Comment les réseaux peuvent aider à construire une citoyenneté mondiale au Japon

Hideki Maruyama
lnstitut national pour la recherche sur la politique
de l’éducation (National Institute for Educational
Policy Research – NIER)
Japon  

 

 

 

Résumé – L’article présente sommairement quelques-uns des défi s auxquels les écoles sont confrontées au Japon lorsque l’enseignement porte sur le développement durable. Ces défis sont nombreux et divers. L’article en fournit des exemples concrets et présente quelques propositions d’action.    



Comment pouvons-nous apprendre aux gens à devenir des citoyens mondiaux ? Comment leur inculquer un sens des responsabilités partagées vis-à-vis de l’environnement ? Comment relier nos salles de classe au reste du monde ? L’enseignant japonais se concentre d’habitude principalement sur l’amélioration de ses cours. Être enseignant est un métier dont on peut être fi er, mais qui permet toujours de se perfectionner. La question est de savoir comment. Il semblerait qu’au Japon, les enseignants aient besoin de s’ouvrir, de devenir des apprenants et des citoyens avant de pouvoir enseigner à l’ère de la communication. Pour reconnaître et comprendre la diversité au sein d’une classe, l’enseignant doit peut-être prendre du recul et observer la façon dont se déroule l’apprentissage.

De nombreuses écoles se retrouvent isolées au Japon

En 1953, l’UNESCO a créé le Réseau du système des écoles associées de l’UNESCO. Durant la Décennie des Nations unies pour l’éducation au service du développement durable (DEDD) qui s’est déroulée de 2005 à 2014, le Japon est devenu rapidement le pays qui comptait le plus grand nombre d’écoles associées de l’UNESCO dans le monde. En même temps, le gouvernement japonais et des organisations non gouvernementales (ONG) ont soutenu des activités sur l’éducation au service du développement durable (EDD) dans les écoles. 

 

Tandis que le nombre des écoles associées de l’UNESCO ont augmenté, et que les questions mondiales ainsi que l’éducation au service du développement durable ont été intégrées dans les programmes d’enseignement, la question du réseautage a posé beaucoup de diffi culté. En 2011, un tiers des écoles japonaises du réSEAU ont coopéré avec d’autres écoles associées de l’UNESCO au Japon et à l’étranger. Comme l’illustre le tableau 1, les écoles du ré-SEAU qui sollicitaient des subventions du gouvernement japonais coopéraient avec leurs communes et des spécialistes externes, mais pas avec d’autres écoles que ce soit au niveau national ou international. Le tableau 2 montre que la moitié d’entre elles organisaient des programmes avec d’autres écoles au Japon, mais que seule une sur quatre entretenait des relations avec des établissements étrangers.

Quand on les questionne sur l’avenir, ce chiffre est même plus faible : seulement une sur cinq prévoit d’entretenir des rapports avec des écoles étrangères. En d’autres termes, les écoles japonaises associées de l’UNESCO collaborent peu avec d’autres écoles.

Enseignants et élèves exprimant leurs commentaires lors de l’atelier d’évaluation du forum des élèves en mars 2015, © Hideki Maruyama

Il existe trois raisons principales pour lesquelles les écoles ne réseautent pas. Plus de la moitié des écoles associées de l’UNESCO au Japon sont des établissements primaires privilégiant les relations avec leur commune plutôt qu’avec d’autres écoles. Les langues ou pour être plus précis, le manque de connaissances de l’anglais, sont aussi une raison importante pour laquelle les écoles japonaises ne communiquent pas avec d’autres établissements à l’étranger. Le dernier point structurel concerne le système d’évaluation des cours. D’ordinaire, les élèves suivent les cours en classe et collaborent rarement avec d’autres classes et établissements scolaires. Les enseignants ont le sentiment de devoir maîtriser la durée de l’enseignement pour couvrir les contenus à étudier, et ils exècrent les interminables activités avec des gens de l’extérieur, car il n’existe aucune forme officielle d’évaluation pour ce type d’activité supplémentaire. Outre les trois raisons invoquées, le réseau interuniversitaire ASPUnivNet de soutien aux écoles associées de l’UNESCO a prêté son concours à la Commission nationale japonaise pour l’UNESCO lors de l’enregistrement officiel des écoles candidates, mais n’a pas eu pour mission de mettre ces écoles en relation avec d’autres établissements au Japon ou à l’étranger.

Si le gouvernement du pays prenait une part active à ce processus et soutenait les écoles en mettant suffi samment de ressources à leur disposition, nous pourrions fi xer quatre objectifs stratégiques : 1) développer davantage l’école primaire ; 2) enseigner l’anglais ; 3) fournir un système officiel d’évaluation et 4) faire en sorte que l’ASPUnivNet fonctionne avec des réseaux au niveau mondial. Malheureusement, il est improbable que cela arrive encore en raison de la récession et de la baisse des recettes fiscales due au déclin de la population japonaise. Il faudrait une réponse créative à cela. La force réside dans le réseau – et dans nos eff orts personnels. Il faudrait trouver toutes les possibilités de donner un sens à l’apprentissage, car dans l’apprentissage, des liens dynamiques se créent entre nous, à l’instar des ordinateurs connectés à Internet.

Le forum des élèves à la conférence mondiale sur la Décennie des Nations unies pour l’éducation au service du développement durable (DEDD)

Le Japon a officiellement accueilli de nombreux participants à la conférence mondiale sur la DEDD en novembre 2014. Les manifestations associées ont, entre autres, été les suivantes : le forum des élèves avec 800 participants, organisé du 5 au 7 novembre, le forum des enseignants auquel 40 enseignants ont pris part et la conférence des jeunes sur l’éducation au service du développement durable avec 50 participants de 48 pays. En même temps, mais ailleurs, s’est tenue la Conférence internationale sur les centres régionaux d’expertise (CRE) avec 272 participants de 68 CRE de 47 pays. La principale conférence officielle a accueilli 1091 participants de 153 pays1.

Examinons de plus près l’une des manifestions du ré-SEAU : le forum des élèves organisé sur trois jours et qui a réuni 200 élèves étrangers de 32 pays. 600 élèves japonais ont aussi participé à ce forum après l’avoir préparé pendant plus de trois ans. Un grand nombre d’entre eux venaient du réSEAU d’Osaka (également « écoles d’Osaka associées de l’UNESCO »).

De la Baltique à Osaka

Officiellement, le réSEAU d’Osaka a été créé en 2001 après une visite du Projet de la mer Baltique qui crée depuis 19892 des réseaux d’éducation relative à l’environnement et à l’apprentissage interculturel. La figure 2 montre les activités d’éducation au service du développement durable et les évènements organisés par les écoles d’Osaka associées de l’UNESCO depuis 2001. Le professeur Li (2012), l’un des membres principaux et ancien coordinateur du réSEAU d’Osaka, explique que celui-ci a commencé à petite échelle en s’inspirant d’activités organisées aux Philippines et en Thaïlande, des pays où l’apprentissage interactif est monnaie courante. Selon Li, la force des écoles associées de l’UNESCO réside dans le fait qu’elles offrent un espace permettant aux gens d’apprendre les uns des autres, sur un « pied d’égalité ».

Cette approche, inhabituelle pour les écoles japonaises, se déroule de la manière suivante : les écoles d’Osaka associées de l’UNESCO, invitent des élèves d’établissements, de classes, de nationalités et de niveaux divers. Par exemple, les lycéens apprennent des élèves du primaire, et les bons élèves coopèrent avec ce que l’on qualifierait d’élèves en diffi culté3. Au début, les bons élèves n’imaginaient pas pouvoir apprendre quoi que ce soit des autres, car ils pensaient que seuls leurs résultats scolaires comptaient. Finalement, les activités des écoles associées de l’UNESOC ont révélé qu’une coopération intense était nécessaire pour atteindre les objectifs fixés : au fil du temps, les mentalités ont changé. Les écoles d’Osaka associées de l’UNESCO ont adopté cette approche cohérente de l’apprentissage sur un « pied d’égalité », c’est-à-dire une approche considérant que les participants apprennent les uns des autres.

Quoique rude, la préparation du forum a cependant conduit les élèves à nouer entre eux des relations plus intenses. Après le remaniement du ministère de l’Éducation, l’aide à l’équipe chargée d’organiser le forum et la compréhension à son égard ont changé. Les enseignants qui dépendaient de différentes communes se sont trouvés désemparés de voir que les administrations communales n’étaient pas d’accord sur tout.

Une telle situation exigeait des élèves de faire preuve d’esprit d’innovation et de débrouillardise. Ils ont alors passé beaucoup de temps ensemble à inventer de nouveaux termes originaux comme le mot « sherlock » dérivé de « shashin » (photographie) et lok-on (enregistreur vocal) pour désigner des archives audiovisuelles. Le sentiment d’appartenance au projet et les efforts fournis a resserré encore davantage les liens entre les élèves. Les enseignants et les autres adultes qui soutenaient ce projet de forum ont toujours été impressionnés par leur attitude proactive. Ses organisateurs ont connu des périodes de joie et de désespoir, comme l’a exprimé l’équipe que j’ai observée et interviewée, mais ils ont mené cette entreprise à bien avec beaucoup d’efforts et de soutien de la part des participants.

Quatre mois plus tard, les écoles associées de l’UNESCO ont organisé un atelier pour dresser le bilan du forum5. Tous les élèves, les enseignants et les autres adultes d’Osaka qui y ont pris part ont raconté comment ils avaient trouvé le forum et décrits leurs projets et engagements pour porter l’éducation au service du développement durable vers l’étape pratique suivante : en l’axant principalement sur des activités quotidiennes.

L’importance d’apprendre : réflexions personnelles et communication intergénérationnelle

Quels enseignements les adultes, c’est-à-dire les enseignants et les étudiants qui ont aidé les élèves à organiser le forum, ont-ils tiré de ce dernier ? Ils ont souligné que les objectifs de l’UNESCO (p. ex. les quatre piliers de l’éducation) et ceux du réSEAU (p. ex. répondre à ceux de l’UNESCO) avaient été importants pour le forum et expliqué que l’approche « sur un pied d’égalité » était une méthode pour que des gens d’horizons divers apprennent les uns des autres.6

Il est quelque peu difficile de l’illustrer, mais les adultes ont eux aussi appris et changé grâce à ce projet de forum. Les enseignants et les autres adultes ont soutenu les élèves pour la préparation et l’organisation du forum. Ceci a certainement été difficile pour certains des enseignants japonais habitués à diriger et/ou à enseigner la marche à suivre correcte ou efficace pour les grands évènements. Toutefois, lorsqu’ils ont vu leurs élèves évoluer durant ce processus et prendre à cœur l’approche adoptée par le réSEAU d’Osaka, ils ont commencé à réfléchir aux nouvelles possibilités qui s’offraient à eux en tant qu’adultes. Les plus jeunes qui suivent des études de pédagogie à l’université ont confessé que les élèves leur avaient ouvert un nouvel horizon.

Le réSEAU d’Osaka s’est efforcé de créer de véritables liens entre l’EDD et la vie quotidienne, et de développer les aptitudes à communiquer entre des gens d’origines diverses. Le fait est que l’apprentissage ne devrait pas se limiter à un sujet, un programme, un lieu, l’âge de l’apprenant ou un concept. Bien qu’employant rarement le mot « citoyen », les adultes ont confirmé la nécessité de soutenir activement des valeurs pour l’avenir. Nagata et coll. (2012) ont introduit quatre approches promouvant une conception holistique de l’apprentissage dans les efforts entrepris pour créer une société durable. L’UNESCO (2013) a également dressé une carte des liens existant entre l’éducation au service du développement durable et des éléments des sphères privée et professionnelle. Comme nous le voyons, bon nombre d’entre eux se recoupent (fi gure 3).

Vous souvenez-vous du point de départ de mon article ? Il s’agissait du fait que la moitié des écoles associées de l’UNESCO sont isolées. Ce nombre peut paraître faible, mais il ne l’est pas. Dans le système japonais de l’éducation, la majorité des établissements n’ont jamais besoin de communiquer avec d’autres écoles, et les enseignants doivent veiller à utiliser efficacement le temps limité qui leur est imparti pour les cours. Telle est la situation dans les écoles.

Les modes de vie diffèrent eux aussi complètement. Par conséquent, l’éducation est plus utile quand elle a un rapport direct avec le quotidien des apprenants. En apprenant de personnes plus jeunes ou plus âgées, les enseignants et les autres adultes deviennent des citoyens, quels que soient leur niveau d’instruction ou leur position sociale.

Construire un avenir viable

Les enseignants japonais sont bien formés. Toutefois, le système officiel ne leur permet pas d’échanger avec des collègues d’autres établissements, en particulier hors du Japon. Les activités d’EDD ont fait augmenter le nombre d’écoles associées de l’UNESCO et élargi les contenus de l’EDD, mais le réseautage demeure quasi inexistant. Selon les enseignants du réSEAU d’Osaka, l’enseignement dans les écoles associées de l’UNESCO permet d’apprendre de manière plus efficiente et d’enseigner de manière plus effi cace. Ils ont appris des jeunes, des participants d’autres pays et d’autres enseignants. Ils se sont aussi forgé une opinion sur la possibilité d’apprendre en collaborant avec des personnes d’horizons divers. Pour créer les conditions d’un apprentissage durable, ils ont adopté l’approche sur un « pied d’égalité », une méthode parfois oubliée au Japon, mais indispensable pour la citoyenneté mondiale.

 


Notes

1 / Y compris 76 ministres de 69 pays et des organisations internationales avec un accès à la conférence mondiale dont l’accès était limité.

2 / En tout plus de 2000 personnes ont assisté aux parties en libre accès de la conférence.

3 / Au Japon, le système public d’éducation filtre les étudiants en fonction de leurs résultats lors de l’examen de passage en dixième [la première année de lycée, ndlr].

4 / Reconnue comme une bonne pratique par le siège de l’UNESCO et le ministère japonais de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT).

5 / Cet atelier d’une journée se déroula le 15 mars 2015. Invité en tant que conseiller, j’ai pris part à tout son programme. 

6 / Comme seulement deux pour cent de la population ont des origines différentes, par exemple linguistiques et culturelles, les Japonais doivent reconnaître et saisir toutes les occasions de tirer parti de cette diversité, et, dans un cadre éducatif, d’en tirer des enseignements – chose importante mais peu fréquente.

References

Commission nationale japonaise pour l’UNESCO (n.d.) : Yunesoko Sukuru. http://www.mext.go.jp/unesco/004/1339976.htm

Commission nationale japonaise pour l’UNESCO (2014) : Heisei 25 Nendo Yunesuko Sukuru (réSEAU) Anketo. http://bit.ly/1F12XI0

Ii, N. (2012) : Osaka ASPnet no Ajia tono Renkei kara Mieru Seika to Kadai. Dans : Nagata, Y. (éd.) : Higashi Ajia niokeru “Jizokukanouna Kaihatsu notameno Kyouiku” no Gakkou Nettowaku Kouchiku ni Muketa Kenkyu Saishu Hokokusho. Pp.57-60. http://www.u-sacred-heart.ac.jp/ nagata/saishu.pdf (en japonais)

Maruyama, H. (2011) : Yunesuko Sukuru niokeru ESD Katsudo no Seika to Kadai ni Kansuru Ichi Kosatsu. Dans : Centre culturel Asie-Pacifique pour l’UNESCO : Hirogari Tsunagaru ESD Jissen Jirei 48. Pp. 148-166. http://bit.ly/1Qeit5a

Maruyama, H. (2013) : Education for Sustainable Development and AS-Pnet in Japan : Toward the 2014 Conference. Education in Japan. lnstitut national pour la recherche sur la politique de l’éducation (NIER). http://bit.ly/1GUYbfh

Maruyama, H. (2014) : Sustainable Security for Lifelong Learners and Societies. Dans : Journal of International Cooperation in Education, 15(4). Pp. 139-155.

Nagata, Y. et al. (2012) : ESD to Kokusai Rikai Kyouiku. Dans : Kokusai Rikai Kyouiku 18. Pp. 43-89.

UNESCO (2009) : Review of Contexts and Structures for Education for Sustainable Development. UNESCO.

UNESCO (2013) : ESD and TVET- Promoting Skills for Sustainable Development. UNESCO.

Site officiel des écoles associées de l’UNESCO (réSEAU) au Japon (n.d.) : Yunesuko Sukuru Toha. http://www.unesco-school.jp/aspnet/


L’auteur

Hideki Maruyama est chercheur postdoctoral au département de recherche & de coopération internationale de l’lnstitut national du gouvernement japonais pour la recherche sur la politique de l’éducation (NIER). Ses principaux sujets de recherche sont la migration et l’éducation, et l’éducation au service du développement durable. Son dernier ouvrage, coécrit avec M. Otha, est intitulé Possibility of Non-Formal Education (paru chez Shinhyoron, 2013).

Contact 
National Institute for Educational Policy
Research (NIER)
3-2-2 Kasumigaseki, Chiyoda-ku
Tokyo, 100-8951
Japon
hidekim@nier.go.jp 

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