Les éducateurs avaient autrefois coutume de se consacrer à leurs tâches concrètes sans dresser un état des lieux de la situation de départ ni formuler d’objectifs clairement mesurables pour leurs interventions. Ainsi leur travail reposait-il davantage sur des suppositions et son impact positif sur des convictions que sur des preuves démontrables. À une époque où les cordons de la bourse publique ont toutefois tendance à être plus serrés, les bonnes intentions et les soi-disant bénéfices qu’aucune preuve ne vient étayer ne suffisent pas à convaincre les organismes bailleurs de fonds. Monika Bayr, responsable de la surveillance et du suivi chez DVV International, et Roland Schwartz, directeur de DVV International, exposent la nécessité d’inclure des outils de surveillance comme partie intégrante de la planification et de la mise en œuvre de projets.
Proverbe chinois: «si tu veux prévoir un an à l’avance, cultive du riz. Si tu veux prévoir dix ans à l’avance, plante des arbres. Si tu veux prévoir cent ans à l’avance, éduque des gens.»
DVV International soutient le développement de systèmes d’éducation des adultes dans ses pays partenaires. Ainsi, non seulement il appuie des programmes au microniveau (mesures concrètes concernant les multiplicateurs et les groupes cibles) et des mesures de qualification pour des établissements d’éducation des adultes (mésoniveau), mais il conseille aussi des gouvernements sur le développement de politiques publiques en matière d’éducation des adultes (macroniveau). Cette approche sur trois niveaux repose sur la conviction que pour être durablement fructueux, les processus éducatifs doivent être ancrés dans des lois et politiques nationales, et mis en œuvre de façon qualifiée et durable par de puissants organismes responsables de l’éducation.
Les activités au microniveau sont directement axées sur les individus – par exemple au moyen de cours d’alphabétisation et de formations professionnelles continues et initiales.
Au mésoniveau, DVV International collabore avec des organisations et institutions de l’éducation des adultes dans le but d’améliorer durablement les offres éducatives.
Au macroniveau, des conseils sont dispensés à des décideurs politiques et des manifestations organisées à l’intention de la collectivité et des lobbyistes.
Exemple d’un projet de construction de puits pour améliorer les conditions de vie de la population et réduire les maladies. Pour mesurer le succès d’un tel projet, il suffisait autrefois de prouver que le nombre de puits prévu avait été construit et qu’ils avaient la qualité attendue. Aujourd’hui, on se demande si un tel projet contribue vraiment à réduire les maladies. On a très souvent eu l’occasion de constater que les puits avaient bien été construits, mais que les gens devaient encore apprendre non seulement à utiliser leur eau de manière efficiente, mais aussi à les maintenir propres pour éviter que l’eau ne soit polluée et cause des maladies.
L’éducation est un droit humain et, en tant que tel, elle sert d’abord, sans contrainte, à produire un effet. Selon Humboldt et Kant, l’éducation sert tout d’abord à développer l’autodétermination et l’autonomie au moyen de l’intellect. L’effort holistique et humaniste de s’éduquer doit être exempt de raisonnements économiques. En réalité, toutefois, ils devient de plus en plus rare de voir des gens s’instruire «sans but»; les efforts qu’ils entreprennent ont au contraire généralement des buts précis, en l’occurrence souvent l’objectif concret de pouvoir gagner sa vie grâce au savoir acquis (compétences nécessaires pour avoir un gagne-pain) ou mieux encore d’être capables de faire face aux défis divers qui se posent dans la vie comme, par exemple, s’occuper de sa santé et de celle de sa famille, venir à bout des crises de l’existence, participer aux processus déci sionnaires politiques ou avoir tout simplement la possibilité d’acquérir la capacité d’apprendre (compétences générales, transférables, douces).
L’éducation culturelle, humaniste et non affectée à un usage précis fait certes partie d’une notion globale de l’éducation de laquelle la coopération au développement est toutefois plutôt absente. Dans le contexte de la coopération au développement, l’éducation doit rendre des comptes aux contribuables des pays donateurs. Il serait difficile de faire accepter le soutien dans les pays partenaires de mesures éducatives non associées à un but précis alors que dans les pays donateurs les systèmes d’éducation sont eux-mêmes de manière sous-jacente insuffisamment financés. Dans le cadre de la coopération au développement, l’éducation doit par conséquent viser à remplir une fonction, à atteindre un objectif et à produire des effets.1
Source: D+C Development and Cooperation, vol. 38, 2011, p. 447.
La coopération allemande au développement s’est fixé comme objectif premier la réduction de la pauvreté, et c’est là-dessus aussi que les programmes d’éducation des adultes doivent s’articuler. L’une des contributions de l’éducation des adultes à l’atténuation de la pauvreté réside dans la lutte contre le manque d’instruction qui correspond, selon la définition de l’UNESCO, à une scolarité ou une durée d’apprentissage inférieure à quatre ans. L’éducation des adultes a ici pour fonction de permettre à des personnes ayant abandonné l’école, voire défavorisées au point de n’avoir jamais eu l’occasion d’être scolarisées, d’acquérir une éducation de base. Cependant, la seule quantification des durées d’apprentissage fournit tout au plus un indicateur provisoire pour les extrants (output), sans renseigner néanmoins sur l’atteinte d’un objectif éducatif ou d’effets éducatifs. La qualité de l’apprentissage (les contenus) est au moins aussi importante que le temps passé à apprendre. Un an d’un enseignement de bonne qualité, dans de bonnes conditions peut produire les mêmes effets que cinq ans d’un enseignement de mauvaise qualité. C’est pour cela que l’initiative PIAAC2 ou les enquêtes PISA3 de l’OCDE déterminent des indicateurs d’extrants en déterminant le niveau des élèves dans une même année de scolarité sur la base de leurs acquis afin de tirer des conclusions quant à la qualité et à l’efficacité du système scolaire.
Exemple au microniveau
À ce niveau, il est généralement encore relativement aisé de suivre si les activités entreprises sont efficaces. Des hommes et des femmes apprennent par exemple à lire et à écrire dans des cours d’alphabétisation pour progresser dans leurs métiers, de façon à pouvoir s’informer au sujet des prix sur le marché ou, d’une manière générale, pour être plus indépendants. Dans le cadre d’un tel projet, il est possible de s’enquérir dès le début des raisons pour lesquelles les gens participent et des motifs qui les poussent à vouloir apprendre certaines choses. Au bout d’un certain temps, on les interroge à nouveau pour savoir ce que leurs nouveaux acquis signifient véritablement pour eux et leurs conditions de vie. Cette analyse permet de mettre en lumière les effets de l’éducation.
L’intérêt des pays membres de l’OCDE pour les efforts éducatifs va rarement au-delà du recensement d’indicateurs d’extrants. Certes, la question de l’aboutissement (outcome), voire même des effets (de l’impact) des acquis fait l’objet de recherches4, mais elle n’entre qu’insuffisamment dans le débat politique. Toutefois, on part tout de même à juste titre du principe qu’il est prouvé que des individus bien instruits sont un atout pour les processus de développement. Ainsi existet-il par exemple un lien entre le contrôle des naissances et le niveau d’instruction.
D’une manière générale, on ne considère pas l’éducation comme la garantie mais comme le prérequis du développement personnel, social et économique. En étant d’accord avec cette causalité empiriquement démontrable entre l’éducation et ses effets positifs, on se libère de la compulsion de temps à autre observée de définir pour l’ensemble de la société des indicateurs d’abou tissement et d’impact des programmes d’éducation, et de vouloir en MESURER la dimension. La coopération au développement ne devrait pas attendre davantage d’effets de l’éducation que l’on en attend des systèmes d’éducation dans les pays donateurs. Si l’on réussit à démontrer les acquis des apprenants, les programmes d’éducation auront apporté leur pierre à l’édifice du développement. Effectivement, quels que soient les effets de l’amélioration du niveau d’instruction pour le développement économique et social des pays partenaires, ce dernier dépend aussi et de manière décisive des conditions-cadres qui évoluent parallèlement comme la situation politique et les décisions macroéconomiques. En raison de la complexité des processus de développement, toutes les tentatives visant à remédier à une mise en lumière incomplète du rapport de cause à effet de divers facteurs de dévelop pement, par exemple du niveau d’instruction et de l’effet recherché (la réduction de la pauvreté), se solderont à long terme par des échecs.
C’est justement du fait qu’on ne peut pas prouver les effets produits par des mesures éducatives au niveau de toute la société en raison de leur insurmontable absence de causalité visible qu’il est des plus essentiels de mesurer les résultats éducatifs (extrants et aboutissements) des différents programmes d’enseignement pour leurs participants. À ce sujet, notamment dans le domaine de l’éducation des adultes, on constate encore des faiblesses qui renforcent le préjugé toujours largement répandu selon lequel l’éducation des adultes dans le cadre de la coopération au développement est un secteur dont on ne peut pas prouver l’efficacité et qui n’est par conséquent pas privilégié.
Exemple au mésoniveau
À ce niveau, on relève diverses activités de soutien: ainsi, dans certaines organisations, des formations continues sont proposées aux membres du personnel pour rendre les cours qu’ils proposent plus participatifs, plus proches de la réalité ou plus pratiques. Ici, le suivi est encore relativement simple quand on veut vérifier si les nouveaux acquis sont bien utilisés et savoir ce qu’en pensent les participantes et participants aux cours.
Les choses se compliquent toutefois en ce qui concerne les activités pour le développement d’organisations: DVV International aide souvent des organisations à se créer des réseaux. Il est cependant très difficile, voire impossible, de prouver que ce réseautage a un impact positif. Dans ce domaine, d’autres influences sont si nombreuses à entrer en jeu que leurs effets ne peuvent pas être dissociés de ceux du projet: si le projet se déroule par exemple dans un pays où le gouvernement fait obstacle à la société civile, la création d’un réseau devient nettement plus difficile et se dégrade sans que l’on puisse en tirer des conclusions sur la qualité du concept. Comment doit-on et peut-on évaluer l’impact d’un projet par rapport aux conditions dans lesquelles il se déroule?
Bien que tous les domaines de l’éducation des adultes ne soient pas concernés, il est possible de procéder à un coût raisonnable dans certains d’entre eux, comme dans le cas des programmes d’alphabétisation par exemple, à une quantification des réussites, et il faudra le faire plus régulièrement à l’avenir que par le passé. La tendance, qui part d’un bon sentiment, à ne pas généralement mesurer les acquis parce que les ressources financières nécessaires à cela sont prélevées au détriment de l’offre supplémentaire de programmes d’alphabétisation ne sert pas notre cause. D’une part, mesurer les acquis est un outil primordial de suivi pour garantir la qualité d’une offre éducative et, le cas échéant, pouvoir redresser le cap, et d’autre part, on ne peut examiner plus en profondeur l’utilité du savoir acquis que si l’on connaît le niveau d’apprentissage atteint. Dans le cas des programmes d’alphabétisation, on devrait en particulier dresser un état des lieux et mener des études d’impact pour voir si, et dans quelle mesure, la situation des gens a changé après leur alphabétisation et si d’autres mesures d’approfondissement de ces acquis de base ont suivi. Un tel examen de l’utilité des programmes d’alphabétisation exige toutefois un effort financier nettement plus important que pour la simple mesure des acquis, et nombre de programmes de développement ne le prévoient pas. Dans les projets de développement d’une durée inférieure à trois ans, la conception du projet rend la réalisation d’études d’impact impossible du fait que le laps de temps entre le démarrage du projet et l’émergence d’une éventuelle utilité est plus long. Dans les programmes d’éducation des adultes de longue durée, menés grâce à des financements publics, DVV International emploie jusqu’à 5 % du volume opérationnel du projet pour procéder à des évaluations externes5 qui ne livrent toutefois pas toujours des informations suffisantes concernant les acquis. Ce déficit général des évaluations externes constaté ces dernières années doit être compensé par une consolidation renforcée du suivi interne des projets qui comprend un contrôle des résultats.
Exemple au macroniveau
DVV International a aidé le gouvernement éthiopien, qui s’est fixé pour objectif de réduire le taux d’analphabétisme, à développer un plan national d’éducation. Mais comment peut-on vérifier si ce programme-cadre produit bien l’effet positif souhaité? L’absence de causalité visible devient ici souvent un obstacle insurmontable, car même si l’on impose un curriculum, il peut arriver que des conditions néfastes – qu’il s’agisse de l’insuffisance de la formation des alphabétiseurs, une sécheresse ou autres conditions négatives – suffisent pour réduire à néant tout effet positif.
L’éducation des adultes dans la coopération au développement ne se résume cependant pas à l’éducation de base. Dvv international organise aussi dans plus de trente pays des programmes d’éducation destinés aux jeunes et aux adultes avec les objectifs suivants: travail de mémoire, qualification professionnelle, éducation sanitaire et éducation pour le développement durable. Dans ces domaines d’activité, on peut également démontrer l’utilité des programmes éducatifs, même si les acquis ne sont pas toujours aussi simples à déterminer que dans le cas des cours d’alphabétisation. L’utilité des activités de formation professionnelle en Asie centrale s’illustre par exemple dans le fait qu’une fois les formations qualifiantes achevées, 52 % des participants ont trouvé un emploi ou réussi à accroître leurs revenus. Cet indicateur n’est toutefois pas une preuve de l’efficacité de cette mesure d’éducation, car l’influence au moins aussi importante des conditions-cadres macroéconomique du résultat réjouissant de cet indicateur n’est pas quantifiable, ce qui rend la causalité de nouveau en grande partie incomplètement visible .
Mesurer l’efficacité des programmes d’éducation des adultes dans la coopération au développement n’est pas possible sérieusement du fait de la causalité incomplètement visible de leurs résultats et des effets de développement recherchés (réduction de la pauvreté) au niveau de la société toute entière. Dans le propre intérêt de l’éducation des adultes, afin d’obtenir des informations dans le cadre du suivi et de l’évaluation des résultats éducatifs des différents programmes, le relevé de ces résultats doit être intensifié par rapport au passé pour garantir la qualité des processus éducatifs et pouvoir encore mieux présenter la capacité productive de l’éducation des adultes dans la coopération au développement. Dvv international se consacre à la quantification des effets de l’éducation et tente aussi par le biais d’un échange avec d’autres organisations et avec le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) d’améliorer constamment les méthodes de suivi et d’évaluation. Mesurer les effets de l’éducation ne doit pas devenir une fin en soi mais doit être employé comme un instrument économique pour contribuer à faire évoluer les programmes d’éducation visant à lutter contre la pauvreté.
Mise en balle de la fibre de coir
Source: Maria Angela dlC. Villalba
Minotage durant la récolte
Source: Maria Angela dlC. Villalba
Matinao Centre de riz
Source: Maria Angela dlC. Villalba
1 Les débats menés dans le cadre de la coopération au développement au sujet des effets, en l’occurrence ici au sujet des processus d’alphabétisation, ont recours au vocabulaire suivant: Intrant: ressource mise à disposition comme, par exemple, les finances, les infrastructures, le personnel. Extrant: résultat obtenu grâce à l’usage de l’intrant, par exemple des individus en mesure de lire, d’écrire et de compter grâce à l’alphabétisation. Résultat/aboutissement: les individus utilisent leurs acquis et améliorent ainsi leurs conditions de vie, par exemple grâce au fait qu’ils sont capables de lire les étiquettes de prix et de calculer les prix de vente de produits. Impact: l’effet à long terme pour la société et l’individu grâce à l’utilisation des acquis. Exemple: on achète des marchandises à meilleur prix et l’argent économisé sur les revenus du foyer permet de faire l’achat de semences ou de mieux subvenir aux besoins de la famille.
2 PIAAC: Programme international d’évaluation des compétences des adultes.
3 PISA: Programme international pour le suivi des acquis des élèves.
4 Cf., entre autres, Eric Hanushek, Ludger Wößmann: The Economic Benefit of Educational Reform in the European Union; dans Economic Policy, juillet 2011.
5 Cf. www.dvv-international.de/index.php