Felix Kayode Olakulehin
National Open University of Nigeria
Nigeria
Résumé – TCet article se penche sur les expériences entreprises pour promouvoir et faire progresser les principes d’inclusion et de diversité à la National Open University of Nigeria, une université ouverte et à distance, située dans un pays en développement. Cette réflexion critique cherche à aborder entre autres la question suivante : l’éducation ouverte et à distance peut-elle contribuer à améliorer l’inclusion et la diversité des apprenants à l’ère du numérique ?
Dans le monde entier, les systèmes d’éducation doivent impérativement s’efforcer d’offrir aux personnes de toutes les tranches d’âge un accès à l’éducation socialement juste et équitable, ce qui redéfinit la question de la qualité dans le domaine de l’éducation. Les Objectifs de développement durable (ODD) récemment élaborés, et qui ont remplacé les Objectifs de développement pour le millénaire (ODM) au dernier trimestre 2015, renforcent cette notion. L’objectif éducatif des ODD est axé sur la promotion d’une éducation inclusive et de qualité, propice au développement. Le concept de l’inclusion a évolué ces dernières décennies : de « processus d’éducation d’apprenants handicapés avec leurs pairs sans handicap » (Pattie 2010 : 2), il est devenu un vaste idéal pour une éducation cherchant « à inclure tout le monde…quelle que soit la nature de leurs difficultés à l’école, qu’elles soient dues à la pauvreté, à l’origine culturelle ou à un handicap » (Thomas et Loxley 2007 : 122). La diversité traduit l’intégration d’identités sociales plus vastes comme, entre autres, la race, l’ethnicité, la culture, la langue, la religion, le genre, l’orientation sexuelle, l’âge et le handicap (Higbee, Siaka et Bruch 2007 : 4 ; Shaw 2009 : 323). Cet article se penche sur les objectifs de l’inclusion et de la diversité dans le cadre d’une éducation ouverte et à distance. Il pose des questions telles que : l’éducation ouverte et à distance peut-elle contribuer à améliorer l’inclusion et la diversité quant à la participation à l’éducation à l’ère du numérique ? Comment le discours contemporain conceptualise-t-il l’inclusion et la diversité en ce qui concerne l’accès à l’éducation ? Quelles sont les expériences entreprises pour promouvoir et faire progresser les principes d’inclusion et de diversité à la National Open University of Nigeria, un établissement d’enseignement à distance situé dans un pays en développement ?
L’éducation ouverte et à distance (EOD) est un amalgame de concepts réunissant l’éducation ouverte et l’enseignement à distance. L’enseignement et l’apprentissage se déroulent entre des enseignants et des apprenants situés loin les uns des autres, tant dans l’espace que dans le temps. Des supports analogues de base comme des cours et modules imprimés, la radio et la télévision, et des ressources numériques de pointe comme des appareils de communication mobiles et des technologies informatiques ainsi que des supports Internet tels que des ressources éducatives libres (REL) et des cours en lignes ouverts et massifs (les CLOM également appelés MOOC ; de l’anglais massive open online courseware, n.d.l.t.) permettent de surmonter la séparation sociale et géographique entre les apprenants à distance et leurs enseignants. L’éducation ouverte et à distance agit sur les notions d’équité et d’égalité en matière d’accès. Tous les apprenants ont le droit d’aspirer à s’instruire jusque au point où ils le souhaitent et, si les établissements prennent des dispositions adaptées, les structures d’éducation ouverte et à distance peuvent leur permettre d’atteindre les objectifs éducatifs qu’ils se sont fixés. Cette mise en relief de l’accessibilité pour tous les apprenants à une possibilité de s’instruire est la raison d’être de l’éducation à distance (Keegan 1993).
L’éducation ouverte et à distance est aussi le gage d’un accès assoupli, offrant les mêmes possibilités à tous les apprenants, qu’ils soient faibles ou forts. En même temps, elle souligne l’importance des matériels pédagogiques de haute qualité, conçus pour permettre aux participants d’accéder aux connaissances les plus actuelles et les plus pointues que l’on puisse imaginer. Des cours de mise à niveau sont offerts aux étudiants ayant de grosses lacunes au moment où ils commencent leurs études ; ils bénéficient en outre d’un soutien pédagogique jusqu’à ce qu’ils soient en mesure d’améliorer leurs notes pour atteindre le niveau d’entrée souhaité pour les cursus qu’ils ont choisis. Durant leurs études, les étudiants reçoivent le soutien de conseillers professionnels qui connaissent les besoins psychosociaux des apprenants à distance qui sont souvent des personnes d’un âge mûr et des membres socialement responsables au sein de la société [ce dernier point ne devrait-il pas aller de soi ?]. En outre, des facilitateurs de travaux dirigés et d’études sont également disponibles pour répondre aux besoins en termes d’enseignement et d’information des apprenants.
L’éducation ouverte et à distance est une forme d’enseignement industrialisé qui, de système par correspondance – avec la création en 1969 de la United Kingdom Open University, l’université ouverte du Royaume-Uni – est devenu une approche de l’éducation entièrement basée sur la technologie. L’objectif de ce type d’enseignement consistait à améliorer l’accès à l’éducation en vue d’inclure autant de gens que possible, indépendamment du lieu ou des difficultés d’emploi du temps. Les progrès dans le domaine de la technologie de l’information et de la communication ont radicalement redessiné l’éducation ouverte et à distance ces dix dernières années. Les prestataires privés menant des activités à but lucratif se livrent une concurrence sur le même marché que les établissements publics qui s’appuient sur les principes de l’égalité et de la redistribution démocratique. Ces deux formes d’établissements ont tiré parti des philosophies qui sous-tendent l’éducation ouverte et à distance afin d’offrir à des apprenants des possibilités de s’instruire partout, en ayant recours aux moyens techniques disponibles sur place. La clientèle de l’éducation à distance est tout aussi variée que les prestataires. D’un côté, de grandes universités du monde entier proposent des cursus très réputés destinés à des cadres vivant aux antipodes via les plates-formes en ligne d’établissements d’éducation à distance. D’un autre côté, des groupes d’apprenants non traditionnels, par exemple de fermiers de petits États du Commonwealth, de femmes indigènes en Inde et en Afrique, de femmes soumises à la tradition islamique du purdah en Afrique de l’Ouest, d’ouvriers des compagnies pétrolières en Amérique centrale et en Amérique du Sud, et d’enseignants de pays en développement et développés se forment encore et encore grâce à l’éducation ouverte et à distance.
Toutes les interactions au sein de l’éducation ouverte et à distance sont conçues pour développer la dynamique créée par la convergence des technologies de l’information et de la communication avec d’autres supports pertinents, comme les technologies mobiles, pour abolir la distance transactionnelle. Selon Moore et Kearsely (2005), la distance transactionnelle correspond au fossé entre enseignants et apprenants concernant la compréhension et la communication, qui est imputable à la distance géographique. Il faut le combler en suivant des procédures différentes de conception de l’enseignement et en facilitant l’interaction. Les succès des efforts de différents groupes d’apprenants tels qu’on peut les constater dans de nombreux programmes d’éducation à distance sont le fruit de l’attention soigneuse accordée à l’élimination de la distance transactionnelle. Les postulats de la distance transactionnelle et de la conversation didactique guidée constituent le pivot de la médiation avec les apprenants dans l’éducation ouverte et à distance. La conversation didactique guidée (Holmberg 1960) recourt à l’empathie pour créer un échange dans le style d’une conversation. Cette approche incite davantage à apprendre et à obtenir de meilleurs résultats que les présentations traditionnelles. Les principes axés sur l’apprenant reconnaissent la diversité des étudiants qui s’inscrivent à des programmes d’éducation à distance, leurs besoins individuels et leurs attentes diverses vis-à-vis de l’établissement d’enseignement. Quand la conversation entre enseignant et étudiants est guidée, spécifiquement et soigneusement élaborée, en tenant compte des spécificités des apprenants, elle réalise les aspects de justice sociale de l’éducation ouverte et à distance.
L’inclusion a été dissociée du handicap et des besoins spéciaux pour être réinterprétée dans un sens large englobant les notions d’égalité et d’équité en tant que corollaires essentiels de nouvelles normes de qualité dans l’éducation. Bien que Shaw (2009) fasse observer qu’« ‘élargir l’accès’ ne revient pas nécessairement au même qu’‘élargir la participation’, l’accès laissant supposer que l’on se concentre sur le point de départ de l’enseignement supérieur, et qu’on l’a traditionnellement associé à des étudiants mûrs suivant des cours de mise à niveau pour entrer à l’université, alors que ‘l’élargissement de la participation’ est un terme qui recouvre tout le parcours des apprenants... », dans le présent contexte, « élargir l’accès et la participation » est une expression hybride désignant l’idée d’un accès commençant dès l’instant où un apprenant commence à s’intéresser à l’inscription à un programme dans un établissement. Songez pour cela à un apprenant se mettant à comparer différents établissements en réfléchissant à celui dont l’offre est la plus flexible pour répondre à sa situation particulière, et qui est donc dans ce sens le plus inclusif et le plus accessible. Par conséquent, l’inclusion et la diversité sont liées de près aux questions de l’élargissement de l’accès et de la participation à l’éducation par le biais de l’accroissement du nombre d’étudiants non traditionnels s’inscrivant à des cours. Ce point de vue cadre étroitement avec les objectifs fondamentaux de l’éducation ouverte et à distance, cherchant à élargir l’accès dans tous les établissements.
Avec quelque 170 millions d’habitants (Office national de statistique 2016), le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique. Il est aussi le seul pays d’Afrique subsaharienne au sein du groupe E9 composé en outre du Bangladesh, du Brésil, de la Chine, de l’Égypte, de l’Inde, de l’Indonésie, du Mexique et du Pakistan. Ensemble, ces pays réunissent plus de la moitié de la population mondiale et environ 70 % des adultes illettrés dans le monde. Les indicateurs de l’éducation au Nigeria révèlent des disparités quant à l’accès et à la participation à l’enseignement supérieur selon les critères suivants : l’âge, le genre, le handicap et la situation socio-économique. Avec plus de 150 universités et quelque 191 autres établissements d’enseignement supérieur, le Nigeria possède l’un des plus vastes systèmes d’enseignement supérieur en Afrique. Cependant, ces universités ont une faible capacité d’absorption et n’accueillent chaque année qu’environ 12 pour cent des candidats qualifiés. Ce niveau d’absorption représente toutefois un accroissement du nombre d’inscrits qui est passé de 325 299 dans 48 universités en 2000 à 1 552 913 dans 148 universités en 2016. Comme dans de nombreux autres pays, on enregistre une évolution rapide du nombre des inscrits et de leur diversité au Nigeria. Ceci est dû en partie au fait que l’on attache davantage d’importance à l’accroissement des possibilités d’accès et de participation offertes à des groupes sous-représentés par le passé dans l’enseignement supérieur.
La National Open University of Nigeria a été créée pour s’attaquer au vide béant entre la candidature et l’inscription des étudiants dans les universités traditionnelles. Une importance particulière a été accordée aux attentes de groupes d’étudiants différents qui n’intégraient pas traditionnellement l’enseignement supérieur. Deux déclarations importantes ont ouvert la voie à cela. La première est la politique nationale sur l’éducation (de 1977, révisée en 2014) déclarant sans équivoque que « des efforts maximaux seront entrepris pour permettre aux personnes susceptibles de bénéficier de l’enseignement supérieur d’en obtenir l’accès. Un tel accès peut être réalisé par le biais d’universités, de cours par correspondance, d’universités ouvertes ou de cursus à mi-temps et de travail-études. » La seconde déclaration concerne l’engagement pris par le Nigeria de réaliser l’éducation pour tous dans l’optique de la déclaration du Forum mondial sur l’Éducation pour tous (EPT) à Dakar, au Sénégal.
Depuis l’introduction de l’éducation ouverte et à distance dans l’enseignement supérieur au Nigeria, un notable accroissement de l’accès à ce secteur de l’éducation a été enregistré au sein de différents groupes de population, entre autres les femmes défavorisées, les personnes handicapées et les détenus. La National Open University of Nigeria (NOUN – Université ouverte nationale du Nigeria) a considérablement accru l’accès à l’enseignement supérieur dans le pays, le faisant passer à un taux sans précédent ces quinze dernières années. Avant la création de la NOUN, les candidats qualifiés pour intégrer les universités traditionnelles ne pouvaient pas tous s’inscrire, une situation principalement due au nombre limité de places dans ces établissements et résultant d’un financement inadapté qui se traduit par la dégradation des équipements, le nombre réduit de personnel correctement formé et la diminution des capacités de recherche. Le gouvernement nigérian a reconnu dès le début que certains domaines essentiels nécessitent un examen urgent des politiques afin de maximiser les bénéfices de l’éducation à distance. Ces domaines sont les suivants : (i) la nécessité de démocratiser l’accès à l’éducation, (ii) la nécessité de développer des programmes d’enseignement pour les cursus proposés afin de les maintenir au niveau des connaissances qui connaissent une explosion sans précédent et de la technique qui évolue rapidement, et (iii) la nécessité urgente d’intégrer les technologies de la communication dans la pratique de l’éducation ouverte et à distance.
La NOUN est la seule université d’éducation ouverte et à distance à part entière dans la sous-région d’Afrique de l’Ouest. C’est aussi, dans cette espace géographique, le plus grand établissement universitaire avec un nombre d’étudiants oscillant à plus de 260 000 dans 76 centres d’études, un nombre dont on attend qu’il atteindra le million en 2021. En plus d’élargir l’accès et de fournir des formules d’études souples, la NOUN a pour mission transversale d’offrir une éducation de qualité ayant comme points d’ancrage la justice sociale, l’égalité, l’équité et le sens de l’innovation. Par conséquent, la NOUN est la seule université du Nigeria à organiser des cursus sanctionnés par des diplômes et des certificats pour les populations carcérales dans tout le pays et à proposer à tous les détenus intéressés des bourses prenant leurs études en charge à 100 pour cent. En outre, elle propose des formations universitaires et professionnelles sur mesure aux membres des unités militaires et paramilitaires au Nigeria, avec des activités de soutien aux apprenants dans des centres d’études réservés à cela dans l’armée de l’air, l’armée de terre, la marine, la police, les services carcéraux, les services de pompiers et les dispositifs de protection civile dans tout le Nigeria. La NOUN est officiellement la seule université du Nigeria à s’être sérieusement penchée sur la question des étudiants handicapés en assurant qu’ils bénéficient d’un soutien pédagogique concentré, nécessaire pour mener à bien leurs études. Les étudiants handicapés reçoivent des bourses leurs permettant d’étudier jusqu’au bout.
La flexibilité des cursus de la NOUN la rendent populaires auprès des candidats qui n’ont pas réussi à se faire admettre dans des établissements traditionnels d’enseignement supérieur. Elle est tout aussi populaire au sein de la population active ne souhaitant pas cesser de travailler pour entamer des études à plein temps. Parmi les inscrits aux cursus de la NOUN, on recense aussi des politiciens, des hauts fonctionnaires, des législateurs et des travailleurs de plates-formes pétrolières.
Note
* / Cet article a été exclusivement écrit pour l’édition numérique de la revue Éducation des adultes et développement.
Réferences
Higbee, J. L. ; Siaka, K. & Bruch, P. L. (2007) : Assessing our commitment to multiculturalism: Student perspectives. Dans : Journal of College Reading and Learning, 37(2), 7-25.
Keegan, D. (éd.) (2005) : Theoretical principles of distance education. Routledge.
Rouse, P. (2009) : Inclusion in physical education: Fitness, motor, and social skills for students of all abilities. Human Kinetics.
Shaw, J. (2009) : The diversity paradox: does student diversity enhance or challenge excellence? Dans : Journal of Further and Higher Education, 33(4), 321-331.
Thomas, G., & Loxley, A. (2007) : Deconstructing special education. Royaume-Uni : McGraw-Hill Education.
L’auteur
Felix Kayode Olakulehin est chargé de recherches principal au centre de recherche en éducation à distance et en ligne de Lagos (Nigeria). Il s’intéresse notamment dans ses travaux à l’enseignement supérieur, à l’éducation ouverte, à distance et en ligne, ainsi qu’à des sujets transversaux comme l’élargissement de la participation, l’apprentissage tout au long de la vie, l’accès à l’enseignement, l’éducation inclusive et l’assurance de la qualité. Il est titulaire de diplômes d’enseignement supérieur en leadership et gestion de l’éducation, et en éducation ouverte et à distance.
Contact :
felixkayman@gmail.com