Le rôle de la formation continue pour disposer de bons éducateurs d’adultes

Carole Avande Houndjo
Pamoja Afrique de l’Ouest
Bénin


Résumé – Cet article raconte comment un certain nombre d’organisations de la société civile de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont mis sur pied un réseau pour soutenir la professionnalisation des éducateurs d’adultes. Le soutien financier fourni par des organisations internationales les a aidées là où les gouvernements nationaux n’étaient pas disposés à financer le réseau. Les objectifs que ce dernier s’est fixés sont ambitieux et les premiers résultats encourageants. Le PRIQUE est un modèle de réussite et cet article vous en explique les raisons. 


Le troisième rapport mondial sur l’apprentissage et l’éducation des adultes insiste sur le fait que l’apprentissage et l’éducation des adultes sont une composante essentielle de l’apprentissage tout au long de la vie et qu’ils apporteront une contribution majeure au Programme de développement durable à l’horizon 2030. Mais plus de la moitié de la population de l’Afrique subsaharienne est analphabète. Les parties prenantes de l’éducation des adultes se battent afin de garantir, à tous, l’accès à une éducation de qualité. S’il est heureux de constater que l’accès à l’éducation de base s’est amélioré au cours de la dernière décennie, sa qualité laisse à désirer. Ainsi, la qualité de l’éducation des adultes demeure un enjeu majeur en Afrique de l’Ouest. Soucieuses de contribuer à la fois au droit à l’éducation pour tous et à la qualité de l’éducation de base, des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest ont conçu des offres éducatives pour les groupes sans accès à l’éducation formelle. Certaines solutions privilégient les enseignements dans les langues nationales et adaptent les contenus aux contextes de vie à travers la formation professionnelle. Ces initiatives sont soutenues par des partenaires tels que la Coopération suisse, DVV International et autres. Bien qu’elles soient reconnues par les États, elles ne bénéficient pas de subventions gouvernementales. Pour donner une visibilité et une légitimité plus grandes à ces alternatives éducatives, le Programme régional interinstitutionnel pour la qualité de l’éducation (PRIQUE) a été mis en place. Il permet aux États et aux ONG de former des acteurs nationaux (chargés de programmes, superviseurs et facilitateurs) avec pour mission d’améliorer la qualité et l’équité des systèmes éducatifs. 
 

« L’objectif du PRIQUE est d’améliorer la qualité de l’éducation de base et de contribuer à la promotion des offres éducatives. »

La mise en place du PRIQUE s’est faite à travers un processus participatif qui a mobilisé des experts en éducation (universités, ministères de l’Éducation, société civile) du Bénin, du Burkina-Faso, du Mali, du Niger et du Tchad au cours de l’année 2016. Des ateliers sous-régionaux ont permis de concevoir une maquette pour le master en ingénierie de conception et de gestion des alternatives éducatives (ICGAE) et l’offre de formation continue en éducation des adultes. La phase pilote du PRIQUE couvre la période de 2017 à 2019. 

Le présent article relate une expérience unique de collaboration entre acteurs de l’éducation des adultes. 

L’objectif du PRIQUE est d’améliorer la qualité de l’éducation de base et de contribuer à la promotion des offres éducatives grâce à un master professionnel et à une filière de formation continue au niveau sous-régional en Afrique de l’Ouest. De façon spécifique, il s’agit de :

  • renforcer les capacités des cadres de l’éducation dans les différents pays francophones au sud du Sahara par le biais du développement des offres diversifiées de formation continue en liens étroits les unes avec les autres et complémentaires des offres au sein des pays et des possibilités de formation actuellement liées au master professionnel de l’ENS de Niamey ;
  • poursuivre la mise aux normes et la diversification des offres de formation continue en éducation, y compris dans les situations d’urgence, grâce à la mise à niveau des modules et à l’intégration de nouvelles offres de formation adaptées en réponse aux demandes provenant des services étatiques et des organisations de la société civile ;
  • développer l’ingénierie de la formation, la conception des programmes de formation ainsi que la mise en place des pools de formateurs au niveau de chaque pays, dans le domaine de l’éducation, au sens holistique du terme ; 
  • promouvoir les offres de formation continue des cadres de l’éducation, dans les pays francophones au sud du Sahara par le biais d’un plan de communication et de réseautage efficace ; 
  • améliorer les conditions de mise en œuvre des formations au moyen d’outils modernes de communication et de formation à distance par le biais d’un centre de ressources éducationnelles ; 
  • renforcer les capacités opérationnelles avec plus de 2 300 cadres issus des structures étatiques, des OSC/ONG provenant des pays du PRIQUE et d’ailleurs ; 
  • mettre en place un centre de documentation numérique.

Les premiers résultats 

En deux années de mise en œuvre, le PRIQUE a engrangé des résultats appréciables tels que :

  • la formation de 23 cadres du Bénin, du Burkina-Faso, du Mali, du Niger, du Tchad et du Togo pour le master en ingénierie de conception et de gestion des alternatives éducatives ;
  • la conception de quatorze modules de formation élaborés après une évaluation des besoins des acteurs de l’éducation en Afrique de l’Ouest ;
  • la formation de plus de 200 acteurs de l’alphabétisation et de l’éducation des adultes en formation continue ;
  • des actions de plaidoyer pour l’appropriation du PRIQUE par les ministères de l’Éducation.

Rôles et responsabilités des différentes parties­ ­prenantes

Comme l’indique son nom, le PRIQUE est un programme multi-acteur dont le but est l’amélioration de la qualité de l’éducation dans les pays francophones au sud du Sahara. Pour favoriser l’appropriation du programme par tous les acteurs, la Coopération suisse a réussi à faire travailler ensemble des professeurs d’université, des représentants des ministères de l’Éducation des pays du PRIQUE et des organisations de la société civile sous la facilitation d’un consultant qui veille au bon déroulement qualitatif et programmatique du processus. 

Le PRIQUE est dirigé par un comité de pilotage qui se réunit tous les six mois par rotation dans l’un des cinq pays du PRIQUE (Bénin, Burkina-Faso, Mali, Niger et Tchad). Les membres du comité de pilotage sont :

  • les responsables de l’École normale supérieure et de l’Institut pour la formation en alphabétisation et en éducation non formelle (coordination opérationnelle et stratégique) ;
  • les représentants des ministres de l’Alphabétisation et de l’Éducation non formelle des cinq pays du PRIQUE ;
  • les points focaux pour les cinq pays du PRIQUE désignés par les ministres de l’Alphabétisation et de l’Éducation non formelle ;
  • le point focal société civile assuré par le réseau Pamoja Afrique de l’Ouest,
  • le conseiller régional en éducation/formation de la Coopération suisse ; 
  • le backstoppeur (consultant recruté par la Coopération Suisse). 

Les responsables de l’École normale supérieure du Niger (ENS) et de l’Institut pour la formation en alphabétisation et en éducation non Formelle (IFAENF) ont été chargés de la mise en œuvre du programme. Ils présentent au comité de pilotage les résultats, les défis et les perspectives puis exécutent les recommandations formulées par le comité de ­pilotage.

Les représentants des ministres en charge de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle ont pour rôle de plaider auprès des ministères en faveur de l’inscription des formations du PRIQUE dans les plans de formation, de rendre compte aux ministres de toutes les décisions du comité de pilotage et de présenter à ce dernier les expériences et initiatives de leur pays dans les domaines de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle.

Les personnes agissant comme points focaux du PRIQUE sont chargées de plaider en faveur d’inscriptions régulières aux formations continues et au master en ICGAE. Leur plan d’action dans ce cadre a été validé par le comité de pilotage et mis en œuvre dans leurs pays respectifs. En outre ils contribuent à l’actualisation de la liste des acteurs de l’AENF et permettent d’apporter un input à la collecte des indicateurs dans leur pays. Enfin ils sont chargés de l’organisation du comité de pilotage dans leurs pays. Six points focaux figurent au PRIQUE : cinq correspondent aux pays et le sixième à la société civile. Le réseau Pamoja Afrique de l’Ouest est responsable de la mobilisation de la société civile.

Le conseiller régional en éducation/formation représente la Coopération suisse au sein du comité de pilotage et s’assure que le programme est mis en œuvre conformément au document de projet validé par la direction dAfrique de l’Ouest de la Coopération suisse.

Le backstoppeur est l’accompagnateur du programme depuis la phase de conception jusqu’au niveau de la mise en œuvre. Il facilite les réunions du comité de pilotage et appuie techniquement l’équipe de l’ENS et de l’IFAENF pour la conception des documents stratégiques du programme. 

Stratégies d’intervention 

Stratégie d’intervention pour la mise en œuvre de la formation continue

La stratégie d’intervention de l’IFAENF consiste à dispenser des formations continues à Niamey et dans toute la sous-région. Elle est complétée par la mise à disposition des acteurs de l’éducation d’un centre de documentation numérique

Les formations continues (FC) données à l’IFAENF se déroulent sur dix jours. Les acteurs de l’éducation sont informés sur le module (thématique) programmé, les profils attendus, les délais et les modalités de prise en charge des participants grâce à une vaste opération de communication de l’IFAENF et aux points focaux du PRIQUE. Les dossiers de candidature sont réceptionnés et envoyés à l’IFAENF par les points focaux. Une commission se réunit afin d’étudier les dossiers et de sélectionner les participants sur la base de critères prédéfinis. Le procès-verbal est renvoyé au conseiller régional DDC pour approbation avant de le partager avec les points focaux. Ce processus dure deux semaines.

Les formations continues peuvent être délocalisées dans les pays du PRIQUE. Il existe deux types de formations continues délocalisées : celles demandées et organisées par les ministères ou des ONG, et celles données par le pool de formateurs de l’IFAENF. En principe, elles durent aussi dix jours et portent sur les thématiques de la formation continue. En effet les formations qui se déroulent à l’IFAENF ne sont pas suffisantes pour toucher l’ensemble du public cible. C’est pourquoi l’IFAENF offre la possibilité aux structures de la sous-région de solliciter pour leur personnel des formations délocalisées à des coûts très réduits. Ainsi, l’impact du programme sera plus visible et bénéfique pour les acteurs. 

Une formation délocalisée s’organise suite à une demande adressée à l’IFAENF par une structure (par exemple une organisation non gouvernementale, un réseau ou le service d’un ministère) au profit de ses membres. Elle soumet à l’IFAENF la liste des candidats et leurs profils pour validation. En réponse, l’IFAENF met à sa disposition le formateur et le matériel pédagogique. Les frais liés à la prise en charge du formateur (honoraires des intervenants, frais de déplacement et d’hébergement, etc.) et les frais d’inscription des participants sont versés à l’IFAENF alors que la logistique est gérée par la structure demandeuse. 

Dans le souci de réduire les coûts des formations continues, de les rapprocher des bénéficiaires et de disposer de compétences avérées dans tous les pays du PRIQUE, l’IFAENF envisage de former des pools de formateurs délocalisés. 

Les cibles des formations continues sont les cadres et agents travaillant dans les ministères de l’Alphabétisation et de l’Éducation non formelle (AENF), les ONG et les projets ayant un volet d’AENF.

1 Stratégie d’intervention pour le master en ingénierie de ­conception et de gestion des alternatives éducatives (­ICGAE)

Le master dure deux ans et est organisé en quatre semestres. La maquette de la formation comporte des unités d’enseignement telles que : la planification et la gestion de l’éducation, l’ingénierie pédagogique, l’andragogie/éducation des adultes, les didactiques, le management, le plaidoyer, les sciences du langage, les TIC, l’enseignement bilingue et plurilingue dans l’éducation formelle et non formelle, la mesure et l’évaluation des apprentissages, la qualité de l’éducation, l’élaboration et l’analyse des politiques éducatives. La première cohorte du master a suivi les cours en présentiel à l’ENS de Niamey. Cette option de cours en présentiel n’a pas favorisé l’inscription de beaucoup d’acteurs provenant des ONG, car il leur a été impossible d’obtenir l’autorisation de s’absenter pendant deux ans pour suivre les cours. C’est donc pour favoriser la participation d’un plus grand nombre d’acteurs pour la prochaine cohorte du master qui démarrera en octobre 2019, que la mise en place d’un dispositif de formation en semi-présentiel est envisagée. Le semi-présentiel permettra aux acteurs de suivre les cours à distance tout en restant dans leurs pays respectifs, mais aussi de continuer leurs activités professionnelles.

Le corps professoral du master est composé d’hommes et de femmes issu du monde professionnel (des ministères de l’Éducation et d’ONG/d’organisations de la société civile proposant des solutions éducatives) et universitaire des pays du PRIQUE et du Nord (universités et organisations internationales). Ces acteurs sont chargés de la mise en œuvre des différents modules de formation conformément à la maquette de formation et à l’emploi du temps élaborés.

Les modalités d’inscription au master sont les suivantes :

  • être titulaire d’une licence (Bac + 3) ou d’un diplôme équivalent ;
  • avoir au moins trois ans d’expérience dans le domaine de l’éducation et/ou de la formation ;
  • s’acquitter des frais d’inscription et de formation.

Défis et perspectives

Le PRIQUE est un bel exemple de coopération multi-acteur pour la qualité de l’éducation en général et pour l’éducation des adultes en particulier. L’un des défis majeurs du PRIQUE est la mobilisation d’autres partenaires financiers en vue d’obtenir un plus grand impact. En ce moment, la Coopération suisse est le seul partenaire technique et financier du PRIQUE. Il est important que les ministères de l’Éducation et les ONG s’approprient le PRIQUE grâce à un budget annuel pour former leurs agents. 

Il est également urgent de répondre à la nécessité de concevoir des modules sur des thématiques d’éducation telle que l’éducation en situation de crise, l’éducation à la citoyenneté mondiale, l’éducation à la paix, etc. En effet la montée du terrorisme dans le nord du Mali, au Burkina et au Niger a entraîné la fermeture de centaines d’écoles et produit des milliers de déplacés. Il est urgent de proposer des solutions pour satisfaire les besoins en éducation de ces jeunes déscolarisés.
 

Le PRIQUE contribue sensiblement à l’atteinte de l’ODD 4 relatif à l’accès à une éducation de qualité, notamment en ce qui concerne les cibles suivantes : cible 4.5 : égalité des genres et inclusion ; cible 4.6 : alphabétisation universelle des jeunes et des adultes ; cible 4.B : augmenter les bourses d’étude destinées aux pays en développement ; cible 4.C : accroître le nombre d’enseignants qualifiés. En effet, de par leurs formulations et leurs objectifs, les deux composantes du PRIQUE, le master en ICGAE et la FC-AENF, sont susceptibles de contribuer à l’atteinte de toutes ces cibles. Lors de la sélection des participants, le PRIQUE prend en compte la question de l’égalité des genres. Il promeut l’alphabétisation universelle des jeunes et des adultes au niveau de la cible 4.6, grâce à la formation de qualité qu’il propose aux cadres en charge de solutions éducatives. De même, la formation de qualité reçue par le biais du PRIQUE peut influencer l’atteinte de la cible 4.C en contribuant à l’accroissement substantiel du nombre d’enseignants/de formateurs qualifiés dans les pays couverts par le programme. Enfin, en octroyant des bourses d’études aux cadres issus des pays du PRIQUE, le programme contribue à l’atteinte de la cible 4.B relative à l’augmentation des bourses d’études en faveur des pays en développement

L’évaluation du programme est en cours, les recommandations issues de cette évaluation permettront d’améliorer le dispositif du PRIQUE pour la prochaine phase qui démarrera en 2020. 


Note

1 / Ces périodes sont indicatives, car elles peuvent varier d’une année à l’autre.


L’auteure

Carole Avande Houndjo est linguiste de formation et spécialiste en éducation des adultes. Actuellement elle est la coordonnatrice du réseau Pamoja Afrique de l’Ouest qui mène des actions de plaidoyer pour la qualité de l’éducation à travers l’utilisation de l’approche REFLECT qui est un outil efficace d’autonomisation des communautés. 

Contact 
choundjo@pamoja-west-africa.org 
pamojaao@gmail.com

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