Rosa María Torres

Rosa María Torres, qui a participé au sommet de Dakar, fait le bilan des progrès réalisés depuis la conférence mondiale sur «L’éducation pour tous» de Jomtien, en 1990. Depuis, de nombreuses rencontres ont eu lieu, de multiples initiatives ont été créées. Qu’est-ce qui a changé depuis? Qu’a-t-on atteint? Qu’est-il advenu de la «vision élargie de l’éducation de base» dont les grandes lignes ont été définies à Jomtien ? Nous publions ci-dessous quelques extraits du livre de Rosa María Torres «One Decade of Education for All: The Challence ahead», dont la première publication en anglais a été réalisée cette année par l’IIEP de l’UNESCO à Buenos Aires. Rosa María Torres, spécialiste en éducation de base, a déjà écrit plusieurs articles pour notre revue et travaille actuellement en Argentine comme conseillère internationale indépendante pour l’éducation, auprès des gouvernements, des organismes internationaux, des ONG et des organisations d’enseignants. Elle est l’auteur de nombreux livres et articles sur l’éducation de base et la formation des enseignants.

Une décennie d’éducation pour tous – les enjeux

L’éducation pour tous: une peau de chagrin

Malheureusement, mais c’était à prévoir, les lectures de l’EPT qui ont prévalu et qui se sont traduites dans les politiques et les programmes des années 1990 se réclament davantage d’une tradition de conservation et de correction que de la «refondation» et de la transformation qui constituent un défi. 

Comme le temps passait vite et que l’opinion nationale et internationale la pressait de présenter des résultats dans les délais imposés, l’éducation pour tous a été encline à adopter une approche minimaliste et à favoriser les solutions aisées et à court terme, la quantité au lieu de la qualité. La «vision élargie» de l’éducation de base, avec ses objectifs ambitieux d’une éducation de qualité pour tous, s’est «amenuisée» à de nombreux égards (voir tableau 4). En d’autres termes, *a Çvision élargie» de l’éducation de basequi est aussi une vision élargie et novatrice de l’éducation en général – n’a pas (encore) été mise en pratique.

Tableau 1: Éducation pour tous

Proposition Réponse
1. Éducation pour tous 1. Éducation pour les enfants (les plus pauvres d’entre les pauvres)
2. Éducation de base 2. Éducation scolaire (primaire)
3. Universaliser l’éducation de base 3. Universaliser l’accès à l’éducation de base
4. Besoins de base de l’apprentissage 4. Besoins d’apprentissage minimums
5. Se concentrer sur l’apprentissage 5. Améliorer et évaluer le rendement scolaire
6. Élargir la vision de l’éducation de base 6. Accroître la durée (nombre d’années) de la scolarité obligatoire
7. Éducation de base comme fondement de l’apprentissage tout au long de la vie 7. Éducation de base comme fin en soi
8. Améliorer les conditions d’apprentissage 8. Améliorer les conditions internes de l’institution scolaire
9. Tous les pays 9. Les pays en développement
10. Responsabilité des pays (gouvernements et organisations non gouvernementales) 10. Responsabilité des pays

 

La liste des 18 indicateurs définis et sélectionnés pour évaluer une décennie d’éducation pour tous reflète la «rétrogradation» qu’elle a subie, tant en termes d’approches que d’attentes.

  • Les indicateurs éducationnels/scolaires traditionnels prédominent; l’accent est mis sur l’accès à l’école primaire et la scolarisation, tandis que les éléments clés de l’EPT non liés au système scolaire sont exclus (p. ex. le rôle éducatif de la famille et des moyens de communication, l’importance d’une stratégie d’information et d’éducation publiques axée sur la solution des besoins éducatifs de base de la population, etc.).
  • Les indicateurs se réfèrent uniquement au secteur éducatif, qui est pris isolément. L’EPT insistait sur la nécessité d’une approche intersectorielle et de politiques d’appui (santé, nutrition, emploi, etc.) pour améliorer les conditions et l’environnement d’apprentissage des enfants d’âge scolaire, de leurs familles et de la population en général.
  • La période durant laquelle de nombreux indicateurs sont mesurés (comme les taux d’abandon et l’apprentissage en soi) couvre généralement les quatre premières années d’école primaire et non l’ensemble du premier degré. L’EPT avait une vision de l’éducation de base qui n’était pas restreinte au système scolaire ou à un nombre spécifique d’années d’études, mais recommandait au moins huit ou neuf ans d’exposition à une éducation systématique.
  • Les indicateurs se référant à l’éducation des jeunes et des adultes sont toujours polarisés sur l’alphabétisation (définie dans les termes traditionnels du savoir lire et écrire), et non sur l’éducation de base des jeunes et des adultes au sens large (satisfaction des besoins éducatifs de base).
  • La situation et la qualité de l’enseignement sont mesurées par deux indicateurs, tous deux centrés sur les qualifications formelles.
  • Il n’existe qu’un seul indicateur pour l’apprentissage, l’axe prioritaire de Jomtien, et il est défini dans un sens extrêmement large – à savoir la maîtrise «d’un ensemble de compétences de base définies par les différents États».
  • L’ensemble des indicateurs se réfèrent à la manière dont les pays s’acquittent de leurs obligations. Aucun indicateur ne se réfère à la manière dont les institutions multinationales impliquées satisfont, elles, aux leurs. Il s’agit au fond d’une évaluation des pays menée par les institutions, mais il n’est pas question que les pays évaluent les institutions ou bien que celles-ci s’évaluent entre elles.

Tableau 2: Dix commandements à l’usages des bailleurs internationaux

  1. Faire de l’éducation et du développement des ressources humaines (DRH) une priorité majeure de l’aide internationale: une augmentation significative de l’investissement dans le secteur éducatif se justifie pleinement. Cependant la capacité d’absorption et les insuffisances possibles au niveau de l’exécution des programmes doivent être évaluées soigneusement pour chaque pays.
  2. Adopter une approche globale de DRH: l’aide externe ne doit pas causer des déséquilibres dans les systèmes éducatifs nationaux. Les bailleurs internationaux doivent s’assurer que les initiatives qu’ils prennent dans divers sous-secteurs et à différents niveaux sont cohérentes et se complètent les unes les autres.
  3. Promouvoir la coopération dans le respect des engagements mutuels et des politiques nationales de développement. Les pays destinataires de l’aide doivent avoir pris l’engagement de remplir les objectifs fixés. Les priorités et les objectifs nationaux devront être clairement définis.
  4. Étendre l’horizon temporel de la coopération internationale: on ne peut obtenir de résultats visibles d’un jour à l’autre. L’aide externe doit être conçue à long terme.
  5. Concentrer les efforts sur l’extension et l’amélioration des capacités institutionnelles des pays destinataires de l’aide: pour que le développement éducatif soit durable, l’appui externe doit se concentrer sur le développement des institutions nationales. La formation des ressources humaines à tous les niveaux du système éducatif a la priorité.
  6. Garantir le financement durable des programmes de DRH. Tout comme l’engagement financier de chaque pays est essentiel, l’engagement des bailleurs doit être durable lui aussi. L’innovation éducative requiert de longues périodes de maturation et de consolidation. Les bailleurs internationaux doivent coopérer dans la recherche de stratégies visant l’autofinancement durable des politiques d’éducation nationales.
  7. Appuyer certains secteurs stratégiques: les secteurs qui requièrent l’assistance internationale sont: a) les incitations (financières ou non) au personnel éducatif; b) l’appui et l’information des enseignants; c) l’amélioration des systèmes d’évaluation; d) le développement et la distribution de matériels pédagogiques; e) la remise en état et le plein usage des bâtiments et autres installations éducatifs; f) le développement de l’éducation à distance au niveau secondaire et supérieur et g) l’appui financier à la formation non formelle.
  8. Améliorer la machine administrative des pays concernés: les bailleurs et les pays bénéficiaires de l’aide doivent donner la priorité au développement et à l’affermissement des structures administratives éducatives en vigueur. Un volet d’amélioration de ces structures doit être intégré aux projets éducatifs.
  9. Promouvoir la coopération «Sud-Sud»: les bailleurs doivent appuyer la formation de réseaux et d’espaces d’échange entre les pays en développement devant leur permettre de se passer d’experts étrangers.
  10. Promouvoir la coordination entre les organismes internationaux: de nombreux programmes financés de l’extérieur auraient infiniment plus d’impact si l’on réussissait à surmonter les barrières nationales, régionales et mondiales qui subsistent entre les bailleurs. Les pays doivent pouvoir coordonner eux-mêmes l’aide des donneurs internationaux.

D’après J. Hallak, Investir dans l’avenir, Paris, UNESCO-IIEP, 1990

Le sens du changement éducatif

Un changement paradigmatique, pas (ou mieux qu’) une nouvelle mouture

«S’employer à répondre aux besoins éducatifs fondamentaux de tous ne saurait se réduire à réinvestir dans l’éducation fondamentale telle qu’elle existe actuellement. Une vision plus large s’impose, afin d’aller au-delà des moyens présentement mis en œuvre, des structures institutionnelles, des programmes d’enseignement et des systèmes classiques de formation, tout en s’appuyant sur ce qu’il y a de meilleur dans la pratique actuelle. L’accroissement quantitatif de l’information et la capacité de communication sans précédent avec laquelle il se conjugue engendrent aujourd’hui des possibilités inédites, dont nous devons tirer parti avec inventivité et avec la volonté de parvenir à une plus grande efficacité.» (Article 2: Élargir notre vision)

«L’UNESCO est convaincue qu’on ne pourra réaliser les objectifs de l’EPT en accroissant quantitativement ses moyens actuels. Elle requiert en effet un nouveau mode de pensée et de nouvelles approches. Mais les innovations nécessaires ne doivent pas être imposées du dehors. De nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ont déjà développé de leur propre initiative des innovations prometteuses et viables – ce qui prouve bien que la nécessité est mère de l’invention.»1

L’éducation pour tous, telle qu’elle a été définie en 1990, constitue un pas en avant dans la construction d’un nouveau paradigme pour l’éducation, pas seulement l’éducation de base ou l’éducation scolaire, mais l’ÉDUCATION prise comme un tout.

Le concept d’Éducation [de base] pour tous, défini à Jomtien, fournit le cadre qui permet de (Torres, 1993):

  • reformer l’unité dialectique entre l’enseignement et l’apprentissage et faire de l’apprentissage l’objectif fondamental de tout processus éducatif (dans un contexte axé traditionnellement sur l’enseignement et où l’apprentissage découle automatiquement de l’enseignement), ceci ouvrant la possibilité de repenser le modèle d’éducation en vigueur pour retrouver la valeur et le sens de l’apprentissage, non seulement pour des raisons pragmatiques mais aussi pour le plaisir d’apprendre;
  • donner une définition large de l’apprentissage et du savoir, intégrant le savoir et le savoir-faire (compétence);
  • restituer à l’apprenant son rôle central au sein des systèmes d’éducation et du processus pédagogique et réviser les visions et concepts de l’apprenant qui prévalent dans les systèmes et pratiques scolaires en vigueur;
  • prendre conscience que tous – enfants, jeunes et adultes – ont des besoins éducatifs qui doivent être satisfaits, soulignant ainsi l’importance de la dimension intergénérationnelle des savoirs et des apprentissages et ouvrant de nouvelles voies d’articulation de l’éducation formelle, non formelle et informelle;
  • replacer le savoir au cœur du processus éducatif (ce qu’on sait, ce qu’on enseigne et ce qu’on apprend) en lui donnant une définition large qui inclue le savoir élaboré (scientifique, scolaire) et le savoir commun (populaire);
  • réunir le contenu et la méthode (l’aspect pédagogique et les programmes) dans la théorie et la pratique éducatives;
  • revaloriser le sens théorique et pratique de la formation permanente et de l’apprendre comment apprendre en mettant l’accent sur l’apprentissage plutôt que sur l’éducation ou l’enseignement, l’apprentissage ne se limitant pas l’enseignement ou à la scolarisation; il commence dès la naissance et se poursuit la vie durant);
  • reconnaître la diversité, la relativité et le changement (dans un domaine traditionnellement caractérisé par des normes uniformes, universelles et inflexibles et des vérités incontestables) en termes de besoins éducatifs, d’environnement, de voies et de moyens de satisfaire ces besoins;
  • reconnaître l’importance de la motivation et des centres d’intérêts individuels dans l’éducation et les processus d’apprentissage (souvent dissimulés derrière le groupe, la classe, les statistiques scolaires, les moyennes);
  • repenser l’éducation du point de vue des besoins et de la demande (dans un domaine traditionnellement axé sur l’offre), ce qui permet de considérer les problèmes éducatifs et leurs solutions sous une nouvelle perspective;
  • lier les processus éducatifs aux processus sociaux (école et vie, école et foyer, culture scolaire et culture sociale, programme scolaire et réalité locale, théorie et pratique), ce qui permet de construire des passerelles ou d’en avoir une vision différente.

Tous ces éléments sont enchâssés dans le concept de l’éducation pour tous, nous invitant tous à repenser l’éducation traditionnelle et le paradigme scolaire, à construire des scénarios et des rapports inédits et à définir d’autres valeurs et pratiques pour l’éducation.

Quand on pense dans les catégories de l’éducation conventionnelle, l’EPT ne semble qu’une liste d’objectifs quantitatifs se référant à l’accès à l’école primaire, à la scolarisation et à l’alphabétisation, et la répétition des vieux idéaux et engagements en faveur de l’éducation. En effet, l’universalisation de l’école primaire, l’alphabétisation universelle, la parité des genres dans le domaine de l’éducation, l’importance accordée à la petite enfance, la priorité donnée à l’apprentissage, le besoin de politiques multisectorielles et d’une coopération internationale efficiente, sont des aspirations qui accompagnent le discours politique depuis plusieurs décennies. Mais les mettre globalement en pratique serait une innovation majeure en soi. Pour y parvenir, il faut bien comprendre qu’il s’agit là d’éléments constitutifs d’une stratégie du développement et du changement éducatifs, et non «d’options» politiques que les décideurs politiques peuvent adopter ou rejeter à leur gré.

En Amérique latine, l’opinion que les objectifs de Jomtien n’apportent rien de nouveau est très répandue; c’est souvent le cas aussi en Asie et en Afrique. Dans certains pays, beaucoup de gens ont perçu l’EPT comme une nouvelle initiative internationale destinée à attirer l’attention et des ressources, ou bien à s’ajouter aux autres programmes régionaux ou sous-régionaux mis en œuvre ou même parfois coordonnés par certains des parrains de Jomtien.2 L’idéalisation absolue de l’EPT à laquelle tendent notamment les institutions internationales impliquées, a un effet négatif car on a quelquefois l’impression que le champ éducatif n’a aucune histoire ou que celle-ci se divise en deux périodes: avant et après Jomtien.

Les pays et les institutions internationales étaient avides de présenter des résultats. Une fois de plus, les processus et stratégies furent oubliés en faveur des effets à court terme. L’accent mis sur les indicateurs quantitatifs et la couverture scolaire renforça l’approche quantitative qui dissocie quantité et qualité, et le développement de l’éducation devint plutôt synonyme d’expansion que de transformation. Les mêmes institutions internationales encouragèrent cette tendance en pressant les pays de s’assigner des objectifs quantitatifs et d’accroître le taux de scolarisation, notamment des filles. La course aux chiffres contribua à réduire l’universalisation à une question d’accès, la qualité à une question d’efficience, l’apprentissage au rendement scolaire et la vision élargie à accroître le nombre d’années d’études. L’obligation de mettre en œuvre d’urgence des réformes massives détourna l’attention de l’importance de l’expérimentation; les projets pilotes acquirent une mauvaise réputation au cours de la décennie et on proclama leur échec ou leur inutilité. Les pays et les institutions internationales furent enclins à oublier les leçons qu’ils avaient apprises sur l’innovation en matière d’éducation, ses conditions de succès, ses difficultés à s’étendre rapidement et à s’appliquer dans d’autres contextes.3 Le fait est qu’en dépit de l’accent mis sur la qualité dans la rhétorique éducative tout au long de la décennie, on a négligé d’élaborer des indicateurs – comme on se le proposait – aptes à mesurer la qualité des intrants, des processus, des résultats et de l’impact. Les 18 indicateurs proposés pour l’évaluation de la fin de la décennie en sont un bon exemple.

Ainsi, non seulement les objectifs, mais aussi les principes directeurs de l’éducation pour tous – soit la vision élargie de l’éducation de base, la nécessité de satisfaire les besoins éducatifs de base et l’accent mis sur l’apprentissage – restent un défi au-delà de l’horizon 2000. Le cadre global de l’EPT s’applique à l’éducation au sens large et est en phase avec certaines idées et principes clés définis pour le 21e siècle.

Le Rapport à l’UNESCO de la Commission internationale sur l’Éducation pour le 21e siècle (Rapport Delors), paru en 1996, complète et enrichit divers aspects de la plate-forme de l’EPT. (Voir tableau 3, p. 170). En réaffirmant que la formation permanente ou l’apprentissage tout au long de la vie devra être l’axe prioritaire de l’éducation au 21e siècle, il rompt avec les catégories traditionnelles liées à l’âge ou aux niveaux d’éducation et transcende les distinctions classiques entre l’éducation formelle, non formelle et informelle, l’éducation scolaire et extrascolaire, ou bien l’éducation, la vie et le travail.

Dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, dans les systèmes d’éducation publics et privés, l’éducation requiert de profondes transformations, des institutions et des stratégies novatrices, de nouveaux modes de pensée et d’action. «Améliorer la qualité» d’un système éducatif et scolaire inadapté à son époque et à la majeure partie de la population mondiale (enfants et jeunes, pauvres) est une mauvaise affaire pour les individus, les nations et les donateurs.

Les objectifs de l’éducation pour tous ne pourront être réalisés avec des mentalités et des stratégies conventionnelles, même en injectant beaucoup de crédits, en différant les échéances et en intégrant les nouvelles technologies. L’éducation pour tous implique un nouveau mode de pensée, de nouvelles logiques, un nouveau cadre conceptuel et opérationnel intégrant l’éducation et le politique, l’éducation et l’économie, l’éducation et la culture, l’éducation et la citoyenneté, la politique éducative et la politique sociale, une conception à la fois ascendante et descendante du changement éducatif, le local, le national et le global. L’éducation pour tous nécessite une vision authentiquement élargie et novatrice de l’éducation, qui croit et investit dans les individus, dans leurs capacités et leurs potentialités, dans le développement et la synchronisation des ressources et des efforts de la société dans son ensemble dans le but commun de faire de l’éducation un besoin et la tâche de chacun.

Cela présuppose la promotion de «communautés d’apprentissage» où toutes les ressources éducatives et culturelles d’une communauté territoriale et sociale sont regroupées et utilisées pour satisfaire les besoins éducatifs de base de leurs membres – enfants, jeunes et adultes, individus et familles. Sur le plan politique, ceci implique au niveau national et local de:

  • privilégier l’apprentissage par rapport à l’éducation, incluant tous les milieux d’apprentissage à la portée d’une communauté donnée: la famille, l’appareil scolaire, la collectivité, la nature, la rue, les moyens de communication, l’église, le lieu de travail, le club, la bibliothèque, la mairie, le terrain de sport, la coopérative, le potager, la cour de récréation, le cinéma et le théâtre, le musée, la ferme, le zoo, le cirque, etc.;
  • assurer que toutes les communautés humaines disposent de ressources, d’agents, d’institutions et de réseaux d’apprentissage opérationnels, qu’il faudra identifier, valoriser, développer pour construire un projet éducatif et culturel à base communautaire, qui repose sur les besoins et les possibilités propres;
  • intégrer les enfants, les jeunes et les adultes, valoriser l’apprentissage intergénérationel et entre pairs, reconnaître l’importance de l’éducation des adultes (parents, éducateurs en tous genres, membres de la communauté et adultes en général), pour l’éducation et le bien-être des enfants et des jeunes, et libérer le potentiel des jeunes comme éducateurs et agents actifs de leur propre éducation, du changement du système scolaire et du développement familial et communautaire;
  • stimuler la recherche et le respect de la différence, en reconnaissant que chaque groupe et communauté possèdent des réalités, des besoins et des ressources spécifiques qui entraînent des projets éducatifs et culturels spécifiques;
  • mobiliser des stratégies de discrimination positive visant à empêcher que les différences économiques, sociales, éducatives et culturelles entre les communautés ne soient une source d’inégalité.

On a suggéré de dresser des «plans éducatifs régionaux intégrés» (Coll. 1999) à titre de stratégie pour mettre ces propositions en pratique. Celles-ci doivent:

a) adopter une vision élargie et systémique de l’éducation, c’est-à-dire prendre en compte les contextes, les pratiques et les éducateurs qui opèrent à ce moment-là dans la région;

b) commencer par identifier, analyser et valoriser les besoins éducatifs de base de la population;

c) être participatives, en termes de formulation, de développement et de mise en œuvre;

d) établir clairement les engagements et les responsabilités de toutes les instances et de tous les éducateurs impliqués;

¡) désigner une instance unique de planification, de mise en œuvre et de suivi qui intègre les représentants des différents échelons et secteurs administratifs;

f) laisser une grande marge d’autonomie dans leur mise en œuvre et leur développement;

g) définir et inclure leurs propres procédures et stratégies d’évaluation;

h) assurer les ressources économiques et techniques nécessaires.

Enfin, on devra souligner qu’on pourra seulement faire des progrès ou initier des changements dans le domaine de l’éducation si on se défait d’une mentalité sectorielle.

La priorité accordée à l’éducation de base dans les années 90 était guidée par des raisons sociales et politiques, d’équité et de justice sociale, plutôt que techniques. «L’éducation pour alléger la pauvreté» a été le mot d’ordre de la décennie et a guidé l’initiative de l’éducation pour tous. Certes, l’éducation de base s’est développée dans les pays en développement pendant les années 90, mais la pauvreté a fait de même.

L’objectif majeur de l’EPT, l’important objectif social assigné à l’éducation de base, n’a pas été réalisé. Ce n’est pas une raison pour abandonner l’éducation de base et passer à autre chose. L’engagement de satisfaire les besoins éducatifs de base de tous subsiste, mais avant tout celui de lutter contre la pauvreté. Cela requerra des interventions directes, globales et cohérentes, non seulement dans le domaine éducatif mais aussi celui de l’économie et de la politique.

Tableau 3: Éducation de base

Vision restreinte (traditionnelle) Vision élargie (Éducation pour tous)
S’adresse aux enfants S’adresse aux enfants, aux jeunes et aux adultes
Est dispensée au sein de l’appareil scolaire  Est dispensée au sein de l’appareil scolaire et en-dehors
Se limite à une période de la vie d’une personne Dure toute la vie et commence à la naissance
Équivaut à l’éducation primaire ou à un niveau quelconque d’éducation préétabli Ne se mesure pas au nombre d’années scolaires ou au diplôme obtenu, mais à ce qu’on a effectivement appris.
Correspond à l’enseignement de matières spécifiques Satisfait aux besoins éducatifs de base.
Ne sanctionne qu’un seul type de savoir: celui qu’on acquiert types au sein du système scolaire Reconnaît la validité de tous les de savoirs, y compris du  savoir traditionnel
Est identique pour tous Est diversifiée (les besoins éducatifs de base ainsi que les moyens et les modalités pour les satisfaire diffèrent d’un groupes et d’une culture à l’autre)
Est statique (le «changement» prend la forme de réformes scolaires périodiques et ponctuelles) Est dynamique (la réforme éducative est permanente)
Polarisée sur l’offre (institution, système, administration scolaires)  Polarisée sur la demande (étudiants, famille, demandes sociales)
Centrée sur l’enseignement Centrée sur l’apprentissage
Sous la responsabilité du ministère de l’éducation (l’éducation comme secteur et comme responsabilité sectorielle)  Intègre tous les ministères et toutes les instances gouvernementales en charge de l’éducation (requiert des politiques multisectorielles)
Est de la responsabilité de l’État Est de la responsabilité de l’État et de la société tout entière, ce qui requiert la formation d’un consensus et une action coordonnée

Source: J.L. Coraggio et R.M. Torres, La educación segun el Banco Mundial. Un análisis de sus propuestas y métodos, [L'éducation selon la Banque mondiale. Une analyse de ses approches et de ses méthodes], CEM-Miño y Dávila Editores, Buenos Aires, 1997.

Notes

1 D. Berstecher “Is Education for All on the right track?”, in UNESCO Source, No 41. Paris: 1992 UNESCO.

2 En Amérique latine par exemple, les trois objectifs du Projet majeur dans le champ de l’éducation (1981-2000) - l’éducation primaire universelle (scolarisation), l’alphabétisation universelle et l’amélioration de la qualité et de l’efficience de l’éducation - coïncident avec quelques-uns des objectifs de l’EPT.

3 «L’expérience éducative est très locale et il n’est pas facile de transférer les innovations en matière de développement scolaire. L’expérimentation et l’adaptation locales sont essentielles. (...) Les programmes réussis visent un changement global, mais adoptent une stratégie de mise en œuvre par étapes, comprenant une longue période d’expérimentation et d’essais dans les étapes initiales.» Tels sont quelques-uns des enseignements tirés par la Banque mondiale en vingt années d’investissement dans l’éducation primaire dans 51 pays en développement. (Verspoor, 1991:44).

 

Éducation des Adultes et Développement

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