De gauche à droite :
Sonja Belete
DVV International
Éthiopie
Steffi Robak
Université Leibniz, Hanovre
Allemagne
Résumé – TCet article explique comment et pourquoi la planification de programmes s’est développée dans le domaine de l’éducation des adultes ? Il décrit quelques caractéristiques essentielles et avantages éventuels qui résident dans l’emploi de la planification de programmes pour améliorer l’impact de l’éducation des adultes. Enfin, il expose brièvement comment planifier des programmes en illustrant cela par des exemples pratiques d’Ouganda et d’Éthiopie.
Les possibilités d’apprendre tout au long de la vie et les programmes d’éducation des adultes dépendent en partie des interprétations, des idées, des modèles et des financements des États, des gouvernements, des communautés et des parties prenantes – que l’on appelle souvent le macroniveau. En plus, les activités d’apprentissage tout au long de la vie dépendent aussi des compétences des éducateurs d’adultes sur lesquelles elles reposent. Ce sont justement ces personnes qui doivent transformer ces idées, interprétations et possibilités en programmes de formation, en projets, en offres et, au bout du compte, en séminaires ou en cours de formation répondant aux demandes et besoins de la population. C’est ce que l’on appelle le mésoniveau.Le rôle de l’éducation des adultes et les politiques en la matière au sein du système d’apprentissage tout au long de la vie d’un pays se construisent certes en partie sur la base des politiques internationales (p. ex. de l’ONU, de UE, de l’OCDE), mais le travail proprement dit s’effectue à l’échelle des pays. Répondre aux demandes spécifiques de la population en matière d’éducation et d’apprentissage, et créer des cultures de l’apprentissage qui s’accordent avec les origines sociobiographiques, le contexte économique, et la formation des gens ainsi qu’avec leurs habitudes en matière d’apprentissage représente des défis majeurs pour l’éducation des adultes au plan national. L’éducation des adultes ne peut toutefois avoir un impact que si elle réunit ces conditions. Est-ce le meilleur moyen pour préparer à l’emploi et améliorer le travail/les conditions de travail que de rendre l’éducation des adultes accessible, voire de permettre aux gens d’accéder pour la première fois de leur vie à l’éducation ? L’éducation des adultes et la formation continue sont également ancrées dans des politiques et processus de construction de systèmes plus vastes, enracinés eux-mêmes dans le contexte social, politique et économique d’un pays. De plus, ceci a un impact sur les prestations d’éducation des adultes et de formation continue.
Il fut un temps où l’éducation des adultes se déroulait dans le cadre de cours individuels, de groupes de discussion ou de classes où l’on apprenait à lire, à écrire ou à faire du calcul. Faire de ces cours ou classes individuels des programmes complets et permanents est un accomplissement important dans l’histoire de l’éducation des adultes et de la formation continue. Aujourd’hui, le nombre d’activités d’apprentissage atteste des performances d’une société, ce que mesurent des systèmes de suivi comparatifs de l’éducation comme, par exemple, le Rapport mondial sur l’apprentissage et l’éducation des adultes (GRALE). L’approche et les capacités pour former un système d’éducation des adultes varient en fonction des pays. Cependant, l’aptitude à concevoir des programmes, des projets et des séminaires, de même que toute autre forme d’offres d’apprentissage à distance et en ligne constitue la base de toute l’éducation. Planifier et proposer des programmes pour les adultes est une des activités principales des professionnels de l’éducation des adultes (DVV International/DIE 2015).
Un programme et/ou un concept systématique de projets sont les fruits d’évolutions historiques, sociales, économiques et éducatives à un moment donné, et d’aspirations pédagogiques particulières de professionnels dans des contextes institutionnels (Gieseke et Opelt 2003). Le fonctionnement d’un programme est le reflet de processus sociaux (Gieseke 2017), car il illustre les besoins, demandes et l’intérêt d’apprendre à un moment donné en fonction d’évolutions sociales et économiques qui se déroulent dans un pays. D’un point de vue systématique, quand nous donnons des cours à des étudiants en éducation des adultes ou que nous formons des professionnels, nous définissons des programmes comme des objets conçus macrodidactiquement et mésodidactiquement, fournissant un mélange de dispositions d’apprentissage, de projets de cours, de groupes de discussions et de concepts concernant les groupes cibles. Tous les établissements d’éducation des adultes et de formation continue illustrent leur façon d’instruire des adultes et de leur permettre d’acquérir des qualifications grâce à leurs programmes de formation/d’apprentissage (ibid.).
Les programmes d’éducation des adultes ou d’apprentissage tout au long de la vie font partie du cadre opérationnel des systèmes nationaux d’éducation des adultes. Que ce soit en Éthiopie, en Ouganda ou dans d’autres pays d’Afrique, l’expérience nous a enseigné que la capacité des éducateurs d’adultes à planifier des programmes répondant aux besoins des groupes cibles ne suffit pas. Leur aptitude à tenir compte d’autres facteurs et acteurs influents en dehors des limites de leur expertise technique, par exemple leur capacité à assurer que ces programmes peuvent réellement atteindre les groupes cibles est elle aussi décisive, ce qui implique que les éducateurs d’adultes doivent mener des activités de planification avec des personnes que l’on appelle des « gestionnaires de systèmes ». Il peut s’agir de spécialistes venus des services de planification et des finances d’organismes gouvernementaux ou privés, mais aussi d’ONG. Quand un programme d’éducation des adultes est conçu dans une optique multisectorielle, la coopération avec des experts techniques dans différents domaines se révèle également nécessaire. Figure 1 (page 39) nous fournit un aperçu des principaux éléments qui composent un système d’éducation des adultes aux différents échelons de la gouvernance existant au sein d’un pays. Il constitue le cadre/contexte opérationnel dans lequel tout éducateur d’adultes planifiera des programmes et offres de formation.
Selon ce modèle, un éducateur d’adultes devrait être au courant des politiques, des directives et de l’orientation stratégique à l’échelle nationale, et de leur façon d’être mises en œuvre au plan local. En Éthiopie, le ministère de l’Éducation a conçu et approuvé une « directive de transfert » qui permet aux apprenants de suivre différentes voies d’éducation des adultes et qui reconnaît les compétences qu’ils ont acquises auparavant. Avoir connaissance de différentes structures institutionnelles et organisations qui fournissent ou coordonnent des programmes d’éducation destinés aux adultes assure que la planification ne se déroule pas en vase clos et qu’elle peut être alignée sur des cours existants ou venir les compléter.
Nombre d’éducateurs d’adultes sont à l’aise dans les processus techniques consistant à planifier et fournir leurs programmes de formation/d’apprentissage. Face à une difficulté, ils reconcevront le plus souvent le programme d’enseignement ou les matériels d’apprentissage. Toutefois, aucun programme de formation ne peut être fourni sans que l’éducateur d’adultes ne collabore avec les services de planification et de financement de l’établissement dans lequel il travaille. Ceci est en particulier valable pour les programmes gouvernementaux pour lesquels les budgets nationaux et locaux détermineront ce qui est faisable – et pour lesquels les services de planification coordonneront les projets connexes. Le suivi et l’évaluation des programmes de formation ainsi que l’enregistrement de leurs résultats dans un système complet de gestion des informations sont eux aussi déterminants pour le succès d’un programme de formation donné. Les processus comme la planification, les budgets, la coordination et le suivi, et l’évaluation sont appelés des « processus de gestion ». Il faut les envisager comme des facteurs favorables et/ou gênants pour la planification et la mise en œuvre d’un programme. Dans les cas où le budget est insuffisant, ou quand les organismes ne disposent pas des ressources humaines adéquates d’une structure rationnalisée, il est difficile de mettre en œuvre un programme de formation, aussi excellemment puisse-t-il avoir été planifié au plan technique et du point de vue des besoins du groupe cible.
À quoi la planification de programme correspond-elle en tant que compétence clé ? La planification professionnelle de programmes englobe toutes les activités requises pour développer des programmes, des cours d’enseignement individuels ou des projets. Elle consiste à déterminer des sujets, à formuler des offres et à regrouper différents contenus dans des programmes ou des organisations d’éducation des adultes et d’éducation postscolaire. La planification de programmes assure les structures des programmes/d’approvisionnement des organisations d’éducation des adultes et d’éducation postscolaire – elle légitime même avant tout les organisations en tant que telles (Käpplinger et Robak 2017). Les recherches que nous avons menées sur la planification de programmes montrent comment des programmes complets sont créés, comment les politiques influencent les programmes et leurs processus de planification, comment les professionnels de la planification de programmes équilibrent différents éléments (p. ex. les demandes, besoins et centres d’intérêt en matière d’apprentissage) et, en fin de compte, comment ces derniers mesurent les compétences et aptitudes des différents groupes cibles. Les recherches en matière de planification de programmes révèlent aussi que l’éducation ainsi que les missions extra-éducatives des prestataires interviennent dans les processus de planification ; par exemple la notion d’éducation n’est pas la même dans les centres d’éducation des adultes que dans des organismes dirigés par des églises ou des syndicats. Les visions et convictions (contenus, pédagogie, éthique) des organismes d’éducation des adultes pour lesquels travaillent les planificateurs professionnels de programmes se reflètent dans le processus de planification.
Il existe différents modèles de planification de programmes que l’on pourrait résumer comme suit : d’une part les modèles linéaires ou cycliques et d’autre part les modèles relationnels ou qui s’adaptent (von Hippel et Käpplinger 2017). Les modèles linéaires et cycliques déterminent des étapes dans un processus de planification, par exemple 1) s’engager, 2) évaluer, 3) planifier, 4) mettre en œuvre et 5) évaluer. Les observations sur le terrain révèlent que la planification de programmes est plus complexe que cela et qu’elle ne se déroule pas selon des étapes linéaires. Les modèles interactifs montrent que les processus de planification sont des processus interactifs complexes qui s’adaptent (Caffarella et Daffron 2013). Les recherches illustrent quant à elles que la capacité à regrouper les décisions concernant un programme en recourant à des îlots de connaissances spécifiques fait partie de ces processus d’ajustement.
Ces modèles ne sont pas linéaires et ils ne comportent pas de hiérarchie des tâches. Les recherches de Wiltrud Gieseke montrent que la planification de programmes est un alignement des positions, obtenu par la négociation, ce qui implique une coordination et par conséquent aussi une optimisation de l’évaluation des besoins et de ce qui est nécessaire pour le développement d’un programme. Développer des programmes ne se déroule pas de façon linéaire ; ce processus nécessite le passage par différentes étapes avant d’atteindre l’objectif fixé. Ces étapes dépendent du contexte1. Toutes les offres/projets au sein d’un programme empruntent des voies différentes. Ces voies peuvent être les suivantes : 1) analyse des besoins – réseautage (négocier avec des partenaires et politiciens) – conception d’offres – évaluation ; 2) évaluation – discussions avec des collègues – modification des concepts – conception d’une offre adaptée ; 3) naissance d’une nouvelle idée, fruit d’une discussion sur le réseau – analyse des besoins – négociation avec des partenaires, parties prenantes, politiciens – recherche de financements – conception d’une offre conjointement avec les enseignants.
La planification de programmes est un processus interactif qui nécessite des connaissances et exige que l’on communique et prenne des décisions en partant d’une notion et d’une interprétation de l’éducation, des qualifications et du développement de compétences. Il demande de l’autonomie, ce qui est particulièrement difficile dans une optique transnationale. Il nécessite aussi que l’on considère le système d’éducation d’un pays comme un cadre de référence afin de garantir que les programmes de formation puissent être proposés de façon durable.
© Shira Bentley
Le ministère du Genre, du Travail et du Développement social est l’organe gouvernemental responsable de l’éducation des adultes et du développement communautaire en Ouganda. En 2014, il a décidé de remanier son programme d’éducation des adultes et de mettre l’accent sur les besoins réels de ses apprenants, conformément au programme ougandais Vision 2040 consacré à des objectifs stratégiques nationaux de haut niveau. Les besoins essentiels des apprenants qui se sont fait jour ne concernaient pas uniquement l’alphabétisation fonctionnelle, ils étaient liés à l’enseignement de compétences génératrices de revenus et de compétences en entreprenariat, à l’alphabétisation financière et à la création d’un environnement plus favorable grâce à des activités de développement communautaires qui pouvaient être intégrées dans les plans d’action des villages au niveau des collectivités locales. Les équivalents du ministère à l’échelle des districts et des sous-comtés sont responsables de leur mise en œuvre. Toutefois, les budgets et ressources humaines de ces structures ne suffisent pas pour se charger de la réalisation de programmes de ce type.
Pour répondre à cette situation, le ministère, avec le soutien de DVV International, a entrepris de remanier son programme d’éducation des adultes et de développement communautaire pour en faire un programme complet composé de cinq éléments principaux qui sont : l’alphabétisation fonctionnelle des adultes, la formation à des compétences génératrices de revenus, la formation à des compétences en entreprenariat, un système d’épargne et de prêt (afin de générer des capitaux de départ pour de petites entreprises) et le développement communautaire par le biais de la planification et de la mise en œuvre de points d’action locaux identifiés durant le processus d’apprentissage participatif. Ce programme nécessitait un nouveau programme d’enseignement (élaboré du bas vers le haut), une nouvelle méthodologie (reposant sur l’approche Reflect) et de nouvelles structures de mise en œuvre (comités d’experts techniques intégrés, venant de différents services du secteur gouvernemental). Ensemble, ces éléments permettent de concevoir et de fournir ce type de programme de formation intégrée. Le programme est actuellement expérimenté dans trois districts en Ouganda. Beaucoup a été fait au macroniveau pour évaluer la possibilité de le transposer au plan national avec l’aide d’un financement gouvernemental.
Le contexte rural en Éthiopie exigeait lui aussi la conception d’un programme d’éducation des adultes qui serait susceptible de répondre aux besoins des différents groupes cibles allant des agriculteurs (tant hommes que femmes) aux jeunes. Le programme devait être axé en même temps sur la situation globale de la population en matière de moyens de subsistance ainsi que sur les objectifs stratégiques principaux ciblés par le plan quinquennal de développement du secteur de l’éducation en Éthiopie aligné sur la stratégie nationale du pays en éducation des adultes. Pour fournir un éventail de programmes divers d’éducation des adultes, DVV International a coopéré avec le ministère de l’Éducation et ses équivalents aux plans régional et des districts, ainsi qu’avec des services gouvernementaux comme, l’Agriculture, les Affaires des femmes ou encore le Commerce et l’Industrie. L’objectif était de concevoir des centres d’apprentissage communautaires qui seraient des lieux d’apprentissage où l’on pourrait proposer toute une palette de programmes de formation à différents groupes cibles. Les centres d’apprentissage communautaires sont coordonnés par un coordinateur (un employé du gouvernement), et les membres de la communauté disposent d’un comité par l’intermédiaire duquel ils peuvent exprimer leurs besoins et ce qui les intéresse. Les comités de gestion et les comités techniques composés de représentants des services gouvernementaux mentionnés ci-dessus se réunissent régulièrement pour planifier les programmes de formation et les emplois du temps. Les centres offrent aux membres des communautés des possibilités de s’instruire et servent en même temps d’espaces qui permettent aux prestataires/organismes d’atteindre d’un seul coup un groupe cible plus vaste.
La planification de ces programmes de formation dans les deux pays a exigé différentes compétences de la part des éducateurs d’adultes. Ces derniers ont collaboré avec des spécialistes du secteur dans différents domaines, ils ont travaillé avec des experts de la finance et de la planification, et se sont consacrés à des activités comme la conception non seulement de programmes de formation, mais aussi de structures institutionnelles et de processus de gestion qui peuvent faire voir le jour à des programmes de formation.
1 / Pour un point de vue africain sur la question, veuillez consulter Gboku et Nthogo Lekoko (2007).
Caffarella, R. et Daffron, S. (2013) : Planning programs for adult learners. San Francisco : Jossey-Bass.
DVV International et DIE (eds.) (2015) : Curriculum globALE. Global Curriculum for Adult Learning and Education (2e édition). Bonn : DVV International & DIE.
Gboku, M. et Nthogo Lekoko, R. (2007) : African Perspectives on Adult Learning. Developing Programmes for Adult Learners in Africa. Hambourg : UNESCO.
Gieseke, W. et Opelt, K. (2003) : Erwachsenenbildung in politischen Umbrüchen. Programmforschung Volkshochschule Dresden 1945-1997. Opladen : Leske et Budrich.
Gieseke, W. (2006) : Programmforschung als Grundlage der Programmplanung unter flexiblen institutionellen Kontexten. Dans : Meisel, K. et Schiersmann, C. (eds.) : Zukunftsfeld Weiterbildung. Standortbestimmungen für Forschung, Praxis und Politik, 69-88. Bielefeld : wbv.
Gieseke, W. (2015) : Why do we need program research? Communication faite lors de la conférence « Cultures of Program Planning in Adult Education: Policies, Autonomy and Innovation » à Hanovre le 28 septembre 2015.
Gieseke, W. (2017) : Programs, Program Research, Program-planning Activities – Rhizome-like Developments. Dans : Käppliger, B. ; Robak, S. et coll. (eds.) (2017) : Cultures of Program Planning in Adult Education: Concepts, Research Results and Archives. Francfort : Peter Lang.
Käpplinger, B. et Robak, S. (2017) : Introduction. Dans : Käppliger, B. ; Robak, S. et coll. (eds.) (2017) : Cultures of Program Planning in Adult Education: Concepts, Research Results and Archives. Francfort : Peter Lang.
von Hippel, A. et Käpplinger, B. (2017) : Models of Program Planning in Germany and in North America – A Comparison. Dans : Käppliger, B. ; Robak, S. et coll. (eds.) (2017) : Cultures of Program Planning in Adult Education: Concepts, Research Results and Archives. Francfort : Peter Lang.
Sonja Belete est directrice régionale de DVV International pour la région d’Afrique de l’Est/de la Corne de l’Afrique. Elle apporte son soutien aux gouvernements éthiopien et ougandais qu’elle conseille au sujet du développement de systèmes complets d’éducation des adultes. Elle est titulaire d’un master d’éducation des adultes et dispose de plus de trente ans d’expérience dans la conception et la mise en œuvre de programmes d’éducation des adultes et de génération de revenus dans différents pays africains.
Contact :
dvveastafrica@gmail.com
Steffi Robak, est professeur d’éducation des adultes et d’éducation à la diversité à l’université Leibniz d’Hanovre. À l’institut d’enseignement professionnel et d’éducation des adultes, elle axe essentiellement ses activités sur l’éducation interculturelle et la recherche sur l’éducation internationale dans des domaines tels que la gestion de l’éducation et la professionnalisation dans l’éducation des adultes.
Contact :
steffi.robak@ifbe.uni-hannover.de