L’enseignement technique et la formation professionnelle (ETFP) constituent une approche largement reconnue pour vaincre la pauvreté et l’exclusion sociale qui l’accompagne. Le concept sous-jacent est simple: l’enseignement technique et la formation professionnelle conduisent à l’emploi et l’emploi conduit à la création de revenus et au développement. Néanmoins, les campagnes mondiales d’éducation se concentrent sur l’école et l’enseignement primaire. De fait, les programmes de formation professionnelle s’en trouvent souvent négligés et n’offrent aucune garantie d’accès à l’emploi et à de meilleures conditions de vie. Robert Jjuuko du centre d’éducation des adultes à Njeru (Ouganda) et d’UGADEEN (le Réseau d’éducation des adultes d’Ouganda) soulève la question de la nécessité d’un environnement interne et externe habilitant pour permettre aux bénéficiaires de l’enseignement technique et de la formation professionnelle de transposer leurs aptitudes et compétences en résultats économiques et sociaux.
On rencontre encore en Afrique subsaharienne et ailleurs des suppositions naïves à la mode au sujet du potentiel de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (EFTP) sans qu’elles s’accompagnent de réformes politiques proportionnées ni de vrais engagements nationaux. Voici près d’une décennie que l’on clame que ce sous-secteur de l’éducation a été remis à l’ordre du jour des calendriers du développement des gouvernements nationaux et des organisations internationales d’aide au développement. Il semble toutefois que ce soi-disant renouveau ne se soit pas affranchi des idées des années 50/60 où les organisations internationales d’aide au développement avec à leur tête la Banque mondiale, considéraient l’enseignement technique et la formation professionnelle comme une stratégie de développement essentielle (McGrath, 2002, Middleton et Ziderman, 1997).
Caractéristique des changements de priorités à différentes époques, la Banque mondiale et un certain nombre de ses partenaires principaux abandonnèrent presque l’enseignement technique et la formation professionnelle après avoir fait campagne pour en leur faveur au début des années 60 (Oketch, 2007; McGrath et King, 1995). Il est difficile de ne pas accuser l’empressement à l’égard du modèle économique néolibéral d’avoir entraîné ce décevant changement de politique (Robertson, et coll., 2007). Les résultats des études au sujet du retour sur l’investissement réalisées dans les années 70 et 80 ont largement été exploités pour refuser à la faisabilité de l’enseignement technique et de la formation professionnelle le rang de «bon investissement» (King et Palmer, 2007).
Il est aussi communément reconnu que la formulation des objectifs de l’EPT en 1990 et la proclamation des OMD en 2000 ont peu contribué à influencer directement le renouveau de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. En effet, au fil des ans, ces derniers sont restés en marge, voire ont été largement exclus des cadres de planification et de mise en œuvre des politiques publiques dominantes menées en matière d’éducation dans de nombreuses économies du Sud, tributaires de l’aide financière de bailleurs de fonds. Les politiques internationales et nationales de l’éducation ont privilégié le financement de l’éducation primaire universelle, ce qui a entraîné un rétrécissement du calendrier de l’EPT.
Apparemment, même le prétendu renouveau de l’enseignement technique et de la formation professionnelle est là pour «arranger» certaines choses (optez pour l’enseignement technique et la formation professionnelle vu que d’autres stratégies n’apportent pas assez de résultats). Peut-être y-a-t-il un besoin extrême de contrebalancer le boom de l’EPT. Les questions comme l’image de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, leur attrait et leur efficacité posent d’immenses défis. La discussion à ce sujet, documentée et étayée par la pratique doit permettre de partager quelques extrapolations établies à partir de la situation en Ouganda. Elle apporte une pierre à l’édifice du débat cherchant à situer l’enseignement technique et la formation professionnelle dans le Cadre d’action de l’éducation pour tous (EPT), notamment du troisième objectif sur la réponse à apporter aux besoins éducatifs de tous les jeunes et de tous les adultes.
Il est de plus en plus admis que le chômage des jeunes constitue l’un des plus graves défis intergénérationnels socio-économiques du 21e siècle. Ce déséquilibre entre la croissance de la main-d’œuvre et la création d’emplois est immense et ne cesse d’augmenter. En Ouganda, le chômage des jeunes s’élève à 5,3 pour cent alors qu’au plan national, ce taux était de 3,2 pour cent en 2004 (ministère des Finances, de la Planification et du Développement économique, 2004).
Naturellement, il existe une confiance apparente dans ce que peuvent faire l’enseignement technique et la formation professionnelle pour donner à de jeunes chômeurs les moyens de saisir les occasions professionnelles qui se présentent à eux. Une étude de cas sur l’enseignement technique et la formation professionnelle pour les jeunes en rupture de scolarité en Ouganda a réaffirmé ce point de vue couramment partagé par les praticiens et les apprenants (Jjuuko, 2010). La majorité des personnes ayant participé à cette étude de cas ont exprimé leur profonde conviction quant à l’utilité de l’enseignement technique et la formation professionnelle pour aider ses diplômés à créer des emplois.
Le fondateur et directeur du centre d’étude de cas a déclaré que «la raison principale de créer ce centre était de proposer des formations professionnelles à des jeunes désavantagés pour leur permettre de créer leurs propres emplois» (Jjuuko, 2010, p. 123). Mary, chargée du cours de couture au centre d’enseignement technique et de formation professionnelle a affirmé de son côté que «au terme de la formation, les gens devraient au moins être capables de confectionner des vêtements pour pouvoir gagner leur vie.»
Alors qu’il est généralement admis que l’éducation et la formation comptent parmi les moyens fiables pour se sortir de la pauvreté, il semblerait que l’idée selon laquelle l’enseignement technique et la formation professionnelle permettent facilement à leurs diplômés de trouver des possibilités de travailler soit souvent tenue pour acquise. Le point de vue ancien selon lequel l’éducation ne crée pas d’emplois doit encore être introduit à différents niveaux décisionnaires de la politique et de la pratique de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. De nombreuses études laissent fortement supposer que le travail ou l’emploi sont le produit d’une solide alliance entre des politiques et interventions fondées en matière de gouvernances macroéconomique et sociale. D’autres études indiquent aussi que les pauvres, et plus précisément les jeunes chômeurs, doivent évoluer dans un environnement habilitant pour pouvoir se sortir du dénuement (Palmer, et coll., 2007)
Il existe deux aspects essentiels, liés l’un à l’autre, du concept d’environnement habilitant propice à l’éducation et à l’éradication de la pauvreté. Il y a d’un côté l’environnement habilitant interne où sont dispensés enseignement et formation. Cet environnement inclut tous les facteurs qui s’associent pour faire de l’enseignement et de la formation un processus susceptible de produire les capacités techniques et compétences essentielles désirées. Ces facteurs sont entre autres les suivants: équipements et matériels de formation modernes, enseignants compétents et motivés, et soutien familial.
L’étude a fourni d’autres résultats illustrant les défis récurrents du point de vue de la logistique, des curriculums et de la pédagogie qui se posent dans la pratique à l’enseignement technique et à la formation professionnelle en Ouganda. Par exemple, les diplômés du centre de cas ont majoritairement déclaré que le curriculum et la méthode pédagogique du centre étaient globalement mauvais. Ils ont expliqué que la formation suivie ne les avait pas préparés à s’attaquer à des tâches auxquelles ils n’étaient pas habitués. Il était selon eux flagrant que l’on avait omis d’intégrer l’entreprenariat et l’enseignement de compétences génériques au programme de la formation, ce qui aurait été particulièrement nécessaire. Les diplômés avaient le sentiment que le curriculum étroit associé à un enseignement et une préparation inadéquats pour affronter le monde du travail représentait un sérieux obstacle dans les efforts qu’ils entreprenaient pour trouver du travail ou se créer des revenus, et maintenir cette situation professionnelle.
La majorité des diplômés a déclaré toujours manquer de certaines compétences ou avoir un sentiment de ne pas être adaptés à la tâche qui leur est confiée. Paulo, par exemple, un diplômé en menuiserie, a affirmé avoir eu des difficultés lors de sa première commande en sous-traitance où il avait pour mission de fabriquer des boîtes à rideaux. Sylvia, une diplômée en couture, a expliqué qu’elle souhaiterait pouvoir coudre des vêtements divers pour rompre la monotonie des uniformes scolaires qu’elle confectionne, mais qu’elle se sent incompétente. En outre, Sylvia ne connaissait rien aux stratégies traditionnelles de marketing. Juliet, elle aussi couturière, a raconté que l’entreprise pour laquelle elle travaille fabrique différents types de vêtements comme, par exemple, des vestes, mais qu’elle est incapable de participer à leur production du fait de ses compétences limitées. James, un diplômé en maçonnerie a déclaré que, juste après avoir terminé sa formation, il s’était retrouvé en présence de quatre techniques de construction qu’il connaissait mal, à savoir le plâtrage, le hérissonnage, la pose de blocs de béton et la peinture. Voici ce qu’il en a dit: «Je n’avais jamais fait de peinture… Je ne savais même pas comment me servir d’un rouleau» (Jjuuko, 2010, p. 173).
L’environnement est primordial pour permettre aux bénéficiaires de l’enseignement technique et de la formation professionnelle de transformer leurs acquis en retours économiques et sociaux. Ceci englobe tous les facteurs engendrant ou freinant la transformation des acquis obtenus par l’éducation et la formation en résultats économiques et sociaux à long terme. Une solide régulation du marché du travail et une économie domestique dynamique font partie de ces facteurs, nécessaires pour garantir la consommation de biens et services produits et/ou fournis par les diplômés. Les crédits et les infrastructures servant à attirer et retenir les diplômés fraîchement émoulus de leur formation et encore inexpérimentés dans le secteur informel compétitif mais volatil font partie des instruments habilitants.
Les participants à l’étude de cas ont indiqué les difficultés qu’ils rencontrent pour trouver un travail décent (Jjuuko, 2010). La majorité des titulaires de diplômes acquis par le biais de l’enseignement technique et de la formation professionnelle se retrouvent piégés aux échelons inférieurs du marché du travail, dans le secteur informel. Owino James, un diplômé en maçonnerie et bétonnage a raconté qu’il avait travaillé sur plus de cinq chantiers dans de très mauvaises conditions de travail. Balikuddembe Jacob, un diplômé en construction qui dirige une petite entreprise de construction non déclarée à Kampala a quant à lui déploré l’absence de réglementations et lois claires pour protéger les ouvriers des entrepreneurs et les maçons.
Les résultats de l’étude ont en outre confirmé que l’autoemploi était chose plus facile à dire qu’à faire. Au terme de sa formation en menuiserie, en 2002, Paulo Kalanzi avait créé un petit atelier dans sa commune d’origine. Cet atelier fit faillite peu de temps après en raison du manque de demande pour ses produits et services. Il en vint à intégrer le marché local des transports apparemment profitable mais hasardeux et devint boda-boda (chauffeur de moto-taxi). D’autres diplômés ont expliqué qu’ils s’étaient trouvés face à d’immenses défis quand il s’était agi de réunir les fonds d’investissement et de roulement nécessaires pour entrer dans le secteur des services.
L’enseignement technique et la formation professionnelle passent pour être des éléments essentiels de l’EPT afin de garantir que les besoins éducatifs de tous les jeunes soient satisfaits. Néanmoins, il est sérieusement préoccupant que la formation professionnelle ne réussisse pas à cibler les personnes les plus vivement désavantagées (UNESCO, 2010). Il semblerait que les questions importantes relatives aux causes et aux effets de la marginalisation ne bénéficient pas de l’attention politique qu’elles méritent. Les politiques de l’éducation et du développement de nombreux pays africains ne s’attaquent pas comme il faudrait aux moteurs inébranlables de l’inégalité en matière d’éducation et de formation.
En Ouganda l’enseignement technique et la formation professionnelle doivent encore être entièrement réformés de façon à en élargir l’accès et à en améliorer la qualité. Les établissements privés, on en recense environ 600 dans le pays, sont les premiers prestataires de ce type d’offres. La majorité d’entre eux disposent de ressources insuffisantes quant aux équipements et matériels pédagogiques et au niveau de compétence des enseignants (Lugujjo, 2003, Wirak, et coll., 2003). La majorité des quelque 144 établissements publics ne fait pas elle non plus exception à cette situation. Malgré le discours officiel, les infrastructures publiques n’offrent que des voies officielles d’enseignement limitées.
Le nombre d’inscrits dans les établissements d’enseignement technique et de formation professionnelle est soi-disant passé de 25 682 en 2006 à plus de 30 000 en 2008 pendant le déroulement du programme d’éducation et de formation postprimaires universelles (autorité nationale de planification, 2010, ministère de l’Éducation et des Sports, 2008b). Le pourcentage d’inscrits en filière postprimaire d’enseignement technique et de formation professionnelle ne dépassait pas 3,3 % en 2007, ce qui est même en-deçà de la moyenne de 6 % relevée en Afrique subsaharienne (ministère de l’Éducation et des Sports, 2008b; UNESCO, 2010).
Si l’on se base sur les indicateurs et tendances actuelles en matière d’inscriptions, nonobstant bien sûr la pénurie d’informations crédibles, le réseau ougandais global de prestataires privés et publics de services d’enseignement technique et de formation professionnelle n’est guère en mesure d’accueillir tous les apprenants potentiels. Le gouvernement veut que 10 % des jeunes ayant achevé leur scolarité primaire développent leurs compétences en suivant des formations dans des établissements publics d’enseignement technique et de formation professionnelle postprimaires (autorité nationale de planification, 2010) ce qui se traduit par une moyenne de 40 000 apprenants par an.
Paradoxalement, la vérification du nombre d’inscrits en première année en 2008 a révélé un nombre ridicule d’apprenants qui s’élevait à 4 848 inscrits dans tous les établissements d’enseignement technique et de formation professionnelle participant au programme d’éducation et de formation postprimaires universelles (ministère de l’Éducation et des Sports, 2008c). Il semble que des difficultés flagrantes au sein de ce sous-secteur freinent l’accès et la participation. Par exemple, les critères d’admission au programme d’éducation et de formation postprimaires universelles/à l’enseignement technique et à la formation professionnelle pour les personnes ayant achevé leur scolarité primaire sont sélectifs et discriminatoires. L’admission à la filière gratuite d’enseignement commercial et technique et de formation professionnelle dépend d’une certaine moyenne obtenue à l’examen de fin de cycle primaire et se limite aux personnes ayant quitté le niveau primaire P7 l’année précédente. Il est par conséquent hautement douteux que les projections officielles soient soutenables.
D’une manière générale, les résultats de ce sous-secteur sont flous quant à l’accès et à la participation. Les pauvres, fréquemment victimes des critères d’admission sélectifs, ont peu de chances de s’inscrire dans des filières d’enseignement technique et de formation professionnelle payantes, et les milliers de jeunes quittant l’école viennent grossir les rangs du marché de l’emploi aux côtés de ceux qui les ont précédé. On a souvent utilisé l’expression de «majorité oubliée» pour décrire cette catégorie de gens littéralement négligée par la politique officielle de l’éducation publique (Schroeter, 2009).
La tendance bien connue à privilégier le modèle scolaire dominant n’arrange pas les choses dans une telle situation à moins d’une intervention politique publique. On a constaté que les Ougandais avaient de «sérieux préjugés culturels» à l’égard de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (Keating, cité dans Wirak et coll., 2003). En fait, on affirme même constamment que la demande, notamment dans ce secteur, est faible (Liang, 2002). Dans certains milieux, on prétend aussi qu’il existe peut-être une demande sociale, mais que la capacité économique est largement inadaptée pour financer les offres d’enseignement technique et de formation professionnelle.
La mauvaise qualité des résultats de l’enseignement et de la formation professionnelle, secteur déjà difficile d’accès, est presque endémique à en juger par les résultats aux examens récents des offres formelles en la matière. Quarante pour cent des 13 975 candidats ayant passé des examens techniques et professionnels en Ouganda lors de la session 2009 n’ont pas été reçus et n’ont pas obtenu de diplômes reconnus. En 2010, plus de la moitié des 20 376 candidats ont échoué, et aucune stratégie adéquate ne semble exister pour renverser cette tendance.
Pendant près d’une décennie, le ministère de l’Éducation et des Sports a assumé la pleine responsabilité de la gestion et de l’administration de tous les établissements publics de formation du pays. La responsabilité de 46 centres d’enseignement technique et de formation professionnelle qui dépendaient de six ministères a été transférée au ministère de l’Éducation, conformément aux recommandations du rapport de restructuration rédigé en 1998 (Penny et coll., 2003). Officiellement, plus de 600 prestataires de services d’enseignement technique et de formation professionnelle sont placés sous la houlette du ministère de l’Éducation et des Sports.
Malgré les tentatives mentionnées ci-dessus et tout un ensemble d’autres efforts entrepris pour restructurer la coordination des offres d’enseignement technique et de formation professionnelle, il reste d’importants défis. Le rôle et la mission du ministère de l’Éducation doit encore se traduire dans la réalité pratique. Les partenariats, collaborations et coopérations entre les établissements publics et les acteurs non gouvernementaux sont encore timides, ce qui est principalement dû aux infrastructures publiques inefficaces et peu dynamiques lorsqu’il s’agit de guider, de réglementer et de conseiller les prestataires de services.
Les organes publics de régulation comme le Directorate of Industrial Training (conseil de la formation industrielle) et l’Uganda Business and Technical Examinations Board (comité national ougandais chargé de l’organisation des examens dans l’enseignement technique) doivent être renforcés pour se consacrer de manière adéquate à la formation à des compétences informelles et non formelles. L’enseignement technique et la formation professionnelle informels et non formels nécessitent encore une supervision et une gestion politiques officielles fermes. Il semblerait toutefois que l’intérêt officiel pour ce type d’enseignement technique et de formation professionnelle soit marginal. Les compétences et qualifications acquises par ce biais ne sont souvent ni validées ni reconnues. Selon le ministère de l’Éducation et des Sports (2008a), la structure amorphe de l’enseignement technique et de la formation professionnelle rend leur coordination et leur gestion difficile, et occasionne des frais opérationnels.
Un bon nombre d’entreprises privées et d’ONG, y compris des organisations religieuses, proposent tout un ensemble de programmes d’enseignement technique et de formation professionnelle non formels sur mesure (Schroeter, 2009; Bananuka et Katahoire, 2008). Des centaines de petites et grandes entreprises proposent des formations sur le tas dans le cadre d’apprentissages qu’elles organisent pour leurs salariés et d’autres bénéficiaires sélectionnés (J.E. Austin Associates, Inc., 2004).
En outre, différents petits projets proposent des formations bon marché non reconnues pour des jeunes défavorisés en rupture de scolarité ou ayant achevé leur cycle primaire. Par exemple, en 2004, l’organisation Uganda Youth Development Link a lancé avec le soutien de l’UNESCO un programme d’éducation non formelle et d’enseignement de compétences nécessaires pour gagner sa vie à des jeunes marginalisés vivant dans la rue et les bidonvilles. Le programme a réussi à placer un total de 288 jeunes marginalisés chez des artisans locaux pour leur permettre de se former aux techniques de métiers comme la couture et la menuiserie (Uganda Youth Development Link, 2006).
Autre exemple: le concept de développement des compétences locales mis en place par le ministère de l’Éducation et des Sports, et qui bénéficie du soutien du programme de promotion de la formation technique et professionnelle axée sur l’emploi, organisé par la Société allemande de coopération internationale (GIZ). Le développement des compétences a pour vocation de servir la «majorité oubliée» en lui proposant des formations professionnelles bon marché. Ce concept qui a d’abord été un élément pilote du programme polytechnique communautaire dans trois endroits a été conçu, dit-on, pour répondre aux situations particulières des communautés rurales dont la subsistance dépend largement de l’agriculture (ministère de l’Éducation et des Sports, 2007).
Le conseil de la formation industrielle (Directorate of Industrial Training – DIT) est le principal service gouvernemental à tendre la main à certains prestataires proposant des apprentissages professionnels informels, non formels et formels. Un certain nombre des apprentis ainsi que les inscrits aux nombreuses filières privées postprimaires d’enseignement technique et de formation professionnelle font l’objet d’un examen du DIT qui certifie leurs compétences dans le cadre de sa fonction qui lui permet de procéder à ces tests professionnels. Le DIT a toutefois besoin qu’on lui donne un coup de jeune et qu’on lui confère les capacités institutionnelles pour être à la hauteur du défi relevé.
Les investissements publics sont cruellement en-dessous de toutes les attentes. Bien que les allocations budgétaires aient récemment augmenté dans la foulée des efforts entrepris pour rénover et réformer le sous-secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, même le gouvernement reconnaît qu’il reste encore une énorme demande sociale à combler. Le pourcentage de l’enseignement commercial et technique et de la formation professionnelle dans le budget national de l’éducation est tout à fait négligeable comme l’indique le tableau ci-dessous. Durant l’année fiscale 2007/08, 1,4 milliard de shillings ougandais (soit environ 70 000 USD) ont été dépensés pour financer le volet d’enseignement commercial et technique et de formation professionnelle du programme d’éducation et de formation postprimaires universelles (ministère de l’Éducation et des Sports, 2008b).
On prétend globalement que l’enseignement technique et la formation professionnelle reviennent plus cher que l’enseignement général pour justifier en partie la modestie des ressources allouées à ce sous-secteur. Le ministère de l’Éducation et des Sports relève que ce coût élevé constitue l’un des principaux défis auxquels il faut faire face pour élargir la diffusion de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (ministère de l’Éducation et des Sports, 2008b). Les coûts annuels par apprenant dans un centre d’enseignement technique bien géré, ouvert aux jeunes ayant terminé leurs études primaires et aux jeunes en rupture de scolarité des niveaux S1 à S4 s’élèveraient à 1,1 millions de shillings ougandais (soit 500 USD), ce qui représente trois fois le coût moyen d’un élève dans un établissement scolaire au niveau O (Liang, 2002).
Savoir qui doit supporter ces coûts élevés est une question à laquelle il est fondamentalement difficile de répondre. En Ouganda, les principaux bénéficiaires des services d’enseignement technique et de formation professionnelle sont des jeunes ayant achevé leurs études primaires ou ayant abandonné l’école. La majorité d’entre eux est issue de familles pauvres ne pouvant pratiquement pas contribuer à payer le coût de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Comme l’Ouganda doit encore créer une taxe pour le financement de la formation, les contributions financières directes du secteur privé demeurent minimales. Globalement, il semble que la question essentielle du financement de l’enseignement technique et de la formation professionnelle nécessite encore l’attention de la politique publique.
Il s’agit maintenant de réévaluer les services d’enseignement technique et de formation professionnelle et de redorer leur blason. Il faudrait intensifier la mise en œuvre de réformes politiques cohérentes pour promouvoir l’image, l’attrait et l’efficacité de ce sous-secteur. Il est urgent et crucial pour ce dernier plus que pour aucun autre dans le secteur de l’éducation et de la formation en général d’institutionnaliser le partenariat public-privé.
Se consacrer à la façon dont la valeur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle est perçue dépasse le cadre du marketing et de la promotion sociale. Les questions de garantie de la qualité et de standardisation sont tout aussi essentielles. Adopter une pédagogie innovante, assurant le développement de compétences commercialisables et transférables devrait faire partie intégrante d’une vaste stratégie réformatrice.
Il est primordial d’élargir la base des ressources financières par la création de mécanismes clairs en vue de mobiliser le soutien du public et des donateurs.
Tendre la main aux employeurs et à l’ensemble du secteur privé à but lucratif pour opérationnaliser un système de taxe d’apprentissage justifie en outre la nécessité d’un solide partenariat privé-public.
Équilibrer la justice sociale et l’économie est une préoccupation primordiale pour la budgétisation et le financement de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Le souci de l’efficacité et des coûts doit être subordonné à l’obligation plus importante consistant à offrir à chaque citoyen la possibilité d’accéder à une éducation et une formation complètes de bonne qualité. Il est important de se rappeler que les déclarations internationales, y compris celles sur l’EPT et les OMD, ratifiées par l’Ouganda reposent toutes littéralement sur les principes du développement humain qui met l’accent, entre autres, sur l’élargissement des choix pouvant être faits par les individus. Investir dans l’éducation et la formation des gens revient à élargir les libertés humaines et à créer des environnements habilitants où ils pourront prendre leur destin en main.
Juste à quelques années de la date fixée pour atteindre les objectifs de l’EPT, en 2015, les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux en Ouganda devraient suivre ce qu’entreprend le secteur public pour créer un environnement habilitant en vue de fournir un enseignement technique et une formation professionnelle de bonne qualité. Il reste encore beaucoup à faire pour sortir le pays du discours théorique et le faire passer à l’action. Il est nécessaire d’entreprendre des efforts conjoints de suivi des progrès réalisés pour créer un cadre institutionnel exigeant des ressources financières et humaines. Les échanges réguliers et le dialogue sont eux aussi une nécessité pour promouvoir un consensus idéologique et professionnel concernant les interventions politiques et pratiques du pays mises en œuvre pour s’attaquer aux sempiternels illusions et défis que posent l’enseignement technique et la formation professionnelle.
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