Engagé dans le domaine de l’éducation des adultes et de l’alphabétisation depuis 1964 en Zambie, John Oxenham a pris part à la grande conférence organisée par l’UNESCO à Téhéran en 1965. Voici ses impressions sur celle qui s’est tenue à Bamako du 10 au 12 septembre en 2007 et à laquelle il a participé en tant qu’invité de l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (UIL). Le Dr John Oxenham a travaillé de nombreuses années pour la Banque mondiale. Il vit à présent au Royaume-Uni où il continue de se consacrer à l’éducation des adultes.
Dans les grandes conférences ponctuées par des déclarations grandiloquentes et enflammées, les remarques cyniques fusent aisément et les conversations se limitent généralement à des doléances sur le manque ou l’insuffisance des financements. C’est ainsi qu’un membre de l’équipe de l’UNESCO a demandé: «Je me trompe, ou bien suis-je en train d’entendre ce que j’ai déjà entendu il y a quarante ans?». Une circulaire de l’UNESCO a fait remarquer avec ironie que la méga-conférence organisée il y a dix ans, la CONFINTEA V, définissait l’apprentissage et l’éducation des adultes comme étant des
«outils-clés destinés à répondre aux défis sociaux et développementaux actuels dans le monde. Cependant, la valeur accordée à l’éducation des adultes et le grand engagement en sa faveur affichés en 1997 n’ont engendré ni l’intégration, ni la priorisation politique, ni l’allocation des ressources correspondantes au profit de l’apprentissage et de l’éducation des adultes, que ce soit au niveau national ou
international.»1
Quels seront donc les résultats de ces nouvelles dépenses réalisées pour financer les sessions plénières, les tables rondes, les ateliers d’experts, le réexamen des bonnes pratiques, les caucus – sans parler des documents préparatoires, des voyages, des hôtels, des réceptions et des dîners? Les résultats seront-ils mesurables? Les gouvernements africains vont-ils garantir que le volume des allocations et des investissements réels dans l’éducation des femmes et des hommes qui ont besoin d’apprendre à lire et à écrire représente trois pour cent de leurs budgets éducatifs? Les institutions gouvernementales et non gouvernementales africaines vont-elles visiblement redoubler d’efforts pour atteindre l’objectif de réduire de moitié l’analphabétisme ou doubler les taux d’alphabétisation d’ici 2015, tel que décidé à Dakar?
Il est clair qu’il est encore trop tôt pour répondre à ces questions. Cependant, le cynisme et le pessimisme ont au moins été contrebalancés par deux éléments positifs, le premier étant les caucus. Les premières dames d’Afrique, les ministres de l’Éducation, les membres des universités et les organisations non gouvernementales se sont chacun rencontrés dans le cadre de réunions distinctes ou de caucus, afin de formuler des engagements que leurs membres devront honorer dans leurs pays respectifs. Un porte-parole par caucus a été désigné pour énoncer publiquement les engagements en plénière, si bien que chaque membre de chaque caucus est à présent responsable vis-à-vis de l’UNESCO.
Le Rapport mondial de suivi sur l’EPT publié chaque année par le siège de l’UNESCO fait porter à chaque gouvernement la responsabilité des progrès réalisés pour atteindre les objectifs de Dakar pour l’EPT. Ce procédé semble avoir accéléré les progrès en faveur de l’éducation primaire universelle (EPU), puisque durant les cinq premières années qui ont suivi Dakar en 2000, les progrès réalisés ont été deux fois plus rapides qu’après Jomtien en 1990. L’UNESCO aura-t-elle le courage et la volonté nécessaires pour créer un mécanisme similaire, afin que chaque membre de ces caucus honore ses engagements en faveur de l’éducation des adultes et de l’alphabétisation universelle?
Le second élément positif a été la présence des organisations non gouvernementales. Face à l’impuissance et à la lourdeur apparentes des organismes gouvernementaux, les ONG et les OSC persévèrent, font de leur mieux avec les moyens du bord, proposent des idées neuves, essaient des méthodes nouvelles, produisent des matériels nouveaux et trouvent des ressources supplémentaires. Le fait que dix exemples de bonnes pratiques sur quatorze proviennent des ONG est d’ailleurs révélateur.2 Les ONG sont contrariantes et tenaces, raison probable des rapports tendus qui prévalent entre certains responsables gouvernementaux et certaines d’entre elles.
D’un autre côté, ces excès d’optimisme ont été considérablement réfrénés. On sait que les programmes d’alphabétisation – et plus spécialement les programmes gouvernementaux – sont peu coûteux, voire même franchement bon marché. Ils sont à la fois improvisés et dépendants de la charité et de l’aide de volontaires. Et c’est probablement dans cette optique que la «table ronde» sur la budgétisation des coûts a examiné le caractère productif ou contre-productif de ces coûts très bas. Le groupe en question était présidé par un ministre des Finances et dirigé par un chef de division de la Banque africaine de Développement. Après présentation de trois bons documents, le groupe a été prié de se pencher sur la première question: «Comment réduire les coûts?». Quoi, les réduire encore plus!? Apparemment, si les économistes et les financiers officiels se mêlent de l’éducation et de l’alphabétisation des adultes, il ne faut pas s’attendre à un accroissement des ressources allouées, mais plutôt redoubler d’efforts pour en obtenir ne serait-ce qu’un minimum.
En revanche, le groupe de travail universitaire pourrait être d’un certain secours s’il réalisait les recherches nécessaires pour définir – et convaincre les financiers – quels sont les investissements minimum requis dans le domaine de l’éducation et de l’alphabétisation des adultes pour garantir l’augmentation des revenus, la santé et le bienêtre.
De différentes expériences culturelles donnent une perspective globale aux partenaires du Sud aussi qu’aux partenaires du Nord Source: Michael Hatton / Kent Schroeder
1 Numéro spécial d’UIL Nexus 2007, août 2007, Hambourg, Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie.
2 UIL, 2007. Making a Difference: Effective Practices in Literacy in Africa. Hambourg, Institut de l’UNESCO pour l’Apprentissage tout au long de la vie.