L’idée de rédiger une Déclaration latino-américaine sur l’éducation pour tous émane d’un petit groupe d’éducateurs et de chercheurs latino-américains. Une première ébauche du document a été réalisée par Pablo Latapí (Mexique), Sylvia Schmelkes (Mexique) et Rosa María Torres (Équateur), et adressée à environ 200 personnes quelques jours avant le Forum. Il a été adopté et présenté par la délégation officielle de l’Équateur à la dernière séance plénière. À ce jour, il est déjà signé par plus d’un millier de personnes. Les signataires sont originaires de pays, secteurs et institutions multiples: gouvernements, partis politiques, universités et centres de recherche, enseignement scolaire public et privé, ONG, syndicats d’enseignants, associations d’étudiants, organisations populaires et autochtones, mass médias, églises, entreprises privées et organismes internationaux. La Déclaration latino-américaine continue de circuler, tant sur le continent qu’à l’étranger, et la liste des signataires s’allonge. Si vous êtes intéressé, vous pouvez transmettre votre message à pronunciamiento@fibertel.com.ar.
La situation de l’éducation de base dans notre région et dans le monde nous a amenés à proposer quelques rectifications qui se réfèrent certes directement à l’Amérique latine, mais pourraient être également intéressantes pour d’autres régions ayant des préoccupations identiques.
a) Les politiques de développement dans le domaine éducatif devraient être guidées par des valeurs humaines fondamentales et veiller à ce que l’éducation contribue à l’épanouissement des individus et des sociétés. Les indicateurs utilisés pour évaluer les progrès dans le domaine de l’éducation, centrés la plupart du temps sur la couverture et l’efficience des systèmes scolaires, ne disent mot sur la contribution de l’éducation à ces valeurs fondamentales: épanouissement global des apprenants, sensibilisation, exercice responsable de sa liberté, capacité de rencontre d’autrui avec respect. Ils ne nous apprennent pas non plus si ces systèmes d’éducation satisfont aux besoins de base de la majorité de la population ou si ces réponses sont adéquates et significatives pour elle.
b) Les décideurs devraient être guidés par des considérations éthiques. Les systèmes d’éducation ne sont pas seulement au service de l’économie, de la consommation ou du progrès matériel, mais doivent contribuer à développer la plénitude des potentialités humaines. En particulier, les avancées dans le domaine du savoir qui caractérisent l’entrée de l’humanité dans le troisième millénaire et qui ont un fort impact sur les systèmes d’éducation, doivent s’inscrire dans ce contexte de globalité et de responsabilité.
c) Nous ne sommes absolument pas satisfaits de ce qui a été fait pour parvenir à une plus grande équité dans le domaine des chances d’accès à l’éducation, de sa durée et de sa sanction, du passage à d’autres niveaux d’éducation et surtout, dans le domaine de l’apprentissage. Là où il y a davantage d’équité, celle-ci est uniquement le résultat de la tendance à universaliser un niveau d’éducation donné, à savoir le primaire. Mais cela ne signifie pas une équité accrue en termes de résultats d’apprentissage, ce qui est l’aune véritable des politiques éducatives guidées par l’idée de justice sociale. L’emploi croissant des technologies de l’information et de la communication dans le champ de l’éducation menacent même de produire des inégalités plus profondes et plus sérieuses si on continue d’étendre l’éducation de base en vertu des mêmes critères que ceux utilisés par le passé. Il faut absolument affronter le problème d’une autre manière. La société et les gouvernements, mais plus ces derniers, doivent allouer les ressources et consentir les efforts nécessaires pour améliorer la qualité des services éducatifs offerts aux couches défavorisées dans le milieu rural et urbain, aux populations autochtones, et plus généralement à tous ceux qui sont exclus des bienfaits de l’éducation de base. Si on ne parvient pas à offrir une meilleure éducation à ceux qui en ont le plus besoin et à assurer l’égalité des hommes et des femmes devant l’éducation, il sera difficile de progresser vers l’équité en matière d’éducation. Sans équité en matière d’éducation, on n’avancera pas sur la voie de la justice sociale.
d) Compte tenu de la diversité culturelle qui caractérise les peuples d’Amérique latine, la qualité en matière d’éducation implique de reconnaître la nécessité de diversifier l’offre éducative afin non seulement d’assurer le respect des différentes cultures, mais aussi leur affermissement. Chaque groupe peut apporter une contribution culturelle à l’éducation de tous. Les gouvernements et les sociétés doivent veiller à ce que la diversification des services d’éducation de base offerts aux groupes culturels minoritaires ne soient pas prétexte à leur proposer une offre de moindre qualité du fait qu’ils sont moins en mesure d’exiger des niveaux de qualité et de résultats adéquats.
e) Il faut retrouver l’esprit originel de l’éducation pour tous, à savoir une «approche globale de l’éducation de base»: une éducation à même de satisfaire les besoins d’apprentissage de tous (enfants, jeunes et adultes) au sein et en dehors du système scolaire (famille, communauté, lieu de travail, bibliothèques et centres culturels, moyens de communication, technologies modernes, etc.) et tout au long de la vie. Il est indispensable de revenir, dans le domaine de l’éducation et de la politique éducative, à une approchemultisectorielle, étant entendu que les problèmes ne s’expliquent ni ne pourront être résolus uniquement au sein du secteur éducatif, mais par une politique économique et sociale soucieuse du bien-être de la majorité de la population; seule une vision globale de l’éducation sera en mesure de surmonter la vision étroite et morcelée par âge, niveau, éléments ou modalités. Une vision à long terme de la politique éducative, remplaçant les décisions polarisées sur le court terme, souvent imposées par les logiques politiques et financières internationales. L’accent mis sur l’éducation primaire durant les années 90, toute importante qu’elle soit, a conduit à négliger les problèmes de l’éducation secondaire et supérieure et à pratiquement abandonner l’éducation et la formation des jeunes et des adultes.
a) Dans le contexte actuel de globalisation, nous souhaitons préserver les valeurs qui sont essentielles à notre identité latino-américaine.
b) Nous estimons nécessaire que la société ne participe pas seulement à la mise en œuvre des politiques et programmes d’éducation, mais qu’elle soit aussi associée à leur formulation et à leur discussion. L’éducation est une affaire publique et doit donc intégrer tous ses acteurs et attirer leur participation responsable. Ceci est particulièrement important et nécessaire dans le cas des enseignants, qui sont les acteurs clés dans le domaine de l’éducation et des réformes éducatives. Il ne suffit pas de proclamer la nécessité de la participation et de s’y déclarer favorable; il faut définir et aménager des temps et des espaces et il faut mettre en place des critères et des mécanismes pour que ladite participation devienne un élément naturel des processus éducatifs: du niveau local au niveau global, depuis l’école jusqu’aux ministères et aux instances intergouvernementales où l’éducation est définie et où les décisions relatives à l’éducation sont prises. C’est pourquoi, il est nécessaire d’affermir et de multiplier les initiatives intéressantes de participation des citoyens à l’éducation qui ont surgi ces dernières années dans divers pays de notre région.
c) Nous appelons nos gouvernements et nos sociétés ainsi que les agences internationales de coopération à redoubler d’efforts en faveur de l’équité en privilégiant les couches sociales les plus marginalisées et en articulant des programmes d’éducation au sein de politiques plus larges visant à améliorer l’équité économique et sociale.
d) Nous plaidons en faveur de la préservation de la diversité culturelle et éducationnelle aux niveaux régional, national et local et nous nous insurgeons contre un processus de globalisation uniformisateur et hégémonique.
e) Nous requérons des organisations internationales qu’elles révisent leur rôle dans la définition des politiques éducatives et leur mise en œuvre au niveau régional et national. Nous sommes préoccupés par le rôle croissant que jouent ces organisations, en particulier les organismes financiers multilatéraux, en tant que décideurs et acteurs non seulement dans le domaine financier mais aussi dans celui de l’assistance technique, de la recherche, du pilotage et de l’évaluation des politiques et des programmes d’éducation dans notre région. Nous sommes préoccupés par la «pensée unique» qui s’est installée dans l’éducation ces dernières années, laquelle se caractérise par un économisme forcené et par la prépondérance de l’aspect administratif dans la réforme éducative. La nécessité de réviser le modèle traditionnel de coopération internationale, spécialement dans le champ de l’éducation, est reconnue par les scientifiques et spécialistes du monde entier et même par les agences internationales elles-mêmes. Le rôle des organisations internationales est d’impulser, de fournir, de financer, de communiquer et de catalyser.
f) Nous appelons nos gouvernements et nos sociétés à reprendre l’initiative et la direction dans la définition et la conduite des affaires éducatives, de développer une masse critique de professionnels et de spécialistes de haute qualité et d’affermir une citoyenneté informée apte à participer de manière significative au débat et à l’action éducatifs. Après une période de forte uniformisation de la politique éducative et de simplification des processus éducatifs, il est indispensable de retrouver la capacité de penser et d’agir sur la base du savoir accumulé et des spécificités de chaque contexte national et local.
Nous invitons la communauté éducative internationale, et en particulier les participants au Forum de Dakar, à examiner ces réflexions que nous partageons fraternellement.