De gauche à droite :
Uwe Gartenschlaeger
DVV International, Laos
Souphap Khounvixay
Non-Formal Education Development Center, Laos
Beykham Saleumsouk
DVV International, Laos
Résumé – Avoir recours au Curriculum globALE pour former les éducateurs d’adultes au Laos, l’un des pays asiatiques les plus reculés, s’est avéré à la fois stimulant et enrichissant. En tant que cadre axé sur les résultats, le Curriculum globALE se prête parfaitement à l’adaptation aux besoins locaux et fournit en même temps des axes d’orientation permettant de définir les contenus d’apprentissage des cycles de formation. Le processus de mise en place a clairement démontré la nécessité de ne pas se concentrer uniquement sur le transfert de connaissances et de compétences, mais de développer simultanément les capacités personnelles des participants en matière de réflexion critique, de prise de décisions, de communication et de leadership.
« Ces nouvelles techniques d’enseignement ont renforcé ma confiance en moi », décrit en quelques mots Mme Naphayvong, de l’Institut de développement de la formation professionnelle (Vocational Education Development Institute), l’impact qu’a eu sur elle la formation de maîtres formateurs mise en œuvre au Laos entre 2015 et 2017 (Bulletin d’information de DVV International 2017 : 13). Elle évoque ici deux aspects cruciaux du projet : l’évolution professionnelle et l’évolution personnelle. Cet article décrit le chemin qu’a suivi ce projet de renforcement des capacités pour autonomiser les éducateurs d’adultes dans l’un des pays les plus reculés d’Asie.
« La qualité de l’éducation non formelle est médiocre et les services dans ce secteur sont dispersés au niveau local (…) » (ministère de l’Éducation et des Sports 2015). Ce constat énoncé dans le document d’orientation du Laos, le Plan de développement du secteur éducatif, était clair pour tout le monde au moment du lancement du projet. En fait, le Laos ne dispose d’aucune formation initiale ou continue structurée pour les éducateurs d’adultes. Conformément au Programme des Nations unies pour le développement durable à l’horizon 2030 qui réaffirme la nécessité de donner une formation de qualité aux enseignants et formateurs, DVV International et le département d’éducation non formelle du ministère laotien de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports, ont décidé de mettre en place un cycle de formation expérimental pour plus de 30 formateurs et animateurs. La conception du programme reposait sur les principes énoncés ci-dessous.
L’équipe de formateurs étant dispersée dans toute l’Asie et l’Australie, l’élaboration des modules a nécessité d’une part, l’utilisation d’outils de communication numériques et de solutions cloud. D’autre part, l’adoption d’un calendrier de préparation standard : les formateurs internationaux devaient arriver à Vientiane au plus tard deux jours avant chaque formation afin de peaufiner le programme du prochain module. Ces séances de préparation se sont révélées à la fois passionnantes et stimulantes, en particulier pour l’équipe laotienne qui a dû traduire et transférer une grande partie des contenus approuvés dans la langue et le contexte laotiens.
Au cours du processus de préparation, l’équipe a constaté qu’une partie de la documentation était déjà disponible au Laos. Le gouvernement et les partenaires de développement avaient en effet élaboré divers guides, manuels et programmes au cours des dernières décennies. On a pu en utiliser et en adapter une grande partie, de sorte qu’il n’a pas été nécessaire de «réinventer la roue» et que les travaux antérieurs ont pu être exploités.
Une autre décision a concerné l’ordre successif des modules de formation. Le Curriculum globALE recommande le suivant :
Module 0 : Introduction ;
Module 1 : Approches d’éducation des d’adultes ;
Module 2 : Aprentissage adulte et enseignement aux adultes ;
Module 3 : Communication et dynamique de groupe en éducation des adultes ;
Module 4 : Méthodes d’éducation des adultes ;
Module 5 : Planification, organisation et évaluation en éducation des adultes.
Lors des discussions sur ce projet au sein de l’équipe de formateurs, il a été convenu qu’il serait préférable, dans le cas du Laos, de commencer par des modules plus axés sur la pratique. La raison était simple : dans la culture laotienne, l’apprentissage repose davantage sur les expériences et les échanges que sur l’apprentissage intellectuel pur et simple. L’apprentissage a donc été ancré sur les expériences personnelles des apprenants.
Une fois les modules revisités, le cycle de formation des formateurs laotiens a été commandé comme l’indique la figure 1.
L’évaluation des besoins a été réalisée au cours du module 0. Les participants ont été invités à réfléchir sur leur environnement de travail, leurs expériences et leurs attentes, et à en parler. Les résultats ont servi de base à la conception des modules suivants.
La mise en œuvre a posé des problèmes à l’équipe de formateurs. La plupart des participants étaient habitués aux approches d’enseignement et d’apprentissage traditionnelles centrées sur l’enseignant. Autrement dit, sur un ensemble restreint de méthodes et généralement, sous forme de cours magistraux. Interrogés à la fin de chaque formation, de nombreux participants se sont declarés surpris de la manière d’enseigner. La majeure partie des activités intégraient en effet des principes d’apprentissage adulte dans le processus d’apprentissage proprement dit, motivant ainsi les participants à réfléchir et à poursuivre l’apprentissage. Au début, ils étaient frustrés et posaient toutes sortes de questions : quel est l’objectif principal de ce sujet ? Nous sommes des experts, nous avons de l’expérience, pourquoi est-ce qu’on doit jouer à ce jeu ? Ils avaient des difficultés à faire le lien entre l’expérience d’apprentissage et l’objectif de formation. En même temps, le fait de remplacer les cours magistraux et l’enseignement traditionnels par des méthodes interactives a été bien accueilli par la grande majorité des participants. Ceci fait écho à des cas similaires dans d’autres pays où les environnements traditionnels d’enseignement et d’apprentissage sont prédominants. Afin de ne pas démotiver les participants et de ne pas les faire dérailler, il s’est avéré crucial de faire une synthèse des résultats d’apprentissage à la fin de chaque unité.
Cette observation va de pair avec une autre expérience : les participants habitués à l’enseignement traditionnel, c’est-à-dire à un pur transfert de connaissances, sont déboussolés et – dans certains cas – en concluent que les facilitateurs manquent de connaissances. Ici, il s’est avéré utile de faire appel à une équipe mixte composée d’experts internationaux (traditionnellement très appréciés au Laos) qui ont pu soutenir le processus d’apprentissage en expliquant le concept sur lequel étaient basées les méthodes non traditionnelles utilisées.
Les participants étaient originaires de milieux très différents. Ils possédaient une formation formelle allant du doctorat au diplôme d’enseignement secondaire. Ils venaient de différentes régions du pays et occupaient un large éventail de postes dans la hiérarchie officielle. Ceci risquait de créer des malentendus et des tensions dans une société où la hiérarchie est extrêmement importante et où la culture de l’apprentissage diffère d’une partie du pays à l’autre. Afin de combler ces lacunes, l’équipe de formateurs a consacré pas mal de temps au développement de compétences sociales et émotionnelles. Grâce à cela, les résultats d’apprentissage acquis ont pu être traduits dans différents contextes en questions transversales des principes de formation des adultes. En outre, il s’est avéré que les participants ont trouvé la communication motivante, au-delà des barrières de la hiérarchie, des institutions et des affiliations régionales.
La plupart des participants étaient incapables de communiquer en anglais. Les deux premiers modules ont été en grande partie mis en œuvre par l’équipe internationale, avec l’aide d’interprètes. Cela a pris beaucoup de temps et donné lieu à des malentendus. Au fil du temps, il est devenu évident que le fait de travailler en permanence au sein de l’équipe internationale donnait aux facilitateurs laotiens une confiance en eux et des compétences croissantes. Cela leur a permis de mettre en œuvre les unités suivantes en tant que formateurs principaux, pendant que l’équipe internationale apportait le soutien nécessaire, assurait le mentorat et se concentrait sur la conception du programme.
Dans l’ensemble, la formation des maîtres formateurs s’est avérée être un parcours d’apprentissage non seulement pour les participants, mais également pour les animateurs. En s’engageant dans un processus ouvert, en intégrant le nouveau paradigme d’enseignement/apprentissage et en tenant compte des méthodes d’apprentissage des populations locales, mais aussi de leur mode de perception des activités d’apprentissage, on a pu trouver un équilibre entre théorie et pratique, et véhiculer le contenu de façon à garantir le développement professionnel et personnel.
Il y a trois façons possibles de décrire l’impact de la formation des maîtres formateurs. La première consiste à analyser le projet en se référant aux critères du CAD de l’OCDE, outil standard utilisé dans la coopération pour le développement. Dans sa recherche basée sur ses entretiens avec les participants et les formateurs, le professeur Bruce Wilson de l’université RMIT de Melbourne a décrit la pertinence du programme de la manière suivante : « En se concentrant sur les principes d’apprentissage des adultes, le programme a touché au coeur le travail d’éducation non formelle ». L’efficacité de la formation a reposé sur la conception du cycle de formation: « Chaque atelier étant basé sur une activité, les participants ont dû agir d’une manière nouvelle pour eux et chacun a eu l’occasion de reconnaître sa capacité à soutenir l’apprentissage comme jamais il n’avait tenté de le faire auparavant. Il n’y a pas eu d’abandons et presque tous les participants ont pu mener au moins un atelier de sensibilisation.» La conception du programme a également eu un impact déterminant sur son efficacité de haut niveau, dans le sens où elle a permis aux participants d’apprendre sans « perturber les activités d’éducation non formelle en cours», le partenariat entre l’enseignement supérieur, les organisations internationales et les organisations à but non lucratif a permis de réduire les coûts au minimum. « La participation des apprenants a constitué un élément clé des processus d’apprentissage en atelier, mais aussi des approches que les maîtres formateurs ont été encouragés à utiliser avec leurs propres apprenants. » Le fait de privilégier cette approche dans plusieurs modules a permis aux participants « non seulement d’améliorer l’impact de leur propre travail d’éducation non formelle, mais également de trouver la manière dont ils pourraient contribuer au développement professionnel d’autres éducateurs » (toutes les citations sont tirées du rapport Wilson). On a donc estimé que les activités de sensibilisation avaient un impact majeur sur la formation, au-delà du développement professionnel et personnel des participants. Enfin, la durabilité de l’action repose à la fois sur l’engagement des partenaires laotiens et sur la constatation que l’expertise des maîtres formateurs en matière d’éducation des adultes peut contribuer de manière plus générale au développement professionnel dans les secteurs de l’éducation et du travail en RDP du Laos.
Des participants témoignent
« Je ne savais pas grand chose sur le secteur de l’éducation non formelle avant de participer à ce programme. Je ne savais pas exactement en quoi cela consistait parce que mes connaissances se limitaient à celles que j’utilisais au sein de mon département, qui dispense des formations professionnelles de six mois à un an. Nombreux sont nos étudiants qui veulent continuer à apprendre même après la formation, mais qui sont privés de cette possibilité, car ils n’ont pas de diplôme officiel ni même de certificat d’équivalence. Cette formation a été une expérience d’apprentissage, mais aussi un lieu de réunion propice où des gens de différentes organisations travaillant dans le même secteur ont pu se rencontrer et partager leurs expériences. »
Chanthanom Theangthong,
Union de la jeunesse laotienne
« Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est de constater que l’éducation n’est pas toujours synonyme d’immobilisme, mais que l’on peut enseigner et apprendre en étant actif. Nous avons appris à intégrer les brise-glace, les dynamiseurs et les activateurs dans la pratique de l’enseignement. Ces méthodes ont rendu l’apprentissage beaucoup plus amusant que je ne l’aurais imaginé. J’ai aussi appris à quel point l’environnement d’apprentissage et le respect mutuel entre apprenants et formateurs sont importants. Même si au départ les participants avaient des niveaux de connaissances différents, s’ils occupaient des positions différentes, étaient d’âges et de sexes différents, nous avions tous les mêmes droits et étions traités de la même manière. Je me suis sentie très appréciée, ce qui m’a donné confiance en moi et m’a permis de partager des idées, d’interagir avec d’autres personnes, d’aider les autres, d’écouter, d’apprendre des choses nouvelles, etc. »
Amphone Lorkham,
Centre de développement de l’éducation non formelle
« Je suis enseignante de profession et ce que je fais, c’est transmettre des connaissances. J’estime donc que la formation a été très pertinente et enrichissante pour moi. Je suis très heureuse d’avoir suivi cette formation, car je sens que j’ai appris toute une variété de techniques que je peux utiliser avec mes étudiants. J’aime la façon dont les méthodes participatives ont été utilisées pour introduire de nouveaux concepts d’éducation des adultes, et j’aime la manière dont nous avons appris tout en incluant des activités. Je suis impatiente d’utiliser cette approche avec mes étudiants. J’ai suivi quelques formations par le passé, mais j’estime que c’est de cette formation de maîtres formateurs que j’ai tiré le meilleur parti. »
Latdavanh Bounyaveth,
Institut de développement de l’enseignement professionnel
Considérons à présent la deuxième façon d’évaluer l’impact du projet, à savoir les nombreuses activités de suivi, y compris la formation de proximité au sein du système d’éducation non formelle, de même que la reconnaissance et la demande dont ont été témoins les maîtres formateurs en dehors de leur secteur. À partir de leurs expériences en matière de formation, un module sur l’éducation des adultes et la formation continue a été introduit dans le programme de formation des enseignants de l’université nationale du Laos et sera bientôt adopté dans d’autres universités et collèges de formation d’enseignants. Le plus grand projet éducatif du Laos, le programme de réforme de l’enseignement primaire BEQUAL financé par l’Australie et l’UE, a fait appel aux maîtres formateurs pour diverses activités, notamment la formation intiale et continue des enseignants et des conseillers pédagogiques. La Croix-Rouge suisse et le centre de formation Don Bosco étaient parmi les autres organisations qui ont mis à profit l’expertise des maîtres formateurs.
L’impact le plus notable du projet réside peut-être dans le développement personnel des participants. L’un des principaux enseignements tirés est qu’en réalité, dans le contexte laotien, tout concept de formation performant devrait toujours inclure le développement personnel en termes de compétences pédagogiques, mais également en termes de compétences humaines telles que le travail en équipe, la prise de décisions, l’esprit critique et les compétences en présentation. L’évaluation de ces développements est un peu compliquée. Ils ont cependant été appréciés par l’équipe de formateurs et – mieux encore – par les participants mêmes. Les témoignages présentés dans l’encadré de la page 27 tentent d’éclaircir cet aspect.
Cet article a tenté de décrire la conception et la mise en œuvre d’un cycle de formation d’éducateurs d’adultes dans un pays asiatique spécifique. Le Curriculum globALE a joué un rôle clé dans cette entreprise. Cette expérience nous a appris que :
DVV International, DIE (2015) : Curriculum globALE. 2e édition.
https://www.dvv-international.de/en/materials/curriculum-globale/
DVV International Regional Office Southeast Asia (2017) : Newsletter 2/2017.
Ministry of Education and Sports (2015) : Education Sector Development Plan (2016-2020). https://bit.ly/2WQ10bt
Uwe Gartenschlaeger, titulaire d’un master, a étudié l’histoire, les sciences politiques et la philosophie aux universités de Berlin et de Cologne. Après avoir travaillé pendant quatre ans avec un prestataire confessionnel de formations pour adultes spécialisé dans les thèmes de la réconciliation et de l’histoire, il a rejoint DVV International en 1995. Il a occupé les postes de directeur national de l’Institut en Russie et de directeur régional en Asie centrale. Il est directeur régional de DVV International en Asie du Sud et du Sud-Est depuis 2015.
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gartenschlaeger@dvv-international.de
Souphap Khounvixay est titulaire d’une maîtrise en éducation de l’université d’Adélaïde, en Australie, et co-animateur de la formation de maîtres formateurs dans la première nation d’Asie du Sud-Est à utiliser le Curriculum globALE. Au cours des dix dernières années, il s’est spécialisé dans l’éducation des adultes, l’élaboration de programmes d’études, l’éducation non formelle, et la recherche et l’évaluation en éducation dans le contexte du Laos.
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souphap@gmail.com
Beykham Saleumsouk est chef de projet au bureau régional de DVV International en Asie du Sud-Est. Après avoir travaillé dans le secteur du développement pendant près de dix ans et s’être spécialisée dans le développement de la jeunesse pendant plus de sept ans, Mme Saleumsouk a dirigé pendant de nombreuses années une organisation locale à but non lucratif où elle a organisé des formations dans le cadre des programmes de stages de volontaires. Elle travaille actuellement avec DVV International au Laos sur le renforcement des capacités du personnel de l’éducation non formelle, notamment dans le domaine de l’éducation des adultes, de la gestion de projets et du développement de plans et de programmes de formation.
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