L'heure de la mondialisation incontestée a-t-elle sonné? Les récents événements sont en train de changer rapidement l'univers dans lequel nous vivons. Ce monde meilleur que nous espérions léguer à nos enfants et à nos petits enfants est menacé. Le changement climatique et le réchauffement de la planète devraient éclipser tout le reste. Ils devraient capter toute l'attention des décideurs politiques internationaux, comme ce fut le cas aux États-Unis avec les inondations à la Nouvelle-Orléans, et en Australie avec les feux de brousse victoriens, qui ont été les plus grandes catastrophes naturelles que le monde ait jamais connu. Mais aujourd'hui en 2009, l'effondrement du monde financier avec ses pires débordements et les troubles économiques qui en découlent, semble néanmoins encore plus immédiat et plus grave. Des politiciens avertis, y compris certains économistes, ont vu un rapport direct entre le contrôle du réchauffement planétaire et l'investissement dans un «futur vert»; ce qui impliquerait à la fois création d'emplois, rénovation des infrastructures et relance de l'activité économique. Mais il y a une différence entre voir, et faire.
Bref, ce à quoi nous assistons aujourd'hui ressemble à la fin d'une «expérience néolibérale» guidée par une idéologie politique dominante qui a favorisé les petits gouvernements, les marchés ouverts, le libre-échange et l'individualisme compétitif sous des formes multiples et dans toutes les circonstances. La très néolibérale administration américaine a fini ses jours dans une explosion époustouflante d'intervention étatique digne des nationalisations socialistes dans les secteurs clés: banques, assurances, industrie automobile. The Economist et la presse sérieuse craignent à présent un retour au protectionnisme et une accélération de la récession économique.
Les commentateurs font remarquer que les nations les moins «pénétrées», dans lesquelles la régulation a limité et retardé l'impact de la mondialisation, ont moins de difficultés à survivre. C'est ce qu'a avancé, à propos de l'Inde, l'économiste de Harvard Kenneth S. Rogoff à l'occasion du Forum du FMI à Davos, dans son Business as usual (les affaires continuent) ne doit plus être le mot d'ordre analyse économique publiée en première page du journal The New York Times du 14 février 2009. Dans cette nouvelle ère mondiale, l'Inde s'en sort mieux que l'Islande ou l'Irlande, en dépit de leurs miracles économiques.
Many governments, as well as their media, have blamed the United States for destroying their own economic balance and capacity for development, Iran and Russia prominent among them, but much of Europe and other regions as well. You do not have to agree with President Robert Mugabe that all Zimbabwe’s ills are to be blamed on (British) colonialism; yet it is still impossible to deny that the fiscal collapse and economic recession of the OECD nations – the “rich men’s club” – is impacting on pretty well every country in the world. This, with global warming, will affect the well-being and life, if not the survival of many citizens in many lands.
Il se pourrait que l’époque dans laquelle nous entrons soit baptisée l’époque de la «postmondialisation». Sommes-nous en train d’assister à la fin de l’ouverture de tous les pays, de toutes les économies, de tous les peuples, de toutes les cultures et de tous les styles de vie, au déclin d’un capitalisme monochrome axé sur le consommateur, prônant l’ouverture des frontières avant tout économiques?
Bon nombre de gouvernements, orchestrés par leurs médias, ont accusé les États- Unis de détruire leur équilibre économique et leur potentiel de développement: l’Iran et la Russie en tête, mais aussi de nombreux pays européens et d’autres régions du monde. On ne doit pas forcément donner raison au président Robert Mugabe lorsqu’il rend le colonialisme (britannique) responsable de tous les maux du Zimbabwe; on ne peut cependant pas nier que l’effondrement fiscal et la récession économique des nations de l’OCDE – le club des riches – ont des effets sur pratiquement chaque pays du monde. Tout ceci, combiné au réchauffement climatique, affectera sans aucun doute le bien-être et la vie, sans parler de la survie, de nombreux citoyens dans bon nombre de pays.
Le motif des reproches est toujours le même: «business as usual» (les affaires continuent). La grande crise hypothécaire qui a frappé les États-Unis, sous-tendue par l’avidité des banques et par les risques irréfléchis qu’elles ont pris, est rendue responsable de la déroute mondiale. Mais au fur et à mesure que la crise s’amplifie et s’approfondit, nous commençons à regarder plus loin, à accuser moins et à réfléchir un peu plus. Les frères Lehman et Bernard Madoff sont devenus synonymes d’avidité égoïste. Le phénomène notoire de l’ «axe du mal» a trouvé un nouveau bouc émissaire qui lui permet d’exprimer une colère qui s’adresse en fait à notre manque de vision collective et à notre incapacité de nous gouverner nous-mêmes. Bien entendu, l’histoire regorge d’exemples similaires de convoitise et d’irresponsabilité, comme ce fut le cas au Royaume-Uni avec Robert Maxwell et Nick Gleeson. D’autres économies avancées ont leurs propres galeries de méchants. Mais je discerne un changement graduel dans la presse sérieuse et chez les commentateurs: ils cessent petit à petit de donner des exemples d’avidité et d’égoïsme pour en trouver d’autres. Si l’habitude maladive de contracter des dettes est la source du problème, pourquoi l’Occident doit-il accuser la Chine et le Monde arabe de ne pas consommer plus et d’avoir trop d’argent sur leur compte? Apparemment, la consommation est toujours considérée comme la condition sine qua non du succès économique. Mais certains commencent à comprendre qu’il est inutile d’attendre que la croissance continue d’avancer au même rythme, et réalisent que les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Notre passé prospère n’est plus.1
Néanmoins, «business as usual» sous-entend une attitude difficile à changer. Changer impliquerait une transformation culturelle de la société tout entière, un changement de valeurs et de principes économiques. Peut-être l’éducation des adultes a-t-elle ici son mot à dire, peut-être doit-elle intervenir, peut-être est-ce là aussi sa principale mission. Au Royaume-Uni, on nous a dit au début qu’il fallait s’attendre à un ralentissement économique, un an peut-être, avant que la croissance ne reprenne à son rythme normal, ou même parfois attendre un peu plus longtemps pour que la croissance reprenne à un rythme un peu plus lent. Puis on a parlé de récession, et enfin de dépression. Le ralentissement de la croissance s’est transformé en accélération de la récession, la période nécessaire pour renflouer les banques ne s’est plus calculée en années, mais en décennies. On a dit que la crise actuelle était la pire de toutes depuis la dernière guerre, puis depuis la crise de 1929, et enfin depuis un siècle. «Businesss as usual» ne cadre peut-être pas dans un scénario aussi défaitiste. Mais les politiques et les populations sont-elles prêtes à accepter une réalité différente, et à agir dans ce sens?
Entre temps, la crise environnementale qui a précédé et qui est en réalité plus importante, semble évincée par la volonté immédiate de survie économique: investir dans un futur vert a été considéré comme une solution aux deux crises à la fois, mais cela va prendre du temps. Alors, pourquoi ne pas confier aux éducateurs d’adultes le rôle de moteurs du changement?
Aussi difficile soit-il de penser différemment et d’être différent, l’élection présidentielle américaine et l’inauguration de ce jeune maigrichon – pour reprendre son expression – au nom bizarre (et en partie musulman) montre que le changement peut avoir lieu au coeur même du néolibéralisme. L’histoire qui précède et suit son inauguration est elle aussi encourageante. Dans la mesure où toute cette realpolitik est mise en oeuvre pour donner des résultats palpables, Obama n’a cessé de considérer comme des défis majeurs le changement climatique, le remaniement de la politique intérieure et la révision de la politique extérieure américaine, si tragique et si nuisible à son image. L’atmosphère de la rencontre post-crise entre grands décideurs politiques, économistes et autres personnages influents à Davos a également montré que le monde a changé, même si aucun d’entre eux n’a été capable de nous dire dans quel sens.
Quel est le rapport entre tout ce qui précède d’une part, l’éducation des adultes et, le développement et, l’enseignement supérieur d’autre part? La réponse est: tout, si nous considérons que notre travail consiste à faire avancer les choses en enrichissant la vie de ceux qui apprennent. Les «pays industrialisés» ne doivent pas considérer que le mal se limite aux grands pays riches du Nord. Au Nord, de petits pays comme l’Islande, les États baltes et l’Irlande souffrent eux aussi considérablement, mais l’impact sur la majorité des pays du Sud, même avec un certain retard, pourrait être encore pire. J’évoquerai plus loin une petite nation du Nord, mais les leçons sont valables pour chaque région et chaque petit pays, que ce soit au Nord ou au Sud.
En tant qu’éducateurs, comment penser et agir différemment – à moins que «business as usual» ne soit valable pour nous aussi? À la naissance, nous n’avons certes pas subi le pontage éthique dont a eu le culot de se vanter un jour un financier américain. Mais une chose est sûre: nous pouvons nous considérer à juste titre comme des «professionnels moraux» dont la mission consiste à encourager le développement humain. Cependant, puisque «business as usual» n’est plus applicable au secteur bancaire et s’il ne fonctionne plus pour des sociétés entières et leurs dirigeants, nous devons nous demander ce qu’il nous faut pour agir différemment. Laissez-moi vous citer quelques domaines dans lesquels il est temps de réfléchir et d’agir. Ceci nous permettra peut-être de redécouvrir les sources du bien dont ont jailli l’éducation, et en particulier l’éducation des adultes.
L’une des solutions consiste à rétablir l’équilibre perturbé par la société individualiste, compétitive et fracturée, ce qui nous permettrait de concentrer notre attention sur l’apprentissage des individus et leurs résultats, et de mesurer leurs performances – ce qui actuellement n’a lieu qu’en termes d’avantages personnels compétitifs et non d’atouts sociaux et civiques. Pouvons-nous faire en sorte que les besoins écologiques, sociaux et civiques collectifs occupent une place plus centrale dans les agendas?
Deuxièmement, je constate, en ce qui concerne le Royaume-Uni, que l’apprentissage des adultes risque fort de faire concurrence à l’éducation des jeunes. Notre engagement en faveur de la seconde chance pour les adultes ne doit pas nous inciter à demander des augmentations de ressources pour les adultes aux dépens de la «pré-expérience» d’apprentissage scolaire des enfants, qui est la porte ouverte à une carrière et à un style de vie étayés par l’apprentissage naturel tout au long de la vie.
Troisièmement, étant donné que je consacre la plus grande partie de mon article à l’enseignement supérieur et non à l’éducation des adultes, je pose la question suivante: en tant qu’éducateurs d’adultes, pouvons-nous essayer de travailler de manière plus productive avec les universités de tous bords, afin de nous mettre au service de leurs sociétés, mais surtout des personnes défavorisées et exclues auxquelles nous dédions notre passion? Dans de nombreux systèmes, la majorité des inscrits sont des apprenants adultes, alors que les apprenants qui suivent des formations courtes sont incorporés aux cursus sanctionnés par des diplômes. Nous pourrions améliorer notre capacité de coopérer avec nos collègues de l’enseignement supérieur qui partagent nos objectifs. Nos deux communautés entretiennent des contacts trop rares. Parfois peut-être, nous ressentons et manifestons un sentiment de supériorité morale. Peut-être aussi ressentons-nous une certaine rancoeur envers les conditions privilégiées dont jouissent le personnel de l’enseignement supérieur et les étudiants «réguliers». Il se peut aussi que les personnels de l’enseignement supérieur soient aveuglés par l’attrait du succès académique et les bénéfices qu’ils en tirent, n’éprouvant plus alors qu’un intérêt limité pour les apprenants adultes. Les «classements des meilleures universités dans le monde» offrent certes plus d’enjeux et de perspectives, mais exercent aussi des pressions plus fortes et obligent à donner des résultats et à répondre aux normes. J’y reviendrai plus tard, à la fin de mon article. Mais auparavant, jetons un coup d’oeil à l’éducation des adultes dans une région plus petite, plus locale et plus spéciale: le pays de Galles.
Je traiterai ici deux thèmes à la fois: l’individualisme exacerbé et l’ambition irresponsable de nombreuses universités, en prenant pour exemple la région dans son contexte local. La région est le lieu où l’action est susceptible d’être le plus efficiente et où l’éducation des adultes et l’enseignement supérieur sont le mieux placés pour combiner au maximum leurs efforts et opérer des changements en faveur de l’environnement, de l’économie et du bien-être des gens.
L'idée d'écrire cet article m'est venue à la suite d'une visite au pays de Galles, mais elle est valable dans toutes les régions du monde. Il se trouve que c'est au pays de Galles que j'ai prononcé une allocution lors d'une conférence du gouvernement sur l'avenir de l'enseignement supérieur. Organisée pour l'Assemblée du pays de Galles par la branche galloise de l'Institut national d'éducation des adultes, organisation très proche de la DVV, la conférence a bien entendu été d'accord pour adopter l'élargissement de l'accès et un important agenda de participation. La conférence a eu ceci de particulier qu'elle réunissait, à parts égales, des décideurs et des praticiens de deux communautés de pratiques liées l'une à l'autre mais néanmoins souvent divisées: l'éducation des adultes et l'enseignement supérieur. Du fait que le pays de Galles soit un petit pays marqué par un sens de l'identité nationale très fort et très vivant, la majorité de la soixantaine de personnes qui se trouvaient dans la salle se connaissaient, ou avaient au moins été en contact les unes avec les autres à un moment ou à un autre. En principe, elles étaient par conséquent capables de faire avancer les choses en coopérant entre elles.
Sur le plan économique, le pays de Galles est la moins performante des neuf régions administratives anglaises. La dévolution partielle des pouvoirs à Cardiff par Londres au cours de la dernière décennie a été décisive. Aujourd’hui, les pratiques divergent considérablement entre le pays de Galles et l’Angleterre. Certains de ces changements posent des problèmes aux universités galloises en termes de financements, de frais d’inscription et de recrutement des étudiants. L’aspect financier, les frais élevés induits par l’existence d’un assez grand nombre de petites institutions d’enseignement supérieur, et la capacité de faire concurrence à un voisin plus important et encore dominant, sont des préoccupations de première importance pour les recommandations sur l’enseignement supérieur qui vont suivre.
D’un autre côté, des effets positifs ont pu être enregistrés. L’un des plus flagrants est l’apprentissage obligatoire de la langue galloise, loin d’être éteinte, dans l’enseignement primaire et secondaire. Le gallois a persisté dans ses bastions les plus éloignés, bien que dénoncé et puni pendant toute l’époque de l’impérialisme culturel anglais jusqu’à récemment. Les effets ne peuvent pas être mesurés, et les coûts entraînés par l’apprentissage obligatoire du gallois à l’école ne sont certainement pas minimes. Aucun économiste ne dirait qu’il était judicieux d’engager des frais de traduction dans une seconde langue officielle. En revanche, les effets en termes d’identité et de respect de soi, mais aussi la capacité tangible d’influencer sa propre vie et son propre destin, l’emportent certainement sur les dépenses que cela représente. Il est très probable que ces changements accroissent la capacité d’action de la population et du gouvernement gallois, et les encourage à faire des choix plus ciblés pour construire leur avenir. Bien ou mal, il ne s’agit en aucun cas de «business as usual». Le pays de Galles en tant que «région» tente actuellement de planifier son propre avenir et de faire ses propres choix; c’est vraisemblablement une manifestation de la «postmondialisation» qui consiste à gérer mieux en agissant plus au niveau local.
La dévolution régionale des pouvoirs prend des formes constitutionnelles et administratives différentes selon les pays. La tendance n’est pas universelle, car certains gouvernements craignent la déloyauté et le démantèlement de l’État. Mais globalement, c’est une tendance courante dans la mesure où l’on commence à comprendre que dans un grand pays, chaque région doit trouver chaussure à son pied. À l’avenir, il est probable qu’on choisira de planifier plus au niveau local, pour obtenir des solutions plus effectives. En termes d’éducation des adultes, cette tendance privilégie des modèles démocratiques qui impliquent davantage la communauté et qui répondent mieux aux idéaux de citoyenneté active et de démocratie participative, bases de la tradition adulte dans le monde entier.
Le Royaume-Uni a un système extrêmement centralisé; tous les chemins semblent mener à Londres, d’où émane également tout pouvoir. Au pays de Galles, Cardiff est devenu à la fois un centre politique alternatif, bien que de second rang et, pour l’éducation des adultes, source d’appui gouvernemental. Les approches choisies par l’Assemblée galloise semblent guidées par un sens de l’équité, à en juger par sa décision prise dans le cadre de la réforme de l’enseignement supérieur en 2008- 2009, de mettre l’accent sur l’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur. Cette décision devrait pallier les fortes inégalités socioéconomiques qui prévalent dans certaines régions, en particulier dans les Valleys marquées par l’extinction de l’industrie minière, un faible niveau d’instruction et un chômage qui persiste depuis des générations.
Tout comme en Angleterre, le mouvement en faveur de l’élargissement de l’accès a bénéficié d’un appui consistant de la part du Conseil de Financement, mais le Royaume- Uni dans son ensemble a préféré avoir recours au système Business as usual (les affaires continuent) ne doit plus être le mot d’ordre scolaire, dès les premières années, pour résoudre le problème de l’accès à l’enseignement supérieur des groupes économiquement faibles et des exclus. Dans l’ensemble, on considère que la «véritable» éducation est l’éducation des jeunes, et non l’apprentissage tout au long de la vie. Pour les éducateurs d’adultes, ceci présente un grand désavantage du fait que les fonds spéciaux (Initiatives Action on Access et AimHigher) réservés à certains programmes de l’éducation de la seconde chance sont maintenant alloués à des programmes plus scolaires ou à des programmes conçus pour faciliter le passage de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur.
Les environnements et la terminologie diffèrent selon les régions du monde – les termes éducation non formelle et éducation extrascolaire sont moins courants au Royaume-Uni que dans les pays du Sud. C’est également vrai en ce qui concerne la compétition latente pour obtenir des fonds publics limités: pour les gouvernements, c’est de la politique et pour les éducateurs d’adultes, c’est un travail de lobbying pour obtenir de l’aide. L’éducation des adultes s’est également laissée prendre au piège par la tendance à remplacer les objectifs d’équité, qui sont passés de mode, par le néolibéralisme, et à enrober leur plaidoyer en faveur de l’apprentissage des adultes avec la terminologie du jour, à savoir les compétences et l’employabilité. L’éducation des adultes est confrontée à d’autres dilemmes, et devra payer cher lorsqu’il apparaîtra qu’elle s’est détachée de certaines valeurs traditionnelles au moment même où elles reviennent à la mode et sont considérées comme capables de résoudre la crise écologique, sociale et économique. Au pays de Galles et dans d’autres régions, cette nouvelle époque impitoyable que nous vivons est aussi le moment d’analyser la situation dans laquelle nous nous trouvons, et ce que nous pouvons faire pour en sortir.
Pour l’enseignement supérieur, le défi est clair; puisque l’enseignement supérieur de masse (ou universel si vous préférez) a pris des proportions colossales, on peut arguer pour ou contre l’introduction de changements supplémentaires. Il me semble qu’on ferait mieux de laisser les choses comme elles sont.
Le rapport avec le régionalisme dont j’ai parlé plus haut apparaît clairement si l’on considère que l’accent est mis actuellement sur la «troisième mission» de l’enseignement supérieur. Auparavant, on parlait d’ «enseignement périscolaire», puis avec le temps, «vulgarisation et services» sont devenus «business», «industrie» ou «communauté». Dans la pratique, c’est dans la région d’implantation de l’institution que l’enseignement périscolaire et les services sont dispensés de la manière la plus naturelle et la plus efficace, et non dans un environnement mondial à vocation humanitaire. En fait, on préfère aujourd’hui utiliser les termes de partenariat et d’engagement pour qualifier la troisième mission des universités. On part généralement du principe qu’aux «missions proprement dites» (l’enseignement et la recherche), il faut en ajouter une troisième: le service, ou l’engagement. Je pense que vu les deux crises auxquelles est confronté notre monde global (et la postmondialisation en émergence), les universités doivent cesser de considérer cette troisième mission comme une «branche d’activités», et privilégier au contraire l’engagement, qui doit à la fois guider et en partie influencer les contenus de l’enseignement et de la recherche.
Comme le montrent les termes de référence de l’étude réalisée au pays de Galles, ce n’est pas la tendance actuelle dans l’enseignement supérieur. La priorité majeure de ces termes de référence porte sur les problèmes financiers immédiats et urgents, même si c’est dans un contexte (a) d’élargissement de l’accès et (b) de sujets d’importance prioritaire au niveau national. La seconde priorité porte sur la mission, l’objectif et le rôle de l’enseignement supérieur, ainsi que sur les besoins futurs de la société, de l’économie et des apprenants. La priorité majeure ne pouvait pas ne pas s’inscrire dans le «business as usual». Pourtant, si nous regardons plus loin, nous devons tous repenser le rôle de l’université dans un monde nouveau.
Le terme d’université suggère en soi l’universalité, mais pas ce que nous entendons par mondialisme. Comme dans les autres secteurs de la vie, l’universalité du savoir prend bien entendu des formes très diversifiées. Les universités et les systèmes d’enseignement supérieur dans le monde ont différentes origines, traditions et priorités, de même que les universités européennes ne sont pas les seules à avoir un passé millénaire: bien d’autres sont en effet plus anciennes. Cependant, le modèle anglo-saxon a eu tendance à dominer, et pas seulement dans le monde anglophone ni dans les anciennes colonies anglaises. Fort du pouvoir de la langue anglaise et de l’économie américaine, il s’est imposé du siècle dernier jusqu’à nos jours pour devenir le modèle mondial.
Ce modèle prévaut à tous les niveaux: statut institutionnel des universités, décisions politiques, principes de gestion et principales fonctions. Parmi les récents changements, on distingue de manière on ne peut plus claire le passage d’une éducation élitiste, réservée à un petit nombre, socialement et méritocratiquement sélective, à un enseignement supérieur de masse. Bon nombre de sociétés comptent sur l’écrasante majorité de ceux qui deviennent adultes et qui vont bénéficier d’une certaine forme d’éducation tertiaire. À l’ère moderne de la mondialisation dans toute sa splendeur, les coutumes et les politiques sont hautement «infectieuses». Elles se propagent rapidement d’un pays et d’un système à l’autre, et se transforment Business as usual (les affaires continuent) ne doit plus être le mot d’ordre vite en norme. «Business as usual» prend alors un sens nouveau pour désigner une évolution dans une direction bien définie, une tendance à créer des universités entrepreneuriales gérées comme des branches d’activités modernes et contribuant aux efforts économiques nationaux au moyen de ce que, dans les pays que je connais le mieux, l’on appelle un «agenda des compétences». Ce genre d’objectifs présumés sont courants au pays de Galles, mais toutefois modérés par un sens de l’équité assez prononcé.
Les accords de Bologne et leur caractère réformateur ont eu des retombées bien au-delà des frontières de l’Europe, où ils sont l’un des éléments moteurs (et les serviteurs du néolibéralisme) à la fois de la modernisation et de la mondialisation. Un élément plus récent et plus impitoyable encore est le «classement des meilleures universités dans le monde». Il n’est pas surprenant que les États-Unis, à la fois anglophones et prospères, soient largement en tête. Étant donné le changement progressif du centre de gravité du pouvoir mondial au 21e siècle, il n’y a rien de surprenant à ce que l’indice faisant actuellement le plus autorité dans le monde soit le classement de Shanghaï. Le rang occupé dans ces classements mondiaux aveugle bon nombre de gouvernements et de directeurs d’établissements d’enseignement supérieur; ils omettent de voir que le système actuel, qui privilégie la recherche publiée dans les revues académiques anglophones (en américain, mais plus généralement en anglais) ne reflète ni les rôles, ni la qualité, ni les mérites. La mondialisation et son esprit de compétition endémique a pénétré au coeur des universités. Il est temps de se demander si le classement des meilleures universités dans le monde n’est pas aussi en faillite que le système bancaire mondial.
L’individualisme compétitif affecte les universités ambitieuses au même titre que les nations ambitieuses. Un seul gagnant fait de nombreux perdants. Au microniveau, on peut dire la même chose des sociétés néolibérales et des principes qui sous-tendent un enseignement supérieur à la fois distordu et occupé à faire progresser l’employabilité des individus au moyen de systèmes de gagnants et de perdants tout aussi désintégrateurs. L’intérêt personnel et l’ambition, que ce soit des parents, des employeurs ou des étudiants, ont pris les rênes en main; ils ont mercantilisé l’enseignement supérieur en se contentant de rendements médiocres et en transformant les apprenants en consommateurs de savoir pour leur usage personnel. De la même manière, les classements des meilleures universités ont transformé la recherche universitaire et sa main-d’oeuvre en une compétition qui se caractérise par un «transfert» de stars et de leurs équipes d’une université à l’autre. Le prix Nobel, aujourd’hui encore le «critère d’or» de l’excellence en matière de contribution au bien-être de l’humanité, est à l’opposé du concept du transfert de célébrités académiques d’une université à l’autre, comme on transfère des stars entre clubs sportifs. Tout ceci ne nous aidera pas à trouver les moyens de mieux nous gérer face à la double crise écologique et socio-économique.
Je reviens à l’idée de la «troisième mission» de l’enseignement supérieur, à savoir le service, à côté de l’enseignement et de la recherche. La langue a évolué, elle est passée du terme de «service communautaire» à celui de «travail de terrain» (sur le terrain des communautés), ou souvent aux termes d’industrie et de business. Le terme partenariat est préférable, car il donne aussi un sens pratique différent à l’idée. Mais généralement, le partenariat le plus recherché est un partenariat avec le monde des affaires et l’industrie, parfois avec les gouvernements, mais rarement avec les «communautés» au sens large.
Le terme engagement est beaucoup plus fort et très utilisé ces derniers temps. Il implique un autre type de rapports, très éloignés de l’image de l’université enfermée dans sa tour d’ivoire, condescendant tout juste à éclairer et à faire bénéficier de ses savoirs ceux qui ne font pas partie de sa communauté d’érudits. Le terme véhicule au contraire l’idée de réciprocité entre deux parties dont chacune donne et reçoit, d’une manière qui informe et enrichit à la fois l’université et ses partenaires. Ceci peut se répercuter, même au coeur de l’université compétitive moderne, à condition de s’accompagner de paradigmes de recherche plus récents: conception conjointe, création, appropriation et utilisation de la recherche lancée dans l’arène publique, c’est-à-dire dans ce que l’on appelle communément l’économie et la société de la connaissance (c’est à ce type de recherche que se réfère le Mode 2 de production des connaissances).
L’université «engagée» idéale est axée sur les domaines suivants: (a) développement des «ressources humaines» et de la société grâce à l’enseignement, (b) création et mise en application de connaissances nouvelles grâce à la recherche, et (c) leadership et gouvernance de la société, qui sont l’un des domaines les mieux dotés de la nation, et en principe désintéressés. Les universités sont les gardiennes et les conservatrices privilégiées d’une réserve peu ordinaire de bien-être. On peut argumenter qu’elles sont redevables à la société de le partager et de l’utiliser de manière transparente et coopérative dans l’intérêt public, au risque d’être déchue de ce privilège.
Sur le plan pratique, ceci implique de s’engager en faveur de la société, de ses communautés et des diverses parties prenantes, qui sont à la fois partenaires et ressources au niveau local-régional, où a lieu l’action. C’est à ce niveau, en effet, que le besoin en connaissances susceptibles d’enrichir l’agenda de la recherche est le plus urgent. C’est à ce niveau également que la majorité des besoins en «ressources humaines» sont exprimés et qu’ils peuvent être définis dans le cadre de programmes d’enseignement. Vu sous cet angle, il est par conséquent évident Business as usual (les affaires continuent) ne doit plus être le mot d’ordre que la troisième mission de l’université – l’engagement au service des communautés – doit prendre la première place. Cette mission consiste à enrichir et à inspirer les contenus des programmes d’enseignement et de recherche des universités, sans toutefois les leur dicter. Sa mise en oeuvre implique de l’ancrer au moment et dans les lieux adéquats; dans une certaine mesure, le processus restera toujours partiellement local. En même temps, la grande «diversité» qui caractérise les universités dans le monde demande à la fois respect et soutien pour leurs dogmes, leur environnement, leur histoire et leurs savoirs. Il devrait toujours y avoir des lieux où jeunes et moins jeunes puissent apprendre, grandir et s’enrichir. Les universités peuvent être ces lieux, tout en continuant à faire partie, quoiqu’un peu en marge, du monde «réel».
Rien de tout ceci n’est facile à réaliser, et il est certainement plus simple de privilégier «business as usual» et l’esprit de compétition mondiale que cela implique. Changer signifie vivre avec une multitude de dualismes contradictoires, être à la fois blanc et noir, chaque jour. L’enseignement supérieur préserve et crée en même temps des savoirs et des sagesses. C’est lui qui doit contester et remettre en question les valeurs, les principes et les comportements de nos sociétés. En même temps, du fait qu’il fait partie de ces sociétés, il est le reflet fidèle de ses coutumes, et sans aucun doute de ses imperfections et de ses maux. L’enseignant est toujours dans une situation paradoxale, il est à la fois innovateur et conservateur; il doit faire entrer les générations nouvelles dans un monde en mutation, sans toutefois cesser de le comprendre, de le valoriser et de lui appartenir. Agir dans l’esprit mondial tout en coopérant au niveau régional n’est qu’un des nombreux défis auxquels sont confrontés les dirigeants de l’enseignement supérieur et leurs armées de fantassins.
D’une certaine manière, ceci est peut-être plus facile à réaliser qu’on ne le pense, vu que les systèmes d’enseignement supérieur sont aujourd’hui des systèmes d’éducation de masse, ce qui signifie que beaucoup de choses ont déjà changé dans tous les domaines de l’enseignement et que cette évolution rapide doit inévitablement se poursuivre. Le conservatisme universitaire constituera probablement un obstacle chronique que nous devrons prendre en compte, notamment parce que les valeurs sur lesquelles il se fonde n’ont pas de prix. Cependant, lorsque la liberté et l’autonomie académiques ne servent qu’à protéger leurs propres intérêts institutionnels et professionnels, et à refuser de devenir membres à part entière d’une société qui a besoin de toutes ses ressources pour survivre, elles doivent être dénoncées et mises au pilori. En fin de compte, les universités existent et méritent d’exister en tant qu’institutions d’enseignement et de recherche, dans la mesure où elles sont bénéfiques aux sociétés qui les soutiennent.
Jusqu’ici, je me suis référé à l’université individuelle et à l’enseignement supérieur (ES), ou au système d’enseignement supérieur. Nous constatons deux choses: premièrement, l’immense diversité des universités: chacune d’entre elles est pour ainsi dire unique en son genre. Deuxièmement, le besoin de considérer que l’enseignement supérieur apporte une contribution à la fois collective et complémentaire au bien public. En fait, la majorité des gouvernements pensent en termes de systèmes d’ES, bien que pas toujours de manière très imaginative. Et dans la plupart des pays, l’enseignement supérieur a débordé de plus en plus, passant de l’université traditionnelle et généralement publique à une multitude de types d’institutions: institutions privées à but lucratif ou non lucratif, universités ouvertes ou à distance, «mono-universités» professionnelles spécialisées, et institutions mixtes d’enseignement supérieur comme les collèges techniques communautaires et les instituts de formation continue.
Cette réalité nous renvoie à l’enseignement supérieur en tant que système, et en particulier à l’université dans le contexte de sa société et de sa région. Dans la plupart des pays, les universités (et les autres institutions d’ES) sont regroupées et cataloguées: en principe selon leur fonction et leur priorité de mission, souvent en fonction de leur origine historique, de leur âge et de leur prestige. Dans la pratique, ce système hiérarchique, voire discriminatoire, a une importante et dangereuse interaction avec le «concours de beauté» mondial au détriment des pays et des régions défavorisées.
Pour une université, le qualificatif «régional» est généralement considéré comme une insulte qui suggère qu’elle n’est pas une université de premier rang, qu’elle est mal reconnue et peu attractive. Peu importe la valeur de son travail et sa valorisation dans la région: plus elle est en rapport avec une région, une localité ou la réalité à la base, moins elle a la cote. Tout ceci est très démoralisant pour la plupart d’entre elles, de sorte que le désir d’être de «classe mondiale» devient irrésistible. Des cours, des départements et des groupes entiers de recherche, aussi compétents et productifs soient-ils, sont parfois arrêtés ou fermés dans le seul but d’améliorer la position de l’université dans le classement mondial. Le fait qu’il n’y ait de place que pour vingt universités parmi les vingt premières, ou pour cent dans les cent premières, ne semble avoir aucune importance: des centaines et des milliers de gens se font concurrence pour briguer une place inaccessible.
Dans le même temps, les besoins au niveau national et sous-national sont ignorés. Les gouvernements, même dans les pays non anglophones à revenus moyens, ont honte de n’avoir pas ou peu d’institutions parmi les «top hundred». La tentation de réformer à tout prix l’enseignement supérieur pour posséder une ou plusieurs universités de «classe mondiale» est apparemment très forte. Cette attitude ne fera Business as usual (les affaires continuent) ne doit plus être le mot d’ordre qu’appauvrir davantage les systèmes d’ES déjà insuffisamment financés, même en dépit des dernières années qui ont été «favorables», vu que la croissance de la demande et des inscriptions étudiantes dépasse celle des infrastructures et des ressources. La recherche de «qualité» dans l’enseignement et l’apprentissage est négligée au profit de la quête de «qualité» dans la recherche. Cette dernière est mesurée en fonction de critères académiques internationaux assez stricts, indépendamment de sa pertinence et de son utilité. L’enseignement, aussi bon et pertinent soit-il, peut par conséquent être sacrifié dans le seul but de gagner en prestige. Une ou deux universités de pointe capables d’attirer des étudiants et des professeurs étrangers hautement qualifiés peuvent difficilement remplacer un système d’enseignement supérieur conçu pour satisfaire la multitude de besoins d’une société sous tension: le prestige national est en l’occurrence une piètre consolation.
Étant donné cet esprit de compétition qui imprègne les comportements, qui se manifeste sous forme de classements et privilégie un certain type de recherche, quelle est la solution? Devons-nous hausser les épaules et attendre que la grande crise soit passée, ou bien qu’elle soit résolue par d’autres? Pour l’université moderne, c’est une question et un paradoxe supplémentaires qui ne sont cependant pas insolubles.
En fait, c’est la «communauté politique de l’enseignement supérieur» qui va apporter la solution au problème, de concert avec les administrations nationales et régionales qui travaillent dans le même esprit. En dépit de la tendance à gérer les universités dans le cadre d’un «portefeuille diversifié» composé de revenus mixtes et d’autofinancements, les universités sont susceptibles de rester au moins «semi-nationalisées» et propriété de l’État – ou au moins dirigées par lui à l’instar de la plupart des grands secteurs de la nation.
La probable disparition du néolibéralisme et le retour à un État plus respecté et plus actif (initié par George Bush pendant les derniers mois de son mandat) contribueront peut-être à planifier les systèmes universitaires avec plus de transparence. À long terme, c’est à cette tâche que doit s’atteler la réforme de l’ES au pays de Galles. Si l’on s’interroge sur les besoins d’un pays dans l’enseignement supérieur, et si l’on examine ce que cela signifie pour ses régions, la base des négociations et de la répartition des rôles respectifs des différentes institutions d’ES et des secteurs devient alors plus claire.
Ceci est autant valable pour les gouvernements forts comme les États fédéraux d’Allemagne ou des États-Unis, que pour les régions auxquelles une partie des pouvoirs a été dévolue, comme en France ou en Grande-Bretagne où les systèmes sont plus centralisés. Ceci implique que la collectivité des prestataires d’enseignement supérieur (universités ou autres) assume et accepte la responsabilité de créer toutes les conditions nécessaires au développement équilibré, durable et sain de la région et de ses habitants. Ce n’est ni une recette de médiocrité, ni un obstacle à ce que les régions possèdent des universités prestigieuses, prospères et de classe mondiale.
En revanche, cela implique que ces institutions négocient avec transparence et méritent leur place au sein de la communauté dont elles font partie, mais aussi à côté des autres institutions d’enseignement supérieur avec lesquelles elles cohabitent. Elles doivent pour cela accepter des étudiants issus de la classe ouvrière et d’autres communautés exclues, d’un coup ou progressivement, avec reconnaissance complète du premier niveau jusqu’aux niveaux supérieurs. Elles doivent également participer à des programmes conjoints avec les institutions voisines, dans un objectif d’équité et de développement. Les formations de recherche, les supervisions et les projets faisant partie de ces programmes devraient contribuer à enrichir les institutions, et non pas se borner à sélectionner les meilleurs talents pour jouer en virtuoses et gagner des honneurs. Nous assistons pour le moment à une fuite des talents vers les universités les plus prestigieuses et les mieux nanties, poussés par le pouvoir du prestige et du porte-monnaie aux dépens des autres institutions d’enseignement supérieur, des autres étudiants, des autres régions et des autres communautés. Les plus prestigieuses d’entre elles devraient sacrifier une partie de leur énergie, de leurs compétences de leadership, de leur sagesse et de leur expertise pour aider la région à mieux planifier et mieux gérer, et à s’engager dans la voie d’une gouvernance collective plus avisée.
La «nouvelle université», pour employer le terme au sens le plus étroit et lui donner une nouvelle signification, fait par conséquent partie d’un système régional, national et mondial de connaissances et d’ingéniosité qui favorise la mise en place d’une société plus durable. Il faut pour cela s’interroger sur ce que la société a de bon, sur ses besoins et sur la façon de les satisfaire. Est-ce là un affront à l’autonomie académique? Si oui, tant pis. Participer à la gestion de la société et partager les responsabilités tout en étant tenu de rendre compte des résultats, est à la fois le privilège et le prix à payer par l’université moderne. C’est aussi ce que nous appelons l’«engagement», qui consiste à dispenser un enseignement d’excellence, à produire du savoir et à nous aider à nous sortir de ce pétrin mondial.
À Melbourne, lorsque le pays a réalisé l’ampleur des incendies de 2009 – la pire catastrophe naturelle que l’Australie ait jamais vécue – les universités ont eu l’idée de regrouper leurs ressources afin de redresser ensemble la situation: pour parer Business as usual (les affaires continuent) ne doit plus être le mot d’ordre à la fois aux besoins immédiats sur le plan médical, humain, social et civique, et au problème du réchauffement de la planète à long terme, dont les incendies ont été l’une des manifestations les plus dramatiques. Il faut être insensé pour souhaiter que l’événement se répète: «business as usual» est plus concevable une fois le feu éteint. Si nous ne changeons pas cette fois-ci, peut-être la fois prochaine? Quand, dans ce monde où l’éducation est au service de l’amélioration de la condition humaine dans tous les pays et en toutes circonstances, la pression deviendra-t-elle si insupportable que nous devrons enfin nous comporter différemment et résoudre, de manière rapide et immédiate, les crises de la mondialisation qui affectent l’humanité? Il se pourrait que demain soit déjà trop tard.
Annotation finale
Puisque j’ai en partie rédigé cet essai suite à une requête du ministère gallois de l’Enfance, de l’Éducation, de l’Éducation tout au long de la vie et des Compétences, dans laquelle il demandait de mettre en place un groupe de travail et de synthèse chargé d’effectuer une étude sur l’enseignement supérieur au pays de Galles en deux phases, j’ajoute la note qui a commandité cette enquête:
La première phase de l’étude devra être conclue à la fin septembre 2008 et portera sur les dispositions financières relatives aux étudiants du pays de Galles: dans quelle mesure se concentre-t-on sur le financement des étudiants, afin d’améliorer les chances d’accès et d’encourager les inscriptions dans les matières prioritaires? Comment s’attaquer au problème de la dette étudiante en prévision de la révision du taux plafond des frais d’inscription prévue pour 2009 en Angleterre? Dans quelle mesure la réglementation du financement des études au niveau national, et l’attribution de bourses d’études au niveau local peuvent-elles contribuer à résoudre les questions précédentes?
La seconde phase sera consacrée à un examen de la mission, des objectifs et du rôle de l’enseignement supérieur au pays de Galles, compte tenu de la vision définie dans les stratégies Reaching Higher et Skills that Work for Wales; aux travaux en cours en Angleterre et en Écosse; et à l’analyse des besoins économiques, sociaux et éducatifs actuels et prévisibles. Cette étape devra être close à la fin février 2009.
1 Le Figaro Économie aborde lui aussi ce thème dans un article intitulé «Les deux façons d’en finir avec la crise». Jean-Pierre Robin déplore le fait que l’on mette l’accent sur la «relance» – l’expression désigne un retour à l’état antérieur… il s’agit au contraire de se propulser dans l’avenir», et plus loin: «parmi les rares certitudes du moment, ne pas retourner au statut antérieur» Le directeur général du Welsch Funding Council (Conseil de Financement du Pays de Galles) a conclu sa présentation à la Conférence évoquée dans notre article en ces termes: «Business as usual» ne doit plus être le mot d’ordre».