Malgré des pourcentages de formation scolaire plus élevés que la moyenne, l’éducation des adultes en Uruguay a été mise sur un plan d’égalité avec les autres secteurs de l’éducation. La politique de l’éducation en matière de formation continue a été élaborée au fil d’intenses consultations entre des organisations internationales de l’éducation des adultes comme le CEAAL (Conseil latino-américain de l’éducation des adultes), le CIEA (Conseil international de l’éducation des adultes) et le REPEM (Réseau d’éducation populaire des femmes d’Amérique latine et des Caraïbes). Ceci a donné des impulsions puissantes à de nombreux programmes d’éducation des adultes mis en œuvre par le ministère en association avec d’autres organismes publics. Toutefois, nombre de tâches exigent encore des solutions.
Le 1 er mars 2005, un nouveau gouvernement a été élu en Uruguay: pour la première fois dans l’histoire de notre pays, c’était un gouvernement de gauche. Le ministre de l’Éducation et de la Culture (MEC) a alors déclaré que la politique éducative serait axée sur l’ «éducation pour tous, tout au long de la vie et dans l’ensemble du pays».
Notre équipe chargée de l’éducation au MEC a fait une réflexion sur la signification et les conséquences de cette déclaration, et sur la politique à mettre en place. Nous avons décidé de créer un département d’Éducation non formelle au sein du MEC dans le but d’intégrer l’éducation non formelle dans les politiques éducatives qui devaient être encouragées pendant la phase initiale.
C’était nouveau dans la mesure où ce secteur n’avait jamais fait l’objet d’une attention particulière de la part de l’État, d’autant plus dans un pays qui se distingue par un niveau de scolarisation très élevé: pratiquement 100 % des enfants d’âge scolaire inscrits dans le primaire, cinq années obligatoires d’enseignement préscolaire avec une couverture de près de 100 %, 90 % d’accès à l’enseignement secondaire obligatoire. Le problème le plus crucial est l’abandon scolaire au niveau secondaire, qui augmente au fur et à mesure que les enfants grandissent. C’est un problème grave pour les universités, car elles accueillent les élèves qui ont terminé leurs études secondaires, ce qui représente 35 % pour cette année. Dans l’ensemble du pays, le pourcentage le plus élevé de personnes de plus de 25 ans ayant terminé le cycle complet d’enseignement primaire est de 40,6 %. 1
Il ne s’agissait pas d’ «inventer», mais de rendre visible ce qui ne l’était pas, de reconnaître et de légitimer un secteur de l’éducation qui existait déjà, qui se développait selon des critères différents, et qui obtenait des résultats différents dans le cadre de pratiques et de projets à des niveaux institutionnels et politiques différents.
Dans ce contexte et au cours des six premiers mois, le MEC a réuni trois groupes de travail dans le but de réfléchir à la mise en œuvre de cette politique:
Ces trois groupes ont participé au débat éducatif en 2006 et au Congrès national sur l’éducation organisé en décembre de la même année; ils ont présenté des propositions et des recommandations.
En même temps, des institutions comme l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie de Hambourg, le CREFAL et divers universitaires et experts ont été invités à participer et à collaborer à notre processus de réflexion. 2
Bref, nous avons mis sur pied une conception et une politique éducative claire qui exprimaient la volonté de changer l’éducation en général, d’élargir le domaine éducatif en reconnaissant l’éducation non formelle et par conséquent, de faciliter l’émergence et le développement de l’éducation des jeunes et des adultes au niveau formel et informel en tant qu’expression réelle d’une éducation pour tous et tout au long de la vie.
Au sein du MEC:
Au sein de l’ANEP, Administration nationale de l’enseignement public, responsable de l’éducation formelle au niveau initial, primaire et secondaire:
Au sein du ministère du Développement social (MIDES), créé en 2005 et responsable de la coordination des politiques sociales et du Plan national d’aide sociale d’urgence (PANES) de 2005 à 2007, l’intérêt se porte plus particulièrement sur la promotion et la mise en œuvre de l’alphabétisation des personnes en situation de pauvreté extrême et d’indigence, soit environ 10 % de la population uruguayenne. Le programme d’alphabétisation, version uruguayenne du programme cubain «Oui, je peux», a été coordonné avec l’ANEP à des fins de réinsertion et de continuité éducative.
Au niveau institutionnel, avec la participation de diverses institutions publiques (MEC – ANEP – UdelaR – MTSS – MEF – OPP – BROU – CND), 3 une convention a été signée en 2009, qui a mis en place le programme «L’Uruguay étudie» aux fins suivantes: promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie, encourager les études et l’atteinte des niveaux éducatifs, stimuler l’intégration sociale. Il comporte quatre composantes: éducation, bourses, stages pratiques et crédits.
Pour finir, on mentionnera les efforts en faveur d’une politique d’articulation de
l’éducation et du travail:
Le processus de 2006 a apporté des éléments significatifs qui se sont traduits par la présentation, de la part du MEC, d’un projet de loi générale sur l’éducation discuté à trois reprises par le Conseil des ministres, transmis ensuite au Parlement et concrétisé par l’approbation de la loi générale sur l’éducation (N° 18.437) en décembre 2008.
Nous en retiendrons les éléments suivants:
Lorsqu’en 2006, le MEC a été chargé de rédiger un «Rapport sur la situation de l’éducation des jeunes et des adultes» en perspective de la préparation de la CONFINTEA VI en 2009, il a compris que c’était là une opportunité de promouvoir la politique qu’il avait conçue et était en train de mettre en œuvre.
C’est dans ce contexte qu’a été créé, en 2007 et par résolution présidentielle, le Comité national préparatoire de la CONFINTEA VI: il se composait des acteurs engagés dans ce secteur et s’appuyait sur le groupe de travail créé en 2005. La CONFINTEA VI a par conséquent servi de «prétexte» pour encourager le processus de mise en œuvre des idées et des politiques éducatives.
L’un des premiers objectifs du Comité a été l’élaboration du Rapport national, envoyé plus tard à l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (UIL). Le processus de rédaction collective du Rapport s’est avéré intéressant vu les opportunités, mais aussi les difficultés que représentait ce travail en coopération interinstitutionnelle et entre acteurs publics et privés; le processus n’en a été que renforcé.
Un processus de sensibilisation et de participation a ensuite été entamé dans le cadre de la préparation de la conférence internationale de 2009. Des forums nationaux ont été organisés, le premier étant consacré à l’examen du Rapport national et au lancement du débat, le second à la formulation de propositions pour la délégation uruguayenne à la CONFINTEA VI.
En 2008, une délégation composée de représentants du MEC, de l’ANEP et du CIEA a participé à la Conférence régionale préparatoire de la CONFINTEA VI pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Et en 2009, une délégation composée de représentants du MEC, de l’ANEP, du MIDES, du CIEA, du REPEM et d’UNI3 a participé à la conférence proprement dite.
Après Belém, il s’est avéré qu’il restait encore un long chemin à faire, d’une part en raison des besoins éducatifs concrets du pays, d’autre part afin d’assurer le suivi de la mise en œuvre des accords et des objectifs de la CONFINTEA VI. C’est à ces fins qu’a été créé, par résolution présidentielle, le Comité national d’articulation et de suivi de l’éducation des jeunes et des adultes, qui réunit les divers acteurs de ce secteur engagés dans le processus initié en 2005, y compris le CONENFOR.
La CONFINTEA est aujourd’hui un «texte» qui sert à consolider, développer et approfondir le processus de changement inhérent aux idées et aux politiques éducatives mises en route.
a) Différences entre théorie et pratique
L’éducation des adultes est mentionnée dans les textes politiques et les programmes éducatifs, l’importance de promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie est reconnue. L’alphabétisation est mentionnée dans le texte légal, son importance est reconnue et des actions sont mises en œuvre, de sorte que vu sous cet angle conceptuel, nous devons poursuivre nos efforts. Mais… il y a encore beaucoup à faire, car la vision traditionnelle de l’alphabétisation et de l’éducation des jeunes et des adultes perdure.
b) Tensions et difficultés
Les progrès au niveau du discours ne sont pas accompagnés de progrè s conceptuels: Alphabétisation: on constate un certain recul de l’importance qu’on lui attribuait entre 2005 et 2009. Les actions se concentrent sur l’enseignement primaire.
Éducation formelle des jeunes et des adultes: on constate un important manque de coordination intra-institutionnelle au sein de l’ANEP. La gestion a lieu par niveaux (primaire, secondaire, technique et professionnel), de sorte que l’EPJA n’est pas reconnue en tant que telle. Les progrès en ce qui concerne les objectifs, les contenus, la méthodologie et le profil des enseignants, mais aussi la politique éducative (décentralisation territoriale, articulations et innovations), ont lieu uniquement au niveau de l’enseignement primaire.
Éducation non formelle des jeunes et des adultes: elle n’est reconnue que depuis 2005 et apparaît dans la loi générale sur l’éducation en 2008. La création du CONENFOR, qui a commencé à fonctionner en 2009, est considérée comme cruciale en ce sens que le Conseil a permis de mettre sur pied une stratégie interinstitutionnelle et intersectorielle d’articulation, de coordination et de promotion d’une éducation non formelle de bonne qualité.
Le développement de l’éducation au sens large (EPJA comprise) et son articulation avec les politiques publiques, la vie humaine de toutes les personnes et la cohabitation sociale, est lié à son incidence sur l’édifice conceptuel hégémonique, social et culturel de notre pays.
c) Éducation: économie contre citoyenneté? Avant 2005, nous pouvons dire que l’éducation était généralement considérée comme «une préparation à l’emploi» (et d’un point de vue plus optimiste, trouver un emploi et le garder), ce qui d’une certaine manière la réduit purement et simplement à l’obtention de revenus. Les principes néolibéraux des décennies précédentes prédominaient encore.
Le développement productif et technologique actuel fait apparaître les carences des politiques éducatives antérieures, de même que les besoins actuels et les perspectives de développement économique. L’offre éducative est trop limitée pour pouvoir satisfaire la demande économique et productive actuelle. D’un autre côté, on parle du profil du participant à l’EPJA, du sujet de l’éducation et de l’intérêt que le fait de continuer à apprendre représente pour lui. Ses besoins, ses intérêts et ses problèmes, qui se manifestent sous des formes multiples, nous signalent des choses que nous devons analyser. Il y a certainement quelque chose dans nos offres, dans notre façon de «communiquer» avec eux, que nous devons changer; il y a un élément de l’ «identité» de l’EPJA que nous devons analyser et auquel nous devons réfléchir.
Nous sommes par conséquent face à un dilemme: le grand problème auquel se heurte actuellement la promotion d’une éducation élargie et de meilleure qualité procède-t-elle de l’intérêt économique ou, au contraire, de l’intérêt du citoyen? Quel est le rôle de la production dans la vie sociale? Quel est le rôle de l’éducation pour la vie et la cohabitation sociale des sujets?
d) (Toujours) pas de crédits de validation ni de reconnaissance
La demande de validation de l’apprentissage non formel et informel manifestée par la population adulte désireuse de poursuivre son éducation ou de faire valider ses compétences pour l’emploi et continuer à apprendre, a augmenté de manière significative.
La validation de connaissances permettant d’encourager la réinsertion et la continuité éducative a été expressément reconnue par la loi générale sur l’éducation de 2008 (loi 18.437, art. 39), mais bien que le thème figure dans le calendrier des autorités et qu’une proposition de réglementation ait été faite, elle n’a pas encore été mise en œuvre.
En tout état de cause, la reconnaissance «des connaissances, des capacités et des réalisations d’une personne hors de l’éducation formelle» représente un progrès significatif, et contribue à consolider la conception de l’apprentissage tout au long de la vie et les politiques en matière d’éducation non formelle.
La gestion requiert de l’adresse technique, mais plus encore une conception politique et un fondement théorique réellement axés sur la participation à tous les niveaux.
La gestion doit s’appuyer sur une politique de participation qui inclut tous les acteurs: autorités gouvernementales, professionnels publics, universités, syndicats, chefs d’entreprises et le reste de la société civile.
L’un des objectifs est de créer une institutionnalité effective, efficiente et permanente, un environnement idoine pour assurer la continuité des politiques et l’atteinte des impacts attendus. Nous devons pour cela tenir compte de diverses dimensions:
La réalisation de cette tâche doit tous nous impliquer, d’autant que l’articulation et la coordination, outre le fait qu’elles constituent des méthodes, sont dotées de contenus et représentent des objectifs spécifiques.
La gestion requiert de travailler avec professionnalisme à l’aide d’une méthodologie rigoureuse qui crée et met en œuvre des mécanismes: de planification et d’évaluation des politiques et des programmes; de monitoring et de suivi; permettant d’influencer les pratiques éducatives et l’accumulation des apprentissages.
L’information est un élément clé. Il faut donc prévoir des dispositifs permettant de la générer, d’en disposer et de l’échanger. Elle doit être pertinente et de bonne qualité, présentée sous une forme appropriée. L’information doit nous servir à publier et communiquer, informer, rendre des comptes et éduquer.
La coopération régionale et internationale peut jouer un rôle très important dans la mesure où nous y avons recours; elle facilite alors l’articulation, la coordination et la légitimation, et «apporte sa contribution à la conception» des politiques, des programmes et des pratiques.
Si l’on veut promouvoir l’ «éducation des jeunes et des adultes» et l’ «apprentissage tout au long de la vie», il est indispensable d’avoir une vision précise du modèle de vie sociale que nous souhaitons pour nos pays, une certaine vision de l’être humain et de la vie individuelle et sociale.
Dans ce sens, les concepts d’éducation et de culture obtiennent une dimension précise qui sous-tend et oriente toutes les actions: les politiques, les programmes éducatifs, les actions éducatives.
Nous ne manquons pas d’idées, nous avons une volonté politique de changement social visant l’amélioration des conditions de vie de toutes les personnes, mais nous avons aussi des traditions et des conceptions bien ancrées, difficiles à changer. Les notions d’ «éducation des jeunes et des adultes» et d’ «apprentissage tout au long de la vie» ne sont pas encore bien claires ni bien comprises. L’éducation des jeunes et des adultes en Uruguay est généralement une notion «diffuse et vulnérable».
Ce problème n’est peut-être pas seulement inhérent à notre pays, mais aussi au fait que l’EPJA nécessite une révision de ses offres et de leur pertinence pour les sujets de l’éducation. L’ «identité» de l’EPJA fait l’objet d’un débat.
Les problèmes conceptuels influent directement sur les difficultés d’articulation et de coordination; la compétence, la duplication des efforts et le mauvais usage des ressources persistent; il s’avère difficile de mobiliser et même d’identifier la grande variété d’acteurs de l’éducation qui pourraient nous permettre de réaliser une action concertée et effective induisant les changements auxquels nous aspirons. Il est impérieux de reconnaître que l’ «éducation» est un vaste champ de possibilités qui transgresse les limites traditionnelles de l’enseignement scolaire et élémentaire.
Il faut créer des rapports plus solides entre «cette» éducation, y compris l’EPJA, et les autres secteurs: travail, santé, différents programmes sociaux, enseignement scolaire, éducation physique, récréation et sports, environnement.
Il est fondamental de poursuivre le processus de construction des cadres théoriques que requièrent l’éducation des jeunes et des adultes, ses besoins et ses possibilités d’apprentissage.
Il est très important de se doter d’un cadre institutionnel nouveau et efficace afin de mettre en œuvre les politiques et les programmes avec le professionnalisme requis, et de réviser le concept de «gestion éducative» en y intégrant des contenus politiques et pédagogiques.
Bien que nous n’ayons entrepris ces changements que depuis peu, nous avons une curieuse sensation, à la fois de satisfaction et de contradiction, car si nous avons déjà beaucoup avancé, il reste encore beaucoup à faire. Nous avons engagé la réflexion et le débat sur ces thèmes et réalisé des actions concrètes, nous avons enregistré des progrès incontestables et rencontré des difficultés dans la poursuite de notre action. Nous avons montré que les changements sont nécessaires, mais aussi possibles.
1 MEC, «Anuario Estadístico de Educación 2005», MEC, Montevideo 2006.
2 Ont collaboré et travaillé avec nous pendant cette période : Violeta Núñez, Jaume Trilla, María Teresa Sirvent, Rosa María Torres, José García Molina, Olga Niremberg, Bettina Bochynek, Ulrike Hanemann, Timothy Ireland, Paul Belanger, Sergio Haddad, Evelcy Monteiro, Roberto Da Silva, Lidia Rodríguez, Sylvia Schmelkes, Mercedes Ruiz, Ernesto Rodríguez, Graciela Riquelme, Alberto Biondi y Ariel Zysman.
3 MEC: Ministerio de Educación y Cultura (ministère de l’Éducation et de la Culture).
ANEP: Administración Nacional de Educación Pública (administration nationale de l’Enseignement public).
UdelaR: Universidad de la República O. del Uruguay (université de la République d’Uruguay).
MTSS: Ministerio de Trabajo y Seguridad Social (ministère du Travail et de la Sécurité Sociale).
MEF: Ministerio de Economía y Finanzas (ministère de l’Économie et des Finances).
OPP: Oficina de Planeamiento y Presupuesto (bureau de la Planification et du Budget).
BROU: Banco de la República O. del Uruguay (Banque de la République orientale de l’Uruguay).
CND: Corporación Nacional para el Desarrollo (Corporation nationale pour le développement).