De gauche à droite:
Phyllis In’utu
Sumbwa University of Zambia
Wanga Weluzani
Chakanika University of Zambia
Résumé – L’étude intitulée « Facteurs entraînant la faible participation des hommes aux programmes d’alphabétisation dans le district de Namwala » a pour but d’examiner les raisons pour lesquelles les hommes ne participent pas aux mesures d’alphabétisation pour adultes. On cite entre autres la timidité, le sentiment d’être trop âgé pour apprendre, ou encore l’impression de perdre son temps. L’étude recommande d’une part, au gouvernement, de mettre en place une infrastructure spécialement consacrée aux programmes d’alphabétisation pour adultes ; d’autre part, aux prestataires, de faire comprendre aux membres de la communauté les avantages que représenterait le fait de participer à ces programmes.
La plupart des pays d’Afrique australe sont confrontés au défi suivant : comment gérer les taux croissants d’analphabétisme, plus spécialement chez les adultes ? L’éducation des adultes est certes reconnue comme un puissant outil de développement durable, mais il est néanmoins impératif de mettre en place des politiques spécifiques et volontaristes si l’on veut garantir son efficience (Caffarella 2001). Dans la majorité des pays africains, la politique est cependant considérée comme insignifiante dans la lutte contre l’analphabétisme des adultes. Prenons le cas de la Zambie par exemple, qui s’est efforcée de mettre en place une politique en matière d’éducation des adultes depuis l’indépendance, en 1964. À ce jour, il n’existe toujours aucune politique dans ce sens. L’éducation des adultes est dictée par différents documents politiques, à savoir « Politique nationale en matière de développement communautaire, Éduquer notre avenir, Politique nationale en faveur de la jeunesse, Politique agricole nationale, Politique nationale en matière d’égalité des sexes, Politique nationale en matière d’emploi et de marché du travail » (MoE 2008). Les approches sont plus qu’aléatoires vu que les prestataires de formations pour adultes n’ont aucun document d’orientation à leur disposition.
La Zambie ne poursuit pas non plus de politique claire en matière d’éducation non formelle (Mumba 2000). Malgré la multitude de prestataires de programmes d’alphabétisation pour adultes (y compris les ministères gouvernementaux, les organisations parapubliques, les orga- nisations ecclésiastiques et les organisations non gouvernementales), l’absence de système de référence rend plus difficile la coordination et le contrôle du secteur. Après la « Conférence internationale sur l’Éducation pour tous » de Jomtien en 1990, la Zambie a organisé une conférence nationale qui a affirmé le besoin de renforcer l’engagement politique en faveur de l’éducation en tant que droit humain. Le fait qu’aucune politique n’ait été mise en place jusqu’à aujourd’hui est la preuve d’un manque de volonté politique.
De plus, le financement des programmes d’alphabétisation des adultes en Zambie et dans le monde entier est généralement inadéquat, insuffisant et mal coordonné (Aitchison & Hassana 2009). En Zambie, les programmes d’éducation des adultes ne sont pas financés en tant que programmes autonomes mais dans le cadre de l’enseignement général.
La situation s’est aggravée après le transfert des activités d’alphabétisation des adultes, qui relevaient jadis du ministère du Développement communautaire, et de la Santé de la Mère et de l’Enfant qui leur prêtait plus d’attention, au ministère de l’Éducation (MoE 2010). Ce dernier, plus concentré sur l’éducation des enfants et des jeunes, n’a fourni ni le soutien, ni les fonds nécessaires à l’éducation des adultes. Le financement de ce secteur demande clairement d’investir dans le renforcement des capacités et d’avoir suffisamment de personnel professionnel et qualifié qui s’intéresse à ce genre de programmes (Aitchison & Hassana 2009). Le volume insuffisant du financement des programmes d’alphabétisation des adultes menace leur durabilité. En 2010, la majorité des pays africains ont dépensé, pour l’éducation des adultes, 0,3 % à 0,5 % du budget alloué à l’éducation. En Zambie, 0,2 % du budget total alloué à l’éducation a servi à financer des activités d’éducation des adultes.
Le fait que les programmes d’alphabétisation des adultes soient conçus pour les femmes pose un autre problème. Ceci est dû au fait qu’il y a plus de femmes illettrées que d’hommes. La plupart des formations sont par conséquent axées sur les besoins de ces femmes.
Namwala est un district rural de la Province Sud de la Zambie. Il a des frontières communes avec quatre autres districts : Monze au sud-est, Choma au sud, Kalomo et Itezhi-tezhi au nord-ouest. Il a une superficie de 10 000 km². Selon le recensement de 2002, la population est d’environ 83 000 habitants (49 % d’hommes, 51 % de femmes), la majorité vivant dans les grandes zones de peuplement (CSO 2003). La plus grande partie du district est occupée par des plaines utilisées en tant que pâturages (Namwala District Development Plan 2006-2010). L’étude englobe 200 personnes. Certaines d’entre elles ont été choisies en raison de leur rôle officiel dans les programmes d’alphabétisation pour adultes (le commissionnaire du district par exemple), d’autres sont des personnes qui ont participé ou non à des programmes d’alphabétisation.
L’étude identifie plusieurs raisons pour lesquelles les hommes ne suivent pas les cours d’alphabétisation pour adultes. Premièrement, on a constaté que le niveau d’alphabétisation dans le district de Namwala est généralement bien en deçà de la moyenne, principalement en raison du manque d’engagement de la part du gouvernement pour pallier l’analphabétisme. Mais le vrai problème est autre part. Les principaux motifs ont un lien avec la culture et la tradition. On attend des hommes qu’ils se débrouillent seuls et prennent soin de leurs familles ; participer à un cours d’alphabétisation n’est pas une priorité, et ils consacrent le plus clair de leur temps à des activités génératrices de revenus. Par conséquent, même les jeunes garçons sont retirés de l’école très tôt (dès le primaire) de façon à ce que les hommes plus âgés puissent les préparer à la vie adulte. Deuxièmement, dans le district, l’homme tire sa fierté du nombre de têtes de bétail qu’il possède et, s’il est marié, du nombre de femmes et d’enfants. Les hommes travaillent donc sans relâche dans le but de posséder autant de têtes de bétail possible pour se marier et avoir autant d’enfants qu’ils le désirent. Acquérir et posséder tout ce qui précède était et est toujours considéré comme une preuve de richesse.
Les leaders traditionnels jouent également un rôle dans la mesure où ils dissuadent les hommes de participer aux programmes d’alphabétisation. Étant encore fortement attachés aux croyances et aux pratiques traditionnelles et archaïques, ils encouragent leurs sujets à se marier tôt et à suivre des pratiques qui ne donnent pas la priorité à l’éducation ni à l’alphabétisation des adultes. On recommandera par conséquent d’inciter ces leaders à abandonner leurs pratiques archaïques, dont certaines ne sont certainement plus adaptées aux nouvelles générations. On peut proposer d’autres solutions, qui pourront de surcroît contribuer au développement de leurs chefferies. Les cérémonies traditionnelles comme le « Shimunenga », dans la région du Maala, sont également citées comme des obstacles majeurs. Le Shimunenga consiste à mettre en valeur le nombre de têtes de bétail que possède un homme. Les hommes passent par conséquent la majeure partie de l’année à préparer ces cérémonies et n’ont pas le temps de s’intéresser aux programmes d’alphabétisation.
La fierté des hommes Ilas réside dans la taille de leur cheptel. Une fois le nombre de têtes de bétail nécessaire atteint, un homme peut épouser autant de femmes qu'il souhaite, ce qui lui vaut le respect de la société qui le considère comme étant riche. La photo montre un homme lla avec ses cinq épouses.
Alors, pourquoi certains hommes s’inscrivent tout de même à des programmes d’alphabétisation pour adultes ? Tout simplement pour apprendre à lire et à écrire. Ils estiment que cela leur ouvrira des portes, par exemple décrocher un emploi, savoir écrire des lettres et remplir des documents importants, à la banque par exemple. Certains pensent que le fait de savoir lire et écrire leur permettra de mieux gérer leur ferme et leur cheptel et partant, de mieux vivre.
Dans le district de Namwala, on propose d’une part des programmes d’alphabétisation de base, d’autre part des programmes d’alphabétisation fonctionnelle. Dans les cours d’alphabétisation de base, les participants apprécient le fait de savoir lire, écrire et même faire des calculs arithmétiques simples. L’alphabétisation fonctionnelle, quant à elle, leur permet d’adapter l’environnement à leurs besoins.
L’alphabétisation de base
Les programmes d’alphabétisation de base permettent aux adultes qui n’ont peut-être pas eu accès à l’éducation formelle de pouvoir comprendre les problèmes de leur environnement immédiat. Ils les sensibilisent également à leurs droits et à leurs devoirs en tant que citoyens et individus. Kleis (1974) note que les participants à ces types de formations sont capables de contribuer plus efficacement au progrès social et économique de leur communauté. L’alphabétisation de base fournit une plateforme qui permet aux apprenants adultes d’acquérir le minimum indispensable de connaissances et de compétences pour avoir un niveau de vie correct.
L’alphabétisation fonctionnelle
L’alphabétisation fonctionnelle combine la lecture, l’écriture, l’arithmétique simple et les compétences professionnelles de base ayant un rapport direct avec les besoins professionnels des participants. Les compétences acquises dans les cours d’alphabétisation fonctionnelle sont considérées comme vitales. Burnet (1965) affirme lui aussi que s’alphabétiser, ce n’est pas simplement savoir lire et écrire : c’est aussi savoir appliquer les compétences acquises de façon à améliorer sa qualité de vie. Tout ceci n’est cependant considéré que d’un point de vue économique. Les participants n’apprennent que pour devenir plus efficients et plus productifs. Ils n’ont aucune chance d’influencer le processus d’apprentissage. Le type d’alphabétisation fonctionnelle actuellement proposé ne fait que renforcer l’oppression, dans la mesure où les participants n’ont aucune chance de se développer de manière durable. Les compétences acquises permettent uniquement de réaliser les activités demandées par la société.
Freire (1974) propose un type d’« alphabétisation fonctionnelle » qui libère les apprenants de la culture du silence et les affranchit afin qu’ils puissent atteindre leur plein potentiel. L’idéal est donc de traiter les apprenants non comme des objets mais comme des sujets capables de travailler pour changer leur réalité sociale (Grabowski 1994).
Autrement dit, ces individus sont capables d’adapter leur environnement à leurs besoins. Dans le district, les contenus d’enseignement sont variés ; ils vont de la gestion agricole à la gestion commerciale. Les gens apprennent le briquetage, la charpenterie et la menuiserie, mais aussi le jardinage. Ces programmes d’alphabétisation fonctionnelle sont offerts à un groupe représentatif d’hommes d’âges divers.
Bien que les hommes soient difficiles à atteindre, un flux lent mais croissant de participants masculins est venu aux cours, notamment en alphabétisation fonctionnelle. D’une part, les programmes d’alphabétisation fonctionnelle donnent l’espoir de mieux vivre. Ces hommes estiment qu’un être alphabétisé est capable d’améliorer sa santé, son hygiène, sa production et même la gestion du ménage. D’autre part, l’étude révèle que les hommes considèrent ces programmes comme un moyen moderne de comprendre leur environnement et de s’adapter à ses exigences.
Près de 92 % des personnes interrogées déclarent que leurs conditions de vie se sont améliorées grâce aux compétences acquises dans le cadre des programmes d’alphabétisation pour adultes.
L’étude fait remarquer qu’une personne alphabétisée est capable de faire valoir ses droits civiques et de remplir ses devoirs du fait qu’elle connaît et respecte les règles, qu’elle discute au sein de groupes, s’emploie à améliorer la vie locale et vote sans l’aide de personne. Elle est en mesure de satisfaire ses besoins religieux du simple fait qu’elle lit les livres sacrés et participe à diverses activités religieuses. Ces idées sont également présentes dans les discussions avec les groupes cibles, où les participants affirment que lorsqu’une personne est alphabétisée, elle peut lire la Bible et remplir des fonctions de dirigeant dans sa propre communauté ou les communautés chrétiennes.
King et O’Driscoll (2002) affirment que plus les adultes savent lire et écrire, mieux ils comprennent leur environnement. Les jugements sont plus perspicaces, les attitudes plus rationnelles et les modes de comportement plus élaborés. Nous pouvons donc constater une légère croissance de la participation masculine aux programmes d’alphabétisation pour adultes, comparé à la situation il y a dix ans où ces programmes étaient considérés comme une pure affaire de femmes.
D’un autre côté, il y a encore une myriade de raisons pour lesquelles les hommes du district de Namwala ne viennent pas aux cours d’alphabétisation. Les principales étant la perception, les idées et les attitudes de l’individu envers lui-même et toute activité d’apprentissage. Pour diverses raisons, il est généralement très difficile d’inciter les hommes à entrer dans un environnement d’apprentissage structuré.
Les personnes interrogées affirment que le fait de participer ou non à un programme d’alphabétisation dépend de la confiance et de l’intérêt manifestés par l’individu ; le manque de confiance en soi et la faible estime de soi sont des obstacles majeurs.
L’étude montre que les hommes n’osent pas participer aux programmes d’alphabétisation parce qu’ils veulent protéger leur ego. De plus, l’environnement physique, les pratiques administratives et pédagogiques en matière d’éducation et de formation ne sont adaptés ni à leur âge ni à leur statut social.
Les situations de la vie courante constituent une barrière supplémentaire. Les hommes interrogés font remarquer qu’ils sont généralement trop occupés autre part et qu’ils n’ont aucune raison de participer à des programmes d’alphabétisation vu qu’on attend d’eux qu’ils pourvoient aux besoins de leurs familles.
Le manque de possibilités offertes après avoir participé à un programme d’alphabétisation est également signalé comme étant un argument dissuasif. Par contre, le fait de disposer d’informations et d’orientations claires et précises qui leur permettraient de choisir le programme approprié est considéré comme un facteur encourageant. Autrement dit, les hommes veulent connaître dès le départ les opportunités qui vont s’ouvrir à eux une fois le cours terminé.
En ce qui concerne les compétences des animateurs, l’étude constate que les méthodes utilisées sont généralement appréciées par les apprenants. Les résultats montrent que les animateurs savent gérer les programmes. La majorité d’entre eux ont une formation adéquate. Les animateurs n’acceptent généralement ce rôle que s’ils ont été choisis par la communauté. Leur travail est néanmoins entravé par le manque d’infrastructures développées, d’aides pédagogiques et de fonds.
L’étude analyse les facteurs qui empêchent les hommes de participer aux programmes d’alphabétisation pour adultes, mais aussi ceux qui les y encouragent. Elle relève un certain nombre de programmes qui aident les gens à améliorer leur niveau de connaissances en matière de gestion de la vie.
L’étude fait par conséquent les recommandations suivantes :
Références
Aitchison, J. and Hassana, A. (2009) : The State and Development of Adult Learning and Education in Sub-Saharan Africa. UNESCO.
Burnet, M. (1965) : A B C of Literacy. Paris : UNICEF.
Caffarella, R. S. (2001) : Planning Programmes for Adult Learners : A Practical Guide for Educators, Trainers and Staff Developers (2e édition). Californie : Jossey-Bass
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Chakanika, W. W. et Sumbwa, P. I. (sous presse) : Factors Leading to Low Levels of Participation in Adult Literacy Programmes Among Men in Namwala District. Lusaka : University of Zambia.
Corridan, M. (2002) : Moving from the Margins: A Study of Male Participation in Adult Literacy Education. Dublin : Adult Learning Centre.
Dale, E. (1965) : Is there a substitute for reading? Newsletter, vol. X, avril 1945. Bureau of Educational Research : Ohio State University.
Freire, P. (1974) : Education for critical consciousness. Londres : Sheed and Ward Ltd.
Giroux, H. (1989) : Schooling for Democracy: Critical Pedagogy in the Modern Age. Londres : Routledge.
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Grain, S. et al (1988) : Educational Equity and Transformation. Dordrecht : Kluwer Academic Publishers.
King, L. and O’Driscoll, B. (2002) : Gender and Learning: A Study of the Learning Styles of Women and Men in the Implications for further Education and Training. Shannon Curriculum Development Centre.
Kleis, R. (1974) : Programme of Studies in Non-Formal Education: Study Team Reports. Washington D.C. : Institute for International Studies in Education.
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Mumba, E. (2000) : Curriculum for Basic Non-Formal Education. Ministry of Community Development and Social Services.
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Disponible sur http://bit.ly/1ebU8gK
UNESCO et PNUD (1976) : Programme expérimental mondial d’alphabétisation : évaluation critique. Paris : UNESCO
Phyllis In’utu Sumbwa est originaire de Zambie et âgée de 34 ans. Ses premiers contacts avec le secteur de l’éducation des adultes remontent à 2005, date à laquelle elle a entrepris ses études en éducation des adultes. Elle a très vite obtenu son diplôme en éducation des adultes, sa licence et son master dans la même filière respectivement en 2007, 2009 et 2013. Depuis 2010, elle est professeur titulaire en perfectionnement du personnel au département d’éducation des adultes et de vulgarisation à l’école d’éducation de l’université de Zambie. C’est en cette qualité qu’elle a dirigé plusieurs tutoriels en éducation des adultes, notamment Méthodes de recherche en éducation des adultes, Approches participatives du développement et Évaluation des programmes d’éducation des adultes, pour n’en citer que quelquesuns. Son domaine de spécialisation est l’alphabétisation des adultes.
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Wanga Weluzani Chakanika est maître de conférences au département d’éducation des adultes et de vulgarisation à l’école d’éducation de l’université de Zambie. Actuellement, il enseigne et supervise les travaux en alphabétisation aux niveaux du premier cycle et du troisième cycle. Il a également fait des recherches et publié des articles sur l’éducation des adultes. De 1995 à 1999, il a été président national de l’Association d’éducation des adultes de Zambie. Sous sa présidence, l’association s’est consacrée, entre autres, à la réalisation de recherches dans divers domaines de l’éducation des adultes.
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