Marifat Abdullaeva

Le présent texte est la version elle aussi abrégée d'un rapport sur la situation dans les pays d'Asie centrale. Dans cette région, les programmes de formation ne sont pas principalement axés sur l'alphabétisation, mais essentiellement sur la formation et la formation continue dans les domaines de la formation professionnelle, des langues, des nouvelles technologies, etc. Marifat Abdullaeva dispose d'une longue expérience dans l'enseignement des statistiques, de la démographie et de la gestion des soins de santé, acquise au fil de quinze ans d'activité à la State Médical University de Douchanbé, au Tadjikistan. Elle a en outre dirigé plus de trois cents formations et séminaires d'éducation des adultes.

Bilan éducatif des pays d'Asie centrale

Vers la fin des années 90, les pays d'Asie centrale avaient un système éducatif durable et effectif hérité des longues années de présence soviétique. La structure était la même pour toutes les républiques soviétiques et gérée au niveau central. Il faut savoir que le système éducatif de l'URSS couvrait pratiquement toutes les populations adultes des républiques, dont le niveau d'alphabétisation était de 96% à 100%. Selon un recensement effectué en 1989 par l'URSS, les diplômés des écoles secondaires de base, des écoles secondaires supérieures, des écoles professionnelles et de l'enseignement supérieur se répartissaient comme on le voit au tableau 1.

Tableau 1: nombre de diplômés des écoles secondaires de base (% de la population de plus de 15 ans)

 

Pays Total (% de la population de plus de 15 ans) y compris
Supérieures Secondaires supéaires Secondaires spéciales Secondaires Secondaires de base
Arménie 90,1 13,8 2,3 17,9 37,5 18,4
Azerbaïdjan 87,8 10,5 2,0 14.4 41,4 19,2
Géorgie 87,7 15,1 2,4 18,7 36,3 15,2
Kazakhstan 83,8 9,9 1,8 18,5 33,8 19,8
Kirghizistan 84,2 9,4 1,6 15,7 39,1 18.4
Tadjikistan 83,7 7,5 1,4 11,0 42,7 21,1
Turkménistan 86,4 8,3 1,4 13,5 41,9 21,3
Ouzbékistan 86,7 9,2 1.9 15,0 40,8 19,8

 

Remarque: la part de diplômés des écoles secondaires de base inclut les élèves qui ont terminé l'enseignement élémentaire dans le cadre du système éducatif soviétique; ces indices sont pris en compte dans le calcul final.

Ce tableau montre que parmi les diplômés des écoles secondaires de base de plus de 15 ans, un sur 13 (Tadjikistan) et un sur 7 (Arménie) était diplômé de l'enseignement supérieur. De même, un élève sur deux (dans presque tous les pays) était diplômé des écoles secondaires supérieures ou professionnelles.

Résultats positifs

Ces résultats très satisfaisants sont la conséquence des systèmes éducatifs performants de ces pays, qui présentaient les avantages suivants:

  1. garantie de l'accès à l'enseignement scolaire à presque tous les citoyens grâce à:

 

  • la proximité des établissements scolaires: quasiment chaque village avait son école élémentaire ou secondaire. Les plus retirés et les plus petits avaient des annexes. Dans d'autres cas, les élèves allaient à l'école dans d'autres villages avec les services de transports publics.
  • Ressources financières des familles: tous les niveaux d'éducation, du primaire au supérieur et même au postgradué, étaient gratuits, ainsi que la majorité des manuels scolaires. La participation à des cours de recyclage était systématique et obligatoire.
  • Personnel enseignant: le nombre satisfaisant d'établissements de formation d'enseignants, le système d'affectation strict, pour une période de trois ans, des jeunes diplômés dans les écoles qui manquaient d'enseignants, et le système d'encouragement des enseignants ruraux, permettaient de pourvoir des postes d'enseignants dans tous les villages, même les plus reculés.
  • Enseignement dans la langue nationale: dans chaque république, certaines écoles enseignaient dans la langue nationale, ce qui permettait aux minorités ethniques d'étudier dans leur langue maternelle. Étant donné que le système éducatif de l'URSS était commun à tous les États, les majorités ethniques utilisaient les manuels scolaires des républiques voisines qui parlaient la même langue qu'elles.
  • Éducation des handicapés: des écoles spéciales accueillaient les élèves handicapés. L'enseignement tenait compte de la santé physique et mentale des élèves et de leur rythme d'assimilation des matériels pédagogiques.

 

  1. Présence de normes communes pour les programmes d'enseignement et les programmes éducatifs
  2. Présence de mécanismes de gestion du système éducatif
  3. Financement stable
  4. Bonne image des enseignants et prestige de la profession
  5. Présence de réseaux d'institutions préscolaires développés, notamment dans les zones urbaines

Problèmes

On notera cependant qu'en dépit des tendances positives des années 90, le système éducatif en Asie centrale avait également des côtés négatifs:

  1. le financement du système éducatif était insuffisant, bien que stable: de nombreuses écoles n'avaient pas d'équipements modernes, les bâtiments ne correspondaient pas forcément à la norme, les enseignants avaient des salaires trop bas.
  2. Le développement des programmes éducatifs était strictement centralisé et ne tenait pas compte des contextes respectifs.
  3. L'enseignement de l'histoire aux populations autochtones était de plus en plus médiocre.
  4. Les arts libéraux étaient considérablement politisés.
  5. Le système éducatif était uniforme et ne tenait pas compte de la personnalité des élèves.
  6. Les handicapés qui n'habitaient pas en internat mais dans leurs familles avaient de moins en moins accès à l'éducation.
  7. Le système éducatif était conservateur et rigide.

La fin des années 90 a été marquée par le démantèlement du grand empire soviétique, événement capital qui a permis à chaque État d'Asie centrale de choisir sa propre voie de développement. Des États indépendants ont émergé, qui ont suivi différents modèles et changé fondamentalement leurs systèmes éducatifs sous l'influence de divers facteurs; ces options ont eu un fort impact sur le niveau et la qualité de l'alphabétisation. Les changements intervenus dans les modes de vie et le passage abrupt à l'économie de marché ont fortement influé sur la qualité de l'éducation des adultes. Malgré le fait que chaque adulte de cette région sache lire et écrire (d'après la définition que donne l'UNESCO de l'alphabétisation, p. 7), le principal problème résidait dans le manque de compétences d'adaptation, les difficultés de compréhension des nouvelles conditions de vie et la nécessité d'acquérir des compétences et des connaissances nouvelles. Le problème majeur était I' «analphabétisme fonctionnel», qui nous incite à considérer avec inquiétude le tableau suivant, si optimiste soit-il.

Tableau 2: tableau comparatif des niveaux d'alphabétisation en Asie centrale

 

Pays 10 2000
Hommes Femmes Hommes Femmes
Azerbaïdjan 99 96 99 96
Arménie 99 96 99 98
Géorgie 100 98 100 99
Kazakhstan 100 98 100 99
Kirghizistan 99 95    
Tadjikistan 99 97 100 99
Turkménistan - - - -
Ouzbékistan 100 98 100 99

 

Plusieurs facteurs ont eu une incidence négative sur la qualité de l'éducation et sur le niveau d'analphabétisme fonctionnel des adultes:

  1. forte corrélation entre l'éducation et la structure économique soviétique: centralisation et planification du système, négligence des lois des rapports de marché. Après le démantèlement de l'URSS, de nombreux postes n'ont plus été compétitifs car le niveau de développement des pays respectifs était devenu inégal; un nombre important d'experts sont devenus inutiles sur le marché du travail parce que leur niveau d'alphabétisation fonctionnelle était insuffisant.

  2. Redistribution du pouvoir pendant les premières années d'indépendance, suivie par l'apparition d'une nouvelle élite qui n'a pas pu résoudre entièrement les problèmes de l'éducation. Ce n'est qu'après la mise en place de systèmes stables que les États d'Asie centrale ont pu améliorer graduellement leur systèmes éducatifs.

  3. Volonté excessive d'améliorer le statut des langues nationales de la part des structures gouvernementales, sans avoir préparé les conditions de mise en œuvre du projet pour assurer son succès. On notera qu'à la fin des années 90, chaque État ou presque (à l'exception du Kazakhstan) s'est efforcé de donner à sa langue nationale le statut de langue officielle. Le passage du russe (très utilisé) aux langues nationales n'a pas eu que des effets positifs. D'un côté, le statut et la valeur des langues nationales s'est amélioré et les nations ont repris confiance en elles, mais d'un autre côté:

 

  • la majorité des adultes instruits qui avaient travaillé pendant une courte période en langue russe sont devenus relativement analphabètes (fonctionnels). Seule une petite part de la population a été capable de continuer à travailler dans la langue nationale, avec certaines exceptions dans les pays du Transcaucase.

  • La fuite des russophones, qui représentaient un grand pourcentage de professionnels très qualifiés dans divers domaines, s'est accrue. La plupart d'entre eux parlaient mieux le russe que leur propre langue. Avec l'adoption de la nouvelle loi, ces professionnels et leurs enfants ont perdu des perspectives de carrière attractives, et leur avenir serait resté incertain même s'ils avaient appris la langue nationale. La fuite des cerveaux a été plus massive dans les pays qui ont connu des troubles sociaux, et le nombre de personnels qualifiés a régressé.

  • La stricte restriction de l'utilisation des langues nationales dans tous les domaines de la vie sociale dans les anciennes Républiques soviétiques a ralenti leur développement. Les langues nationales n'ont donc pas suffisamment évolué et ont été incapables de développer les terminologies spécialisées, les termes techniques, les traducteurs spécialisés, les matériels pédagogiques et méthodologiques, les financements etc. qui auraient permis de remplacer rapidement le russe dans tous les domaines sociaux. Le passage rapide à l'instruction dans les langues nationales a par conséquent entraîné une dégradation de la qualité de la formation des experts dans tous les pays. En Ouzbékistan, le passage à l'alphabet latin a fait apparaître un groupe relativement important d'adultes «analphabètes» pendant un certain temps. La loi adoptée au Tadjikistan prévoyait d'utiliser l'alphabet arabe, mais le cyrillique est toujours utilisé en raison du manque de fonds et d'opportunités. Le Kirghizistan pour sa part, a choisi de nouveau le russe comme langue officielle.

  • Un grand nombre de pays centrasiatiques (à l'exception du Kazakhstan et de l'Oubékistan) sont peu peuplés, ce qui veut dire que leurs langues nationales ont une fonctionnalité limitée. L'utilisation généralisée de la langue nationale qui a lieu actuellement dans tous les pays, ne permet d'exercer des activités professionnelles que dans le cadre de cette langue. Le manque de professionnels qualifiés et l'environnement linguistique font qu'il n'y a aujourd'hui ni motivation, ni opportunités suffisantes pour étudier les langues prédominantes (anglais, et russe pour les républiques d'ex-URSS). Cet état de fait est un obstacle majeur à la recherche d'emploi à l'étranger, plus particulièrement en ce qui concerne les personnes qui ont été formées dans la langue nationale et qui n'ont pas de maîtrise professionnelle dans une autre langue. Tout ceci est vecteur d'analphabétisme «relatif», ce qui veut dire que les gens sont incapables d'utiliser leurs connaissances et leurs compétences en dehors du cadre de fonctionnalité de leurs langues nationales.

Outre le manque de crédits, l'analyse a fait apparaître trois problèmes majeurs dans le domaine de l'alphabétisation:

  • inégalités d'accès à l'éducation

  • disparités entre les sexes dans le domaine de l'éducation

  • dégradation de la qualité de l'éducation

Les inégalités d'accès à l'éducation sont communes à tous les pays (on n'a cependant pas d'informations pour le Turkménistan). Elles touchent les populations rurales, les personnes privées du statut de citoyen (réfugiés, migrants), les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays et les enfants handicapés. Les guerres qui ont sévi en Arménie, en Azerbaïdjan, en Géorgie et au Tadjikistan ont entraîné la destruction des infrastructures éducatives, la fuite des cerveaux et l'édification de camps pour les personnes déplacées et les réfugiés. Les personnes qui vivaient dans ces camps étaient extrêmement pauvres, vulnérables, privées des conditions élémentaires qui auraient permis de les instruire dans leur langue maternelle, et sont par conséquent restées exclues de l'éducation.

L'accès limité des enfants handicapés à l'éducation est particulièrement alarmant, notamment pour ceux qui vivent dans leurs familles et non dans des institutions spécialisées. Ces enfants n'ont pas les conditions matérielles nécessaires pour fréquenter les écoles secondaires normales: pas d'accès aux personnes en chaises roulantes, manque d'équipements spéciaux, etc. Mais outre ces considérations matérielles, ces enfants ne sont perçus comme des membres égaux de la société ni par les enfants non handicapés, ni par les enseignants. Les stéréotypes ancrés dans ces sociétés intolérantes incitent les

familles à cacher l'enfant handicapé, qui ne peut dès lors participer ni à l'éducation, ni à la communication, ni au développement. Personne ou presque, que ce soit l'école, la famille ou la société, ne fait d'efforts pour changer ces stéréotypes.

Exemple:

Dans l'une des villes du nord du Tadjikistan, l'organisation non gouvernementale qui travaille avec les enfants handicapés a décidé il y a quelques années d'organiser un festival. Un transport avait été prévu pour permettre aux enfants handicapés d'assister comme les autres au concert et d'écouter leurs chanteurs favoris. La grande indignation des adultes à leur arrivée a été très dure à supporter pour les handicapés. De nombreux enfants leur ont manifesté ouvertement leur antipathie, et les adultes ont déclaré que le festival était raté à cause de leur présence. Il est donc urgent d'apprendre aux enfants à respecter les handicapés et à les traiter comme leurs égaux; une grande partie de la tâche revient aux employés de l'éducation, aux parents et à la société.

Les disparités entre les sexes existent dans la quasi totalité des pays. On remarquera que si certains pays comme l'Arménie avantagent les filles, c'est l'inverse dans d'autres républiques comme l'Ouzbékistan, le Kirghizistan ou le Tadjikistan, où le niveau éducatif des filles se détériore. Dans le premier cas, le déséquilibre est dû au fait que les garçons travaillent très jeunes pour soutenir leurs familles; dans le second cas, l'éducation perd de son prestige chez les filles, qui favorisent les mariages précoces et le respect des règles religieuses. Une bonne part des populations préfèrent confier l'éducation de leurs filles à des religieux dans le cadre de cours privés. Les disparités entre les sexes sont aussi le résultat de la prédominance de mentalités sexistes propagées par l'école et les enseignants, qui ont des idées très arrêtées.

La mauvaise qualité de l'éducation est un problème commun à tous les pays, sans exception. L'indice de médiocrité du niveau éducatif, à part l'analphabétisme fonctionnel mentionné plus haut, se caractérise par:

  • le nombre restreint de personnes qui passent les tests,
  • le fait que l'éducation minimale ne soit pas garantie parce que les prestations ne sont pas appropriées.

Un nombre important d'élèves diplômés n'a pas les compétences nécessaires pour penser de manière créative et indépendante. Dans l'ensemble, le transfert de l'éducation dans les langues locales se fait à l'aide de matériels pédagogiques médiocres et insuffisants (tant en termes qualitatifs que quantitatifs), ce qui provoque une baisse du niveau de formation, tant au niveau scolaire qu'universitaire.

Les problèmes que nous venons d'énumérer sont liés à un ensemble de facteurs que nous résumerons comme suit:

  • Financement de l'éducation
    Les fonds alloués à l'éducation sont insuffisants dans tous les pays. Les établissements n'ont ni les matériels, ni les équipements techniques nécessaires, et la plupart des écoles doivent être presque entièrement refaites; il n'y a ni chauffage, ni eau, ni électricité. Partout l'enseignement est de mauvaise qualité, notamment dans les langues locales, mais aussi inadapté aux exigences modernes. La mauvaise formation des cadres résulte de l'inadaptation des équipements techniques universitaires aux critères requis. Enfin, le niveau des salaires des enseignants est bas.
  • Baisse du niveau de vie et accroissement de la marginalisation sociale
    Inégalités d'accès à l'éducation pour les familles pauvres et majoritairement rurales, manque d'argent pour acheter des fournitures scolaires, des chaussures, des vêtements; besoin de main d'œuvre infantile pour survivre. Ces familles dépensent la plus grande part de leur budget (60% et plus) pour la nourriture et n'ont pratiquement plus rien pour acheter le reste. De nombreux enfants issus de ces couches sociales ne vont par conséquent pas à l'école, la raison majeure étant le manque de vêtements (23% à 38,8% des cas - Tadjikistan).
  • Incidence des conflits armés locaux et mondiaux
    Ce problème touche les pays qui ont connu des conflits militaires, notamment le Tadjikistan, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie. Les luttes armées ont menacé directement la vie des élèves, elles ont entraîné la construction de camps de réfugiés et le déplacement des populations. Les problèmes liés aux difficultés d'inscription, au manque de matériels nécessaires et aux points faibles de l'éducation même ne permettent pas de leur donner une éducation de qualité. Au Tadjikistan par exemple, le taux de fréquentation scolaire dans la capitale est faible par rapport au reste du pays (77% contre 85%), en raison du flux important de personnes déplacées vers la capitale et à leur incapacité d'envoyer leurs enfants à l'école parce qu'elles sont pauvres. Cependant, nombre d'enfants continuent de pas aller à l'école parce qu'ils n'ont pas de vêtements (23%-38,8%).
  • Corruption
    Le paiement de frais scolaires illégaux est pratiquement généralisé et remet sérieusement en cause la soi-disant gratuité de l'éducation de base. La plupart des familles pauvres invoquent cette raison pour ne pas scolariser leurs enfants, surtout dans les pays qui ont un taux de fertilité élevé et beaucoup de familles nombreuses. La scolarisation coûte beaucoup trop cher. Ce système de frais scolaires et de paiements illégaux existe à tous les niveaux, du préscolaire au supérieur.
  • Gestion du système éducatif
    L'inadaptation du système de gestion aux critères modernes, l'inadéquation des personnels et le manque d'engagement des ressources de la société civile dans ce domaine ne permettent pas de dispenser une éducation de qualité.
  • Traditions et modes de vie
    Les disparités entre les sexes et la baisse du niveau d'éducation des femmes et des filles dépendent dans une certaine mesure de l'opinion publique, des traditions et des modes de vie. Actuellement, et plus spécialement dans les zones rurales, les filles ont de moins en moins accès à l'éducation. C'est généralement le cas quand elles font partie d'une famille qui associe le bien-être à l'homme et qui, quand elle doit faire un choix, favorise toujours le garçon par rapport à la fille. En tout état de cause, la fille sera mariée et vivra dans une autre famille, alors que le fils devra soutenir ses parents. En outre, les femmes instruites sont de moins en moins appréciées, notamment dans les zones rurales. Certains pays incitent actuellement les hommes jeunes et relativement instruits à interdire à leur femme de travailler; de plus en plus souvent, les maris obligent leur femme à porter le foulard et à rester à la maison.

Aujourd'hui, les autorités publiques tentent d'améliorer la situation en adoptant des réformes éducatives effectives et finançables et d'ores et déjà, la plupart des pays centrasiatiques fondent leurs programmes de réformes sur la définition des problèmes prioritaires de l'alphabétisation.

Comme nous l'avons mentionné plus haut, l'éducation des adultes fait face à trois problèmes majeurs. En ce qui concerne les inégalités croissantes d'accès à l'éducation, les États tentent de trouver les solutions suivantes:

Azerbaïdjan: amélioration de l'accès aux manuels scolaires gratuits; augmentation du nombre de places gratuites à l'école pour les familles pauvres (la scolarisation pèse moins dans les budgets et les enfants peuvent être éduqués).

L'Arménie, le Kirghizistan et le Tadjikistan envisagent, dans le cadre du Document de stratégie de réduction de la pauvreté, de fournir les conditions de base nécessaires pour donner aux enfants des familles défavorisées accès à l'école et à la formation professionnelle.

L'Ouzbékistan prévoit de généraliser l'accès à une scolarisation de 12 années. Pour pallier les problèmes financiers des familles et faciliter l'accès à l'éducation, il compte également développer une stratégie visant à améliorer leur niveau de vie.

On évoquera également d'autres mesures mises en place dans ce domaine. De nombreuses organisations non gouvernementales, nationales et internationales contribuent à améliorer l'accès à l'éducation pour diverses couches de population. Au Tadjikistan, au Kirghizistan et en Ouzbékistan, ACTED propose p. ex. un programme de repas scolaires dans les districts frontaliers de la vallée de la Fergana, qui a permis d'améliorer le taux de fréquentation scolaire dans la région. UNICEF et Save the Children Fund (Royaume-Uni) soutiennent des projets axés sur les enfants handicapés au Kirghizistan, en Ouzbékistan et au Tadjikistan. OSI a mis en place un certain nombre de programmes éducatifs consistant notamment à fournir aux écoles, aux universités et aux bibliothèques des manuels pédagogiques modernes, à contribuer à la conception et à la publication de manuels pour les pays centrasiatiques, à reconduire les crédits alloués aux bibliothèques et à former des bibliothécaires, etc.

En ce qui concerne la qualité de l'éducation, de nombreuses réformes ont également été mises en place. La qualité de l'éducation dépend du système éducatif proprement dit, de la présence de personnels qualifiés, des fonds alloués, de l'amélioration du système, etc. On distingue deux approches:

  • mise en place de réformes performantes adaptées aux stratégies et aux programmes nationaux (à la fois indépendantes et appuyées par des institutions internationales), dans le but d'améliorer l'éducation formelle en fonction des problèmes prioritaires;
  • mise en œuvre de projets par les organismes non gouvernementaux et internationaux pour dispenser l'éducation non formelle à différents groupes de population.

Plusieurs études montrent que la majorité des pays entendent consentir de gros efforts pour améliorer leurs systèmes éducatifs et identifier les problèmes spécifiques. Les réformes introduites par les États sont généralement axées sur l'amélioration du système d'éducation formelle, mais des problèmes de mise en œuvre peuvent surgir, les plus importants étant:

  • le manque de crédits
  • le manque de personnels qualifiés
  • la médiocrité de la gestion du système éducatif
  • la participation insuffisante des citoyens à la réforme éducative

Le concept moderne définit l'alphabétisation fonctionnelle des adultes comme l'acquisition de connaissances et de compétences permettant à l'être de s'adapter à un monde en mutation rapide et à assurer sa survie.

Si l'on veut améliorer la situation actuelle, les démarches les plus appropriées et les plus éprouvées consistent à faire comprendre lavaleur de l'éducation et de la formation tout au long de la vie aux responsables, mais aussi aux populations. Ici, l'éducation formelle et l'éducation non formelle ont chacune un rôle bien défini.

Différences entre l'éducation des adultes formelle et non formelle

Éducation formelle Éducation non formelle
  • Financement stable
  • Orientation aux critères des grandes organisations et entreprises
  • Médiocre capacité d'adaptation des programmes éducatifs standards
  • Prix fixes et définis au niveau central
  • Matériels pédagogiques et équipements techniques relativement bons mais mal utilisés
  • Absence de rapports étroits avec la clientèle des services éducatifs
  • Stabilité du personnel enseignant
  • Intérêt insuffisant accordé à la motivation des participants
  • Non-recours aux méthodes de marketing
  • Privilèges et subventions de l'État
  • Accès administrativement limité aux bourses des donateurs internationaux
  • La qualité de l'éducation n'influence pas l'activité de l'organisation
  • Le nombre de participants importe peu
  • Potentiel de développement interne relativement élevé
  • Intérêt limité pour la coopération
  • Financement instable et peu fiable
  • Orientation aux critères des petites organisations et entreprises
  • Adaptation rapide des produits éducatifs aux besoins des utilisateurs
  • Prix flexibles et indépendants
  • Absence de supports pédagogiques propres
  • Rapports plus étroits avec la clientèle des services éducatifs
  • Rotation permettant d'avoir recours aux meilleurs formateurs et consultants
  • La formation présuppose la motivation des participants
  • Recours au marketing pour promouvoir les services éducatifs
  • Pas de privilèges, accès aux bourses et aux subventions de l'État
  • Très bon accès aux bourses des donateurs internationaux
  • La qualité de l'éducation a une incidence directe sur les opportunités
  • Nécessité de se battre pour conquérir la clientèle
  • Potentiel de développement interne restreint
  • Grand intérêt pour la coopération

 

Source: Angragog reserach in Central Asia countries, Center of sociological research TAHLI, commanditée par l'HZ/DWp. 27

Comme nous l'avons mentionné plus haut, si la majorité des réformes éducatives nationales sont axées sur l'amélioration de l'éducation formelle, la société civile s'engage en revanche plus activement en faveur de l'amélioration de l'éducation non formelle dans tous les pays centrasiatiques.

Au cours des deux dernières années, certaines organisations non gouvernementales de développement ont mis en place des actions éducatives avec l'aide des donateurs internationaux (USAID, Counterpart Consortium, OSI - Soros Fund, Organisation Internationale du Travail, Eurasia Fund, UNESCO, UNICEF, PNUD, Banque Asiatique de Développement, OMS, FNUAP, OIM, INTRAC, Banque mondiale, Mercy Corps, TASIS, OSCE, IIZ/DW, Fondation Friedrich Ebert, ACCELS, ambassades des États-Unis, de Suisse et de Norvège). Ces activités visent à pallier les lacunes du système éducatif soviétique, à savoir: améliorer les compétences en matière de résolution autonome de problèmes, maintenir les droits, améliorer les compétences entrepreneuriales et les connaissances de base nécessaires à la survie dans une économie de marché.

En outre, un aspect important des activités des ONG sont l'éducation aux questions de genre, la prévention de la violence à l'égard des femmes, la formation et le recyclage des migrants afin de leur donner un métier, etc. Les activités réalisées par ces organisations dans les villes et les villages éloignés contribuent à changer les stéréotypes et à améliorer leurs conditions de vie.

Comme exemple de ce type d'actions, nous citerons la coopération entre les organisations non gouvernementales locales, les structures publiques des pays centrasiatiques et l'Institut de Coopération internationale de la Confédération allemande pour l'Éducation des Adultes (IIZ/DW). L'activité de cette organisation se concentre sur l'éducation de base, l'éducation des exclus et la démocratisation. Un intérêt particulier est porté à la réduction de la pauvreté, à la promotion de I'«autopromotion» et à l'amélioration du rôle social des femmes. Les axes prioritaires de ses activités en Asie centrale sont:

  • l'appui aux sans-emplois et aux populations socialement précaires, dans le but de les aider à trouver un emploi et à apprendre un métier;
  • facilitation et soutien pratique au secteur de l'éducation des adultes pour initier et promouvoir le développement institutionnel;
  • lobbying en faveur de l'éducation des adultes, et popularisation auprès des parties concernées;
  • engagement des pays centrasiatiques dans les débats internationaux sur «l'éducation et la formation tout au long de la vie».

Au Kirghizistan, l'IIZ/DW a ouvert huit centres d'éducation des adultes reliés entre eux par un réseau unifié unique en son genre.

Au Tadjikistan, il a organisé au cours des deux dernières années 60 cours dispensés par 800 formateurs, issus pour la plupart des couches vulnérables de la population.

En Ouzbékistan, il prévoit la mise en place d'une coopération avec les organismes publics (ministère de l'Éducation secondaire, de l'Éducation secondaire supérieure et de la Formation professionnelle, ministère du Travail et de l'Emploi et ONG nationales).

L'élargissement de la coopération avec cet institut présente de nombreux avantages pour tous les pays centrasiatiques, dans la mesure où il contribue substantiellement à l'amélioration de la situation de l'éducation des adultes dans la région.

En ce qui concerne le dernier problème - disparités entre les sexes - nous citerons les efforts communs des États et des organismes non gouvernementaux. Le Tadjikistan p. ex., a adopté un décret présidentiel spécial qui instaure des quotas dans l'enseignement supérieur pour les filles vivant dans les zones éloignées. Plusieurs organisations, telles OSI Soros Fund, l'UNIFEM, le FNUAR la GAA, etc. ont inclus une composante «genre» dans leurs activités et contribuent à atténuer le problème dans la région.

En dépit des taux élevés d'alphabétisation, l'éducation des adultes en Asie centrale fait donc face à des problèmes nombreux, les plus alarmants étant la dégradation de la qualité de l'éducation et le manque d'accès de certaines catégories de la population à une éducation de qualité.

Les principaux facteurs de dégradation de la qualité de l'éducation sont le financement insuffisant du secteur éducatif, la baisse du nombre de personnels qualifiés, la réduction du nombre de matériels pédagogiques et d'équipements techniques, et le manque de manuels modernes, notamment dans les langues nationales. Le passage accéléré à l'éducation dans les langues locales sans production de matériels correspondants, a entraîné une détérioration du niveau de l'éducation. Le niveau élevé d'analphabétisme fonctionnel des adultes est un exemple de la mauvaise qualité de l'éducation.

Les causes des inégalités d'accès à l'éducation sont la pauvreté, plus spécialement dans les zones rurales, mais aussi la présence nombreuse de groupes de réfugiés et de personnes déplacées en raison des conflits locaux, et l'inadéquation matérielle des équipements scolaires qui ne permettent pas aux élèves handicapés de fréquenter l'école. On citera aussi les stéréotypes vis-à-vis des enfants handicapés, qui vivent dans une société qui considère la cohabitation avec ces enfants comme inacceptable et insupportable. Et enfin, la forte influence des stéréotypes et les disparités croissantes entre les sexes, qui ont des effets négatifs dans tous les pays à la fois sur le niveau d'éducation des filles (à l'exception de l'Arménie) et sur la promotion des filles douées dans les zones rurales, et qui encouragent les mariages précoces.

Les gouvernements centrasiatiques prennent diverses mesures pour réformer leurs systèmes éducatifs et améliorer la situation. Grand nombre d'entre eux ont adopté des textes visant à améliorer le niveau d'éducation. On remarquera que ces mesures gouvernementales sont généralement fondées sur l'amélioration de l'éducation formelle, alors que les organismes internationaux et les organisations non gouvernementales locales se concentrent sur l'éducation non formelle. On rappellera également que le succès des réformes dépend des sources de financement, de l'amélioration de la qualité du système de gestion de l'éducation et du degré d'intérêt manifesté par les gouvernements pour opérer une transformation réelle des systèmes éducatifs de leurs pays respectifs.

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