Avec la crise financière et socio-économique générale, l’éducation des adultes en Slovénie est actuellement confrontée à des difficultés. En dépit de la valeur élevée de l’indicateur de l’UE1 relatif à la participation de la population âgée de 25 à 64 ans à des actions de formation tout au long de la vie (éducation et formation formelle, non formelle et informelle) qui place la Slovénie en sixième position au niveau européen et en première position au niveau des jeunes États membres, les professionnels de l’éducation des adultes ont tenté d’attirer l’attention sur les problèmes structurels qui se cachent derrière ces résultats positifs. D’autant que ces résultats transmettent un message erroné aux décideurs politiques, à savoir que le secteur n’aurait apparemment pas besoin de mesures d’encouragement immédiates, en particulier au niveau financier. En réalité, l’éducation des adultes est confrontée à des défis divers qui demandent des efforts conjoints de la part de toutes les parties prenantes. Avant d’analyser plus en profondeur la situation actuelle, revenons vingt ans et plus en arrière pour voir ce que nous pouvons apprendre du passé.
La Slovénie est un petit pays d’Europe centrale (superficie: 20 273 km², environ 2 millions d’habitants) situé en bordure de la péninsule des Balkans. Autrefois membre de l’Empire austro-hongrois, puis l’un des six États de la République fédérale socialiste de Yougoslavie après 1945, la Slovénie s’est vue reconnaître son indépendance légitime par la communauté internationale en 1991. Le pays a rapidement procédé à la transformation de son système politique, social et économique, passant de la dictature politique unipartite et de l’autogestion sociale à la démocratie parlementaire et à l’économie de marché. En fait, le processus de transition effectué à la fin des années 80 s’est soldé par les premières élections parlementaires libres en 1989 et s’est poursuivi dans les années 90.
Les efforts en faveur de la libération politique, économique et culturelle du pays ont sans aucun doute influencé les processus dans le domaine de l’éducation des adultes (EA). Il est intéressant de constater que dans les années 80, la situation dans ce secteur était assez paradoxale: d’un côté, les documents stratégiques sur le déve-loppement socio-économique envisageant un développement rapide de ce jeune pays met-taient l’accent sur les besoins en capital humain mieux instruit. Il était clair que cet objectif ne pouvait pas être atteint avec suffisamment de rapidité et d’efficience si l’on se bornait à améliorer le système éducatif des enfants et des jeunes. L’importance de l’éducation des adultes fut donc reconnue, l’accent fut mis sur le besoin d’offres adéquates.
De l’autre côté, après une période relative-ment florissante durant laquelle l’éducation des adultes est devenue un domaine indépendant principalement orienté vers la formation pro-fessionnelle et l’éducation socio-politique en faveur de l’autogestion, le secteur a traversé une grave crise, due en majeure partie à deux orientations idéologiques regrettables:
Au regard de ces concepts et des réformes éducatives apparemment progressives, le système d’éducation des adultes slovène était, en théorie, assuré sur le plan financier. En pratique, ce n’était cependant pas le cas: premièrement, le réseau des prestataires de formations pour adultes s’était sérieusement détérioré – les centres de formation, c’est-à-dire les universités «ouvrières» ou «populaires» – n’étaient plus habilités à proposer des formations formelles, les écoles n’avaient pas le savoir-faire nécessaire pour former les adultes, et les centres éducatifs au sein des organisations ouvrières manquaient d’argent. Deuxièmement, les centres spécialisés au niveau national (Association des universités populaires, Unité d’éducation des adultes de l’Institut de l’éducation nationale et Association des centres éducatifs de Slovénie) qui s’étaient chargés de la conceptualisation, du développement et de la mise en œuvre de l’éducation des adultes, furent démantelés, c’est-à-dire qu’on cessa de les financer ou tout au moins, on réduisit fortement leur financement. Bref, le secteur de l’éducation des adultes n’était pas à la hauteur, alors qu’on attendait de lui qu’il réponde aux grands défis qui commençaient à émerger avec l’apparition du nouvel État.
En 1984 cependant, un groupe de professionnels dévoués regroupés au sein de l’Association slovène d’éducation des adultes, en coopération avec des personnes investies de fonctions sociales et politiques, formulèrent un programme à long terme pour développer l’éducation des adultes et commencèrent petit à petit à le mettre en pratique, d’une part à l’aide de recherches sur les concepts et les stratégies d’EA, d’autre part en utilisant des approches pratiques nouvelles.
L’année 1991 fut une étape très importante, non seulement dans l’histoire de la Slovénie mais aussi pour son secteur d’éducation des adultes. C’est à ce moment que fut publiée «L’Éducation en Slovénie pour le 21e siècle: l’éducation des adultes» (1991), qui pour la première fois en Slovénie, définit l’EA comme un secteur indépendant et jette les fondements professionnels de son développement futur. Cette époque et la première moitié des années 90 sont marquées par une évolution fondamentale dans divers domaines:
Ces développements se sont accompagnés d’un besoin urgent de mesures permettant d’améliorer la structure de l’éducation et les qualifications de la population. Selon les statistiques, près de 50 % de la main d’œuvre et 40 % des employés n’avaient pratiquement aucune qualification formelle en 1991. Vu la demande croissante, la répartition régionale de prestataires et de programmes de formation pour adultes s’est élargie, et a été copieusement complétée par de nombreux prestataires privés.
Pour soutenir le réseau d’éducation des adultes, l’Institut slovène d’éducation des adultes (ISEA) s’est transformé en un organisme de coordination indispensable pour faire le lien entre les intérêts clés des diverses parties prenantes, les pondérer et servir de médiateur auprès des autorités publiques responsables. L’Institut a combiné les arguments professionnels avec les besoins et les opinions des principaux acteurs du secteur, y compris de la société civile, ce qui a permis de promouvoir le développement du système et des pratiques d’éducation des adultes. Les points de vue de l’ISEA ont été étayés par des études comparatives internationales corroborant le besoin de l’intervention de l’État pour assurer des conditions stables et accélérer le développement de l’éducation des adultes à l’aide de diverses mesures et réglementations.
Les bases conceptuelles du développement de l’EA ont été jetées en 1995 avec le «Livre Blanc sur l’Éducation», puis élaborées plus en détail avec la loi-cadre «Organisation et financement de l’Éducation» (1996), qui définit les objectifs de l’ensemble du système éducatif ainsi que les modalités de son organisation et de son finan-cement. Cette même année, un ensemble de cinq lois spéciales a été émis, chacune d’entre elles régulant l’un des sous-systèmes éducatifs en fonction des niveaux et des secteurs éducatifs. L’une d’entre elles, la «loi sur l’éducation des adultes», est la loi générale qui définit l’éducation des adul-tes, confirmant sa position en tant que secteur indépendant et son inclusion dans le système de financement public. Cette loi est à l’origine de l’élaboration du «Plan directeur d’éducation des adultes» destiné au positionnement et au financement des prestations de formation pour adultes, et notamment à l’établissement d’un équilibre entre l’éducation et la formation professionnelle d’une part, l’éducation des adultes générale axée sur les besoins personnels et ceux de la communauté d’autre part.
À la fin des années 90, l’expertise nécessaire à la préparation finale du Plan directeur d’éducation des adultes (PDEA) a été réalisée. Entre temps, l’EA avait été financée par le biais d’appels d’offres ouverts avec le soutien professionnel de l’ISEA conformément à ses efforts axés sur l’introduction de méthodes nouvel-les d’EA, ainsi que d’approches nouvelles dans la programmation des mesures d’EA. Des analyses ayant fait apparaître des écarts défavorisant les catégories de population moins instruites, une attention spéciale a été portée à l’introduction d’innovations dans l’éducation des adultes non formelle. Ces efforts étaient censés contrecarrer l’offre des organismes privés d’EA, qui avaient été très florissants pen-dant la période de transition et qui développaient des programmes éducatifs pour les populations relativement instruites et fortement demandés sur le marché.
L’adoption de la «Résolution sur le Plan directeur d’éducation des adultes jusqu’à 2010 (PDEA)» a sans aucun doute été l’un des succès les plus notoires réalisés dans le secteur de l’éducation des adultes en Slovénie. C’est l’étape finale de la mise en place de la nouvelle politique et des nouvelles pratiques d’éducation des adultes, processus qui a duré pratiquement dix ans et était censé assurer un développement équilibré et stable du secteur.
Avant tout, le PDEA était considéré comme une forte mesure de promotion de l’investissement de la part de toutes les parties prenantes – individus, communautés, entreprises et État. Le Plan était censé faire le lien entre divers acteurs afin de créer un environnement effectif au niveau national. Le PDEA a défini les objectifs (et les critères), les domaines prioritaires, les activités et le montant approximatif des fonds publics destinés à l’EA dans trois domaines:
Il incluait également des activités infrastructurelles telles le développement professionnel des éducateurs d’adultes, les questions concernant la qualité, l’information et l’orientation, les projets de recherche et de développement, les services d’information et de promotion, etc.
Depuis 2005, la mise en application du PDEA et son financement concret ont été définis dans le cadre du Programme annuel d’Éducation des Adultes (PAEA) adopté par le gouvernement et coordonné en amont avec l’organe consultatif du gouvernement, le Conseil d’experts en éducation des adultes (chargé de l’organisation, de la qualité et de l’efficience de l’éducation des adultes). L’organisation ultérieure de l’éducation est définie dans le cadre de plans annuels des organismes prestataires de formations pour adultes conformément aux programmes éducatifs publics validés. Les adultes ont la possibilité de participer à des programmes individuels sur la base d’appels d’offres ouverts.
Depuis que la Slovénie fait partie de l’UE, le Fonds social européen est une source supplémentaire de financement. Ces fonds ont été canalisés vers des projets de développement favorisant surtout les acquis au niveau de l’enseignement supérieur et l’employabilité, l’alphabétisation, la formation des formateurs d’adultes, la qualité, l’information et l’orientation dans le secteur de l’éducation des adultes.
La mise en application du PDEA et des programmes annuels ultérieurs doit être soumise à un suivi et à des analyses approfondies, et faire l’objet d’un rapport auprès du Conseil national. Cependant, vu l’énorme complexité de l’entreprise, les efforts pour mettre en place un système d’information adéquat ne commencent que maintenant à donner des résultats. Les résultats provenant de ce système d’information peuvent soit confirmer, soit infirmer la cohérence de la structure du PDEA, et surtout révéler l’(in)efficience de son application dans la pratique.
Le système d’EA et plus particulièrement sa régulation, sa gouvernance et son financement, sont sujets à réflexion en ce qui concerne le montant des fonds, l’efficience de leur utilisation et l’équité en termes de distribution. Contrairement à la relativement bonne performance de l’EA slovène d’après l’UE et certains indicateurs nationaux, un examen plus approfondi révèle plusieurs problèmes structurels provenant (entre autres) d’un financement inadéquat. Le manque de suivi précis, de transparence et de redevabilité du financement de l’EA, son efficience et l’évaluation de son impact font actuellement l’objet d’un débat. Le manque d’infrastructure appropriée représente un obstacle supplémentaire à l’amélioration de la performance du système (de financement) d’EA – le développement et la recherche autonomes et performants devant, à l’origine, être assurés par l’Institut slovène d’éducation des adultes.
L’énumération de toutes les questions actuelles n’entre pas dans le cadre de cet article et nous ne mentionnerons ici que les plus importantes:
Depuis plus de deux décennies, le système slovène d’éducation des adultes traverse une crise qui présente certes ses propres symptômes et a ses propres motifs, mais qui fait également partie d’un ensemble qui l’embourbe dans la crise générale financière, socio-économique et culturelle du pays et du monde entier. Une fois de plus, le secteur de l’EA peut et doit faire l’objet des mesures entreprises récemment par le pays afin de maîtriser la difficile situation actuelle.
Nous nommerons ici certains principes directeurs énoncés dans le passé mais perdus en cours de route, et d’autres qui sont nouveaux:
Il est clair que le système slovène d’éducation des adultes a déjà prouvé son aptitude à répondre proactivement aux défis des temps présents et à promouvoir la mise en place d’une société et d’une économie plus performantes. La crise actuelle doit être considérée comme une opportunité qui permettra de corriger certaines erreurs du passé et de prendre un nouveau départ à un niveau professionnel et politique plus élevé.
Références
Analiza uresnicˇevanja Resolucije o Nacionalnem programu izobraževanja odraslih za leti 2005 in 2006 (Analyse de la mise en application de la Résolution relative au Plan directeurd’Éducation des Adultes pour 2005 et 2006), Vlada RS, Ljubljana 2008.
Bela knjiga o vzgoji in izobraževanju v Republiki Sloveniji (Livre Blanc sur l’Éducation enRépublique slovène), Ministère de l’Éducation et des Sports, Ljubljana, 1995.
Černoša, S., Bandelj, E.: Slovenian Adult Education in the Context of Lifelong Learning, Lline, 2007, Vol. XII, n° 4/2007, pp. 243–251.
Drofenik, O. (et al.): Nacionalni program izobraževanja odraslih, Strokovne podlage zvezek 1, Razvojne usmeritve (Expertise sur le Plan directeur d’Éducation des Adultes Vol. 1, Orientations de développement), Institut slovène d’Éducation des Adultes, Ljubljana 1998.
Drofenik, O. (et al.): Nacionalni program izobraževanja odraslih, Strokovne podlage zvezek 2, Cilji, dejavnosti, utemeljitve (Expertise sur le Plan directeur d’Éducation des Adultes Vol. 2, Objectifs, activités et argumentations), Institut slovène d’Éducation des Adultes, Ljubljana 1999.
Education in Slovenia for the 21st Century: Adult Education, Expert grounds, National Education Institute, Ljubljana, 1991.
Final Annual Account of the Ministry of Education and Sport Budget for 2005, 2006 and 2007.
Ivančič, A.: Inspiring story of adult education in Slovenia. Lline, 2003, Vol. VIII, issue 3/2003, pp. 50–55.
Jelenc Krašovec, S. , Kump, S.: Sistemsko urejanje izobraževanja odraslih (Système de regulationde l’Éducation des Adultes), Sodobna pedagogika Vol. 1/2009, pp. 199-–216, Ljubljana 2009.
Jelenc, Z. (Ed.): Adult Education Research in the Countries in Transition : Research project report, Studies and Researches Vol. 6, Institut slovène d’Éducation des Adultes, Ljubljana 1996.
Progress Towards the Lisbon Objectives in Education and Training – Indicators and Benchmarks 2008 Report, Commission Staff Working Document, Commission of the European Communities, Education and Culture, Brussels, SEC (2008) 2293 (disponible sur ec.europa. eu/education/lifelong-learning-policy/doc1522_en.htm).
Resolucija o nacionalnem programu izobraževanja odraslih do leta 2010 (Résolution du Plandirecteur d’Éducation des Adultes, 2010), Ur. l. 70/2004.
Strategija vseživljenjskosti ucˇenja v Sloveniji (Strategie d’apprentissage tout au long de la vie en Slovénie), Ljubljana, 2007.
Zakon o izobraževanju odraslih (Adult Education Act), Ur.l. 12/1996, 86/2004, 110/2006.
Zakon o organizaciji in financiranju vzgoje in izobraževanja (Organisation et financementde la Loi sur l’Éducation), Šolska zakonodaja I, Ministère de l’Éducation et des Sports, Ljubljana, 1996.
1 Selon le rapport sur les progrès vers les objectifs de Lisbonne en matière d’éducation et de formation – Indicateurs et critères 2008, le taux de participation en Slovénie pour l’année 2007 était de 14,8 % (moyenne européenne: 9,7 %); source: Enquête sur la main d’œuvre en Europe.