Pour ceux qui ne les ont pas visités, les Balkans sont une contrée-fantôme mystérieuse; à ceux qui les connaissent, ils paraissent encore plus impénétrables; dès que vous pensez avoir percé le voile du mystère, vous vous trouvez pris entre ses mailles, et le charme de la terre vous maintient en esclavage. Dans un sens, vous faites partie du charme, du mystère et de la fascination de l’ensemble. Au café, vous prenez l’habitude de vous tapir derrière votre tasse et lorsque vous rencontrez une personne de votre connaissance, plus de la moitié de ce que vous dites n’est qu’un murmure pompeux. Intrigues, complots, mystères, grand courage et actes osés – ces choses qui sont au cœur de la romance forment aujourd’hui l’âme des Balkans.1
Le projet historique dans les Balkans (Europe du Sud-Est),2 est un bon exemple d’activités d’éducation des adultes axées sur la pensée critique, le respect de la diversité et la tolérance. Avec ce projet, l’Institut de coopération internationale de la confédération allemande pour l’éducation des adultes (DVV International) a mis en œuvre des initiatives multilatérales en éducation historique et encouragé la compréhension mutuelle, qui est à la fois une compétence et une valeur positives pour le développement de la société civile dans la région. Entre 2003 et 2008, le projet historique a disséminé des méthodologies d’enseignement de l’histoire nouvelles et éprouvées qui ont permis de mieux comprendre la diversité culturelle et le respect des droits humains.
Le projet contribuera à assurer stabilité de la région à long terme. D’autre part, cette région marquée par des conflits ethniques et nationaux passés et récents s’est servie jusqu’à aujourd’hui de l’enseignement de l’histoire dans le but de promouvoir des idéologies nationalistes. Il est donc d’autant plus important de poursuivre le travail de conscientisation et de rapprochement entre les peuples des Balkans. L’histoire de la région est mouvementée. L’un des événements historiques les plus marquants pour la mémoire collective a été l’expansion, puis la chute de l’Empire ottoman. Au 20e siècle à la fin de la Seconde guerre mondiale, les nations des Balkans, excepté la Grèce et la Yougoslavie, ont été intégrées
dans le Pacte de Varsovie sous hégémonie russe. Le démantèlement du Pacte et la dissolution de la Yougoslavie ont été suivis par des années de transition vers la mise en place de démocraties participatives. Certains États des Balkans sont entrés dans l’Union européenne (Grèce en 1981, Slovénie en 2004, Bulgarie et Roumanie en 2007); d’autres sont encore en processus de stabilisation.
Le premier projet historique mis en place par DVV International avec le soutien du ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement et le ministère allemand des Affaires étrangères, a été mis en œuvre en Allemagne en octobre 2002: 15 jeunes adultes originaires de six pays d’Europe du Sud-Est ont suivi une formation sur les méthodes servant à surmonter les traumatismes des récentes guerres par le biais de l’éducation par l’histoire. Le projet historique en Europe du Sud-Est a fait suite au projet «Se souvenir pour l’avenir» réalisé en Allemagne en 2002. À la lumière de l’expérience allemande, les participants d’Europe du Sud-Est ont fait une réflexion sur les contenus du projet et analysé dans quelle mesure ils sont applicables à leur propre situation.3
De retour dans leurs pays, les multiplicateurs ont défini les objectifs du projet historique conformément aux objectifs principaux des activités de projet de DVV International en Europe du Sud-Est, une importance particulière étant accordée à l’enseignement de l’histoire, à la réconciliation et aux droits humains:
Ces activités de démocratisation et de formation continue pour enseignants, formateurs, éducateurs d’adultes et multiplicateurs au niveau principalement régional ont constitué et constituent encore aujourd’hui l’un des objectifs de DVV International, dont le but est de mettre en place un réseau régional d’éducation des adultes axé sur le développement.
Participants du séminaire
Source: Vanya Ivanova
Toutes les formations organisées durant ces années ont été ciblées sur la recherche de méthodes et de matériels, l’exploration de divers sites historiques et la création d’un forum de dialogue et de débat: un réseau dépassant les frontières nationales, les régions et les appartenances ethniques. Il s’est révélé indispensable d’établir des contacts durables, et de motiver les participants à disséminer leurs expériences et à développer des projets nouveaux dans les environnements professionnels de l’ensemble de l’Europe du Sud-Est.
Lors d’une réunion à Sofia en août 2003, plusieurs personnes qui avaient participé au séminaire en Allemagne un an plus tôt ont eu l’idée d’organiser une exposition itinérante. L’objectif principal était d’analyser les questions historiques sensibles et émotionnelles, et de disséminer des méthodologies interactives d’enseignement de l’histoire. En l’espace de quelques mois, des représentants d’Albanie, de Bosnie-Herzégovine, de Bulgarie, de Macédoine, de Roumanie, de Serbie et du Monténégro ont identifié des thèmes, formé des équipes nationales et trouvé des partenaires locaux pour leurs objets d’exposition respectifs. Non seulement l’exposition a été bien accueillie, mais elle a également permis de créer un réseau de professionnels spécialisés dans ces six pays. Les thèmes de l’exposition étaient les suivants:
Quatre posters relatent l’histoire de plusieurs milliers de personnes incarcérées à la prison de Spac et dans d’autres camps albanais dans les années 1970. Toutes ces personnes étaient considérées comme un danger potentiel pour l’État socialiste. L’exposition utilise l’histoire orale pour analyser ces moments à la fois difficiles et diversifiés du passé récent, qui ont beaucoup en commun avec les expériences des autres pays communistes de la région.
Pour les habitants de Sarajevo, la ville devint une prison sans murs; c’est l’un des principaux messages des expositions organisées en Bosnie-Herzégovine sur la guerre de 1992-95. Dans ce cas précis, les actes de violence n’étaient pas perpétrés par des serviteurs de l’État, mais plutôt par des hommes à poigne profitant d’une période semi-anarchique. Le siège de Sarajevo a induit des traumatismes et des blessures qu’il importe de panser.
L’exposition bulgare présente le socialisme sous un aspect nouveau et peu connu des jeunes d’aujourd’hui. Elle relate l’histoire personnelle de gens qui ont participé aux mouvements de jeunesse de l’État socialiste. Certaines sont positives, d’autres en revanche reflètent la face négative de la répression politique. Ces deux facettes sont importantes. Si l’on veut comprendre le passé socialiste, il est essentiel de le présenter sous des perspectives différentes. Dans le cas contraire, on sera incapable de comprendre la force de l’emprise de la nostalgie pour cette période sur l’imagination populaire dans cette région.
Le thème central de l’exposition macédonienne était un concours photographique sur divers sujets: l’espoir que met un enfant dans l’avenir du pays, scènes de la vie rurale avec populations en déplacement... Ce concours photo a une importance capitale pour les autres pays de la région dans la mesure où il aborde des thèmes quotidiens d’égale importance pour tous.
Les survivants de la résistance anti-communiste armée évoqués dans le cadre de l’exposition roumaine trouveraient bon nombre de points communs avec les anciens prisonniers de Spac, en Albanie. Ces histoires sont le reflet d’actes de survie et de lutte similaires, mais également d’un espoir désespéré de voir enfin le régime communiste s’effondrer.
Cette promesse d’un avenir meilleur est également le thème de l’exposition organisée dans la Serbie voisine, qui relate les protestations estudiantines de 19961997. Les étudiants, qui luttaient pour un avenir démocratique, ont préparé en même temps le terrain pour les protestations ultérieures qui ont mis fin au régime de Milosevic.
Ces multiples histoires relatées dans les différents volets de l’exposition reflètent la diversité de l’Europe du Sud-Est: nous avons affaire à une riche tapisserie de perspectives, de peuples et de méthodes. Durant son périple de trois mois à travers les capitales d’Europe du Sud-Est, elle a eu un grand succès non seulement en raison du nombre de visiteurs, mais aussi parce qu’elle a permis de prendre conscience d’un passé commun. Nous citerons ici quelques extraits des commentaires de certains visiteurs de l’exposition en Roumanie:
En 2008, nous nous sommes appliqués à construire une image positive des pays balkaniques voisins, nous avons enseigné le passé commun de l’Europe du Sud-Est aux jeunes adultes par le biais de micro-projets axés sur la découverte d’histoires personnelles, de la culture, de la vie quotidienne et des valeurs.
Mère Teresa a dit: «Si nous n’avons pas la paix, c’est parce que nous avons oublié que nous appartenons les uns aux autres». Le défi d’avenir en Europe du Sud-Est
consiste à faire face ensemble à la notion d’ «histoire commune» et à construire des ponts entre les gens qui ont oublié à quel point ils sont proches les uns des autres. Si nous voulons faire ce processus de réconciliation, nous devons nous rencontrer et nous parler. Le projet historique a été un moyen d’apprendre à faire suffisamment confiance aux autres pour être capables d’échanger et d’accepter des points de vue divergents. Les pratiques que nous avons créées constituent un pas en avant vers la réécriture des livres d’histoire. Au fil des ans, nous avons tiré des leçons des expériences des autres projets réalisés dans ce même domaine, à savoir le livre d’histoire conjoint franco-allemand, les bonnes pratiques d’EUROCLIO et le projet conjoint d’histoire du Centre pour la démocratie et la réconciliation en Europe du Sud-Est, situé à Thessalonique en Grèce.
Les produits que nous avons créés en 2008 (DVD «Le portrait d’un voisin et Manuel de l’enseignant – histoires des Balkans: les bonnes pratiques d’enseignement de l’histoire en Europe du Sud-Est») sont des leçons testées et avalisées; elles nous donnent un modèle commun qui nous permet d’enseigner l’histoire récente dans un esprit positif et tolérant, en nous basant sur les principes de la multiperspective et du multiculturalisme. Depuis le début de 2009, le projet se développe avec une nouvelle priorité: l’éducation des adultes et les musées.
Plus de renseignements sur le projet sur
http://www.historyproject.dvv-international.org
1 Arthur D. Howden Smith, «Fighting the Turks in the Balkans. An American’ Adventure with the Macedonian Revolutionists», 1908, p. 2.
2 D’ordinaire, le terme «Balkans» est utilisé au sens politique et désigne explicitement le territoire des États modernes suivants: Albanie, Bosnie -Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Grèce, Macédoine, Moldavie, Roumanie, Slovénie et Yougoslavie (Serbie et Monténégro) selon la définition de la New Encyclopedia Britannica, vol. 1 1993, pp. 833–834. La carte ci-dessus a été élaborée avant juin 2006, après l’indépendance du Monténégro à la suite du référendum de mai 2006. Le Kosovo a déclaré son indépendance le 17 février 2008.
3 Plus d’informations sur le projet «Se souvenir pour l’avenir» dans: Bala, Heike Catrin. «Remember for the Future. A Seminar on Methods of Handling History»; IIZ/DVV 2003.