Malika Ouboumerrad
Faculté des lettres et des sciences humaines
Université Mohamed V, Rabat
Maroc
Résumé – Eu égard aux progrès rapides de la technique et à la précipitation de la mondialisation et des mutations socioéconomiques, nombre de programmes d'enseignement dans le monde tendent à prioriser l'enseignement de compétences et de savoir-faire jugés cruciaux pour réussir dans le monde d'aujourd'hui, et même à trop insister sur leur importance. Cet article passe succinctement en revue ce que l’on appelle les compétences pour le 21e siècle et examine les changements apportés au programme d’enseignement, à l’enseignement et à l’évaluation des acquis, destinés à créer une base pour intégrer l’apprentissage de ces compétences dans les cours d’ALE (anglais en tant que langue étrangère) au Maroc. Il se penche en outre sur les méthodes d’enseignement et d’évaluation dans ce domaine.
Préparer les apprenants d’aujourd’hui à affronter l’avenir revient simplement à les aider à acquérir les compétences et savoir-faire qui leur permettront de trouver du travail, de faire face à différentes situations, de résoudre des problèmes et de s’entendre avec des gens d’horizons sociaux, culturels et économiques divers. Un système d’éducation qui prend en compte les besoins des apprenants du 21e siècle doit les aider à utiliser la technique de manière productive et efficace, à avoir une réflexion critique et à devenir des apprenants indépendants et autonomes, tout au long de la vie. Ceci remplace les modes traditionnels d’apprentissage – qui préfèrent le par-cœur et la maîtrise des connaissances aux démonstrations de compétences conçues par les apprenants – et les programmes d’enseignement basés sur l’information. En outre, la simple transmission et accumulation de connaissances à l’école ne donne pas l’occasion de mettre les acquis en pratique dans de nouveaux contextes. Par conséquent, enseigner ces compétences et les approfondir exige des modèles éducatifs solides, favorisant une culture de la qualité. Ceci sous-entend aussi qu’il faut réexaminer nos outils pédagogiques, le type d’éducation que nous offrons aux apprenants et les domaines et compétences que nous avons souvent tendance à privilégier.
Apprenants au centre d'apprentissage à Casablanca. © Johanni Larjanko
Parmi les contenus émergeant au 21e siècle – quoique la liste ne soit pas exhaustive – on compte la sensibilisation de la population internationale, la littératie1 environnementale, la littératie sanitaire, la littératie visuelle, la littératie informationnelle, la littératie financière, la littératie civique et la littératie entrepreneuriale. Ces domaines sont quant à eux axés sur un ensemble de compétences nécessaires à l’apprentissage comme, par exemple, la réflexion critique, la résolution de problèmes, la communication, la littératie numérique et médiatique, la créativité, la collaboration et le leadership. Le programme P21 de partenariat pour la promotion des compétences pour le 21e siècle (2011) et le Pacific Policy Research Center (2010) incluent les compétences suivantes parmi celles également nécessaires dans la vie privée et professionnelle : compétences sociales et interculturelles, productivité et responsabilité, initiative et autonomie. La liste est longue – et pourrait donner matière à plusieurs articles. Nous nous concentrerons sur le premier ensemble de compétences, car elles peuvent constituer le socle fondamental de savoir-faire que les apprenants doivent acquérir pour opérer avec efficacité dans le monde d’aujourd’hui. Examinons-en quelques-unes de plus près.
On associe souvent la réflexion critique à la capacité à résoudre des problèmes. Toutefois, dans la définition classique qu’en donne John Dewey (1909), la réflexion critique est l’examen actif, cohérent et attentif d’une croyance ou d’une forme de savoir à la lumière de conclusions plus larges qu’elle entend tirer. S’inspirant de cette explication de Dewey, le British Council (2015) définit la capacité à faire preuve de sens critique et à résoudre des problèmes comme l’aptitude à raisonner efficacement et, à poser des questions judicieuses pour tirer différents points de vue au clair et permettre de mieux comprendre les questions abordées. Le programme P21 définit quant à lui cette capacité comme l´aptitude des apprenants à recourir à la pensée systémique, à formuler des jugements, à prendre des décisions et à résoudre des problèmes. Ceci exige d’examiner différentes décisions et processus d’un œil critique (Pacific Policy Research Center, 2010 ; P21, 2011). La réflexion critique permet aux étudiants non seulement de cerner, d´analyser et de synthétiser des informations, mais aussi de négocier et d´aborder différents points de vue pour examiner des questions et problèmes sous des angles divers.
Il est facile de sourire si on connaît la langue. © Johanni Larjanko
La technologie forme et reproduit le monde entier, et les salles de classe ne dérogent pas à la règle. Elle donne aux apprenants la possibilité d´acquérir des compétences pour le 21e siècle en leur offrant de nouveaux moyens de développer des savoir-faire dans les domaines suivants : la résolution de problèmes, la réflexion critique et la communication. Se servir de la technologie pour renforcer, étendre et approfondir les apprentissages permet aux apprenants de découvrir, maîtriser et transmettre des connaissances et informations, leur laissant ainsi une certaine marge d´autonomie et de responsabilité (British Council, 2011). La technologie peut aider les apprenants à s’exercer à appliquer ces compétences dans différents contextes, à réfléchir sur leur façon de penser et celle de leurs pairs, et à s’entraîner à dissiper les malentendus et à collaborer avec eux (P21). L’utilisation des TIC en cours accroît la motivation et la participation active, et permet aux apprenants de passer du stade de l’accumulation et de la mise en pratique des acquis à celui de la création de savoirs.
Il ne suffit pas d’enseigner aux apprenants comment utiliser différents types d’appareils ou comment localiser et partager des informations sur différents sites. Dans le monde d’aujourd’hui, la littératie médiatique est essentielle. Les apprenants utilisent différents types de supports, ce qui exige d’eux qu’ils sachent comment fonctionnent ces médias, comment l’information est créée et dans quel but. Il est primordial pour les gens de pouvoir accéder aux messages des médias et d’être à même de les comprendre et de les analyser (Pacific Policy Research Center, 2010). Cette compétence englobe la capacité à comprendre les différentes tendances des médias et leur influence éventuelle sur les croyances et comportements. Vous maîtrisez les médias lorsque vous êtes capable de comprendre les questions éthiques concernant la production et l’utilisation des différentes formes de médias.
Du fait que nous accordons de nos jours une grande importance à la communication, il est devenu capital de mettre l’accent en classe sur les activités de ce type (Ouboumerrad, 2012). Les approches basées sur la communication ont placé cette dernière et l’interaction au cœur de l’enseignement et de l’apprentissage ; aujourd’hui, le principal objectif de l’enseignement est le développement de l’aptitude des apprenants à communiquer (Richards, 1980 ; Hymes, 1975 ; Widdowson, 1978 ; Canale, 1980, 1985 ; Swain, 1980). Les apprenants devraient être capables de communiquer clairement sur le mode oral, écrit et non écrit, dans différents contextes et à des fins diverses.
Traditionnellement, l’éducation était axée sur les fondamentaux d’une bonne communication : l’expression orale et écrite, l’écoute et la lecture, mais les exigences des rapports sociaux et de l’économie mondiale nécessitent la maîtrise d’un ensemble plus varié de techniques de communication. Trilling et Fadel (2009) affirment que l’apprenant d’aujourd’hui doit pouvoir communiquer et articuler ses pensées et idées clairement et efficacement en utilisant des techniques de communication verbales et/ou non verbales sous des formes diverses et dans des situations variées.
Du point de vue pédagogique, la collaboration peut être synonyme de travail d’équipe, de coopération et de partenariat. Les apprenants doivent être flexibles et obligeants lorsqu’ils collaborent avec leurs pairs pour atteindre un objectif commun, et montrer qu’ils sont prêts à faire des compromis s’il le faut (Pacific Policy Research Center, 2010). Collaborer, c’est aussi assumer ses responsabilités quant au travail conjoint et apprécier la pierre apportée individuellement à l’édifice par chaque membre de l’équipe (Trilling et Fadel, 2009).
Ça concerne notre vie, notre avenir. Nous voulons avoir notre mot à dire ! Débat au centre d’éducation des adultes à Casablanca. © Johanni Larjanko
L’apprentissage ne peut pas être isolé du contexte social et culturel dans lequel il se déroule ni d’autres contextes culturels qu’il vise. Apprendre un comportement social approprié fait partie des compétences pour le 21e siècle. Les compétences sociales et interculturelles s’appliquent à l’aptitude des apprenants à évoluer au sein d’un groupe, qu’il s’agisse de leur communauté ou d’un autre milieu culturel. Ceci implique qu’ils fassent preuve de tolérance et de respect vis-à-vis d’autrui, et qu’ils acceptent les différences sociales et culturelles tout en préservant les leurs. En outre, il est de plus en plus important dans les sphères sociales et le milieu professionnel de se placer sous différents angles pour résoudre des problèmes. Les apprenants en partenariat doivent être capables de s’entendre avec les autres en se conduisant de manière respectueuse et professionnelle, de travailler avec succès au sein d’équipes diverses et de réagir sans préjugés à différentes idées et valeurs.
Nous avons examiné un certain nombre de compétences essentielles nécessaires au 21e siècle. Penchons-nous à présent sur la façon dont on peut les enseigner. Les possibilités sont quasi infinies. Ainsi pouvons-nous insister sur les questions importantes au 21e siècle, employer des outils du 21e siècle comme les TIC pour développer ces techniques d’apprentissage, enseigner et apprendre dans un contexte du 21e siècle et utiliser des modes d’évaluation du 21e siècle (P 21st, 2011 : 5). On peut apprendre à collaborer, à résoudre des problèmes et à communiquer en recourant à des méthodes diverses. Il peut s’agir par exemple d’un apprentissage par la réalisation d’un projet, par la résolution d’un problème, par la conception, etc.
Au Maroc, les objectifs de l’ALE s’inscrivent dans l’optique de la nouvelle façon d’envisager l’aptitude à communiquer : les apprenants devraient apprendre cette langue pour être à même de communiquer dans la pratique à des fins diverses. (The Official Guidelines for TEFL, 2007) En même temps que l’on poursuit l’objectif principal consistant à développer l’aptitude des apprenants à communiquer, on peut intégrer les autres compétences pour le 21e siècle. Les directives officielles définissent comme suit les compétences et savoir-faire essentiels que les apprenants doivent acquérir :
L’apprentissage par la réalisation d’un projet ou la participation à un projet est une partie essentielle des manuels marocains d’ALE. Cette démarche y est présente du niveau débutant au niveau avancé, avec des thèmes correspondant aux acquis des étudiants et à leur maîtrise de la langue. Un projet est une activité, quelle qu’elle soit, pour laquelle des apprenants, individuels ou en groupes, se réunissent et traitent des informations de sources diverses afin d’atteindre un objectif fixé préalablement et de le présenter ensuite à toute la classe (The Official Guidelines, 2007). La plupart des projets se concrétisent par un produit final, par exemple un exposé oral ou écrit, un poster, un fichier, un manuel, une cassette audio ou vidéo, ou une présentation sous tout autre type de format. L’apprentissage par la réalisation d’un projet comporte quantité d’avantages pour les apprenants qui privilégient les activités éducatives collectives. Des recherches ont montré que les apprenants qui avaient du mal à apprendre dans des classes traditionnelles avec des manuels et des cours classiques tiraient un grand profit de la démarche reposant sur la réalisation d’un projet, plus en phase avec leur façon d’apprendre et leurs préférences en la matière (Darling-Hammond et. coll., 2008). Il est primordial que ce type de projet s’appuie sur des problèmes et questions authentiques, pris dans la réalité et auxquels les apprenants s’intéressent.
Les manuels marocains d’ALE ont un point commun : les leçons incluent toutes des chapitres de formation des apprenants. La formation des apprenants, c’est-à-dire leur apprendre à apprendre, s’applique à l’intervention des « enseignants » pour aider les apprenants à utiliser régulièrement différentes stratégies d’apprentissage des langues leur permettant d’apprendre efficacement, d’agir avec compétence dans des situations concrètes et d’exécuter des tâches pratiques » (The Official Guidelines, 2007). Downes (2005) et Anderson (2007) affirment que la formation des apprenants englobe des processus et stratégies autodidactes susceptibles d’être utilisés dans l’apprentissage autonome ou la formation classique pour apprendre à apprendre. Une telle formation améliore la sensibilisation des apprenants à la langue et à son processus d’apprentissage. Elle vise aussi à les faire participer à la planification de leur propre apprentissage en leur procurant des stratégies de gestion du temps, d’organisation et d’autoévaluation. Ce type de formation est un moyen de donner aux apprenants les outils d’apprentissage nécessaires pour les aider à continuer d’apprendre seuls hors de l’école.
Les compétences pour le 21e siècle sont peut-être plus difficiles à évaluer que les connaissances factuelles. On ne peut pas, par exemple, jauger des compétences comme la collaboration, le travail d’équipe ou la réflexion critique en faisant faire des exercices à choix multiples ou avec des blancs à compléter. Pour mesurer de telles compétences, il nous faut des tests plus récents, reposant sur de nouvelles normes conçues pour évaluer la réflexion critique ou l’aptitude à résoudre des problèmes. Bien que l’évaluation des résultats puisse toujours servir d’alternative aux examens importants, on considère que cette démarche est subjective et exige beaucoup de temps.
En ce qui concerne l’ALE au Maroc, par exemple, l’évaluation des résultats est souvent employée pour évaluer quatre compétences : la lecture, l’écriture, l’écoute et l’expression orale. Ce type d’évaluation permet d’évaluer facilement lors d’un exercice l’usage que fait l’apprenant des structures, du vocabulaire et des fonctions des mots. Néanmoins, bien que cela puisse renseigner sur les connaissances d’un apprenant et sur ce qu’il est capable de retirer de ces connaissances, nous ne savons toujours pas si ce type d’évaluation suffit à mesurer certaines choses comme sa capacité à la réflexion critique et à résoudre des problèmes. Heureusement, nous disposons d’autres formes d’évaluation comme le journal et le dossier d’évaluation, les projets, l’autoévaluation et l’évaluation par les pairs. Les enseignants peuvent avoir recours aux quatre formes d’évaluation ci-dessous.
Globalement, les compétences dont il a été question dans cet article sont largement considérées comme des prérequis par les écoles et les enseignants d’aujourd’hui. Par conséquent, il faut les promouvoir au sein de notre système d’enseignement afin d’adapter l’éducation à l’époque actuelle et de préparer nos apprenants à affronter l’avenir – mais aussi, espérons-le, de répondre en même temps aux exigences du monde professionnel et des progrès techniques.
1 / Selon l´OCDE (rapport du 14 juin 2000 intitulé : La littératie à l´ère de l´information), le mot « littératie » désigne « l´aptitude à comprendre et à utiliser l´information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d´atteindre des buts personnels et d´étendre ses connaissances et ses capacités. » Elle s´étend toutefois à d´autres domaines que l´écriture, la lecture et le calcul : informatique, médias, santé, environnement, etc. (n.d.l.t.).
2 / La pensée systémique est une façon d’appréhender la réalité en insistant sur les rapports entre les éléments interdépendants d’un système plutôt que sur les ces éléments pris chacun pour soi.
Anderson, P. (2007) : What is Web 2.0? Ideas, technologies and implications for education. JISC Technology and Standards Watch: disponible sur : http://www.jisc.org.uk/media/documents/techwatch/tsw0701b.pdf.
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Widdowson (1978) : Teaching Language as Communication. Londres : Oxford University Press.
Malika Ouboumerrad est actuellement professeur de secondaire dans la délégation de Nador (Maroc) et étudiante en doctorat à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Mohamed V, à Rabat. Elle est aussi titulaire d’une maîtrise de sciences et recherches linguistiques appliquées dans l’enseignement supérieur de la faculté des arts Dhar El Meharaz de Fès (2012) et d’une licence de linguistique de la faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat (2010).
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