Au moment de son indépendance, le Mozambique comptait 93 % d'analphabètes. Jusqu'en 2003, ce pourcentage put être réduit à 53%. C'est durant cette même année que fut introduit un nouveau programme d'alphabétisation destiné à réduire ce pourcentage encore plus. Les deux auteurs présentent les résultats de deux études menées au Mozambique sur les moyens d'améliorer l'efficacité des programmes d'alphabétisation. La première étude examine les attentes des participants et des non-participants à des programmes d'alphabétisation. La seconde étude identifie les besoins élémentaires concrets d'éducation en fonction desquels les programmes d'alphabétisation devraient être structurés. Rosalina Rungo est directrice de l'Education Training Centre dans la province de Maputo, au Mozambique. Elle est titulaire d'une maîtrise en éducation des adultes qu'elle a obtenue en 2004 à l'université Eduardo Mondlane de Maputo. Josje van der Linden est professeur depuis 2002 au département d'éducation des adultes de l'université Eduardo Mondlane. Elle a effectué des études sur les programmes d'éducation des adultes axés sur les domaines suivants: alphabétisation, éducation non formelle, compétences de base et formation des agriculteurs.
«Le monde d'aujourd'hui est plein d'incertitudes. Celui qui
n'étudie pas mourra de pauvreté.» (Vendeuse de légumes sur l'un des plus grands marchés de Maputo)
«Avant, quand vous étiez fils d'une famille pauvre, vous vous travailliez tout simplement dans votre «machamba» (champ en régime pluvial, n.d.l.t.) et vous ne faisiez pas d'études, tandis qu'aujourd'hui, si vous ne faites pas d'études, vous ne trouvez pas de travail.» (Participant à un programme d'alphabétisation à Marracuene, province de Maputo)
«L'alphabétisation est importante pour être quelqu'un.»
(Femme sur un marché de Nampula, Mozambique du nord)
Quand l'indépendance fut proclamée, en 1975, le Mozambique se retrouva avec un taux d'analphabétisme élevé chez les adultes. L'accès limité à l'éducation durant la colonisation portugaise en était responsable. Trois ans plus tard, le président de l'époque Samora Machel lança la première campagne nationale d'alphabétisation. Les campagnes d'alphabétisation qui lui succédèrent et l'essor massif de l'éducation primaire entraînèrent une baisse du pourcentage d'analphabétisme qui, de 93 % en 1975, passa à 72 % en 1980. Malheureusement, cette tendance ne se poursuivit pas dans les années quatre-vingt. Cette époque fut marquée par une réduction importante des activités d'éducation des adultes, du fait principalement des effets déstabilisants des conflits armés qui secouèrent le pays.
D'autres facteurs poussèrent les participants à ces programmes à abandonner: le portugais, les emplois du temps stricts et l'approche scolaire des programmes (Lind, 1988, INDE, 2000). On proposa d'introduire des cours plus souples, donnés dans les langues locales et clairement en rapport avec la situation économique et sociale des apprenants. Malheureusement, dans les programmes de réajustement structurel imposés à partir de 1987 par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, l'éducation des adultes et l'alphabétisation n'étaient plus des priorités politiques, et aucun budget n'avait été prévu pour la mise en œuvre des innovations proposées.
Ce ne fut que des années plus tard, après la ratification des accords de paix en 1992 et les premières élections démocratiques en 1994, que l'alphabétisation commença de nouveau à être considérée comme un outil indispensable pour le développement économique et social du pays et que des initiatives furent prises dans le but de revitaliser ce secteur. Dans une interview accordée au journal Notícias, le directeur national des programmes d'alphabétisation et d'éducation des adultes présenta des chiffres qui indiquaient une hausse considérable du nombre des participants et, par conséquent, un recul du taux d'analphabétisme qui était tombé à 53 %. Il attribua cette réussite à la distribution de matériels, à l'utilisation plus répandue des langues locales dans les cours d'alphabétisation et aux subventions accordées pour les alphabétiseurs. En faisant référence à la préparation du nouveau curriculum, il constata que
«le défi consiste à modifier graduellement le curriculum pour répondre aux besoins des participants de manière à ce qu'ils acquièrent des compétences [...] leur permettant d'accroître les revenus familiaux» (Este ano em [...], 2004).
Un nouveau curriculum d'alphabétisation fut présenté en 2003; il n'a toujours pas été intégralement mis en œuvre.
La société civile, qui comprend les organisations non gouvernementales, les églises et différents autres organismes et associations, a contribué substantiellement au renouveau des programmes d'alphabétisation. Action Aid, l'une des organisations à promouvoir l'alphabétisation, a introduit l'approche REFLECT qui associe l'alphabétisation et l'autonomisation de la communauté. Les participants aux cercles d'alphabétisation REFLECT analysent les problèmes de leur communauté à l'aide de dessins et apprennent le vocabulaire en rapport avec les problèmes identifiés et leurs solutions. En faisant cela, les apprenants conçoivent leurs propres matériels d'apprentissage. Ils ne disposent pas de manuels élémentaires. La langue employée pour les discussions et l'enseignement est celle que parlent les participants. Actuellement, les cours d'alphabétisation des programmes gouvernementaux continuent d'employer l'ancien curriculum tandis que, à une échelle beaucoup moins vaste, ceux proposés par des représentants de la société civile, par exemple les cercles d'alphabétisation reposant sur la méthode REFLECT, opèrent parallèlement.
Cet article résume les résultats de deux études menées au Mozambique par le département d'éducation des adultes de l'université Eduardo Mondlane. La première, consacrée aux «Points de vue sur les programmes d'alphabétisation» (Van der Linden, Manhiça et Rungo, 2004), examine les différents points de vue, selon que les personnes interrogées participent ou non à des programmes d'alphabétisation. La seconde étude est une analyse des «besoins éducatifs fondamentaux» (Rungo, 2004) comme perçus par les participants à deux programmes d'alphabétisation différents, l'un gouvernemental et l'autre dirigé par Action Aid dans le district de Marracuene (province de Maputo). Si ces deux études ont été menées indépendamment, leurs résultats coïncident largement et nous les examineront ensemble. L'objectif de la première étude consistait à identifier les points de vue des participants et des participants potentiels aux programmes d'alphabétisation pour les comparer entre eux et à formuler des recommandations visant à améliorer l'accessibilité à ces programmes. L'objectif de la seconde étude consistait à identifier les besoins éducatifs fondamentaux et leur satisfaction comme perçus par les participants aux programmes d'alphabétisation et, en se plaçant sous cet angle, à faire des suggestions pour améliorer ces programmes.
Le sujet de ces études et le désir des chercheurs de contribuer à former la pratique actuelle des programmes d'alphabétisation exigeaient une démarche participative. Les principales techniques utilisées furent les suivantes: questionnaires semi-structures, observation de cours d'alphabétisation et séances de rétroaction, le tout en étroite collaboration avec les pouvoirs publics et le personnel local. Pour l'étude sur les points de vue concernant les programmes d'alphabétisation, 112 participants et participants potentiels dans les provinces de Maputo (y compris dans la capitale du pays) et de Nampula répondirent à un questionnaire semi-structure. Trois types de zones furent sélectionnés dans ces provinces: urbaine, semi-urbaine et rurale. Dans chaque zone, dix personnes de chaque groupe cible (participants et participants potentiels) furent interrogées. Les participants furent choisis dans des centres d'éducation des adultes, les participants potentiels furent sélectionnés avec l'aide des dirigeants locaux et des participants, ou tout simplement, après prise de renseignements au marché local. Quant à l'étude sur les besoins éducatifs, les questionnaires furent présentés à vingt participants au programme gouvernemental et à un programme REFLECT dans une association de fermiers. L'observation des cours fournit des informations supplémentaires pour cette étude. Une analyse préliminaire des résultats des questionnaires et de ceux de l'observation des cours fut présentée et examinée plus en profondeur à l'occasion de séances de rétroaction auxquelles participèrent des fonctionnaires, des enseignants et des leaders communautaires travaillant pour des programmes d'alphabétisation dans les secteurs en rapport avec les études. Ces séances offrirent l'occasion de vérifier la justesse des résultats et de se pencher sur des recommandations possibles visant à améliorer les programmes.
Les résultats de la première étude révèlent pourquoi l'alphabétisation est importante aux yeux des participants, ces raisons étant réparties en quatre catégories: vie de famille concrète, amélioration des revenus familiaux, participation sociale et évolution personnelle. Pour la seconde étude, les besoins éducatifs fondamentaux comme perçus par les participants aux programmes d'alphabétisation ont été regroupés dans les catégories formulées en 1990 lors de la Conférence mondiale de Jomtien sur l'éducation pour tous. Elles sont les suivantes: survivre, améliorer la qualité de la vie, prendre des décisions éclairées, vivre et travailler dans la dignité, participer pleinement au développement, développer toutes ses capacités personnelles et continuer d'apprendre (CMEPT, 1990, Torres, 2003). Ci-dessous, les trois premiers besoins éducatifs fondamentaux ont été regroupés dans la catégorie «vie de famille concrète» et les deux derniers dans la catégorie «évolution personnelle».
La vie de famille concrète est le premier sujet évoqué, principalement par les femmes, mais aussi par les hommes, lorsqu'il est question de l'importance de l'alphabétisation. Les personnes interrogées répondent que «l'alphabétisation aide à comprendre les choses de la vie» et à «résoudre des problèmes du quotidien». Elles fournissent, entre autres, les exemples suivants: comprendre les devoirs des enfants, parler des enfants avec les enseignants, parler avec le médecin, écrire son nom, lire et écrire des lettres, lire la destination du bus et vérifier la monnaie au marché. Les premiers exemples se rapportent à la langue portugaise dominant dans la vie publique mo-zambicaine et nécessaire pour communiquer avec les enseignants et les médecins.
L'alphabétisation aide à surmonter la honte et la méfiance qui accompagnent l'isolation: «Avant, j'avais honte quand je devais signer quelque chose. Maintenant, je sais déjà comment écrire mon nom», déclare une femme de Maputo City. Un jeune homme de la province de Nampula constate la chose suivante: «Je veux savoir suffisamment compter pour ne pas me faire duper au marché. » Dans cette catégorie, la lecture et l'écriture sont des questions de survie. «Je travaille dans ma «machamba» (champ en régime pluvial, n. d. 1.1.) et j'élève du bétail. Ces temps-ci, je ne gagne pas beaucoup d'argent [...], les poulets meurent de maladies, les plantes aussi [...], il y a bien des remèdes, mais vous devez savoir vous en servir. Quand il n'y a personne pour m'aider, je ne peux rien faire parce que je n'ai pas étudié», déclare une fermière de Marracuene. L'une de ses collègues ajoute: «J'ai été très intéressée par les leçons sur les maladies, par celles sur les mois durant lesquels des maladies comme la malaria sévissent.»
Juste après les raisons concernant la vie familiale concrète viennent celles relatives à l'amélioration de la vie par l'accroissement des revenus familiaux. En général, les personnes interrogées les formulent ainsi: «avoir une vie meilleure», «arrêter la pauvreté» et «stopper la souffrance». Elles citent différentes stratégies pour y parvenir: trouver un emploi («travailler dans un bureau»), améliorer les affaires («vérifier le poids de mes marchandises quand je les vends») ou améliorer la qualité et accroître la quantité des marchandises à vendre («connaître de nouvelles techniques de production et de culture pour faire un bon usage de ce dont dispose la communauté»). Ces réponses se rapportent aux compétences dont disposent les personnes interrogées: «Je rends la monnaie, mais c'est assez difficile pour moi» (femme sur un marché à Maputo), «préparer mon budget est facile, ce qui est difficile, c'est de le faire par écrit» (homme à Nampula), «Dans mon travail, je manipule beaucoup d'argent et de choses, mais j'ai des difficultés à enregistrer cela par écrit [...], c'est mon patron qui s'en charge [...]. Je veux apprendre à écrire mieux, plus rapidement et avec beaucoup d'idée» (participant à Marracuene).
Le besoin éducatif de base qui permet de vivre et de travailler dans la dignité est ici en cause. «Quand nous rendons la monnaie au marché, nous perdons beaucoup d'argent. Au bout du compte, nous ne faisons pas de bénéfices. Ce n'est pas bon parce que soit nous trompons nos clients, soit c'est eux qui nous trompent», déclare un des participants de Marracuene. Les gens qui vendent des marchandises sur les marchés se comparent aux personnes instruites de leur entourage: «Je veux avoir un emploi comme mes voisins; ceux qui ont étudié ont une meilleure vie», déclare un jeune homme au marché de Nampula. Ici aussi, il est question du portugais, et même de l'anglais à Nampula, comme langues qu'il est nécessaire de connaître pour avoir un emploi décent ou pour faire du commerce. Bien qu'il soit difficile de distinguer clairement cette catégorie de la précédente, nous préférons la considérer comme une catégorie à part, mentionnée principalement par les hommes expliquant les difficultés qu'ils rencontrent lorsqu'ils tentent d'améliorer leurs revenus.
La participation à la société est la troisième catégorie. L'alphabétisation est essentielle pour «comprendre ce que disent les autres». Les autres sont ceux qui ne parlent pas la même langue maternelle. Ce désir de communiquer se rapporte une fois de plus au portugais. Les participants aux cours d'alphabétisation ont des ambitions: ils veulent «apprendre des choses aux autres», «expliquer des choses aux autres», «aider les autres», «résoudre des problèmes sociaux» et «aider à lutter contre la criminalité». Dans la province de Nampula, les gens parlent littéralement du désir d'être «quelqu'un», c'est-à-dire d'être respectés, écoutés, estimés. Les éducateurs d'adultes dans cette province expliquent qu'il existe une hiérarchie sociale stricte: les gens ont un droit limité de prendre la parole à l'occasion de réunions au cours desquelles on s'attaque à la résolution de problèmes. L'expression locale «personne ne dit rien, à moins d'être quelqu'un» reflète bien l'exclusion des gens considérés comme des «moins que rien», et ces «moins que rien» sont justement conscients de la situation. Une femme affirme ainsi que «l'alphabétisation signifie étudier et sans avoir étudié, vous n'êtes rien.» Un homme de la province de Maputo exprime le même sentiment: «Bien des choses ont changé. Seuls les gens instruits sont considérés comme des êtres humains et respectés.» Le besoin éducatif fondamental de participer au développement de la société est l'enjeu dont il est ici question.
Les apprenants adultes veulent être capables de prendre part à des réunions comme, par exemple, les réunions de l'association des fermiers ou les réunions de parents d'élèves. Un membre de la direction de l'association des fermiers constate que «c'est très difficile du fait que je dois demander à mes enfants de m'aider et qu'il arrive qu'ils n 'en ont pas le temps. Je veux apprendre à lire et à écrire des choses, par exemple des comptes-rendus.» Un autre participant déclare que «lors des réunions à l'école, ils discutent de tas de choses, mais je ne comprends rien parce que je ne parle pas portugais. Je veux tout apprendre.» Un participant potentiel de la province de Maputo veut apprendre à lire et à écrire à cause de ses activités au sein de l'Église: «Je veux étendre mes connaissances pour être un meilleur pasteur.» Le souhait et la nécessité de participer transparaissent tant dans les réponses des femmes que dans celles des hommes.
La quatrième catégorie de réponses est liée à l'évolution personnelle dans un sens plus large. Les personnes interrogées mentionnent les raisons suivantes: «apprendre de nouvelles choses», «savoir ce que l'on fait» et «étendre mes connaissances, même si je n'arrive pas à trouver de travail». Un homme de Nampula, qui avait arrêté de participer au programme lorsque son centre avait fermé déclare la chose suivante: «Je veux savoir ce qu'est l'eau, ce qu'est le feu.» Une participante de Nampula déclare de son côté que «l'alphabétisation ouvre l'esprit de gens qui ont longtemps vécu dans l'isolation.» Un lien avec la catégorie précédente se dessine: les apprenants qui suivent des cours d'alphabétisation veulent faire partie de la société du savoir telle qu'elle existe. La femme, citée au début de cet article, pour laquelle le monde d'aujourd'hui est plein d'incertitudes fait preuve d'une bonne compréhension de la société dont elle fait partie et au sein de laquelle il est nécessaire de se tenir au courant. Malheureusement, elle ne suit pas de cours d'alphabétisation, accordant la priorité à ses petits-enfants: «L'alphabétisation doit continuer, pas pour moi mais pour mes petits-enfants. J'ai beaucoup de petits-enfants qui n'étudient pas. Les études, c'est important. Elles aident à avoir une vie meilleure.» En fait, nous avons vu le centre d'éducation des adultes à proximité du marché de Maputo se remplir d'enfants qui, faute de places, avaient été refusés dans des écoles ordinaires. L'évolution personnelle ou, pour reprendre la formulation de Jomtien, le plein développement des capacités personnelles et la poursuite de l'apprentissage sont liés à l'accroissement de l'indépendance qui permet de régler les choses par soi-même. «Quelqu'un qui sait lire et écrire n'a pas besoin d'aide», déclare l'un des participants de Marracuene, résumant ainsi les opinions de bon nombre d'entre eux. Cette catégorie a, elle aussi, été citée par les femmes et les hommes.
Dans l'ensemble, les points de vue des participants et des participants potentiels sur le contexte de l'alphabétisation sont les mêmes. Ils diffèrent toutefois sur certains points en fonction du sexe et de l'âge des personnes interrogées. Les femmes se montrent plus préoccupées par la vie de famille et l'éducation des enfants, ce qui, d'une certaine manière, limite leur horizon, tandis que les hommes font preuve d'une plus grande mobilité dans leur recherche de moyens pour gagner leur vie. De même, les jeunes sont plus mobiles que les personnes âgées. Par conséquent, les gens ne sont pas aptes à faire face de la même manière à une situation donnée. Il s'agit donc ici d'un fait graduel et non statique. Nous avons vu comment des femmes et des personnes âgées se reprochaient leur propre isolement. D'un autre côté, nous avons rencontré des femmes déterminées à apprendre à lire et à écrire, et même à passer des semaines à apprendre uniquement à écrire leur nom. D'autres personnes pourront tirer des enseignements de ceci, ce qui leur permettra d'évoluer. Il est en fait difficile de distinguer les différentes catégories, chacune étant une dimension de la même réalité. L'essentiel reste que les gens se sentent exclus, isolés, dépourvus d'un outil primordial qui leur permettrait de satisfaire leurs besoins éducatifs fondamentaux.
Même quand elles reconnaissent que l'alphabétisation est importante pour elles, certaines personnes ne participent pas à des programmes d'alphabétisation. Tant dans la province de Nampula que dans celle de Maputo, ce sont principalement des femmes qui suivent des cours alors qu'il y a aussi certainement des hommes qui auraient besoin d'apprendre à lire et à écrire. En fait, l'éducation des adultes est toujours une éducation à temps partiel. Les responsabilités des adultes obligent ces derniers à accorder la priorité à d'autres choses. De ce point de vue, les ouvrages à ce sujet parlent d'obstacles à la participation, faisant généralement la distinction entre les obstacles extérieurs ou situationnels, dont l'origine est à l'extérieur de la personne, et les obstacles intérieurs ou dispositionnels, qui existent dans la personne. Participer signifie suivre des cours d'alphabétisation, la participation active de la personne n'ayant rien à voir avec la question.
Dans le passé, le Mozambique n'a connu que des obstacles extérieurs qui ont empêché presque toute sa population de s'instruire. La colonisation, la guerre, les conflits armés et la situation socio-économique ont ébranlé le pays et ont été à l'origine des taux d'analphabétisme élevés mentionnés plus haut. Les personnes interrogées décrivent ainsi ce qu'elles ont vécu: «Ce n'est qu'à présent que j'ai du temps. Durant la guerre, j'étais soldate dans la division des femmes», «les bandits kidnappaient les enfants dans les écoles, si bien que ma famille leur disait de rester à la maison», «la guerre nous a obligés à partir ...et à aller habiter à Maputo pour des raisons de sécurité.» De nombreuses familles n'avaient pas assez d'argent pour payer les frais de scolarité ou couvrir les autres dépenses scolaires, et l'école n'était pas une priorité: «Mes parents étaient analphabètes et je devais faire des travaux ménagers», déclare une femme à Maputo. Les gens qui ne participent toujours pas à des programmes d'alphabétisation allèguent principalement qu'ils manquent de temps et de ressources: «J'emploie tout mon temps à chercher une occupation pour subvenir aux besoins de ma famille», explique une femme au marché de Maputo.
Du temps de la colonisation, l'école avait ses propres obstacles: «Je suis né durant la colonisation. Apprendre était interdit. À l'école, on me battait. J'aimais y aller, mais j'ai seulement appris l'alphabet, j'avais peur d'être battu et je m'attardais sur le chemin de l'école en mangeant des «massalas» (fruits indigènes). Ou encore: «Nous devions travailler dans la «machamba» du maître d'école et pensions que c'était une perte de temps. Nous avons donc décidé d'investir notre énergie dans la «machamba qui était à nous». Un certain nombre de ces expériences ont induit jusqu'à ce jour une attitude négative à l'égard de l'école et de l'éducation. L'école et les programmes d'alphabétisation comportent aujourd'hui encore des obstacles. Les personnes interrogées se sont plaintes du manque d'informations, de l'absence de centres, du manque de places (les enfants occupant dans certains cas celles des adultes), de la fermeture d'un centre, des emplois du temps peu pratiques et des mauvaises conditions dans les centres existants. Les cours qui se déroulent au pied d'un arbre ou dans des bâtiments mal construits sont monnaie courante. Les hommes, en particulier, se sont plaints des conditions dans les centres: «Nous n 'avons pas de livres, nous n 'avons pas de bâtiment à l'intérieur duquel nous pourrions étudier pendant la saison des pluies [...]. Je veux demander au directorat national ou provincial qu'il nous aide en nous fournissant des livres et des matériels, et en construisant un centre» (homme, province de Nampula).
En dehors des obstacles extérieurs dus aux circonstances sociales, économiques et politiques en général, ou au système d'enseignement, l'environnement social direct joue également un rôle. Les conditions de vie sont fragiles et peuvent drastiquement changer quand un membre de la famille tombe malade ou décède. Les femmes sont nombreuses à avoir abandonné l'école étant enfants parce que la famille n'avait plus d'argent pour les y envoyer ou qu'un de ses membres avait besoin de soins: «Après la mort de mon père, ma mère n'avait plus suffisamment d'argent» (femme de la province de Maputo), «Je me suis occupée de ma mère qui était aveugle» (femme de la province de Maputo). Dans certains cas, les hommes n'autorisent pas les femmes à suivre des cours, ce que certaines réponses nous ont permis de déduire: «Mon ex-mari ne voulait pas que j'y aille», «Ma belle-sœur a abandonné à cause de mon frère qui lui a dit de rester à la maison quand il est parti travailler en Afrique du Sud», «Ma tante n'étudie pas à cause de son mari.» Quant aux hommes, il semble qu'une classe pleine de femmes les empêche de vouloir apprendre. Un jeune participant de la province de Nampula a déclaré qu'il connaissait beaucoup d'hommes qui ne savaient ni lire ni écrire parce qu'«//s ont honte». Les éducateurs d'adultes ont mentionné un autre phénomène lors d'une des séances de rétroaction: les non-participants qui découragent les participants. Les collègues qui continuent à travailler dans les champs ou vont consommer une boisson alcoolisée, spécialité locale, tandis que d'autres vont suivre des cours d'alphabétisation se moquent de ces derniers en leur demandant par exemple: «Alors, combien as-tu gagné aujourd'hui?» ou «Tu ne veux pas rester et venir boire un coup avec nous?» Entourés ainsi, les participants ont du mal à se motiver à poursuivre une activité comme l'alphabétisation qui exige d'eux qu'ils s'investissent à long terme.
Les études ont aussi révélé des facteurs intérieurs qui font obstacle à la participation des gens. La maladie, l'enjouement et même la paresse ont été cités. De nombreuses femmes ont abandonné l'école du fait d'une grossesse précoce. Beaucoup de personnes âgées qui commencent ou veulent commencer à apprendre à lire ont une mauvaise vue. On rencontre aussi des problèmes attitudinaux: «Je ne veux pas participer parce que je suis trop vieille. Que ferais-je de ce savoir?», demande une femme de la province de Maputo. Une autre femme est parvenue à surmonter ses difficultés: «Je n'étais pas sûre de moi. À mon âge, je ne savais pas quoi faire à l'école, mais maintenant, je le sais, je suis capable de lire et d'écrire.» Il y a des gens qui pensent qu'apprendre, c'est bon pour les enfants et que les personnes âgées ont de vieux cerveaux dans lesquels elles auront du mal à faire entrer de nouvelle choses: «Je ne veux pas participer parce que je ne peux plus apprendre» (femme à Maputo). Les femmes sont relativement plus affectées que les hommes par ce type d'obstacles, à moins qu'elles ne soient moins gênées d'en parler.
Bien qu'il n'y ait que peu de différences entre les points de vue des participants et ceux des participants potentiels, il existe de grands écarts au niveau des obstacles. Les participants réussissent à surmonter les obstacles, alors que les non-participants n'y parviennent pas. Nous avons demandé aux participants comment ils s'y étaient pris et ce qui les y avait aidés. Les personnes interrogées ont fait état de facteurs intéressants qui ont contrebalancé les effets produits par les obstacles.
Il s'agit premièrement de facteurs relatifs aux modalités des cours d'alphabétisation. Il était important pour eux d'être informés sur la gratuité des cours et des matériels d'apprentissage: «Je ne savais pas qu'il y avait une école où vous n'aviez rien à payer. Ma belle-sœur me l'a dit et je suis allé m'inscrire», raconte un jeune homme de la province de Maputo. En outre, l'organisation du centre peut aider les gens à adapter les cours à leur vie bien remplie: des emplois du temps organisés en fonction des participants et des salles de classe installées à proximité du lieu de travail des apprenants, par exemple près des «machambas» ou du marché, permettent de gagner du temps. En général, les enseignants jouissent d'un grand respect: «le professeur était bien», «elle avait beaucoup de patience», «il explique bien». Tenir compte des mauvaises expériences vécues par beaucoup d'apprenants durant leur scolarité est d'une importance vitale. Bien entendu, ce qu'ils vivent à présent durant les cours, la satisfaction de leurs besoins éducatifs, qui font partout l'objet des questionnaires, joue un rôle.
Deuxièmement, l'entourage social direct semble avoir une importance capitale: «Je vis avec des gens qui ont étudié, je veux être avoir ma place parmi eux; je veux continuer d'étudier pour devenir infirmière. » En voyant le succès des autres, l'attitude des participants potentiels change: «Ils disaient qu'ils n'apprendraient jamais, parce qu'ils n'avaient jamais appris étant enfants. Maintenant, certains le regrettent en voyant que nous réussissons dans nos études et ils s'inscriront l'an prochain.» Un entourage coopératif fait toute la différence. Les participants, les femmes en particulier, parlent avec fierté de leurs maris et de leurs enfants qui les aident: «Quand je n'y vais pas, mon mari me réprimande, il achète mes cahiers et il m'a même offert un cartable», et «mes enfants m'aident, ils m'expliquent les devoirs et me rappellent quand il est l'heure d'aller au cours.»
Si l'on résume les points de vue et les besoins des participants et des non-participants aux programmes d'alphabétisation, il est indéniable que les gens ont le sentiment d'être moins que rien, honteux, exploités et exclus. Aux yeux des personnes interrogées, l'alphabétisation, que ce soit dans leur langue maternelle ou non, est une clé (même si elle n'est pas la seule) pour surmonter la pauvreté. Pour eux, la pauvreté ne se résume pas au manque de ressources matérielles, elle procède aussi de facteurs immatériels tels que la discrimination, l'exploitation, la peur, l'impuissance, la honte. Globalement, la pauvreté revêt de nouveaux visages: les gens ne peuvent plus survivre en se contentant de cultiver leur «machambas» comme l'a dit un homme de Marracuene cité au début de cet article.
Quel rôle les programmes d'alphabétisation doivent-ils jouer ici? Nous préconisons une approche axée sur les besoins (Van der Kamp et Torren, 2003), qui prenne ceux des participants et des participants potentiels comme point de départ pour élaborer un mélange créatif d'éducation formelle, non formelle et informelle. Le nouveau curriculum d'alphabétisation s'en sort très bien à ce point de vue, mais dans la pratique quotidienne, les cours d'alphabétisation sont encore axés sur l'école et non sur les besoins. Les matériels utilisés ne sont pas spécifiques à la situation et à la langue des participants. Le développement et, par conséquent, l'utilisation d'une approche multilingue appropriée devraient faire partie du mélange mentionné ci-dessus. Les méthodes d'enseignement et d'apprentissage font également partie de l'approche axée sur les besoins, conformément au souhait formulé par les participants qui ne veulent pas se contenter de suivre des cours, mais souhaitent aussi prendre part aux décisions. Même les types d'examens et de certificats à passer pourraient être évalués sous l'angle des besoins, en envisageant l'élaboration de certificats utiles, sanctionnant des qualifications professionnelles acquises dans le cadre d'une formation non formelle.
Enfin, nous espérons avoir clairement exprimé qu'il vaut la peine d'écouter soigneusement les personnes concernées. Les soi-disant analphabètes expliquent, comme n'importe qui d'autre, comment leur monde change, à quel point ils manquent d'outils vitaux pour prendre part à ce monde en mutation et comment ils affrontent les obstacles qui les empêchent de s'approprier ces outils. Aider les gens à lutter contre les obstacles et leur donner l'occasion de s'instruire et d'évoluer pourrait être le commencement d'un processus d'apprentissage. Pour cela, des programmes intéressants et axés sur des besoins clairement formulés devraient être mis en place dans des environnements favorables à l'apprentissage. Les personnes interrogées ont exprimé sans équivoque qu'elles veulent surmonter les obstacles qui les empêchent de participer à la société et qu'elles veulent être respectées et estimées, bref, que chacune d'elles veut être «quelqu'un».
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