Cet extrait du résumé de Writing the Wrongs (Corriger une injustice) fournit un aperçu concis des arguments en faveur d’un investissement dans l’alphabétisation des adultes.1
Selon les statistiques de l’UNESCO, près d’un milliard d’adultes ne savent ni lire ni écrire. Dans la réalité, ce chiffre est probablement plus proche des deux milliards, et est même plus élevé si nous tenons compte de la connaissance du calcul et de l’emploi réel de ces compétences. La plupart des personnes concernées vivent dans une pauvreté extrême. Près des deux tiers sont des femmes et presque un cinquième de ces gens ont entre 15 et 24 ans. Toutefois, ils ont été laissés pour compte au cours des dernières décennies et, bien que les gouvernements du monde entier aient ratifié l’objectif de l’ONU qui promet de réduire de moitié l’analphabétisme d’ici 2015, ils investissent scandaleusement peu dans des programmes destinés à l’atteindre.
L’analphabétisme est une violation du droit fondamental à l’éducation. Toutefois, si cet argument ne suffit pas, la Campagne mondiale pour l’éducation est d’avis qu’il y a cinq raisons pratiques convaincantes pour que les gouvernements et les bailleurs de fonds investissent maintenant dans l’éducation des adultes:
L’alphabétisation est vitale pour réduire les inégalités entre les sexes. L’alphabétisation donne aux femmes davantage de possibilités de participer aux sphères privée et publique, aux décisions domestiques, aux affaires de la collectivité et à la vie nationale en tant que citoyennes actives. Les programmes d’alphabétisation ont un impact dramatique sur l’estime de soi des femmes et ils leur donnent les moyens de libérer des ressources économiques, sociales, culturelles et politiques.
L’alphabétisation des adultes est cruciale pour une éducation et un développement sains des enfants, notamment pour les filles. Chaque année supplémentaire d’éducation pour les mères est associée à une réduction significative de la mortalité infantile et à une amélioration de la santé des enfants. Des parents plus instruits élèvent des enfants plus instruits. Les enfants dont les parents (et en particulier les mères) savent lire et écrire restent plus longtemps scolarisés et réussissent mieux.
L’alphabétisation est vitale pour le développement humain et économique. Améliorer les niveaux d’alphabétisation offrirait d’importants avantages économiques tant aux individus qu’aux pays. Des études réalisées dans plusieurs pays montrent des liens manifestes entre le niveau d’alphabétisation dans un pays, les résultats économiques et la croissance du PIB par habitant. De même, les pourcentages actuellement élevés d’analphabétisme chez les femmes et les pauvres limitent l’impact des programmes conçus pour développer les moyens d’existence, accroître les revenus, protéger l’environnement, fournir de l’eau claire, promouvoir la participation civique et la démocratie, et lutter contre les maladies mortelles. À moins que le groupe cible ne possède des connaissances de base en lecture, en écriture et en calcul, nombre de ces programmes ne peuvent pas fonctionner correctement, et il y a même un risque que ceux qui détiennent déjà les pouvoirs et les ressources (qui sont généralement plus instruits et de sexe masculin) s’en approprieront les bénéfices.
Atelier Reflect au village de Munigi, Goma
Source: Kate Holt/Eyevine/ActionAid
L’alphabétisation est vitale pour combattre le SIDA. La pandémie de SIDA fait apparaître une génération perdue d’orphelins et d’enfants vulnérables, grandissant sans instruction. Comme la Banque mondiale l’a annoncé, si cette tendance se poursuit sans que rien ne s’y oppose, elle pourrait bien paralyser l’économie des pays d’Afrique dans les décennies à venir. Les programmes d’alphabétisation des adultes pourraient jouer un rôle crucial pour réduire la propagation du VIH/SIDA et permettre aux populations de réagir à un monde dans lequel cette maladie affecte tous les aspects de leur vie.
Il est aussi essentiel de proposer à vaste échelle des programmes d’alphabétisation des adultes afin d’offrir un filet de sécurité sous forme d’une éducation de la seconde chance aux orphelins du SIDA (mais aussi à nombre de jeunes gens affectés chaque année par la guerre ou des catastrophes naturelles qui les forcent à quitter l’école et à accepter des emplois les jetant dans des conditions délétères de travail enfantin).
Finalement, les résultats des recherches présentés dans le rapport de la Campagne mondiale pour l’alphabétisation montrent que contrairement à ce que l’on pense traditionnellement dans la communauté donatrice, les programmes d’alphabétisation des adultes peuvent être tout autant abordables qu’efficaces. De récentes recherches, notamment les études commanditées par le Rapport mondial 2006 de suivi sur l’EPT, renforcent ce constat, ce qui démonte les toutes dernières excuses avancées par les gouvernements et bailleurs de fonds pour esquiver leurs responsabilités vis-à-vis des jeunes et des adultes illettrés.
En bref, l’alphabétisation est l’engrais nécessaire pour que le développement et la démocratie prennent racine et prospèrent. Elle est l’ingrédient invisible de toute stratégie d’éradication de la pauvreté couronnée de succès. Malheureusement, elle devenue par trop invisible ces dernières années.
Les objectifs des Nations unies en matière d’éducation pour tous (EPT), tels qu’ils furent adoptés en 1990 à Jomtien et réitérés à Dakar en 2000, s’engagent largement en faveur de l’apprentissage tout au long de la vie et promettent de réduire l’analphabétisme de 50 % d’ici 2015. Nombre de praticiens pensent toutefois que le mouvement de l’EPT après Dakar a focalisé les financements et la volonté politique presque exclusivement sur le développement de la scolarité primaire formelle, au détriment de secteurs non traditionnels comme l’éducation des adultes ou des jeunes enfants.
Ceci est non seulement inacceptable, mais c’est en outre faire preuve d’un manque extrême de prévoyance que de procéder ainsi. L’éducation pour tous contribuera le plus au développement et à la réduction de la pauvreté si elle s’adresse vraiment à «tous» en visant tous les groupes sociaux nécessitant l’apprentissage de compétences et de connaissances de base, et non en ciblant uniquement les moins de douze ans. Bien que qu’il soit urgent et difficile de scolariser tous les enfants, l’effort intense nécessaire pour réaliser l’éducation primaire universelle ne doit en aucun cas aller au détriment des autres dimensions de l’EPT. De plus, comme nous l’examinerons ci-après, l’alphabétisation des adultes est intrinsèquement liée à la réussite des autres objectifs de l’EPT. Nos recherches indiquent que l’objectif de l’alphabétisation dans l’éducation pour tous pourrait être atteint moyennant seulement 3 % du budget annuel des ministères de l’Éducation.
Pendant quelques temps, les gouvernements et les bailleurs de fonds se sont retranchés derrière l’idée répandue selon laquelle les programmes d’alphabétisation ne fonctionnent pas ou qu’il est tout simplement impossible d’éduquer des adultes, tout au moins dans le cadre de programmes à vaste échelle, ce qui est tout à fait absurde. Les succès passés de nombreux programmes d’alphabétisation des adultes contredisent cela, notamment dans des contextes postrévolutionnaires où régnaient une volonté politique réelle et un élan soutenu. Toutefois, c’est précisément du fait que si peu de programmes se poursuivent à présent qu’il a été difficile de trouver des preuves plus récentes de réussite, notamment sous une forme simple et pratique dont les planificateurs et les politiques pourraient faire usage.
Atelier Reflect au village de Munigi, Goma
Source: Kate Holt/Eyevine/ActionAid
1 First published in "Writing the Wrongs – International Benchmarks on Adult Literacy", ActionAid, 2005.