reconnaissance de dimension transnationale; le Cadre européen des qualifications
«permettrait en même temps d'interconnecter les cadres et les systèmes de qualifications nationaux et sectoriels - ce qui faciliterait le transfert et la reconnaissance des qualifications de chaque citoyen».
La création d'un CEQ a été demandée par les chefs de gouvernements des États membres lors de la réunion de Bruxelles en mars 2005, qui ont conforté les recommandations précédentes en s'ap-puyant sur les «Directives pour les qualifications professionnelles» déjà en place.
L'une des tâches prioritaires du CEQ est exposée dans le document de travail intitulé «Promouvoir la mobilité des apprenants et les politiques d'emploi transnationales». Mais le texte dévie de cet objectif un peu trop ambitieux. Un document de travail rédigé pour un atelier de suivi formule «à l'intention des responsables de l'éducation et des individus» les objectifs du CEQ:
Pour l'application de ce modèle plus que pour les autres, le «document de travail» réclame une meilleure différenciation technique et structurelle et une définition élargie des principes. Ainsi, par exemple, les qualifications requises pour tous les niveaux d'un éventuel CEQ relèvent de trois types de résultats d'apprentissage:
Les critères d'apprentissage d'un apprenant peuvent être établis à partir d'une liste des exigences requises, à huit niveaux croissants. La qualification lui est accordée à condition d'avoir une idée d'ensemble de ses connaissances, de ses savoir-faire et de ses compétences à différents niveaux. Le CEQ n'est cependant pas destiné à définir les procédures de reconnaissance nationales, et encore moins à attribuer la qualification même, car ceci a lieu au niveau national correspondant. Par conséquent, le document de travail formule clairement que
«te CEQ ne peut remplacer les cadres nationaux et/ou sectoriels émergents; il doit avoir un rôle complémentaire et distinct, et ne doit être considéré ni comme la «somme», ni comme «la moyenne représentative» des cadres nationaux ou sectoriels. Le CEQ ne doit comporter aucun descriptif de qualifications, de voies d'apprentissage ou de conditions d'accès particulières.»
D'un autre côté, et c'est un point positif, le document exprime en termes plutôt vagues que
«te CEQ doit permettre aux citoyens de naviguer au sein et entre des systèmes complexes, et placer leurs propres résultats d'apprentissage dans ce contexte élargi».
Même si ce document de travail est considéré comme un complément des cadres nationaux et sectoriels, on peut supposer que le descriptif détaillé des huit niveaux du Cadre européen des qualifications par résultats d'apprentissage sera adopté par les organes nationaux.
Un emploi du temps a été arrêté pour les débats à venir, la fin des consultations ayant été prévue pour fin décembre 2005. Un projet de recommandations du Conseil sur le CEQ devrait être prêt pour le printemps 2006, l'adoption des Recommandations du Conseil devant suivre au printemps 2007.
L'un des avantages indéniables du document de travail est de s'être basé sur les connaissances spécialisées actuellement disponibles, et sur les travaux antérieurs réalisés notamment dans le cadre de l'étude sur le Répertoire européen de la validation de l'éducation formelle et informelle en 2004. Même ici, je dois constater une tendance à la perfection qui facilite la compréhension et la transparence, et suis tenté de croire que l'éducation et la formation tout au long de la vie pourront être à la fois disponibles dans toute l'Europe et clairement classifiées.
Bien qu'il ne soit pas en relation directe avec le modèle de CEQ décrit plus haut, j'aimerais mentionner le portail INTERNET PLOTEUS, qui fonctionne déjà bien et peut être considéré comme le prolongement matériel du CEQ. L'intention du portail est de proposer aux étudiants, aux chercheurs d'emplois, aux parents, aux conseillers et aux enseignants «des informations sur les opportunités d'apprentissage et les possibilités de formation dans l'espace européen». Les débuts sont très prometteurs, et il faut espérer qu'il soit encore plus utilisé en tant que partie intégrante du processus de consultation.
On peut contester les tentatives de doter l'éducation non formelle des adultes d'un cadre de qualifications destiné à mesurer et certifier les performances; on peut également douter du succès des efforts déployés pour inclure l'apprentissage informel dans ce processus. Mais il est certain qu'en dépit des différences entre l'éducation des adultes formelle et non formelle et la formation continue, les questions d'applicabilité, d'efficience et d'employabilité vont jouer un rôle de plus en plus important pour les organismes de financement, et qu'elles vont émerger dans tous les champs de la formation continue; on se permettra aussi de faire remarquer que la fonction de l'éducation civique et de l'éducation créative et culturelle doit être reconnue sous sa forme spécifique non systématisable et non évaluable, et que les bilans de compétences ne doivent pas être dénaturés par les tests.
Nous allons suivre de près l'évolution du projet, procéder de manière aussi positive qu'empirique, et ne jamais perdre de vue que tout être éduqué est plus que la somme des qualifications dont il fait preuve.