1. Introduction
Depuis 1949, les cinq Conférences internationales sur l’éducation des adultes (CONFINTEA I –V) ont attiré l’attention du monde sur l’éducation des adultes en tant que droit humain fondamental. L’apprentissage et l’éducation des adultes sont des éléments de l’apprentissage tout au long de la vie. Ils répondent aussi bien aux demandes des adolescents, des jeunes et des adultes qu’à celles des personnes âgées. En dernière analyse, l’apprentissage et l’éducation des adultes consistent à fournir des possibilités et méthodes d’apprentissage dans des contextes formels, informels et non formels qui sont intéressants et adaptés aux adultes en tant que citoyens actifs dans la famille, la communauté et la vie sociale, dans la vie professionnelle et, par-dessus tout, en tant qu’individus autonomes, comptant sur eux-mêmes, construisant et reconstruisant leur vie dans des cultures, des sociétés et des économies complexes et en rapide mutation.
Malgré la pauvreté très répandue et l’absence d’accès à l’alphabétisation et à l’éducation de base qui affectent des centaines de millions de personnes dans le monde, l’apprentissage et l’éducation des adultes apparaissent à présent plus que jamais comme des outils autonomisants, capables de libérer et de maîtriser les forces créatrices des gens, le potentiel des communautés et la richesse de nos nations dans une situation de crise mondiale.
Bien que leurs priorités en matière d’apprentissage et d’éducation des adultes puissent être différentes, les pays partagent le même effort pour améliorer la qualité de la vie et sont d’accord pour reconnaître que tous les défis qui se poseront à nous dans les décennies qui viennent ont une dimension mondiale. C’est seulement avec des citoyens éclairés, instruits et actifs que nous serons en mesure de faire face efficacement aux défis posés à notre société – et ce n’est possible que si nous plaçons l’apprentissage et l’éducation des adultes au cœur de notre politique et de notre action, sous forme d’un calendrier transversal – transversal au niveau des domaines politiques et des affectations de ressources à son ordre du jour. Idéalement, l’apprentissage et l’éducation des adultes devraient être intégrés dans un vaste système d’apprentissage tout au long de la vie, appuyé par un mécanisme ouvert et dynamique de reconnaissance, de validation et d’homologation de toutes les formes d’apprentissage, sans tenir compte en ce qui concerne leur déroulement du moment, du lieu ou de la manière, un système qui accorderait une attention particulière à l’apprentissage non formel, informel et expérientiel. L’éducation des adultes, en tant que droit humain inaliénable, devrait être ancrée dans la constitution de tous les pays.
L’apprentissage et l’éducation des adultes sont des moyens essentiels pour atteindre les objectifs du développement de l’Éducation pour TOUS dont il a été convenu au plan international et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) de l’ONU, et pour réaliser la Décennie des Nations unies pour l’alphabétisation (DNUA), la Décennie de l’éducation pour le développement durable (DEDD) et l’Initiative LIFE (Initiative pour l’alphabétisation: savoir pour pouvoir). Toutefois aucune de ces interventions n’a attribué de rôle précis à l’apprentissage et à l’éducation des adultes au-delà de l’acquisition des bases de l’alphabétisation et de compétences utiles dans la vie courante. Fait encourageant, la Décennie de l’éducation pour le développement durable (2005-2014) présente une vaste mission dans laquelle l’apprentissage et l’éducation des adultes peuvent jouer un rôle très visible.
2. Satisfaire le droit à l’apprentissage et à l’éducation des adultes
2.1 Le droit à l’éducation pour tous
L’apprentissage et l’éducation des adultes constituent un puissant moyen d’orientation vers la réduction de la pauvreté, l’amélioration de la santé, la promotion de la paix et de la démocratie, la favorisation de l’inclusion, la sensibilisation à l’écologie et l’aide aux gens à s’adapter aux progrès rapides auxquels nos sociétés se voient confrontées.
La Déclaration de Hambourg sur l’éducation des adultes, formulée en 1997, constatait que l’apprentissage et l’éducation des adultes sont «une joie, un moyen, un droit et une responsabilité partagée»1. Ils ne peuvent toutefois être efficaces que si on les traduit par un apprentissage adapté, de qualité, porteur de sens, et si ceci est accompli pour tous. Leurs principes directeurs devraient être les suivants: éducation inclusive, éducation pour un développement durable et apprentissage tout au long de la vie. En outre, prendre en compte tout ce qu’impliquent l’apprentissage et l’éducation des adultes est crucial pour les politiques publiques en raison du vaste éventail de besoins auxquels elles répondent et de la foule d’acteurs et de domaines politiques associés.
2.2 Répondre aux demandes de groupes marginalisés et de groupes particuliers
Les besoins élémentaires pour le développement humain sont très divers, complexes et en constante mutation. Ils concernent tous les gens de tous les âges et incluent un vaste éventail de compétences, de valeurs et d’expériences qu’il est nécessaire de continuer à développer. Les besoins et demandes en matière d’apprentissage ne peuvent pas entièrement être satisfaits par un seul type d’institution ou une seule forme particulière d’éducation. Ils nécessitent plutôt que l’on y réponde au moyen de toute une panoplie de modes éducatifs, de situations d’apprentissage diverses (à la maison, à proximité de chez soi, au travail, à l’école, dans un lieu de loisirs, etc.) et de moyens variés (livres, ordinateurs, jeux et autres). Par conséquent, les formes d’enseignement doivent être diverses et souples, et de puissants liens de coopération doivent les unir.
Chaque individu et chaque groupe a des besoins, des demandes, des intérêts et des styles d’apprentissage différents, et différents obstacles peuvent empêcher de les satisfaire, l’exclusion étant le plus grave de ces obstacles. Afin de surmonter ces barrières, il est par conséquent essentiel d’identifier ces besoins et ces intérêts, et d’adopter les stratégies, les contenus et les modalités les plus appropriés pour y répondre dans chaque cas. L’inclusion met par conséquent l’accent sur les groupes d’apprenants risquant le plus d’être marginalisés ou exclus, ou de ne pas obtenir suffisamment de résultats.
Adama Ouane Source: Barbara Frommann
Par conséquent, les politiques doivent garantir que tous les citoyens, quelles que soient leurs conditions sociales ou économiques, aient des possibilités d’accéder au savoir et aux équipements aussi complètement et librement que possible à l’école et dans l’ensemble de la société pour pouvoir participer à part entière, réaliser des accomplissements au plus haut niveau et jouir d’une excellente qualité de la vie. L’inclusion est la pleine manifestation de l’exercice efficace du droit à l’éducation et à l’apprentissage. Elle signifie que l’on apprenne à vivre avec la diversité et que l’on apprenne à tirer des enseignements de la différence, pas seulement pendant une certaine période, mais tout au long de la vie et dans tout un ensemble de situations diverses.
Les programmes ciblant différents groupes marginalisés et exclus ont souvent fonctionné hors des circuits dominants. Nombre d’entre eux se sont concentrés sur des mesures spéciales, des institutions spécialisées et des éducateurs spécialistes. Trop souvent, les programmes de ce type ont seulement réussi à produire des offres éducatives de second ordre n’offrant que peu, voire aucune possibilité de continuer d’étudier. Dans de tels cas, l’exclusion en a été le résultat.
Il ne suffit pas de simplement faciliter l’accès et d’augmenter le nombre de contributions. Réduire les taux d’abandons ou accroître les niveaux de participation n’est pas non plus suffisant. Les mesures d’amélioration de la qualité ne peuvent être efficaces que si on les traduit par un apprentissage adapté, de qualité et porteur de sens, et si ceci est accompli pour tous. Étant donné que les pauvres doivent partir d’une position où ils sont plus défavorisés du point de vue économique et social, ce qui se répercute de façon négative sur l’apprentissage, il faut faire des efforts pour garantir la réduction des écarts de qualité et d’équité. Les pauvres n’ont pas besoin d’une éducation de rattrapage, mais simplement d’une éducation de haute qualité, à la mesure de leurs besoins et demandes en matière d’apprentissage.2
3. Préparatifs de la CONFINTEA VI
En décembre 2009, la CONFINTEA VI se déroulera à Belém (dans l’État du Pará), au Brésil, sur le thème «Vivre et apprendre pour un avenir viable – le pouvoir de l’apprentissage des adultes». Elle visera globalement non seulement à attirer l’attention sur le lien entre l’apprentissage et l’éducation des adultes et le développement durable (social, économique, écologique et culturel), et la mesure dans laquelle ils y contribuent, mais aussi à faire progresser la reconnaissance de l’apprentissage et de l’éducation des adultes comme facteurs essentiels de l’apprentissage tout au long de la vie, donnant les moyens d’y participer et renforçant ainsi le changement de paradigme qui s’est déroulé dans le sillage de la CONFINTEA V.
Les préparatifs de la CONFINTEA VI se sont soldés par un immense inventaire, ont conduit à dresser des bilans politiques, entraîné des changements institutionnels, créé des tendances et servi à identifier des innovations, des difficultés et des défis. Un total de 154 États membres de l’UNESCO (sur 193) ont présenté des rapports nationaux sur le développement de l’éducation des adultes sur leurs territoires depuis 1997. Ceux-ci ont servi de base à la rédaction d’un rapport de synthèse pour chacune des cinq régions de l’UNESCO. Cet exercice a débouché sur la préparation du premier Rapport mondial sur l’apprentissage et l’éducation des adultes (GRALE)3.
Cinq conférences régionales préparatoires se sont penchées sur la politique, la gouvernance et le financement de l’apprentissage et de l’éducation des adultes; sur l’inclusion et la participation; sur la qualité de l’apprentissage et de l’éducation des adultes; sur l’alphabétisation et d’autres compétences primordiales. Elles ont relevé certains progrès dans le développement de l’apprentissage des adultes dans le monde entier. Dans certains pays, de vastes politiques ont débouché sur la création de systèmes intégrés d’apprentissage et d’éducation des adultes dans l’optique de l’apprentissage tout au long de la vie. Cet article en présente quelques exemples.
Les rapports nationaux présentés à l’occasion de la CONFINTEA VI illustrent l’immense diversité des prestations d’éducation des adultes proposées. Globalement, l’éducation de base demeure dominante dans l’éducation des adultes. Elle est suivie par l’éducation professionnelle et l’éducation liée à l’activité professionnelle, puis par les activités d’apprentissage de compétences nécessaires dans la vie courante et les activités génératrices de savoirs. Il existe de nombreuses différences régionales concernant les formes de prestations de services éducatifs, l’éducation de base étant la forme principale d’éducation en Afrique subsaharienne, dans les pays arabes, en Amérique latine et dans les Caraïbes, alors que les activités éducatives de formation professionnelle ou liées à l’activité professionnelle ont tendance à dominer en Asie et en Europe.
4. Financer l’éducation des adultes
L’apprentissage et l’éducation des adultes sont de précieux instruments qui apportent des avantages sociaux en créant des sociétés plus démocratiques, pacifiques, inclusives, productives, saines et durables. Un important investissement financier est essentiel pour assurer la haute qualité des prestations d’apprentissage et d’éducation des adultes. Toutefois, les gouvernements continuent toujours d’investir beaucoup trop peu dans ce domaine. La tendance croissante à la décentralisation ne s’accompagne pas d’une affectation appropriée de ressources à tous les niveaux. Le financement de l’apprentissage et de l’éducation des adultes repose rarement sur une évaluation adéquate des besoins, sur le résultat de recherches ou sur un calcul de coûts.
Améliorer le financement de l’éducation des adultes était l’une des promesses principales de la Déclaration de Hambourg, à l’occasion de la CONFINTEA V. Les participants entreprirent d’améliorer l’apprentissage et l’éducation des adultes en
«s’efforçant d’investir, comme l’a proposé la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt-et-unième siècle, au moins 6 pour cent du produit national brut (PNB) des États membres dans l’éducation et en affectant une part équitable du budget de l’éducation à l’éducation des adultes…En proposant que chaque secteur du développement (ex. l’agriculture, la santé, l’environnement) octroie une part de son budget à l’apprentissage des adultes.»4
L’absence de données dures mentionnée dans les rapports nationaux présentés en vue de la CONFINTEA VI nous empêche de nous faire une idée d’ensemble quant à la question de savoir si les pays ont ou non atteint la barre de référence des 6 pour cent ou, partant de cela, s’ils ont affecté une part équitable à l’éducation des adultes. Des 154 rapports nationaux, il ressort que seuls 57 pays (37 pour cent) ont fourni des informations concernant la part du budget qu’ils ont affectée à l’éducation des adultes.
5. Exemples de politiques de l’éducation des adultes et de l’éducation depuis la CONFINTEA V
La période qui suivit la CONFINTEA V fut marquée par une demande croissante en matière de formation professionnelle et d’éducation des adultes axée sur l’acquisition de compétences. Les prestations de services éducatifs fournies dans les années entre la CONFINTEA V et VI ont tenté de répondre aux demandes en matière de compétences utiles sur le marché et de travail indépendant. Ceci est allé au détriment de l’émancipation citoyenne, sociale et politique du type de celle que préconisait l’éducation des adultes libérale traditionnelle. Bien que certains progrès aient été faits dans ce domaine, ils sont restés très limités. La plupart des pays ont amélioré leur taux de participation et de parité des sexes, et ont innové avec de nouveaux programmes, pédagogies et méthodes de mise en œuvre. Toutefois, les programmes continuent d’être organisés à petite échelle, ce qui illustre le peu de cas qu’en font la plupart des pays. Les objectifs de l’apprentissage et de l’éducation des adultes n’ont pas réussi à apparaître dans les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), indiquant leur faible importance politique au niveau mondial. L’omniprésente crise mondiale et financière continue de limiter le soutien aux programmes déjà considérés comme marginaux.
Le «Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2009» s’est penché sur un ensemble de thèmes concernant l’éducation non formelle, là où se déroulent de nombreuses activités d’apprentissage des adultes. Il a mis en évidence dans plusieurs pays d’importantes disparités concernant les prestations éducatives, en fonction du lieu, de l’âge et de la situation socio-économique. Il a aussi constaté que l’histoire d’un pays influençait profondément les approches de mise en œuvre. Tandis que le Mexique, le Népal et le Sénégal, par exemple, considèrent l’approche non formelle principalement en termes d’éducation des adultes, le Bangladesh et l’Indonésie ont une vision plus large et mettent l’accent sur la souplesse et la diversité des programmes pour compléter l’éducation formelle. Le Burkina Faso, le Ghana, le Kenya, le Nigeria, les Philippines, la République unie de Tanzanie et la Zambie considèrent largement comme forme d’éducation non formelle toute activité d’apprentissage structurée se déroulant hors du système formel d’éducation.5
Nous manquons d’approches plus intégrées de l’apprentissage et de l’éducation des adultes se consacrant au développement sous toutes ses formes (économique, durable, communautaire et personnel). Les projets d’approche intégrée de l’égalité des sexes n’ont pas toujours débouché sur des programmes plus pertinents pour les femmes ou sur une participation plus large de ces dernières. De même, les programmes d’apprentissage et d’éducation des adultes tiennent rarement compte des peuples indigènes, des populations rurales et des migrants. Les contenus et pratiques des programmes ne reflètent pas la diversité des apprenants en termes d’âge, de sexe, de bagage culturel, de besoins uniques (y compris en ce qui concerne les handicaps) et de langue. Peu de pays mènent des politiques multilingues cohérentes pour promouvoir les langues maternelles, bien que ceci soit souvent crucial pour la création d’un environnement lettré, notamment en ce qui concerne les langues indigènes et/ou minoritaires.
Il n’est pas surprenant que les prestations de services d’éducation des adultes dans le Sud soient particulièrement focalisées sur les programmes d’alphabétisation étant donné que la majorité des 774 millions de personnes qui ne maîtrisent pas les bases de la lecture et de l’écriture vivent là-bas.
À l’exception des pays du Nord et de ceux qui ont mis en place des systèmes d’apprentissage tout au long de la vie (comme la République de Corée), nous pouvons tirer les conclusions suivantes: (1) les prestations publiques se limitent à des activités visant à atteindre des objectifs minimaux au plus bas niveau; (2) les prestations au-delà du «minimum» sont généralement proposées par le secteur privé, par des prestataires commerciaux ou des organisations non gouvernementales dont les offres sont soumises aux lois de l’offre et de la demande; (3) les prestations sont généralement temporaires et peuvent à tout moment être abandonnées; (4) la fourniture de tels services dépend des besoins et ressources; et (5) une structure de gouvernance élaborée et stabilisée pour de telles prestations de services d’éducation des adultes n’est pas mise en place.
Comme indiqué ci-haut, tandis que les gouvernements restent les principaux prestataires de services, d’autres dépositaires d’enjeux sont clairement associés à des formes particulières d’éducation des adultes, allant de l’alphabétisation de base et de l’éducation professionnelle à la sensibilisation concernant la santé, les droits des femmes et l’égalité des sexes. Ces prestations, souvent financées par des ONG internationales, sont plus souples et ont une plus grande portée.
Hormis l’équilibre entre les prestations offertes par les secteurs public et privé, l’étendue et la couverture des programmes proposés sont une préoccupation essentielle. Bien que de nombreux pays disposent manifestement de toute une variété de programmes, il faut se demander à qui ils profitent. Souvent, de tels programmes continuent de marginaliser les populations rurales et indigènes, les descendants des Africains, les migrants, les populations qui ont des besoins éducatifs particuliers et les populations carcérales, entretenant ainsi les inégalités, voire les aggravant au lieu de les réduire.6
Ci-dessous sont présentés un certain nombre d’exemples extraits des rapports nationaux et qui brossent un tableau mitigé des progrès réalisés depuis la CONFINTEA V.
En ce qui concerne la région d’Afrique subsaharienne, plusieurs politiques et programmes innovants ont eu un effet positif sur l’apprentissage et l’éducation des adultes, par exemple la politique nationale sur l’apprentissage des adultes en Namibie (2003) et la politique nationale sur l’éducation des adultes en Érythrée (2005). Le Cap Vert a systématiquement développé des politiques, une législation et des cadres administratifs au sujet de l’apprentissage et de l’éducation des adultes (1998, 1999, 2003, 2006, 2007, 2008). En 2001, le Bénin lança une politique nationale sur le thème de l’alphabétisation et de l’éducation des adultes, qui présentait la vision nouvelle, la mission, les objectifs, les stratégies et les ressources nécessaires pour atteindre d’ici 2010 les objectifs qu’elle avait définis. En 2006, le plan décennal pour l’éducation indiquait qu’il fallait associer cette politique nationale sur l’alphabétisation et l’éducation des adultes à l’éducation des adultes ainsi qu’à d’autres secteurs du développement. Le Burkina Faso semble offrir un environnement politique très favorable grâce à 1) son Document stratégique de réduction de la pauvreté (remanié en 2003); 2) un plan décennal sur l’éducation, dont l’objectif consiste à promouvoir l’alphabétisation; et 3) une politique spécifique sur l’alphabétisation et l’éducation non formelle. Au Cameroun, aucune loi ne porte clairement sur l’apprentissage et l’éducation des adultes. Toutefois, des lois en rapport à cela furent promulguées en 2004 et 2007 pour couvrir les domaines de l’alphabétisation et de la formation professionnelle. En République démocratique du Congo, il n’existe pas non plus de politiques spécifiques concernant l’apprentissage et l’éducation des adultes, mais nous y trouvons des décrets sur les centres de formation professionnelle pour les jeunes.
En Europe, le Mémorandum sur l’apprentissage tout au long de la vie et le Plan d’action lié à celui-ci ont concouru dans la majorité des pays à accroître la sensibilisation concernant le rôle primordial que jouent l’apprentissage et l’éducation des adultes. De plus, sur les pays de l’UE 27+, 17 ont adopté des déclarations stratégiques globales sur l’apprentissage tout au long de la vie en réponse à la Stratégie de Lisbonne. Il existe virtuellement dans tous les pays de la région des politiques en matière d’apprentissage et d’éducation des adultes. Dans le contexte des points de référence de l’UE, les taux de participation des adultes ont augmenté de 7,1 pour cent en 2000 et de 9,7 pour cent en 2007.7 L’apprentissage tout au long de la vie est devenu une réalité au Danemark, en Islande, en Norvège, en Suède et au Royaume-Uni. Toutefois, en 2007, huit pays préparaient encore des déclarations stratégiques globales et sept pays continuaient de mener des politiques d’apprentissage tout au long de la vie dépourvues de stratégie complète et globale. Chypre et la Roumanie, qui doivent encore achever de concevoir leurs stratégies globales, attirent l’attention sur les challenges liés au lancement d’un débat national et à la recherche de réponses s’inscrivant dans l’optique des différents groupes d’intérêts. La Roumanie observe qu’à part la formation professionnelle, l’apprentissage et l’éducation des adultes ne font pas «l’objet de stratégies, de politiques et de règlementations spécifiques cohérentes». D’une manière générale, la mise en place de politiques dans la majorité des pays de l’UE 27+ constitue un défi essentiel.
Rolf Lindenthal / Heribert Hinzen / Rita Süssmuth / Adama Ouane
Source: Barbara Frommann
En Asie, plusieurs pays commencent à développer des approches systématiques de l’apprentissage et de l’éducation des adultes, guidées par un cadre d’action politique comme, par exemple, l’Alternative Learning System (ALS – système d’apprentissage alternatif) aux Philippines ou la loi de 2542, ère bouddhique (1999), sur l’éducation nationale en Thaïlande et son amendement (de 2002) qui s’efforcent de rendre l’éducation non formelle plus inclusive et de l’intégrer davantage dans l’apprentissage tout au long de la vie. La République de Corée a mis en place une stratégie d’éducation tout au long de la vie de façon à construire une société apprenante où tous les citoyens peuvent partout et à tout moment trouver les offres éducatives de leur choix qui leur conviennent (loi de 2007 sur l’éducation tout au long de la vie). L’Australie, le Japon, la République de Corée et la Nouvelle-Zélande ont presque réussi à réaliser l’éducation universelle aux niveaux primaire et secondaire, ou au-delà. Ces pays développés priorisent les efforts visant à la mise à jour des compétences professionnelles et techniques de leurs citoyens, et l’élargissement de l’éventail des offres de formation permanente au niveau du troisième cycle. Toutefois, dans l’ensemble, les progrès de l’apprentissage et de l’éducation des adultes sont limités dans la région en raison de l’absence de politiques spécifiques et de plans stratégiques pour leur mise en œuvre. Les offres abordables permettant d’enrichir ses compétences sont en outre peu nombreuses et insuffisantes pour promouvoir l’apprentissage et l’éducation des adultes au plan sous-régional.
Dans les États arabes, bien que le nombre d’analphabètes ait baissé, passant de 64 à 58 millions de personnes, des conflits et l’occupation étrangère se sont traduits par une situation d’instabilité sociale, politique et économique, et par la perte de matériel et de ressources humaines. Les femmes de la région sont encore sous-éduquées (50 % d’entre elles sont analphabètes). Elles sont aussi défavorisées du point de vue des droits des citoyens, des droits légaux, de leur représentation à des postes professionnels et techniques ainsi qu’au parlement et dans les ministères. Dans cette région, les définitions et concepts de l’alphabétisation et de l’éducation des adultes sont mal développés, et il n’existe que peu d’approches intégrées dans ce domaine. En outre, il y a un manque de coordination entre les ministères compétents. Dans cette région, l’apprentissage et l’éducation des adultes brille par son absence. Toutefois, on observe une certaine coordination entre éducation formelle et non formelle (par exemple, le Premier ministre du Maroc préside le comité national sur l’alphabétisation et l’éducation non formelle). Il y a une augmentation du nombre de programmes ciblant des personnes ayant des besoins particuliers: le Soudan, par exemple, cite les Bédouins et l’Algérie les personnes handicapées comme groupes cibles particuliers. On note aussi une expansion des partenariats entre le secteur public et la société civile, et la promotion des réseaux d’ONG au sein de la région.
L’Amérique latine et les Caraïbes sont une région profondément hétérogène où 71 millions de personnes vivent dans l’extrême dénuement et où 200 millions de personnes vivent dans la pauvreté. Dans les pays d’Amérique latine, on peut remarquer un changement politique vers une priorisation de l’investissement dans l’éducation primaire des enfants. Depuis 1990, le mouvement de l’EPT a adopté une vision élargie de l’éducation de base, et les organisations bailleresses ont commencé à financer des réformes et programmes d’apprentissage et d’éducation des adultes dans la région. Par conséquent, d’importants progrès ont été réalisés aux plans législatif et politique dans la majorité des pays quant à la reconnaissance du droit à l’éducation et à la diversité linguistique et culturelle: p. ex. en Jamaïque (politique de 2005 sur l’apprentissage tout au long de la vie), en Bolivie, au Nicaragua, au Panama et au Venezuela, il existe des plans, des programmes et des campagnes d’alphabétisation qui font appel au système cubain «Yo Sí Puedo». Il y a également eu une certaine institutionnalisation des prestations de services éducatifs permettant aux jeunes et aux adultes de terminer leur éducation primaire et secondaire, et d’obtenir des certificats correspondants, ces prestations étant dans certains cas intégrées à des programmes de formation professionnelle, comme au Chili avec le programme Califica, en Argentine où des programmes gouvernementaux associent alphabétisation, éducation de base et travail, et en Colombie où un programme spécial, qui bénéficie du soutien de l’Organisation des États ibéro-américains (OÉI), opère dans plusieurs départements du pays. Au Brésil, le «Programme de la pêche aux lettres» permet d’alphabétiser des pêcheurs et des femmes, et le projet d’inclusion de l’alphabétisation associe alphabétisation et activité entrepreneuriale.
Dans l’ensemble, malgré la diversité en matière de politique d’apprentissage et d’éducation des adultes, de gouvernance, de participation et de prestations de services éducatifs, il est difficile d’envisager une voie claire permettant à l’apprentissage et à l’éducation des adultes de progresser. Les efforts entrepris conjointement avec la société civile, les partenaires sociaux et le secteur privé pourraient jouer un rôle important pour favoriser la production et l’échange de connaissances au plan local, plaçant ainsi les apprenants avec plus d’insistance au cœur des interventions et de l’action. Ceci implique une autre forme de gouvernance, reposant sur des partenariats décentralisés avec de multiples organisations entre gouvernements et autres dépositaires d’enjeux, et dont la responsabilité de l’obligation redditionnelle serait confiée aux apprenants et à leurs communautés.
6. Le potentiel de la CONFINTEA VI
Malgré les progrès réalisés, les rapports nationaux et le Rapport mondial sur l’apprentissage et l’éducation des adultes (GRALE) produit pour la CONFINTEA VI montrent qu’un ensemble de nouveaux défis sociaux et éducatifs sont venus s’ajouter aux problèmes qui existaient déjà et dont certains se sont entre-temps aggravés, aux plans national, régional et mondial. Il est crucial de dire que l’attente d’une reconstruction et d’un renforcement de l’apprentissage et de l’éducation des adultes dans le sillage de la CONFINTEA V n’a pas été satisfaite.
Les plans financiers en place en matière d’apprentissage et d’éducation des adultes ne voient pas assez loin et ne sont pas suffisamment adéquats pour apporter d’efficaces contributions à notre avenir. En outre, la tendance actuelle à la décentralisation des prises de décisions qui va s’amplifiant ne s’accompagne pas toujours de financements adéquats à tous les niveaux ou d’une délégation appropriée de l’autorité budgétaire. L’apprentissage et l’éducation des adultes n’ont pas occupé de place prépondérante dans la stratégie de l’aide des bailleurs de fonds internationaux et elle n’a pas fait l’objet d’efforts constants quant à la coordination et à l’harmonisation des donateurs. De plus, l’allègement de la dette n’a pas sensiblement profité à l’apprentissage et à l’éducation des adultes.
Ci-dessous sont listées les attentes de la CONFINTEA VI en ce qui concerne le financement de l’apprentissage et de l’éducation des adultes:
a) L’accord adopté à la CONFINTEA V sera mis en pratique pour garantir qu’au moins 6 pour cent du PNB soient affectés à l’éducation et que des subventions soient assignées à l’apprentissage et à l’éducation des adultes.
b) Les ressources et budgets actuels de l’éducation seront rassemblés et employés à travers tous les services gouvernementaux pour atteindre les objectifs d’une stratégie intégrée de l’apprentissage et de l’éducation des adultes.
c) Des mesures incitatrices seront mises en place pour promouvoir de nouvelles sources de financement du secteur privé, des ONG, des communautés et des in dividus, sans que cela aille au détriment des principes d’équité et d’inclusion.
d) Des investissements seront effectués pour prioriser la participation des femmes et des populations rurales à l’apprentissage tout au long de la vie.
Pour soutenir ces stratégies, on attend des partenaires internationaux du développement
e) qu’ils remplissent leur promesse et comblent les fossés financiers qui em pêchent d’atteindre les objectifs de l’EPT, notamment les objectifs n° 3 et 4 (éducation des jeunes et des adultes, alphabétisation des adultes) et
f) qu’ils augmentent le total des subventions affectées à l’alphabétisation, l’apprentissage et l’éducation des adultes dans leurs programmes d’aide (y compris l’échange ou l’annulation de la dette, la création d’un fonds transnational désigné pour l’alphabétisation des adultes et pour l’incorporation de cette dernière dans l’Initiative de mise en œuvre accélérée de l’EPT.
7. Conclusion
Cet article a planté le décor dans lequel se dérouleront les débats de la CONFINTEA VI au Brésil. Il attire l’attention sur la nécessité de traduire les belles paroles et résolutions des conférences et initiatives passées par des actions. Le fait est que, bien que l’on enregistre des évolutions positives dans certaines régions du monde, elles sont trop peu nombreuses, trop intermittentes et trop souvent insuffisantes pour faire plus qu’égratigner la surface de la nécessité de s’engager réellement à pratiquer une politique soutenue, garantissant l’apprentissage et l’éducation des adultes en tant que droit pour tous.
Pour que l’apprentissage et l’éducation des adultes satisfassent les demandes d’un monde en rapide mutation – pour soutenir les peuples, les communautés et les économies – et que l’éducation des adultes proposée soit conçue de façon à répondre à la nécessité d’équité en matière d’accès et de participation, il faut fixer des politiques et niveaux de financement appropriés pour assurer la qualité des prestations, la professionnalisation des enseignants du secteur de l’éducation des adultes et l’adéquation des infrastructures.
Un financement public ne suffira certainement pas. Les gouvernements devront de plus en plus collaborer avec des entreprises privées, la société civile, des bailleurs de fonds internationaux et les apprenants eux-mêmes pour trouver de nouveaux modèles de financement et de prestations.
On estime que chaque année ajoutée à l’éducation de la population adulte se traduit par une augmentation de 3,7 pour cent de la croissance économique à long terme et par une augmentation de 6 pour cent des revenus par habitant. Néanmoins, l’apprentissage et l’éducation des adultes sont bien plus qu’une cause sociale ou un point du calendrier budgétaire. Ils représentent un véritable investissement dans un espoir pour l’avenir qui profitera à l’existence de millions de personnes dans le monde entier.
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1 UNESCO (1997) «Adult Education, The Hamburg Declaration. The Agenda for the Future» Fifth International Conference on Adult Education 14-18 juillet, Hambourg, UIL p.7/Version française de la Déclaration de Hambourg sur l’éducation des adultes, dans Éducation des Adultes et Développement, DVV International, n° 72, p. 337 (ndlt).
2 Torres R.M. (2002) «Lifelong Learning: A Momentum and a New Opportunity for Adult Basic Learning Education (ABEL) in the Developing countries» p. 21 (version provisoire).
3 UIL (2009) «Global Report on Adult Learning and Education» (GRALE) parution prévue à l’automne 2009.
4 UNESCO (1997) op. cit., p 26.
5 UNESCO (2008) «Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2009». p. 91.
6 UIL, 2009, Draft of «Global Report on Adult Learning and Education» (GRALE), parution prévue à l’automne 2009.
7 UNESCO (2008) «Déclaration paneuropéenne sur l’éducation des adultes, facteur d’équité et d’inclusion dans un contexte de mobilité et de concurrence, conférence européenne préparatoire à la CONFINTEA VI», Budapest, Hongrie, 3-5 décembre 2008.